dimanche 15 septembre 2019

VOLTAIRE : L'AMOUR SOCRATIQUE 2/2


AMOUR SOCRATIQUE (1)

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Fac simile du début de l'article dans l'édition de Kehl, volume 37, 1784.

« Si l’amour qu’on a nommé socratique et platonique n’était qu’un sentiment honnête, il y faut applaudir. Si c'était une débauche, il faut en rougir pour la Grèce. (2)

Comment s’est-il pu faire qu’un vice, destructeur du genre humain s’il était général ; qu’un attentat infâme contre la nature, soit pourtant si naturel ? (3) Il paraît être le dernier degré de la corruption réfléchie ; et cependant il est le partage ordinaire de ceux qui n’ont pas encore eu le temps d’être corrompus (4). Il est entré dans des cœurs tout neufs, qui n’ont connu encore ni l’ambition, ni la fraude, ni la soif des richesses. C’est la jeunesse aveugle qui, par un instinct mal démêlé, se précipite dans ce désordre au sortir de l’enfance, ainsi que dans l’onanisme. (Voyez Onanisme) (5)

Le penchant des deux sexes l’un pour l’autre se déclare de bonne heure ; mais quoi qu’on ait dit des Africaines et des femmes de l’Asie méridionale, ce penchant est généralement beaucoup plus fort dans l’homme que dans la femme; c’est une loi que la nature a établie pour tous les animaux, c’est toujours le mâle qui attaque la femelle. (6)

Les jeunes mâles de notre espèce, élevés ensemble, sentant cette force que la nature commence à déployer en eux, et ne trouvant point l’objet naturel de leur instinct, se rejettent sur ce qui lui ressemble. (7) Souvent un jeune garçon, par la fraîcheur de son teint, par l’éclat de ses couleurs, et par la douceur de ses yeux, ressemble pendant deux ou trois ans à une belle fille ; si on l’aime, c’est parce que la nature se méprend : on rend hommage au sexe, en s’attachant à ce qui en a les beautés (8) ; et quand l’âge a fait évanouir cette ressemblance, la méprise cesse.

Citraque juventum.
Aetatis breve ver et primos carpere flores
Ovide, Métamorphoses, X, 84-85 (9).

On n’ignore pas [1769 : " On sait assez "] que cette méprise de la nature est beaucoup plus commune dans les climats doux que dans les glaces du Septentrion, parce que le sang y est plus allumé, et l’occasion plus fréquente : aussi ce qui ne paraît qu’une faiblesse dans le jeune Alcibiade, est une abomination dégoûtante dans un matelot hollandais et dans un vivandier moscovite.
Je ne puis souffrir qu’on prétende que les Grecs ont autorisé cette licence. On cite le législateur Solon (10), parce qu’il a dit en deux mauvais vers :

Tu chériras un beau garçon,
Tant qu'il n'aura barbe au menton. (a, 11, 12).
Traduction d’Amyot, grand-aumônier de France.

Mais, en bonne foi, Solon était-il législateur quand il fit ces deux vers ridicules ? Il était jeune alors, et quand le débauché fut devenu sage, il ne mit point une telle infamie parmi les lois de sa république ; accusera-t-on Théodore de Bèze d’avoir prêché la pédérastie dans son église, parce que dans sa jeunesse il fit des vers pour le jeune Candide ? et qu’il dit :

Amplector hunc et illam
Je suis pour lui, je suis pour elle. (13)

Il faudra dire qu’ayant chanté des amours honteux dans son jeune âge, il eut dans l’âge mûr l’ambition d’être chef de parti, de prêcher la réforme, de se faire un nom. Hic vir, et ille puer. (14)

On abuse du texte de Plutarque, qui dans ses bavarderies, au Dialogue de l’amour, fait dire à un interlocuteur que les femmes ne sont pas dignes du véritable amour ; mais un autre interlocuteur soutient le parti des femmes comme il le doit. On a pris l’objection pour la décision. Voyez l'article Femme. (15)

Il est certain, autant que la science de l’Antiquité peut l’être, que l’amour socratique n’était point un amour infâme. C’est ce nom d’amour qui a trompé. Ce qu’on appelait les amants d’un jeune homme étaient précisément ce que sont parmi nous les menins (16) de nos princes, ce qu’étaient les enfants d’honneur (17), des jeunes gens attachés à l’éducation d’un enfant distingué, partageant les mêmes études, les mêmes travaux militaires ; institution guerrière et sainte dont on abusa comme des fêtes nocturnes et des orgies.

