dimanche 5 septembre 2021

L'AMOUR GREC CHEZ LES SÉNÈQUE

Retour : Ces petits Grecs...

 

Lucius Annaeus Seneca, Epistolae morales ad Lucilium,
BnF/Gallica, manuscrit latin 8658 A.


SÉNÈQUE LE PÈRE [dit aussi LE RHÉTEUR] (vers -60/39), écrivain latin d'origine espagnole (de l'actuelle Cordoue), père de Sénèque le Jeune et grand-père de Lucain,

Controverses et Déclamations, Loeb Classical Library (LCL) ; traduction Henri Bornecque, Garnier, 1932. Texte latin sur Perseus :
I Préface, 8 : " La passion malsaine de chanter et de danser remplit l'âme de nos efféminés ; s'onduler les cheveux, rendre sa voix assez ténue pour égaler la caresse des voix féminines, rivaliser avec les femmes pour la mollesse des attitudes, s'étudier à des recherches très obscènes, voilà l'idéal de nos adolescents ; amollis et énervés dès leur naissance, ils le restent volontiers, toujours prêts à attaquer la pudeur des autres et ne s'occupant pas de la leur. " [cantandi saltandique obscena studia effeminatos tenent, et capillum frangere et ad muliebres blanditias extenuare uocem, mollitia corporis certare cum feminis et immundissimis se expolire munditiis nostrorum adolescentium specimen est. Cité par Michel Foucault].
VII, iv, 7-8 : Calvus : il [Pompée] gratte sa tête avec un doigt ; que cherche-t-il ? un mec [dicit de Pompeio :
digito caput uno
Scalpit. quid credas hunc sibi uelle ?
virum].

Controverses choisies [Excerpta Controversiae], IV, 10 : Hatérius : l'impudicité est un crime pour l'homme libre, une nécessité pour l'esclave et un devoir pour l'affranchi [Memini illum cum libertinum reum defenderet, cui obiciebatur quod patroni concubinus fuisset, dixisse: inpudicitia in ingenuo crimen est, in seruo necessitas, in liberto officium];


SÉNÈQUE LE JEUNE (-4/65), homme d'État, précepteur de Néron et philosophe stoïcien, fils du précédent,

Dialogues, CUF (Budé), LCL. Texte latin sur Perseus :
Des bienfaits, II, 21, 1 : un homme impur dont le corps est prostitué et la bouche infâme [Illud magis venire in aliquam disputationem potest, quid faciendum sit captivo, cui redemptionis pretium homo prostituti corporis et infamis ore promittit.].
De la brièveté de la vie, XII, 2 : tu l'appelles oisif celui qui dans la palestre (les vices dont nous souffrons ne sont même pas romains !) s'assied pour regarder les rixes de garçons [Illum tu otiosum vocas qui Corinthia, paucorum furore pretiosa, anxia suptilitate concinnat et maiorem dierum partem in aeruginosis lamellis consumit? Qui in ceromate (nam, pro facinus ! ne Romanis quidem vitiis laboramus) spectator puerorum rixantium sedet ?].
Consolation à Marcia, traduction sur Remacle.org :
XVII, 4 : le tyran Denys recrutera mâles et femelles pour assouvir son désir ; ce sera peu que de prendre part à deux accouplements en même temps. [Probablement une extrapolation].

De la providence, traduction J. Baillard, Paris : Hachette; 1861 :
V, 3 : Eh bien quoi ? Il est donc injuste que des braves prennent les armes, veillent la nuit dans les camps, et couverts de blessures et d’appareils se tiennent debout sur la tranchée, tandis que, dans la ville, des eunuques, des débauchés de profession vivent en pleine sécurité ? [" At iniquum est virum bonum debilitari aut configi aut alligari, malos integris corporibus solutos ac delicatos incedere." Quid porro ? Non est iniquum fortes viros arma sumere et in castris pernoctare et pro vallo obligatis stare vulneribus, interim in urbe securos esse percisos et professos impudicitiam ? Quid porro ? Non est iniquum no- bilissimas virgines ad sacra facienda noctibus excitari, altissimo somno inquinatas frui ?].

Lettres à Lucilius [Ad Lucilium Epistulae Moralescorrespondance parfois crue fictive], CUF, LCL ; traduction d'extraits par Pierre Miscevic/Pocket/1990, avec dossier. Texte latin sur Perseus :
XXXV, 1 : celui qui aime n'est pas toujours un ami ;
XLVII, 7 : un autre esclave, qui sert le vin, doit se parer comme une femme [...] glabre, il se rase ou s'épile [...] dans la chambre, c'est un jules, dans la salle à manger, c'est un garçon [Alius vini minister in muliebrem modum ornatus cum aetate luctatur ; non potest effugere pueritiam, retrahitur, iamque militari habitu glaber retritis pilis aut penitus evulsis tota nocte pervigilat, quam inter ebrietatem domini ac libidinem dividit et in cubiculo vir, in convivio puer est.] ;
XLIX, 12 : double pudicité, celle qui est abstinence du corps d'un autre, et celle qui ménage le sien [cité par C. A. Williams] ;
LII, 12 : l'impudique est dénoncé par sa démarche, un mouvement de la main, parfois une simple répartie, le fait de ramener un doigt à sa tête, une façon de couler le regard ;
LXVI, 53 : me faire masser par des esclaves prêts à se prostituer [exolètes], me faire pétrir les doigts par un homme travesti en courtisane [muliercula] ;
XCV, 24 : bataillons de garçons [puerorum] qui au bout du festin passent dans la chambre ; troupes d'exolètes à la peau douce ;
XCVII, 2 : stupre exigé des adolescents nobles [allusion au procès de Clodius en -61 ; cf Cicéron] ; XCIX, 13 : impudicités mutuelles de certains hommes ;
CI, 15 : des hommes livrent volontairement leurs fils [liberos] au stupre ;
CXIV, 3 : si un homme est efféminé, on peut reconnaître sa mollesse à sa démarche [Si ille effeminatus est, in ipso incessu adparere mollitiam];
CXIV, 4 : on sait comment Mécène marchait, combien il était délicat [Quomodo Maecenas vixerit notius est, quam ut narrari nunc debeat, quomodo ambulaverit, quam delicatus fuerit, quam cupierit videri, quam vitia sua latere noluerit.] ;
CXIV, 6 : " Lui qui, au plus fort du fracas des guerres civiles, quand la ville inquiète était en armes, s'avançait en public escorté de deux eunuques, qui étaient encore plus virils que lui. Lui qui épousa mille femmes, bien qu'il n'en posséda qu'une (1). [Hunc esse, cui tunc maxime civilibus bellis strepentibus et sollicita urbe et armata comitatus hic fuerit in publico spadones duo, magis tamen viri quam ipse ? Hunc esse, qui uxorem milliens duxi, cum unam habuerit ?
1. Note de Pierre Miscevic : " Térentia avec qui il entretenait des relations orageuses. Mais Mécène semble avoir été davantage porté sur les garçons. "]

CXXIII, 10 : pas de petit amant [puer] pour exciter la jalousie de ta maîtresse [amica] (2) ;
15-16 : Selon les Stoïciens : " seul le sage sait être un amateur ; cherchons jusqu'à quel âge les jeunes [juvenes] doivent être aimés " [cité par Montaigne, Essais, II, xii] ; ceci est une concession aux mœurs de la Grèce. [Hoc enim iactant: solum sapientem et doctum esse amatorem. " Solus sapit ad hanc artem; aeque conbibendi et convivendi sapiens est peritissimus. Quaeramus, ad quam usque aetatem iuvenes amandi sint." Haec Graecae consuetudini data sint,]
2. Note de Pierre Miscevic : " On voit que l'homosexualité est chose courante et évidente à l'époque de Sénèque et particulièrement dans le milieu qui fut le sien. On pense aussi bien sûr aux héros du roman de Pétrone ".