La troupe des amants instituée par Laïus (18) était une troupe invincible de jeunes guerriers engagés par serment à donner leur vie les uns pour les autres, et c’est ce que la discipline antique a jamais eu de plus beau.

Sextus Empiricus et d’autres ont beau dire que ce vice était recommandé par les lois de la Perse (19). Qu’ils citent le texte de la loi ; qu’ils montrent le code des Persans : et si cette abomination s’y trouvait, je ne la croirais pas ; je dirais que la chose n’est pas vraie, par la raison qu’elle est impossible. Non, il n’est pas dans la nature humaine de faire une loi qui contredit et qui outrage la nature, une loi qui anéantirait le genre humain si elle était observée à la lettre (20). Mais moi, je vous montrerai l’ancienne loi des Persans, rédigée dans le Sadder (21). Il est dit, à l’article ou porte 9, qu’il n’y a point de plus grand péché (22). C’est en vain qu’un écrivain moderne a voulu justifier Sextus Empiricus et la pédérastie (23) ; les lois de Zoroastre, qu’il ne connaissait pas, sont un témoignage irréprochable que ce vice ne fut jamais recommandé par les Perses. C’est comme si on disait qu’il est recommandé par les Turcs. Ils le commettent hardiment ; mais les lois le punissent (24).
Que de gens ont pris des usages honteux et tolérés dans un pays pour les lois du pays ! Sextus Empiricus, qui doutait de tout, devait bien douter de cette jurisprudence. S’il eût vécu de nos jours, et qu’il eût vu deux ou trois jeunes jésuites abuser de quelques écoliers [Cf l’article « Jésuites » des Questions], aurait-il eu droit de dire que ce jeu leur est permis par les constitutions d’Ignace de Loyola? (26)
Il me sera permis de parler ici de l’amour socratique du révérend père Polycarpe [Surnom un temps adopté par Gustave Flaubert, pour une raison encore non élucidée], carme chaussé de la petite ville de Gex [Ain actuel], lequel en 1771 enseignait la religion et le latin à une douzaine de petits écoliers. Il était à la fois leur confesseur et leur régent, et il se donna auprès d’eux tous un nouvel emploi. On ne pouvait guères avoir plus d’occupations spirituelles et temporelles. Tout fut découvert : il se retira en Suisse, pays fort éloigné de la Grèce. [Depuis « il me sera permis », c’est une addition de 1774.] Ces amusements ont été assez communs entre les précepteurs et les écoliers. Voyez Pétrone (30). Les moines chargés d’élever la jeunesse ont été toujours un peu adonnés à la pédérastie. C’est la suite nécessaire du célibat auquel ces pauvres gens sont condamnés (31). Les seigneurs turcs et persans font, à ce qu’on nous dit, élever leurs enfants par des eunuques : étrange alternative pour un pédagogue d’être ou châtré ou sodomité. (32)

L’amour des garçons était si commun à Rome, qu’on ne s’avisait pas de punir cette turpitude [1769 : "fadaise"], dans laquelle presque tout le monde donnait tête baissée. Octave-Auguste, ce meurtrier débauché et poltron, qui osa exiler Ovide, trouva très bon que Virgile chantât Alexis (33) ; Horace, son autre favori, faisait de petites odes pour Ligurinus (34). Horace, qui louait Auguste d’avoir réformé les mœurs, proposait également dans ses satires un garçon et une fille (b, 35) ; mais l’ancienne loi Scantinia, qui défend la pédérastie, subsista toujours : l’empereur Philippe la remit en vigueur (36), et chassa de Rome les petits garçons qui faisaient le métier (37) S’il y eut des écoliers spirituels et licencieux comme Pétrone, Rome eut des professeurs tels que Quintilien. Voyez quelles précautions il apporte dans le chapitre du Précepteur pour conserver la pureté de la première jeunesse :