Questions naturelles, CUF, LCL :
I, xvi, 1 : obscénité d'Hostius Quadra ; 2 : ses désirs allaient aux hommes comme aux femmes ; il avait des miroirs grossissants pour agrandir les membres des hommes auxquels il se livrait, et voir tous les mouvements du complice qui était derrière lui ; il jouissait de la grandeur trompeuse du membre lui-même [cité par Montaigne, Essais, II, xii] ; 3 : Hostius courait les bains publics pour choisir des hommes ; il était spectateur de ses infamies [flagitiorum, nefanda] ; 4 : comme il ne pouvait apercevoir toutes choses quand il avait la tête dans les parties secrètes de ses compagnons de débauche, c'est par réflexion qu'il s'en offrait le spectacle ; 5 : il pouvait voir les hommes auxquels il se livrait de toutes manières ; parfois il était partagé entre un mâle et une femme ; 7 : marem exerceo " j'exerce sur un mâle ".
VII, xxxi : " Ce qui nous reste d'extérieur mâle, nous l'effaçons sous le luisant de nos corps épilés. Nous avons vaincu les femmes en toilette; les couleurs que portent les courtisanes, que les dames romaines ont dû s'interdire, nous, Romains, nous les avons prises. On va d'une molle et languissante allure, d'un pas indécis : ce n'est plus en homme que l'on marche, c'est en femmelette. Des bagues ornent nos doigts; chaque phalange a sa pierre précieuse. Tous les jours nous imaginons de nouveaux moyens de dégrader notre sexe ou de le travestir, ne pouvant le dépouiller : l'un livre au fer ce qui le fait, homme ; la plus vile bande du cirque devient le refuge de cet autre, loué pour mourir, armé pour l'infamie. Même ruiné, il pourra fournir à sa frénésie : il a bien choisi. " (traduction J Baillard, 1861).



mercredi 2 juin 2021

L’HOMOPHOBIE, par Daniel Borrillo (2000-2001)


Critique du "Que sais-je ?" consacré à l’homophobie par les Presses Universitaires de France : Daniel BORRILLO, L’Homophobie, Paris : PUF, 2000 (2e édition mise à jour novembre 2001), collection Que sais-je ?, n° 3563.


Le terme homophobie, je l’ai introduit dans la langue française de France en avril 1977, à partir de l’américain homophobia, terme encore absent de l’édition 1989 de l’Oxford English Dictionary. Voir Claude Courouve, Les Homosexuels et les autres, Paris : Athanor, 1977, page 40 : " Le lien entre homophobie et misogynie apparaît clairement dans certaines bandes de jeunes où le terme "pédé" ne désigne pas seulement l’homosexuel, mais aussi celui qui aime une femme et s’attache à elle. L’amour est alors perçu comme dévirilisant. " J’ai appris depuis que homophobia avait été transposé en français canadien en 1975.

   Ce mot a atteint en 2014 la sur-notoriété et a envahi le vocabulaire politique. L’homophobologue Daniel Ángel Borrillo, (né en 1961 à Buenos Aires) le définit ainsi
 « hostilité (psychologique ou sociale) à l’égard des personnes désirant leur propre sexe » (page 26, 2e édition).
Le point fort de cet opuscule est le survol, assez précis cependant, de textes réprimant ou stigmatisant ce comportement minoritaire, depuis les textes « sacrés » des Hébreux jusqu’aux lois pénales en vigueur dans d'assez nombreux pays du Tiers-Monde. La répression des comportements des hommes homosexuels par les nazis (dite fort abusivement " holocauste gay ") et par l’Église catholique sont assez bien documentées. Pour une vue plus complète relativement à l’Europe, on pourra consulter, de Flora Leroy-Forgeot, Histoire juridique de l’homosexualité en Europe, Paris : PUF, 1997, collection " Médecine et sociétés " (sic). Pour la France, mon Vocabulaire de l’homosexualité masculine, Paris : Payot, 1985, collection Langages et sociétés ; la notion (faible) d’homophobie y était évoquée à l’article "Préjugé". Nouvelle édition électronique sous le titre Dictionnaire français de l'homosexualité masculine.


A /  Quelques oublis importants sont cependant à déplorer, dont les injonctions d’hétérosexualité conjugale dans les Évangiles : Évangile selon Matthieu, XIX, 4-6 : « mâle et femelle faits par Dieu ; l'homme s'attachera à sa femme ; ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare pas. » C'est repris dans l'Évangile selon Marc, X, 7-9 ; la remarque de l’existence de ces injonctions, faite à feu Mgr Jacques Gaillot lors d’une conférence-débat à l’ENS-Ulm, l’avait laissé sans voix. Oublié aussi le déplorable mais très influent article " Sodomie " dans l’Encyclopédie (1765 ; reproduit avec annotations dans mon Dictionnaire), et la longue période "homophobe" des mouvements socialiste et communiste (de Paul Fafargue et Henri Barbusse à Pierre Juquin).


B /   L’auteur s’enlise dans la distinction des homophobies clinique, anthropologique, libérale, bureaucratique-stalinienne, irrationnelle, cognitive, etc., donnant par cette accumulation l’impression (évidemment fausse) que pas une voix ne se serait élevée, dans la philosophie, l’histoire ou la littérature occidentale, pour approcher objectivement la question. La répression en Russie avant 1917 n’était pas aussi forte que la note 1 de la page 73 le laisse supposer ; l’article 516 du Code pénal de 1903 ne prévoyait qu’une peine d’emprisonnement de trois mois au moins pour "pédérastie" avec un partenaire de plus de 16 ans. Donc une répression bien moindre qu’après 1934. On trouvera dans ce Que sais-je ?, pages 75-76, un extrait de ma traduction, à partir de l’original russe, de l’entrée " Homosexualisme " de la Grande Encyclopédie Soviétique, 2e édition, 1952.

   Sigmund Freud et Jacques Lacan sont bien trop rapidement disqualifiés ; pour Freud, la catégorie des homos était distincte de celle des pervers ; il considérait l’homosexualité et l’hétérosexualité comme étant chacune une limitation de la bisexualité ; il employa le terme non péjoratif de "variante" pour caractériser l’homosexualité. Les références aux œuvres de Freud, note 2 de la page 62 de la 1ère édition, sont donc très incomplètes. Borrillo aurait pu citer au moins ces lignes :
« Il faut suspecter que l'élément essentiellement refoulé est toujours ce qui est féminin. Ceci est confirmé par le fait que les femmes aussi bien que les hommes admettent plus facilement des expériences avec des femmes qu'avec des hommes. Ce que les hommes refoulent essentiellement est l'élément pédérastique. »
Manuscrit M, 25 mai 1897. 
« La constitution des gens frappés d'inversion – les homosexuels – est, en vérité, souvent caractérisée par le fait que leur pulsion sexuelle possède une grande aptitude à la sublimation culturelle. »
La Morale sexuelle civilisée et la nervosité moderne, 1908. 
« La psychanalyse considère qu'un choix d'objet indépendamment de son sexe, également libre d'aller sur des objets mâles et femelles, comme on le trouve dans l'enfance, dans les états primitifs de la société, et dans les premières périodes de l'histoire, est la base originelle à partir de laquelle le type normal comme le type inverti se développent par une restriction de l'un ou de l'autre côté. » 
Trois Essais sur la théorie de la sexualité, note ajoutée en 1915 au premier essai.
« Il paraît certain que l'amour homosexuel s'accommode plus facilement de liens collectifs, même là où il apparaît comme une tendance sexuelle non inhibée : fait remarquable, dont l'éclaircissement nous entraînerait loin. »
Psychologie des foules et analyse du moi, XII, 1921.
   Bref, Borrillo ne nous présente qu'une indigente rhétorique de victime ... Il aurait été plus intéressant de distinguer l’homophobie positive, qui s’exprime, et le préjugé négatif, qui passe sous silence, par indifférence ou volonté de censure, l’existence de l’homosexualité (" homophobie " par omission) ; préjugé négatif fort apparent, par exemple, dans le Magazine de la santé de France 5, et précisément dans ses rubriques sexo.


C /   L’autonomie de l’hétérosexualité vis-à-vis de la procréation, déjà affirmée par les humanistes, les libertins, les philosophes (notamment le marquis de Sade et Frédéric Nietzsche, après les Grecs), puis par la psychanalyse, n’est presque pas évoquée ; c’est pourtant un argument plus qu’intéressant : l’avortement et la contraception s’écartent bien davantage de la nature que la masturbation ou l’homosexualité. Le concept de liberté est écarté d’un revers de plume sous prétexte qu’au contraire des droits .., il n’aurait pas de contrepartie (page 72 de la 2e édition, à laquelle se réfèrent les indications ultérieures) ; il est inattendu qu’un enseignant en droit exhibe ainsi son oubli de la notion de responsabilité, et de l’article 1382 du Code civil ! Mais on a vu depuis que Daniel Borrillo méconnaissait aussi l’article 75 du même Code, puisqu’il prétendit que ce Code civil était muet sur l’aspect hétérosexuel du mariage ...


D /   Les causes de l’homophobie sont décelées, chez les individus, dans une peur de leur propre homosexualité ("explication" tautologique, qui n’explique donc rien), et pour notre malheureuse société dite " homophobe ", dans son organisation selon deux sexes qui n’auraient que peu de choses à voir avec la nature ; Daniel Borrillo voit dans cette organisation, prétendant suivre les traces du philosophe Michel Foucault, " une entreprise politique d’assujétissement des individus " ... (page 90). Ce "différentialisme sexuel" priverait les homos du " droit au mariage " ; Borrillo critique ce sous-mariage que serait le PACS au nom du principe constitutionnel d’égalité des sexes imposé comme absolu et radical. Le " droit au mariage " n’existe, selon l’article 12 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (Conseil de l’Europe, 1950), que pour " l’homme et la femme ". En revanche, la Charte des Droits fondamentaux de l’Union Européenne (2000) laissait entrebâillée la porte du mariage homosexuel : « Le droit de se marier et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent l’exercice » (article 9).


E / On objectera facilement que la distinction des deux sexes étant constitutive tout autant de l’hétérosexualité que de l’homosexualité, distinction qui, dans le Code pénal (article 225-1), devient bien rapidement une discrimination et un délit (articles 225-1-1 et suivants), cette dernière n’annule donc pas cette différence. Jean-Louis Bory disait rechercher le " corps frère ", et Michel Foucault savait protester « une femme, en plus ! » quand le sexe dit faible l’importunait. On apprend encore, page 106, que " l’homosexualité n’existe pas ". Si l’on supprimait la mention du sexe sur les cartes d’identité et autres papiers officiels, comme l’avait imaginé humoristiquement le regretté Philippe Muray dans ses  Exorcismes spirituels III (Paris : Les Belles Lettres, 2002), et comme Daniel Borrillo en a renouvelé, après la plateforme de 2004, la revendication (en mars puis le novembre 2012 devant la commission des Lois de l'Assemblée), ainsi donc que les appellations Monsieur, Madame, maman, papa (dira-t-on alors camarade ?) cela suffirait-il pour faire admettre à tous ... ce qui n’existe pas ? L’obsession de l’égalité selon le juriste Borrillo conduit à de bien curieuses impasses.

  La suppression de toute mention relative au sexe sur les papiers d’identité et documents administratifs se trouve en effet être la neuvième et dernière revendication de la Plateforme pour l’égalité des droits (§ XI / C de ma page Légitimations... ) avancée par Act-Up et quelques autres associations en mars 2004.


Daniel Borrillo retrancha de sa 1ère édition (2000) les notes suivantes :

" Bien que plus difficile à concevoir dans l’état actuel des choses, l’inverse est aussi vrai : l’adhésion à une identité homosexuelle peut devenir aussi limitative et aliénante que l’identité hétérosexuelle. La revendication d’une identité homosexuelle me semble accepter la logique du stéréotype des dominants tel que nous l’avons décrit dans le texte. La critique du mouvement Queer semble en ce sens très intéressante, car elle nous met en garde contre l’enfermement et la logique d’exclusion des politiques identitaires. " (page 99 de la 1ère édition).


" À la différence du mariage, le PACS n’accorde pas de droits tels que l’adoption plénière, l’accès aux techniques de procréation médicalement assistée, la pension veuvage, la pension de réversion, le droit à la nationalité française pour le partenaire étranger ainsi que l’obtention immédiate d’une carte de résident. Le droit au nom et à la représentation judiciaire ou extrajudiciaire entre partenaires, la reconnaissance internationale de la qualité de conjoints, le regroupement familial et la libre circulation des couples sont des facultés absentes dans le PACS. Les droits de succession ab intestat en cas de décès, l’autorité parentale partagée, la protection contre l’éloignement du territoire pour le partenaire étranger, la possibilité de donations entre partenaires sans délai de carence, la possibilité de bénéficier de dons d’organes sur une personne vivante ou encore l’allocation prêt logement, pour n’en citer que quelques exemples, demeurent des prérogatives exclusivement réservées aux couples mariés. " (page 117 de la 1ère édition).

* * * * *

  Cet opuscule est révélateur des progrès du courant dit " radicalisme démocratique ", alias " correction politique " ; page 32, la différence classique, bien connue en droit international, entre nationaux et étrangers est dite " sorte d’euphémisme du racisme ". La période des argumenteurs cultivés, Paul Verlaine, Georges Hérelle, André Gide, Marcel Jouhandeau, Roger Peyrefitte, Daniel Guérin, Jean-Louis Bory, Dominique Fernandez, et alii, semble terminée, ils doivent laisser la place aux vigilants , qui sauront, eux, mettre au pas les mal-pensants, non par le débat rationnel, mais par la " pédagogie " et l’invocation d’une " lepénisation " des esprits (Robert Badinter, Sénat, séance du 4 février 1997).

  Jadis, on avertissait : « la gauche s’arrête où l’anti-communisme commence ». Aujourd’hui, cette même famille d’esprit tente d'intimider plus brutalement : « l’extrême droite commence là où la pensée unique s’arrête ».


   Voilà un Que sais-je ? qui fait date, et certes un virage à 180 degrés par rapport à la désolante approche psychopathologique  appuyée sur des références anglo-saxonnes  du numéro 1976 de la collection (Dr Jacques Corraze, L’Homosexualité, 1982, édition mise à jour en 2000). La pathologisation est en effet complètement retournée ; ce ne sont plus les homos qui sont malades, ce sont les autres, quand ils sont intolérants, sarcastiques, voire simplement caustiques ou railleurs. Ce qu'Éric Fassin appellera en 2003 L'inversion de la question homosexuelle. Daniel Borrillo disait souhaiter " une loi protégeant les homosexuels " (page 119), c’est-à-dire réprimant non seulement les agressions et discriminations, mais aussi les propos homophobes ou qualifiés tels ; cette loi fut obtenue en décembre 2004, c'est la loi Halde. Les problématiques de la liberté d’expression et de la liberté de la recherche scientifique ne sont évidemment pas abordées, alors qu'en 1982, Robert Badinter pouvait encore affirmer : « Chacun de nous est libre de critiquer ou d'approuver l'homosexualité, chacun est libre de choisir ou de ne pas choisir tel ou tel comportement sexuel. » (Sénat, séance du 5 mai 1982, Journal Officiel [Débats Sénat], page 1634).


* La bibliographie (pages 123-126) est, comme celle de Jacques Corraze, en grande partie constituée de références anglo-saxonnes.

Voir aussi ma page Légitimations et dépénalisations

mercredi 21 avril 2021

L'AMOUR GREC DANS LE LIVRE III DES ESSAIS DE MONTAIGNE

Deux passages relèvent de l'ethnographie, les 24 autres concernent tous l'Antiquité gréco-latine. Le chapitre V a fait l'objet d'une édition séparée, commentée et annotée par Jean Terrel aux Classiques Garnier en 2019.



1* iii " De Trois Commerces ", 827 (868) : (Beauté masculine) quoi qu'elle désire des traits un peu autres, n'est en son point que confuse avec la leur [celle des femmes] puérile et imberbe. On dit que chez le grand Seigneur ceux qui le servent sous titre de beauté, qui sont en nombre infini, ont leur congé, au plus loin, à vingt-deux ans. [Cf Guillaume Postel, Histoire des Turcs, II].