« Carendum non solum crimine turpitudinis, sed etiam suspicione. » (38)

Enfin je ne crois pas qu’il y ait jamais eu aucune nation policée qui ait fait des lois contre les mœurs. (c, 39 à 48). »


NOTES DE VOLTAIRE :

a. Un écrivain moderne, nommé Larcher (12), répétiteur de collège, dans un libelle rempli d’erreurs en tout genre, et de la critique la plus grossière, ose citer je ne sais quel bouquin, dans lequel on appelle Socrate Sanctus Pederastes, Socrate saint b...... [bougre] Il n’a pas été suivi dans ces horreurs par l’abbé Foucher ; mais cet abbé, non moins grossier, s’est trompé encore lourdement sur Zoroastre et sur les anciens Persans. Il en a été vivement repris par un homme savant dans les langues orientales. (13)

b. Praesto puer impetus in quem
Continuo fiat. (35)

c. On devrait condamner messieurs les non-conformistes à présenter tous les ans à la police un enfant de leur façon. L’ex-jésuite Desfontaines fut sur le point d’être brûlé en place de Grève, pour avoir abusé de quelques petits Savoyards qui ramonaient sa cheminée ; des protecteurs le sauvèrent (39). Il fallait une victime : on brûla Deschaufours à sa place (40). Cela est bien fort ; est modus in rebus (41) : on doit proportionner les peines aux délits (42). Qu’auraient dit César, Alcibiade, le roi de Bithynie Nicomède, le roi de France Henri III (43), et tant d’autres rois ? (44). Quand on brûla Deschaufours, on se fonda sur les Établissements de saint Louis, mis en nouveau français au quinzième siècle. « Si aucun est soupçonné de b..... [bougrerie], doit être mené à l’évêque ; et se il en était prouvé, l’en le doit ardoir, et tuit li meuble sont au baron, etc. » (45) Saint Louis ne dit pas ce qu’il faut faire au baron, si le baron est soupçonné, et se il en est prouvé. Il faut observer que par le mot de b....., saint Louis entend les hérétiques, qu’on n’appelait point alors d’un autre nom (46). Une équivoque fit brûler à Paris Deschaufours, gentilhomme lorrain.
Despréaux eut bien raison de faire une satire contre l’équivoque (47) ; elle a causé bien plus de mal qu’on ne croit (48).


MES NOTES AU TEXTE DE VOLTAIRE

1. D’abord titré " Amour nommé socratique " dans le Dictionnaire Philosophique Portatif en 1764. Les premières versions de ce célébrissime article se lisent dans les éditions successives de ce Dictionnaire philosophique portatif (1764, 1765, 1767, 1769, etc.) ; on pourra se reporter à l’édition critique du Dictionnaire philosophique, tomes 35 et 36 des Œuvres complètes, Oxford : Voltaire Foundation, 1994.
Cet article fut repris et augmenté par Voltaire dans les Questions sur l’Encyclopédie par des amateurs en 1770, 1771, 1773, 1774, 1775 (Genève), etc., ainsi que dans l’édition Louis Moland des 
Œuvres complètes, 1877-1883, qui reproduit la première édition des Questions..., et dans l'édition Garnier Frères de 1878

2. Alinéa ajouté en 1770. Lord Bolingbroke (1678-1751) était plus affirmatif quant aux mœurs de l’Antiquité :
“ Sodomy was permitted among several nations, and if we dare not say that the moral Socrates practised it, we may say that the divine Plato recommended it, in some of his juvenile verses at least  : and yet sodomy is very inconsistent with the intention of nature, which can be carried on by the conjunction of the two sexes only. ” (Works, 1841, vol. IV, § xx)

3. Paradoxe également relevé par Arthur Schopenhauer qui en a proposé une explication ; voir Le Monde comme vouloir et comme représentation, Suppléments, appendice au chapitre 44. Cette phrase est trop souvent citée tronquée, par ignorance du mouvement de la pensée de Voltaire.