2* v " Sur des Vers de Virgile ", 841 (883) : " Me vais amusant en la recordation des jeunesses passées,
animus quod perdidit optat,
Atque in praeterita se totus imagine versat. "
 [esprit obsédé du regret de l'illusion perdue ; voir le contexte de cette citation de Pétrone, Satiricon, 128 : J'allai au lit sans Giton [...] Je redoutais de perdre le souffle au contact de mon frater]

3* v, 845 (886) : Ayant pour suspecte toute mine rébarbative
[...]
Et habet tristis quoque turba cynaedos (Cf Martial, Épigrammes, VII, lviii, 9)

4* v, 846 (888) : " Rude choix, comme on fit Origène: ou qu'il idolâtrât, ou qu'il se souffrit jouir charnellement à un grand vilain Éthiopien qu'on lui présenta " [d'après Nicéphore Calliste, Histoire ecclésiastique, livre V, 32, traduction de 1578]

5* v, 853 (895) : la beauté, l'opportunité, la destinée ; citation de Juvénal, IX, 32-34 : fatum est in partibus illis
Quas sinus abscondit: nam, si tibi sidera cessent,
Nil faciet longi mensura incognita nervi,
[À Névolus qui vend ses charmes à l'un et l'autre sexe : " il y a un destin même pour les organes qu'on cache ; si on n'a pas le Ciel avec soi, une longue mesure ne sert à rien "]

6* v, 855 (898) : Vigueur du mari répandue ailleurs [avec de jeunes blondins : cf Martial XII, xcvii, 6-9].

7* v, 856 (898) : " Polémon [d'Athènes] allait semant en champ stérile le fruit dû au champ génital "
Note sur l'exemplaire de Bordeaux (postérieure à 1588)

 [DL, IV, §§ 17 et 21Pour Polémon ; sur l'expression " semer en champ stérile " voir mon Dictionnaire..., sv].

8* v, 857-858 (900) : De quoi traitait Théophraste en ceux [les livres] qu'il intitula, l'un l'Amoureux, l'autre de l'Amour ? [DL, V, § 43 ; DL rapporte au § 39 (selon Aristippe, Sur la sensibilité des Anciens, IV) que Théophraste fut amoureux du fils d'Aristote NicomaqueDe quoi Aristippe au sien des anciennes délices ? [DL, II, § 84] Que veulent prétendre les descriptions si étendues et vives en Platon, des amours plus hardies du temps de Platon  [...] Clinias ou l'amoureux forcé de Héraclide Ponticus [DL, V, § 87 : " L'Érotique et (et ?) Clinias] [...] On tenait aux églises des garces, et des
garçons à jouir [EB88 pour et des garçons].

9* v, 860 (903) : Attirer les hommes à elles et les retirer des mâles à quoi cette nation est du tout abandonnée [Gasparo Balbi, Viaggio..., 1590]
 
10* v, 864 (906-907) : Braves hommes furent cocus, et le surent sans en exciter tumulte. Il n'y eut, en ce temps là, qu'un sot de Lepidus qui en mourut d'angoisse.
Ah'tum te miserum malique fati,
Quem attractis pedibus, patente porta,
Percurrent mugilésque raphanique. [CatullePoésies, XV, 17-19 : chaste adolescent que rien n'a défloré ; préserve la pudeur de mon puer (Juventius), toi et ton pénis fatal aux bons et mauvais garçons ; qu'on te punisse comme on fait des adultères]

11* v, 868-869 (911) : Phédon le philosophe prostitua sa beauté [DL, II, § 105]

12* v, 877 (920) : Appétit de génération par l’entremise de la beauté (Platon, Banquet, 206d-e)

13* v, 878 (921-922) : Ils disent que Zénon [de Cittum] n'eut affaire à femme qu'une fois en sa vie: et que ce fut par civilité, pour ne sembler dédaigner trop obstinément le sexe (DL, VII, § 13

14* v, 881 (925) : Culilingis [déformation facétieuse de Martial, VII, xcv, 14cunnilinguis] [...] grâce des baisers, lesquels Socrate dit être si puissants et dangereux à voler nos cœurs [Xénophon, Mémorables, I, iii, 8-15]

15* v, 884 (928) : Platon montre qu'en toute espèce d'amour, la facilité et promptitude est interdite aux tenants. Ratures successives sur EB88 : " Platon dit qu'en contrées de la Grèce où à quelque condition estimée utile l'amour des garçons était licite et où les poursuites, les flatteries les veillées, les services et les passions étaient vus en public d'un bon œil et favorable si la hâte de complaire et de se rendre était ce néanmoins très réprouvée aux tenants et condamnée; "

16* v, 892 (935-936) : sage Anacréon [...]  Socrate et son objet amoureux [cf Xénophon, Banquet, IV, 27-28]

17* v, 894 (938) : ce philosophe ancien [Bion de Borysthène] et son tendron [DL, IV, § 47]

18* v, 895-896 (938-939) : Xénophon emploie pour objection et accusation, à l'encontre de Ménon, qu'en son amour il embesogna des objets passant fleur [XénophonAnabase, II, vi, 28,] [...] Appétit fantastique de l'empereur Galba [Cf Suétone, Galba, XXII] Emonez, jeune gars de Chio, pensant par des beaux atours acquérir la beauté que nature lui ôtait, se présenta au philosophe Arcésilas, et lui demanda si un sage se pourrait voir amoureux: Oui da, répondit l'autre, pourvu que ce ne soit pas d'une beauté parée et sophistiquée comme la tienne [DL, IV, § 34] [...]

(Ambiguïté sexuelle de l’adolescent) [HoraceOdes, II, v, 21-24] :
Exemplaire de Bordeaux, folio 400 verso


Exemplaire de Bordeaux, folio 400 verso ;
même faute dans l'édition de 1595, page 76.
Le sophiste Bion [de Borysthène ; pertinente correction de Dion, signalée dès l'édition Tardieu-Denesle des Essais (Paris, 1828, tome cinquième), selon la source Plutarque : " σοφιστὴς Βίων "] appelait les poils follets de l’adolescence Aristogitons et Harmodiens [PlutarqueDialogue sur l'amour, 770bc] [...] Que ne prend-il envie à quelqu'une de cette noble harde Socratique du corps à l'esprit, achetant au pris de ses cuisses une intelligence et génération philosophique et spirituelle, le plus haut pris où elle les puisse monter ? Platon ordonne en ses lois [République, V, 468b-c] que celui qui aura fait quelque signalé et utile exploit en la guerre ne puisse être refusé durant l'expédition d'icelle, sans respect de sa laideur ou de son âge, du baiser ou autre faveur amoureuse de qui il la veuille.

19* vii " De l'incommodité de la grandeur ", 919-920 (965) : la paillardise s'en est vue en crédit, et toute dissolution ; comme aussi la déloyauté, les blasphèmes, la cruauté ; comme l'hérésie; comme la superstition, l'irreligion, la mollesse; et pis, si pis il y a.

20* ix " De la Vanité ", 989 (1035) : En toutes les chambrées de la philosophie ancienne ceci se trouvera, qu'un même ouvrier y publie des règles de tempérance et publie ensemble des écrits d'amour et débauche. Et Xénophon, au giron de Clinias, écrivit contre la volupté Aristippique [DL, II, § 49]

21* ix, 990 (1036) : Antisthène permet au sage d'aimer, et faire à sa mode [DL, VI, § 11 : ἐρασθήσεσθαι]. [...] Il n’est si homme de bien [...] qu'il serait très grand dommage et très injuste de punir et de perdre.
Olle, quid ad te
De cute quid faciat ille, vel illa sua ?
[Martial, VII, x, 2 : " qu'importe l'usage que chacun fait de sa peau " ; allusion probable à Anthony Bacon et/ou à Marc-Antoine Muret]

22* x " De Ménager sa Volonté ", 1015 (1061) : Zénon [de Citium] amoureux de Chrémonides [DL, VII, § 17]

23* xii " De la Physionomie ", 1057 (1104) : Socrate, " si amoureux et si affolé de la beauté. Nature lui fit injustice. ".

24* xii, 1058 (1105) : Socrate appelait la beauté une courte tyrannie [DL, V, § 19] [...] Aristote dit aux beaux [DL, V, § 20appartenir le droit de commander, et quand il en est de qui la beauté approche celle des images des Dieux, que la vénération leur est pareillement due. À celui qui lui demandait pourquoi plus longtemps et plus souvent on hantait les beaux : Cette demande, dit-il, n'appartient à être faite que par un aveugle [DL, V, § 20. La plupart et les plus grands philosophes payèrent leur instruction [escholage] et acquirent la sagesse par l'entremise et faveur de leur beauté.

25* xiii " De l'Expérience ", 1087 (1134-1135) : Ce fut long temps avant l'âge de choix et de connaissance. Il ne me souvient point de moi de si loin. Inde tragus... [cf Martial, XI, xxii, 7-8]. William J Beck : « De toutes les citations de Martial, celle-ci semble la plus personnelle pour Montaigne. » (Article cité, page 47). Michel Magnien note que Montaigne associe l'évocation de sa sexualité à des épigrammes qui mettent en scène des homosexuels ; cf " Montaigne à l'école de Martial ? ", Montaigne Studies, XVII, 1-2, (Montaigne et les Anciens), 2005, page 109.]

26* xiii, 1113 (1164) : Socrate, notre précepteur, prise, comme il doit, la volupté corporelle : mais il préfère celle de l'esprit [...] Pour lui la tempérance est modératrice, non adversaire des voluptés. Nature est un doux guide.

* * * * *

 « Un jour qu’on lui demandait si la pédérastie n’était pas un crime : " À Dieu ne plaise", répondit-elle, " que je condamne ce que Socrate a pratiqué. " À son sens, la pédérastie est louable ; mais cela est assez gaillard pour une pucelle. »
Tallemant des Réaux, Historiettes, « Mademoiselle de Gournay ». [Marie Le Jars, dite de Gournay, 1565-1645, était une grande amie de Michel de Montaigne, et s’en disait la " fille d’alliance "].

Edward Carpenter :
« Parmi les prosateurs de cette période [la Renaissance], il ne fut pas oublier Montaigne, qui traite le sujet d'une façon enthousiaste et non équivoque  (Voir Montaigne, par [William Carew] Hazlitt, ch. XXVII.) »
" L'Amour homogénique et sa place dans une société libre ", La Société nouvelle - Revue internationale - Sociologie, Arts, Sciences, Lettres, septembre, octobre 1896, tome 2, pages 297-308 et 433-447).

* * * * *

Voir le chapitre 4 " Montaigne's Itchy Ears " dans Gary FergusonQueer (Re)Readings in the French Renaissance: Homosexuality, Gender, Culture, Farnham (UK) : Ashgate, 2008, Routledge 2016, pages 191-243 (extraits sur Google)


Dans le Journal d'Italie :
Vitry-le-François : « Depuis peu de jours il avait été pendu à un lieu nommé Montirandet, voisin de là, pour telle occasion : Sept ou huit filles d’autour de Chaumont en Bassigni complotèrent, il y a quelques années, de se vêtir en mâles, et continuer ainsi leur vie par le monde. Entre les autres, l’une vint en ce lieu de Vitry sous le nom de Mary, gagnant sa vie à être tisserand ; jeune homme bien conditionné et qui se rendait à un chacun ami. Il fiança audit Vitry une femme, qui est encore vivante ; mais pour quelque désaccord qui survint entre eux, leur marché ne passa plus outre. Depuis étant allé audit Montirandet gagnant toujours sa vie audit métier, il devint amoureux d’une femme laquelle il avait épousée, et vécut quatre ou cinq mois avec elle avec son contentement, à ce qu’on dit ; mais ayant été reconnu par quelque un dudit Chaumont, et la chose mise en avant à la justice, elle avait été condamnée à être pendue : ce quelle disait aimer mieux souffrir que de se remettre en état de fille, et fut pendue pour des inventions illicites à suppléer au défaut de son sexe. »

« […] Je rencontrai au retour de Saint Pierre un homme qui m’avisa plaisamment de deux choses […] que ce même jour la station était à Saint Jean Porta Latina, en laquelle église certains Portugais, quelques années y a [en 1578], étaient entrés en une étrange confrérie. Ils s’épousaient mâle à mâle à la messe, avec mêmes cérémonies que nous faisons nos mariages, faisant leurs pâques ensemble, lisaient ce même évangile des noces, et puis couchaient et habitaient ensemble. Les esprits romains disaient que, parce qu’en l’autre conjonction, de mâle et femelle, cette seule circonstance la rend légitime, que ce soit en mariage, il avait semblé à ces fines gens que cette autre action deviendrait parfaitement juste, qui l’aurait autorisée de cérémonies et mystères de l’Église. Il fut brûlé huit ou neuf Portugais de cette belle secte. »
18 mars 1581.

On pourra comparer le récit de Montaigne avec celui dû à Antonio Tiepolo, le 2 août 1578 :
" Sono stati presi undeci fera Portughesi e Spagnuoli, i quali adunatisi in une chiesa, ch'e vicina san Giovanni Laterano, facevano alcune lor cerimonie, e con horrenda sceleraggine bruttando il sacrosante nome di matrimonio, se maritavano l'un con l'altro, congiongendosi insieme, come morito con moglio. Vintisette si trovano, et piu, insieme il piu delle volte, ma questa volta non ne hanno potuto coglier piu che questi undeci, i quali anderamo al fuoco, e come meritano. " Cf F. Mutinelli, Storia arcana e aneddotica d'Italia, Venise : P. Naratovich, 1856.

Sur ce genre de mariages, on pourra se reporter à : Gary FergusonSame-Sex Marriage in Renaissance Rome: Sexuality, Identity, and Community in Early Modern Europe, Ithaca (NY) : Cornell University Press, 2016.


samedi 27 mars 2021

DICTIONNAIRE NIETZSCHE 2017

Collection Bouquins chez Robert Laffont (32 €) paru en mars 2017 ; ouvrage dirigé par Dorian Astor. Environ 400 entrées classées alphabétiquement, 992 pages.




Face à un ouvrage d'une telle ambition, la première réaction est forcément positive ; ce n'est que progressivement que l'on en décèle les failles. Loin d'avoir un instrument qui nous présente et explique Nietzsche (ce qu'on attendrait d'un Dictionnaire), nous sommes confrontés à un Bouquin comportant, à côté d'articles pédagogiques ou documentés, des exercices de style assez hermétiques, dont un exemple typique à gauche
(de plus, l'Essai d'autocritique y est signalé comme un écrit de 1886, sans indication de ce qu'il s'agit d'un ajout à La Naissance de la tragédie de 1872).


 Forme
La typographie par colonnes est pénible à lire, surtout quand il y a dans le texte abondance de courtes citations, et de références (abrégées mais parfois longues : VMSEM, UIVH, PETG). De même la rubrique " Bibl. " sans retour à l'alinéa. Mais au moins y a-t-il un titre courant en haut des pages, ce qui manque au Dictionnaire Nietzsche de Cécile Denat et Patrick Wotling (Paris : Ellipes, 2013).

Les références des Fragments posthumes sont parfois incomplètes, par exemple col. 349b : M I 1, mais sans le complément 18 (de 18[1] à 18[62]) ou parfois absentes.

Une erreur parmi d'autres : c. 435a : c'est Généalogie de la morale III, § 8, et non II.

On peut regretter qu'ils n'y ait pas au moins quelques photos, que l'on trouvera sur la notice Nietzsche du wikipedia allemand.