4. Voir le Traité de Métaphysique, 1735, « De la vertu et du vice », chapitre IX :
« L’adultère et l’amour des garçons seront permis chez beaucoup de nations ; mais vous n’en trouverez aucune dans laquelle il soit permis de manquer à sa parole ; parce que la société peut bien subsister entre des adultères et des garçons qui s’aiment, mais non pas entre des gens qui se feraient une gloire de se tromper les uns les autres. »

Voici la réaction du Monthly Review à la publication du Dictionnaire :
« […] there are some passages, particularly the whole article entitled amour nommé socratique, that we conceive could only come from the pen of the most inconsiderate, dissolute and abandoned of mankind. Nothing can be more infamous than what is advanced in pallation of the most detestable of all crimes ; nor can any thing be more false in fact that the imputing a vice to the naturel passions of youth and innocence, which is hardly ever practised but by wretches already debilitated by excessive debauchery, or by those in whom Nature never implanted the smallest germ of love or delicacy. Our courts of justice are sufficiently convinced, by hateful experience, that, if very youg persons are ever made accessory to this horrid species of guilt, the principal, the seducer, is ever some hypocritical monster, old enough to be hackneyed in the ways of vice and iniquity. »

5. Les sept derniers mots de l’alinéa ont été ajoutés en 1770. À l’article « Onanisme » des Questions, on lit : « Cette habitude honteuse et funeste, si commune aux écoliers, aux pages et aux jeunes moines. »

6. Rapprocher Blaise Pascal, Discours sur les passions de l’amour : « Ce n’est point un effet de la coutume, c’est une obligation de la nature, que les hommes fassent les avances pour gagner l’amitié d’une dame. »

7. Cf G. Edwards, 1760, cité dans mon Vocabulaire de l’homosexualité masculine, Paris : Payot, 1985, pages 231-233, repris sur la page Appendices de 1985 et 2022.

8. Cf l’audacieux La Mettrie, dans L’Art de jouir, 1751 : « Tout est femme dans ce qu’on aime, l’empire de l’amour ne connaît pas d’autres bornes que celles du plaisir. »

9. Ovide, Métamorphoses, X, 84-85 : soit dans la traduction des Belles Lettres : « cueillir les premières fleurs de ce court printemps de la vie qui précède la jeunesse. »

10. Plutarque, Vies des hommes illustres, « Solon », 1.

11. Pierre-Henri Larcher (1726-1812), helléniste confirmé. Il citait la dissertation de J. M. Gesner, « Socrates Sanctus Pederasta », lue à l’Académie de Göttingue le 5 février 1752, et traduite depuis en français par Alcide Bonneau : Socrate et l’amour grec, Liseux, 1877.

12. Les réprimandes faites à l’abbé Foucher sont les deux lettres mentionnées dans une note de Voltaire à l’article « Académie » des Questions.


13. Théodore De Bèze, Juvenilia, XC : Amplecto quoque sic et hunc et illam ;
c’est-à-dire littéralement : « Je serre dans mes bras tout autant le premier [Audebert] que la seconde [Candide]. » Voir la discussion dans le Dictionnaire historique et critique de Pierre Bayle.

14. Alinéa ajouté en 1770. Avant Jean-Paul Sartre, Voltaire avait donc réfléchi à « l’enfance d’un chef ». ; voir aussi la remarque de Voltaire dans la lettre de 1724 à la marquise de Bernières.