Fond
Peu d'entrées s'adressent véritablement aux débutants. C'est un Dictionnaire qui n'explique pas vraiment Nietzsche de façon abordable, par exemple en insistant sur sa conception de l'histoire de la philosophie, mais requiert lui-même souvent des explications, voire un Dictionnaire du Dictionnaire Nietzsche... Comme l'écrivit un critique du Monde, lui même philosophe,
" Ce dictionnaire veut tout : exposer les points de départ, aider à lire, expliquer les conflits d’interprétations, s’adresser aux débutants, aux amateurs éclairés, aux spécialistes… Il s’applique à traiter des concepts de Nietzsche, des auteurs qu’il interprète, des amis qu’il fréquente tout autant que des manières dont on l’a compris ou non. Voilà qui fait beaucoup. Le résultat est utile, évidemment. Passionnant parfois, inégal toujours. " Roger-Pol Droit, lemonde.fr, 23 mars 17.
Critique de Frédéric Pagès dans le Canard enchaîné :



Le souci pédagogique est davantage présent dans le plus sommaire Dictionnaire Nietzsche des philosophes Cécile Dénat et Patrick Wotling (Paris : Ellipses, février 2013), ainsi que dans les entrées dues à ces deux auteurs du DN 2017 ; en voici la liste :

Cécile Dénat : altruisme, aristocratique, atomisme, Considérations inactuelles I - David Strauss, Considérations inactuelles II - De l'utilité... de l'histoire..., Considérations inactuelles III - Schopenhauer, éducation, Grecs, Héraclite, histoire-historicisme-historiens, nature, pitié, Platon, scepticisme, Socrate, Sur l'avenir de nos établissements d'enseignement, Thucydide.

Patrick Wotling : bouddhisme, culpabilité, culture, devenir, élevage, éternel retour, généalogie, hiérarchie, inactuel, nihilisme, pulsion, surhumain, type-typologie, un-unité, valeur, volonté de puissance.

Entrées du Dictionnaire Nietzsche de 2013

Affect, affect du commandement, Altruisme, Amor fati, Apollinien, Apparence (Schein), Aristocratique, noble (vornehm), Art (Kunst)
Bon Européen, Europe
Cause, causalité (Ursache, Ursächlichkeit), Chose (Ding), Civilisation, Concept (Begriff), Connaissance (Erkenntnis), Corps (Leib), Culture
Dionysiaque
Égoïsme (Selbstsucht, Egoismus), Élevage/dressage (Züchtung/Zähmung), Esprit libre (freier Geist), Éternel retour (ewige Wiederkehr), Être (Sein), Explication, expliquer (Erklärung, erklären)
Force (Kraft)
Gai savoir (fröhliche Wissenschaft, gaya scienza, gai saber), gaieté d’esprit (Heiterkeit), Généalogie
Hérédité (Vererbung), Hiérarchie (Rangordnung), Histoire, histoire naturelle (Geschichte, Historie ; Naturgeschichte)
Inconditionné, absolu (unbedingt, absolut), Instinct, pulsion (Trieb), Interprétation (Auslegung, Interpretation)
Législateur, législation (Gesetzgeber, Gesetzgebung)
Matière (Materie, Stoff), Morale
Nihilisme
Pathos, affect, sentiment de la distance Gefühl der Distanz), Philologie, Philosophe, Pitié, compassion (Mitleid), Plaisir/déplaisir, souffrance (Lust/Unlust, Leiden)
Renversement de toutes les valeurs (Umwerthung aller Werthe), Ressentiment
Sens historique (historischer Sinn), Soulèvement d’esclaves (Sklavenaufstand), Spiritualisation (Vergeistigung), Surhumain (Übermensch)
Type, typologie (Typus, Typenlehre)
Valeur, évaluation (Werth, Werthschätzung), Vérité (Wahrheit), Vie (Leben), Volonté (Wille), Volonté de puissance (Wille zur Macht)

* * * * *

" Les revues ", La Société nouvelle..., octobre 1909.


Remarques diverses :

Les renvois de concepts à des entrées sont vraiment faits pour des débiles : chasteté renvoyée à sexualité, Messine à Idylles de Messine, etc.


L'entrée " Épicure " (Keith Ansell-Pearson) n'indique pas que c'est très tôt, lors de ses travaux sur Diogène Laërce (à partir de 1867), que Nietzsche découvrit les Lettres et Maximes capitales d'Épicure.

Dans l'entrée " Athéisme " : l'insensé est attribué à saint Anselme par Philippe Choulet ; or c'est déjà dans l'Ancien Testament (Psaumes, XIV, 1).

Dans l'entrée " Femme ", Éric Blondel traduit : " On ouvre un livre écrit par une femme et on soupire : 'Encore une cuisinière ratée !' ".

Plus précisément :
« On ouvre un livre de femme : — et bientôt on soupire "encore une cuisinière égarée !" » Fragments posthumes, 1885, 41[5] [August–September 1885 : " Man schlägt ein weibliches Buch auf: — und bald seufzt man „wieder eine verunglückte Köchin ! “ "]. Le bientôt (Bald) a son importance car il signifie un temps de lecture, excluant un rejet a priori, par préjugé misogyne.

L'entrée " Gide " (Jean-Louis Backès) ignore le recours de cet auteur à Nietzsche pour Corydon... Cas particulier de l'incompréhensible "oubli" du thème de l'homosexualité (voir plus loin " Knabenliebe ").

Dans l'entrée " Fragments posthumes " :

" traces de nombreuses lectures, en particulier françaises (de [Victor] Brochard à Gebhart, de Lagarde à Brunetière et à Féré). "

On trouve dans Les Sceptiques grecs de Brochard ces traces de sa lecture de Nietzsche :

Page 48

Page 87

Page 254
Page 260 : " L'ordre [des tropes] adopté par Diogène, d'après un sceptique plus récent, Saturninus ou Théodosius (1), est, à certains égards plus satisfaisant. "
1. Ce serait certainement Théodosius, si on adoptait la correction de Nietzsche indiquée ci-dessus, p. 254 "

Page 318 

Page 327 : Saturninus, contemporain de Diogène Laërce
Page 327


D'où, dans Ecce Homo, 1908 [1888],  [2] " Pourquoi je suis si avisé ", § 3 :
« Une remarquable étude de Victor Brochard [1848-1907], Les Sceptiques grecs [Paris, 1887], qui, entre autres, exploite intelligemment mes Laertiana. [...]  »
Sur Diogène Laërce, voir aussi plus loin ce que j'en dis.


L'entrée " Hésiode " (Jean-Louis Backès) ne fait pas mention des cours donnés par Nietzsche sur Les Travaux et les Jours d'Hésiode en hiver 1869 à Bâle. Ni de la fameuse note sur la hiérarchie des esprits (note qui fait défaut à l'actuelle correction politique qui donne dans l'égalitarisme radical...) selon les " trois possibilités hésiodiques ", typologie relevée, après bien d'autres, par Nietzsche (drei Hesiodischen Möglichkeiten, Fragments posthumes, 1871-1872). Cf ma page

Fac simile :
Les Travaux et les jours, vers 293-297.

Traduction de Nietzsche :
Der ist fürwahr der rechte Mann
Der selber sich berathen kann.
Auch der soll unser Lob empfahn,
Der zwar sich nicht berathen kann,
Doch gerne guten Rat nimmt an.
Doch wer sich nicht berathen kann,
Auch fremden Rath nicht gern nimmt an,
O weh! Das ist ein schlechter Mann!
Verloren hat er und verthan!


Voir Fragments posthumes, P I 16b 14[11], printemps 1871 - début 1872 ; et Mp XII 2,  18[3] et 18[4], fin 1871 - printemps 1872).


Dans l'entrée " Leibniz ", col. 536a,
" un philosophe marié est une farce " ; cela traduit
Ein verheiratheter Philosoph gehört in die Komödie, das ist mein Satz
soit plutôt : " Un philosophe marié relève de la comédie, c'est ma thèse ".

L'entrée " Schopenhauer " présente cet auteur comme la seule source d'information de Nietzsche en matière d'histoire de la philosophie, oubliant sa rencontre précoce avec les Vies et doctrines... de Diogène Laërce... ; d'où l'absence scandaleuse d'une entrée consacrée au grand Diogène Laërce. Par ailleurs, qualifier la philosophie du sinistre Hegel de " monument de la pensée " relève de la seule et fort lourde subjectivité d'Éric Blondel.