15. Phrase ajoutée en 1770. Voltaire y reproche à Montesquieu d’avoir avancé que « chez les Grecs les femmes n’étaient pas regardées comme dignes d’avoir part au véritable amour, et que l’amour n’avait chez eux qu’une forme qu’on n’ose dire » ; voir De l’Esprit des lois, VII, 9. Voltaire note que Plutarque, sous le nom de Daphnéus, réfutait les discours de Protogènes en faveur de « la débauche des garçons » ; cf Plutarque, De l’amour, 751-752.

16. Menin : même racine espagnole que mignon.

17. Enfant d’honneur : cf La Fontaine, Contes, 3, xiii, « Le petit chien ». Et mon Dictionnaire français de l'homosexualité masculine en ligne : DFHM.

18. Laïos fut considéré comme le fondateur de l’amour des garçons ; mais selon Plutarque, c’est Gorgidas qui aurait institué en -378 cette troupe d’amants évoquée abstraitement par Platon.

19. Sextus Empiricus, philosophe sceptique grec des IIe/IIIe siècles ; dans ses Esquisses Pyrrhoniennes, I, § 152, il distinguait bien loi et usage ; Voltaire fait ici le contresens que lui reprochera à juste titre Larcher.

20. Pseudo-Lucien, Amours, 22 ; à cet argument on peut opposer la réponse du philosophe anglais Jeremy Bentham : « […] most evidently and strictly true with regard to celibacy. If then merely out of regard to population it were right that paederasts should be burn alive, monks ought to be roasted alive by a slow fire. » (Journal of Homosexuality, vol. 3(4), Summer 1978, p. 397 ; édition réalisée par Dr Louis Crompton).

21. Abrégé du livre de Zend, ou Avesta.

22. « Fuis surtout le péché contre nature ; il n’y en a point de plus grand. »

23. Pierre-Henri Larcher, Supplément à la philosophie de l’histoire, 1767, pages 99-103.

24. Depuis « Mais moi, je » addition de 1770. Sur l’amour des garçons chez les Turcs, voir G. Postel, Histoire des Turcs, 1560, 3e partie, cité par Montaigne, Essais, III, iii, 827.

26. Ce passage provoqua cette réaction de Larcher : « Les jésuites n’avaient rien à démêler ici. Pourquoi troubler mal à propos leurs mânes ? » (Supplément à la philosophie de l’histoire, 1767, p. 100). L’ordre des jésuites venait d’être supprimé dans plusieurs pays d’Europe pour des raisons politiques.

30. Écrivain latin, auteur du roman Satiricon. L’article « Pétrone » des Questions reproduit le XIVe chapitre du Pyrrhonisme de l’Histoire.

31. Alinéa ajouté en 1774. Les polémistes protestants avaient souvent dénoncé le célibat des prêtres catholiques comme responsable des égarements pédophiles d’une partie d’entre eux (notamment lors de la grande affaire d’Ollioules en 1601-1603). L’anticléricalisme républicain de la fin du XIXe siècle fera de même.

32. Alinéa ajouté en 1774. Peut-être convient-il de lire sodomite, ou encore sodomisé.

33. Virgile, Bucoliques, notamment la 2e églogue avec le personnage de Corydon.

34. Horace, Odes, livre IV, i , 33-40, et x.

35. Horace, Satires, I, ii :

"tument tibi cum inguina, num, si ancilla aut verna est praesto puer, impetus in quem continuo fiat, malis tentigine rumpi ?
non ego."

Soit dans la traduction Belles-Lettres : « Quand ton membre se gonfle, si tu as une servante à ta disposition, ou un petit esclave domestique, sur qui te jeter sans retard, tu aimerais mieux rester tendu à en crever ? non pas moi. »

36. Marcus Julius Philippus, empereur romain de 244 à 249 ; voir Histoire Auguste, « Alexandre Sévère », 24 ; il semble que la loi Scantinia (vers -150) ait été dirigée contre la pédophilie (sexualité avec des enfants impubères) plus que contre l’amour masculin per se ; cette loi était tombée en désuétude au début de l’ère chrétienne.

37. Sur le sens homosexuel de métier depuis la fin du Moyen-Âge, voir mon Dictionnaire français de l’homosexualité masculine en ligne, à la lettre M

38. Depuis « S’il y eut », addition de 1770. Quintilien, Institution oratoire, II : « le précepteur devra non seulement être pur, mais encore exempt de tout soupçon. »

39. Voltaire était intervenu en faveur de l’abbé le 29 mai 1725 ; voir Roger Peyrefitte, Voltaire, sa jeunesse et son temps, tome 2, pages 242-244.

40. En 1726, pour des faits de meurtre et de proxénétisme homosexuel ; il ne peut pas être véritablement considéré comme une victime de la justice royale, et il y a quelque inconscience à parler de répression de la liberté sexuelle à son sujet.

41. Horace, Satires, I, 106 : « il y a une mesure à toutes choses ».

42. Exigence que l’on retrouvera formulée dans la Déclaration des droits de 1789, article 8 : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires […] ; on sait qu’en ce qui concerne l’homosexualité, le Code de 1791 abandonne toute forme de répression pénale. Un auteur très apprécié de Voltaire, Vauvenargues, avait lui aussi anticipé sur la Déclaration ; sa maxime 164 : « Ce qui n’offense pas la société n’est pas du ressort de sa justice » préfigurait l’article 5 : « La loi n’a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société. »

43. Parmi les auteurs d’allusions antérieures aux mœurs d’Henri III, on relève les noms de Pierre de L’Estoile, Agrippa d’Aubigné et Saint-Simon. Mais Jules Michelet était d’un avis différent : « Puisque ce mot de mignon est arrivé sous ma plume, je dois dire pourtant que je ne crois ni certain ni vraisemblable le sens que tous les partis, acharnés contre Henri III, s’acharnèrent à lui donner. » (Histoire de France au XVIe siècle, chapitre 5). Voir aussi Emmanuel Le Roy Ladurie, L’État royal, 1987, page 239.

44. Louis XIII et Louis XV notamment ; sur ce dernier, voir la lettre de Voltaire à la marquise de Bernières, juillet 1724. En Angleterre, Édouard II et Jacques Ier, en Prusse Frédéric II.

45. Le chapitre 99 des Établissements de Saint Louis (recueil de droit coutumier rédigé vers 1270) continuait ainsi : « Et de cette manière doit-on faire d’homme hérite [hérétique], s’il y a preuve ; et tous ses [biens] meubles sont au baron, ou au prince. Et est écrit en Décrétales, au titre Des significations de parole, au chapitre Super quibusdam. Et coutume s’y accorde. »

46. Tout comme Montaigne, Voltaire ne fait pas état des condamnations bibliques et théologiques de l’amour masculin ; Dans Corydon, André Gide ne le fera pas davantage. Peu auparavant, le sens originel de bougrerie fut ainsi discuté par le juriste Charles- Clément-François de L’Averdy (1723 ou 24-1793) :
« Le mot de bougrerie est appliqué par les uns aux Albigeois qui ont suivi la même hérésie que les Bulgares ; et ils se fondent sur ce par l’intitulé du chapitre, où il paraît que l’on n’a eu en vue que les mécréants et hérites, c’est-à-dire hérétiques. Les autres appliquent la première partie de ce chapitre au crime contre nature, parce qu’on a donné le même nom à ceux qui s’en rendent coupables : d’ailleurs la manière dont ce chapitre est conçu paraît l’indiquer, puisque l’on y distingue deux espèces de crimes. » (Code pénal, 1752)
L’interprétation privilégiée par L’Averdy est soutenue par le fait que les Décrétales de Gégoire IX, au chapitre indiqué, n’envisagent aucune infraction sexuelle.

47. Despréaux est aujourd’hui plus connu sous le nom de Boileau ; voir sa Satire XII, où l’on trouve : « Socrate […] Très équivoque ami du jeune Alcibiade. »

48. Cette note c. fut ajoutée en 1769.


Note de l’édition de Kehl (1785-1789), par Condorcet :

Note à l’article « Amour socratique » du volume 37 (Dictionnaire philosophique), 1784 des Œuvres complètes de Voltaire. Texte repris dans le volume 7 (1804) des Œuvres complètes de Condorcet.