UN BIAIS IDÉOLOGIQUE.

Je me demande bien ce qui permet à Juliette Chiche (" Croyance ") de conclure que selon Nietzsche, " l'incroyance est une croyance (GS, § 347) ", cc.199b-200a. Faudrait-il nuancer l'athéisme de Nietzsche ?


L'entrée " Islam " (502b-503b) ne prend pas en compte ces trois passages qui prouvent que Nietzsche n'était pas béat devant cette religion :
" Le mahométisme a à son tour appris du Christ : l'utilisation de l'au-delà comme instrument de punition. " (Fragments posthumes W II 5, printemps 1888, 14[204]) 
« Quel est tout ce que, plus tard, Mahomet prit au christianisme ? L'invention de Paul, son moyen de la tyrannie des prêtres, de la formation de troupeaux : la croyance en l'immortalité — cela s'appelle la doctrine du " Jugement ". » (Antéchrist § 42) 
« Le " saint mensonge " est commun à Confucius, aux lois de Manou, à Mahomet, à l'Église chrétienne – : il ne manque pas chez Platon. " la vérité est là " : partout où l'on entend ça, cela signifie que le prêtre ment ... » (Antéchrist § 55)

Knabenliebe 

Les entrées "Amour" et "Sexualité" passent complètement sous silence les réflexions de Nietzsche sur l'amour grec (amour des garçons), ce qui n'est pas sans rapport avec l'absence d'une entrée "Diogène Laërce", auteur fort bavard sur la question dans sa mise en relation des vies et des doctrines.

Précautions et avertissements, peut-être compréhensibles pour une émission télévisée en prime time, surprennent chez des spécialistes, tels l'helléniste normalien Robert Flacelière (1904-1982) se préparant ainsi, en 1960,  à traiter de la pédérastie grecque :
« Si déplaisant que soit le sujet, il est impossible de le passer sous silence. » (L'amour en Grèce, Paris : Hachette, 1960). Avant lui, Pierre-Henri Larcher, annotateur d'Hérodote, écrivant en 1786 : « En voilà assez, et peut-être beaucoup trop, sur cette matière ».
Mais rien d'impossible dans ce Dictionnaire... Nietzsche utilisait notamment les termes Eros (27 occurrences selon la fonction search de nietzschesource.org/#eKGWB), Knabenliebe (3 occurrences)  et Päderast* (12) ; on trouvera mes notes de lecture sur ses réflexions sur ma page

https://laconnaissanceouverteetsesennemis.blogspot.fr/2009/11/knabenliebe-petrone-dans-les-oeuvres-de.html

Dorian Astor eut la gentillesse de me dire : " Il eût été dommage de faire le travail deux fois "...

Entrées dues au germaniste qui dirigea l'ouvrage : Dorian Astor :
Andreas-Salomé, Bülow, Byron, Deussen, Föster, Fritsch, Fuchs, Gersdorff, Heine, Hölderlin, Köselitz [Gast], Lipiner, Liszt, Mushacke, Naumburg, Nietzsche-Carl, Röcken, Romundt, Salis, Schiller, Sils-Maria, Stein, Tribschen, Turin, Wagner-Cosima, Wagner-Richard.

De Philippe Choulet, professeur honoraire :
Allemand, antisémitisme, athéisme, barbarie, classicisme, conscience morale, corps, créateur-création, critique, dette, disciple, droit, État, être, folie, Gai Savoir, génie, guerre, hasard, héros-héroïsme, idéal-idéalisme, illusion, immoraliste, inconscient, incorporation, individu, innocence, Jésus, jeu, judaïsme, législateur, Lumières, Machiavel, martyr-martyre, matérialisme, mémoire et oubli, mensonge, Moïse, monde, Napoléon, nécessité, négation, raison, santé et maladie, science, socialisme, soi, système, Terre, travail, tyran-tyrannie, Vérité et mensonge au sens extra-moral.

De Fabrice de Salies, spécialiste en métaphysiques et ontologies modernes et contemporaines :
Alimentation, Bataille, Bergson, Bismarck, Blanchot, climat, Frédéric II (Hohenzollern) de Prusse, Hegel, Heidegger, Heinze, hindouisme, islam, journalisme, Lagarde, Leibniz, mode, Montaigne, nazisme, Paul de Tarse, peuple, Podach, réaction-réactionnaire, Rome-romain, sacrifice, saint-sainteté, Scheler, Schlechta, Strauss, Strinberg.

D'Éric Blondel, professeur émérite :
L'Antéchrist, Beethoven, Circé, Crépuscule des Idoles, cynisme, Ecce Homo, femme, Fink, Granier, Kaufmann, Luther, Mann, mariage, moralistes français, Mozart, musique, prêtre, psychanalyse, religion, Schopenhauer, sexualité, structuralisme.

De Jean-Louis Backès, professeur émérite :
Archiloque, Aristophane, autobiographies, chaos, Dostoïevski, Ermanaric, Gide, Hésiode, Homère, Œdipe, Pindare, Théognis, 

D'Emmanuel Salanskis, auteur d'un livre sur Nietzsche :
Animal, aryen, fort et faible, Galton, grande politique, Haeckel, hérédité, Roux, sélection, souffrance.

De Juliette Chiche, qui enseigne la philosophie au lycée :
Amitié, amor fati, amour, croyance, dégoût, masque, mépris, pudeur, ressentiment, solitude, vengeance.

De Maria Cristina Fornari, co-éditrice de la Nietzsches persönliche Bibliothek :
Anglais, bibliothèque de Nietzsche, correspondance, darwinisme, démocratie, édition - histoire éditoriale, fragments posthumes, Hobbes, Hume, Mill, positivisme, Spencer, troupeau, utilitarisme.

De Guillaume Métayer, traducteur des poèmes de Nietzsche et de Sandor Petöfi :
Danse, esprit libre, Galiani, Halévy, Idylles de Messine, Lukàcs, Petöfi, poésie, Voltaire.


J'aurais aimé trouver ces entrées :

Antiquité (Alterthum) : 230 occurrences.

Aristote : 154 occurrences pourtant ; mais il y a une entrée sur le roi goth Ermanaric (3 occurrences)...

Conviction (Überzeugung) : 105 occurrences)

Passages les plus notables :
Humain, trop humain, IX " L'homme seul avec lui-même ", § 483 Ennemis de la vérité. Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges. [Feinde der Wahrheit. — Ueberzeugungen sind gefährlichere Feinde der Wahrheit, als Lügen.]
§ 629 De la conviction et de la justice. : on croit au fond que personne ne modifie ses opinions tant qu’elles lui sont profitables, ou du moins qu’elles ne lui font pas tort. Mais s’il en est ainsi, c’est mauvais signe pour la valeur intellectuelle de toutes les convictions.
§ 630 : Conviction = croyance d’être, sur un point quelconque de la connaissance, en possession de la vérité absolue.
L’homme à convictions n’est pas l’homme de la pensée scientifique.
Ce n’est pas la lutte des opinions qui a mis tant de violence dans l’histoire, mais la lutte des croyances dans les opinions [der Kampf des Glaubens an die Meinungen], c'est-à-dire des convictions.
§ 637 : Des passions émanent les opinions ; la paresse d’esprit les fige en convictions.

Le concept de conviction est  cependant abordé par Paolo d'Iorio à l'entrée " Humain, trop humain I et II ", cc. 470b-471b.