« On nous permettra de faire ici quelques réflexions sur un sujet odieux et dégoûtant, mais qui malheureusement fait partie de l’histoire des opinions et des mœurs.


Cette turpitude remonte aux premières époques de la civilisation : l’histoire grecque, l’histoire romaine, ne permettent point d’en douter. Elle était commune chez ces peuples avant qu’ils eussent formé une société régulière, dirigée par des lois écrites.
Cela suffit pour expliquer par quelle raison ces lois ont paru la traiter avec trop d’indulgence. On ne propose point à un peuple libre des lois sévères contre une action, quelle qu’elle soit, qui y est devenue habituelle. Plusieurs des nations germaniques eurent longtemps des lois écrites qui admettaient la composition pour le meurtre. Solon se contenta donc de défendre cette turpitude entre les citoyens et les esclaves [Plutarque, Solon, I, 3] ; les Athéniens pouvaient sentir les motifs politiques de cette défense, et s’y soumettre : c’était d’ailleurs contre les esclaves seuls, et pour les empêcher de corrompre les jeunes gens libres, que cette loi avait été faite ; et les pères de famille, quelles que fussent leurs mœurs, n’avaient aucun intérêt de s’y opposer.


La sévérité des mœurs des femmes dans la Grèce, l’usage des bains publics, la fureur pour les jeux où les hommes paraissaient nus, conservèrent cette turpitude de mœurs, malgré les progrès de la société et de la morale. Lycurgue, en laissant plus de liberté aux femmes, et par quelques autres de ses institutions, parvint à rendre ce vice moins commun à Sparte que dans les autres villes de la Grèce.
Quand les mœurs d’un peuple deviennent moins agrestes, lorsqu’il connaît les arts, le luxe des richesses, s’il conserve ses vices, il cherche du moins à les voiler. La morale chrétienne, en attachant de la honte aux liaisons entre les personnes libres, en rendant le mariage indissoluble, en poursuivant le concubinage par des censures, avait rendu l’adultère commun : comme toute espèce de volupté était également un péché, il fallait bien préférer celui dont les suites ne peuvent être publiques ; et par un renversement singulier, on vit de véritables crimes devenir plus communs, plus tolérés, et moins honteux dans l’opinion que de simples faiblesses. Quand les Occidentaux commencèrent à se policer, ils imaginèrent de cacher l’adultère sous le voile de ce qu’on appelle galanterie ; les hommes avouaient hautement un amour qu’il était convenu que les femmes ne partageraient point ; les amants n’osaient rien demander, et c’était tout au plus après dix ans d’un amour pur de combats, de victoires remportées dans les jeux, etc., qu’un chevalier pouvait espérer de trouver un moment de faiblesse. Il nous reste assez de monuments de ce temps, pour nous montrer quelles étaient les mœurs que couvrait cette espèce d’hypocrisie. Il en fut de même à peu près chez les Grecs devenus polis ; les liaisons intimes entre des hommes n’avaient plus rien de honteux ; les jeunes gens s’unissaient par des serments, mais c’étaient ceux de vivre et de mourir pour la patrie ; on s’attachait à un jeune homme, au sortir de l’enfance, pour le former, pour l’instruire, pour le guider ; la passion qui se mêlait à ces amitiés était une sorte d’amour, mais d’amour pur. C’était seulement sous ce voile, dont la décence publique couvrait les vices, qu’ils étaient tolérés par l’opinion.
Enfin, de même que l’on a souvent entendu chez les peuples modernes faire l’éloge de la galanterie chevaleresque, comme d’une institution propre à élever l’âme, à inspirer le courage, on fit aussi chez les Grecs l’éloge de cet amour qui unissait les citoyens entre eux.