Diogène Laërce (47 occurrences, plus 63 pour Épicure via DL) l'absence de cette entrée est un défaut majeur de ce Dictionnaire, le signe d'un manque de probité :

(Voir aussi plus haut le paragraphe consacré à l'entrée " Fragments posthumes ")

L'aperçu remarquable de l'histoire de la philosophie grecque qu'offrent les Vies de Diogène Laërce s'accorde bien avec le goût de Nietzsche pour les vues d'ensemble et les évolutions sur de longues périodes, sans parler de son insistance à lier, après son cher Montaigne, vie et philosophie, liaison qui est pour lui une forme de probité. Selon Nietzsche,
" Il est en fait le portier de nuit de l'histoire de la philosophie grecque : personne ne peut entrer sans que Diogène lui ait donné la clé. " ('Laertius Diogenes und seine Quellen', BAW [Historisch-Kritische Gesammtsausgabe, edited by Hans Joachim Mette and Karl Schlechta, 9 vols. (Munich : C.H. Beck'sche Verlagsbuchhandlung, 1934-1940)] V, page 126 (Winter 1868/9) ; référence empruntée à Jonathan Barnes, 1986).
Esquisse de ce que pourrait contenir une telle entrée :
* De Fontibus Diogenis Laertii (Sur les sources de Diogène Laërce) ; partie I: Rheinisches Museum 23, automne 1868, pages 632-653 ; partie II : RhM 24, mars 1869, pages 181-228 ; soit 78 pages.
* " [Hermann] Usener et moi envisageons un corpus sur l'histoire de la philosophie dans lequel je traiterai de [Diogène] Laërce et lui de Stobée, pseudo-Plutarque, etc. "
[Usener nämlich und ich beabsichtigen ein philosophie-historisches corpus, an dem ich mit Laertius, er mit Stobaeus, Pseudoplutarch usw. participire.]
Lettre à Erwin Rohde, Bâle, 16 juin 1869.
* Analecta Laertiana , RhM 25, mars 1870, pp. 217-231 ; soit 14 pages.
* Projet de thèse (mai 1870) abandonné : Beitrage zur Quellenkunde und Kritik des Laertius Diogenes (Contribution à  l'étude et la critique des sources de Diogène Laërce)
Il semble n'exister aucune traduction anglaise ou française de ces 92 pages.
Jonathan Barnes, " Nietzsche and Diogenes Laertius [I-XII] ", Nietzsche-Studien, volume 15, n° 1, 1986, pages 16-40. Article cité par Marie-Odile Goulet-Cazé dans l'Introduction générale de Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, Paris : LGF, 1999, collection Pochothèque.

On peut imaginer la surprise de Nietzsche découvrant dans les Essais l'importance du même Diogène Laërce pour Montaigne !!


Friedrich Nietzsche, Les Philosophes préplatoniciens.

Edition critique établie d'après les manuscrits et présentée par Paolo D'Iorio et Francesco Frontorotta, traduction par N. Ferrans, Paris : Éditions de l'Éclat, 1994.

Chronologia philosophorum, Par Francesco Fronterotta.

3. Valeur historique des sources.
3.3. Diogène Laërce

" Les études achevées et publiées par Nietzsche sur les sources de Diogène Laërce sont au nombre de trois :

La première, écrite sur les encouragements de [Friedrich W.] Ritschl à l'occasion d'un prix universitaire à Leipzig, fut rédigée très rapidement entre la fin de l'année 1866 et l'été 1867, puis publiée dans [...] les Analecta et les Beiträge, qui peuvent être considérés comme une série d'appendices au premier écrit, furent publiées en 1870. (note 10 renvoyant à J. Barnes, 1986).
Dans le De fontibus, Nietzsche mène une recherche soignée sur les sources de Diogène Laërce et sur les modalités selon lesquelles il s'inspire de ses modèles et les utilise, et par conséquent sur la nature de l'œuvre de Diogène Laërce dans son ensemble. Il conclut que l'auteur devait s'être servi, dans son travail, surtout de deux sources qui se détachent des autres par la quantité de citations qui en sont tirées : Dioclès de Magnésie, qui a vécu au Ier siècle avant J.C. ou à la fin du Ier Siècle après J.C., auteur de quelques Vies de philosophes (cité environ 29 fois) et Favorinus d'Arles, qui a vécu au IIe siècle après J.C. et auteur d'une Histoire variée et des Mémorables (cité environ 50 fois).
Mais très tôt, Nietzsche parvient à la conclusion que, des deux sources, Dioclès a la plus grande importance, au point qu'il affirme que " Laetius est Dioclis épitomé " (page 131, 7). C'est-à-dire que l'écrit de Diogène Laërce ne serait rien d'autre qu'un résumé des Vies des philosophes de Dioclès. Cette conclusion s'appuie sur plusieurs arguments.
En premier lieu, l'intégralité de la vie de Démocrite présentée par Diogène Laërce (IX, 34-39), à l'exception des cinq premières lignes, dépendrait exclusivement de Dioclès et c'est encore Dioclès qui serait la source principale des informations sur les Stoïciens au livre VII des Vies de Diogène Laërce et su l'épicurisme au livre X. En second lieu, dans la majeure partie des cas, l'utilisation des sources par Diogène Laërce correspondrait à celle de Dioclès, vis-à-vis de ses propres sources, comme dans le cas de Démétrus de Magnésie et de ses Homonymes, que, selon Nietzsche, Diogène Laërce ne connaissait qu'à travers la médiation de Dioclès. Enfin, la préface des Vies de Diogène Laërce serait tirée directement et intégralement de Dioclès.
En substance, Nietzsche pensait que Diogène Laërce était un poète, et qu'il se serait servi des Vies de Dioclès pour transmettre une sélection de ses épigrammes à la postérité. Il n'est pas possible, ici, de développer entièrement l'argumentation de Nietzsche ni de tenter d'en faire un contrôle exhaustif. On peut néanmoins proposer quelques observations générales.
En réalité, bien que Nietzsche s'efforce de démontrer le contraire, Dioclès semble bien n'être qu'une des sources des Vies de Diogène Laërce. En effet, à l'exception des renseignements sur les Stoïciens du livre VII, 48-83, aucun autre témoignage ne peut lui être attribué avec certitude ; par ailleurs, même la tentative pour reconstituer le rapport entre Dioclès et ses sources (afin de démontrer que les Vies de Laërce ne recourent à d'autres sources qu'à travers Dioclès, source principale), semble absolument sans espoir et aucun des arguments de Nietzsche n'est probant (en particulier, il n'y a aucune raison pour soutenir que les Vies de Diogène Laëce ne connaissaient Démétrius de Magnésie qu'à travers la médiation de Dioclès) ; enfin, même si l'on retenait l'hypothèse interprétative de Nietzsche dans son ensemble, seulement un peu plus de la moitié des Vies de Diogène Laërce pourrait être estimée dépendante de Dioclès.

4. L'analyse philologique des sources
Alors que dans les études sur Diogène Laërce, Sotion et Apollodore sont considérés par Nietzsche comme deux sources parmi d'autres, sans que leur soit donné un relief particulier, dans les Leçons sur les philosophes préplatoniciens et dans les Diadoché des philosophes, la position de Sotion et d'Apollodore devient au contraire emblématique.
[...]
De cette chronologie, Nietzsche se sert à des fins philosophiques et interprétatives bien précises. C'est seulement à condition de supposer un apprentissage de Parménide auprès d'Anaximandre qu'on peut, à son avis, expliquer l'ambivalence du poème parménidien et l'incompatibilité entre ses deux parties : l'une inaugurant la philosophie de l'être et du non-être, l'autre d'origine physico-cosmologique. Selon Nietzsche, il n'y a aucun rapport entre les deux : Parménide aurait conçu et professé deux philosophies différentes. "

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Eros et les dérivés en erot- (64 occurrences). Mais il y a, comme j'ai déjà dit, une entrée sur le roi goth Ermanaric (3)...

Essai d'autocritique : Ce texte ajouté en août 1886 au début de La Naissance de la tragédie à partir de l'esprit de la musique (janvier 1872) aurait mérité une entrée, ainsi qu'une mention dans la chronologie.

Gustave Flaubert : 33 occurrences. Flaubert servit de médiateur entre Nietzsche et la pensée de Sade.

Victor Hugo : (26 occurrences).

Maladie : la question de la nature du mal dont souffrit Nietzsche à partir de 1875 n'est pas abordée.

Pathos : 167 occurrences.

Portofino : (11 occurrences).

Renaissance : (123) occurrences)

Alors que, je le rappelle, il y a une entrée sur le roi goth Ermanaric (3 occurrences)...