Platon dit que les Thébains firent une chose utile de le prescrire, parce qu’ils avaient besoin de polir leurs mœurs, de donner plus d’activité à leur âme, à leur esprit, engourdis par la nature de leur climat et de leur sol ([Platon, Banquet, 182ab ; Condorcet ne rend pas exactement compte du texte]. On voit qu’il ne s’agit ici que d’amitié pure. C’est ainsi que, lorsqu’un prince chrétien faisait publier un tournoi où chacun devait paraître avec les couleurs de sa dame, il avait l’intention louable d’exciter l’émulation de ses chevaliers, et d’adoucir leurs mœurs ; ce n’était point l’adultère, mais seulement la galanterie qu’il voulait encourager dans ses États. Dans Athènes, suivant Platon, on devait se borner à la tolérance. Dans les États monarchiques, il était utile d’empêcher ces liaisons entre les hommes ; mais elles étaient dans les républiques un obstacle à l’établissement durable de la tyrannie. Un tyran, en immolant un citoyen, ne pouvait savoir quels vengeurs il allait armer contre lui ; il était exposé sans cesse à voir dégénérer en conspirations les associations que cet amour formait entre les hommes.
Cependant, malgré ces idées si éloignées de nos opinions et de nos mœurs, ce vice était regardé chez les Grecs comme une débauche honteuse, toutes les fois qu’il se montrait à découvert, et sans l’excuse de l’amitié ou des liaisons politiques. Lorsque Philippe vit sur le champ de bataille de Chéronée tous les soldats qui composaient le bataillon sacré, le bataillon des amis à Thèbes, tués dans le rang où ils avaient combattu : « Je ne croirai jamais, s’écria-t-il, que de si braves gens aient pu faire ou souffrir rien de honteux » [Plutarque, Pélopidas, 18]. Ce mot d’un homme souillé lui-même de cette infamie, est une preuve certaine de l’opinion générale des Grecs.
À Rome, cette opinion était plus forte encore : plusieurs héros grecs, regardés comme des hommes vertueux, ont passé pour s’être livrés à ce vice, et chez les Romains on ne le voit attribué à aucun de ceux dont on nous a vanté les vertus ; seulement il paraît que chez ces deux nations on n’y attachait ni l’idée de crime, ni même celle de déshonneur, à moins de ces excès qui rendent le goût même des femmes une passion avilissante. Ce vice est très rare parmi nous, et il y serait presque inconnu sans les défauts de l’éducation publique.
Montesquieu prétend qu’il est commun chez quelques nations mahométanes, à cause de la facilité d’avoir des femmes ; nous croyons que c’est difficulté qu’il faut lire. » 

Dans sa Vie de Voltaire, Condorcet écrivait, sur l'abbé Desfontaines :
" Accusé d’un vice honteux, que la superstition a mis au rang des crimes, il avait été emprisonné dans un temps où, par une atroce et ridicule politique, on croyait très à propos de brûler quelques hommes, afin d’en dégoûter un autre de ce vice [voir plus haut la note c de Voltaire] pour lequel on le soupçonnait faussement de montrer quelque penchant. "


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1 commentaire:

Connaissance ouverte a dit…

ANDRÉ COMTE-SPONVILLE (né en 1952)

« L’homosexualité n’est pas universalisable [selon Voltaire et Kant], puisqu’elle aboutirait, si elle était exclusive, à la disparition de l’espèce, donc de l’homosexualité. Mais le mensonge, le suicide et la chasteté ne le sont pas davantage ; cela ne prouve pas qu’ils soient toujours immoraux. […] C’est la maxime d’une action qui doit pouvoir, selon lui [Kant], être universalisée sans contradiction, non l’action elle-même. Pourquoi ne serait-ce pas le cas de la maxime "J’ai le droit de faire l’amour avec tout partenaire adulte consentant, quel que soit son sexe" ? Kant n’en condamne pas moins l’homosexualité, comme il condamne la masturbation et la liberté sexuelle. »
Dictionnaire philosophique, "Amour nommé socratique", Paris : PUF, 2001.