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dimanche 30 juillet 2023

RÈGLE DE TROIS OU RÈGLE DE SIX ? suivi de DIVISION PAR ZÉRO



Rudolf Bkouche, La règle de trois et les didacticiens.


« On me faisait de force ingurgiter l'algèbre :
On me liait au fond d'un Boisbertrand (1) funèbre;
On me tordait, depuis les ailes jusqu'au bec,
Sur l'affreux chevalet des X et des Y ;
Hélas! on me fourrait sous les os maxillaires
Le théorème orné de tous ses corollaires;
Et je me débattais, lugubre patient (2)
Du diviseur prêtant main-forte au quotient. »
Victor Hugo, Les Contemplations, 1856, livre I "Aurore", À propos d'Horace. 
1. E. D. Bois-Bertrand (ici orthographié Boisbertrand) : auteur d'un Cours d'algèbre à l'usage des aspirants à l'École Polytechnique. 
2. Au sens fort de : victime des bourreaux.
   En juin 2011, notre ministre de l'Éducation Luc Chatel (maîtrise de sciences de gestion) buta sur cet exercice de niveau CM2 au micro de Jean-Jacques Bourdin (bac + 0) sur la station de radio RMC :
Je m'intéresse ici aux difficultés liées aux défauts de l'enseignement de cette discipline. Les difficultés intrinsèques aux mathématiques sont dues aux niveaux d'abstraction : passage des valeurs numériques à l'écriture littérale, des ensembles simples aux diverses structures (groupes, anneaux, corps, etc) et aux espaces nombreux et variées, de l'ensemble des entiers dits naturels  au corps  des complexes, etc.
Les lacunes sont plus gênantes que dans d'autres disciplines car beaucoup de notions sont étroitement interdépendantes. 
A / " 10 objets identiques coûtent 22 € ; combien coûtent 15 de ces objets ? "

La plupart des commentateurs ont invoqué la trop célèbre " règle de trois " ; le quotidien parisien Le Monde , dit de référence, proposa cette solution :

" Reprenons, monsieur Chatel. Dix objets coûtent 22 euros. Combien coûtent quinze de ces objets ?

Soit x le prix de quinze objets, ce qui donne :
x = (15 × 22)/10 = 33 "

   Cette minable "solution" médiatique, et dogmatique, qui n'explique pas pourquoi ces opérations sont faites, met en évidence la raison de nombreux échecs en maths, dont ceux des journalistes ... : soit :
- une pauvreté de vocabulaire, l'absence de souci du mot juste.
- la perte ou la négligence du sens des opérations courantes
- la méconnaissance des propriétés des opérations.

Plus généralement, l'insuffisance des explications des concepts et des propriétés dans l'enseignement (trop d'exercices, pas assez de cours), adjointe à une insuffisance d'étude et de réflexion de la part des élèves ; la question " On fait toujours comme ça ? " révèle la paresse de l'intelligence. Les exercices mal faits ayant l'inconvénient de renforcer les erreurs dans l'esprit des élèves.

Quant aux opérations courantes, elles sont au nombre de trois, et non de quatre, comme on le croit trop souvent. Suivent ici mises au point et clarifications.


B / Les trois opérations basiques :
Addition ,+, somme de termes : effectif de la réunion de deux ensembles disjoints d'objets de même nature, ou augmentation (variation) d'une quantité ; propriétés : a + b = b + a ; a + (b + c) = (a + b) + c.
Multiplication, *, produit de facteurs : addition répétée : a + a + a + ... (n termes) = n*a ; Propriétés : a*b = b*a ; a*(b*c) = (a*b)*c
Par convention, lorsque l'un des facteurs est littéral, on omet le symbole * : 2*7 mais 2a (le nombre littéral est toujours second pour réduire les risques de confusion graphique avec a²) et cd. 
Propriété impliquant ces deux opérations :
Distributivité/factorisation : a(b + c) = ab + ac et xy + xz = x(y + z) 
L'égalité (relation d'équivalence) est symétrique, mais son écriture ne l'est pas ; d'où la nécessité de rappeler qu'on peut l'utiliser dans les deux sens (idem pour les identités dites remarquables).
Puissance, ^: multiplication répétée : a*a*a*a ... (n facteurs) = a^n, a puissance n, ou a exposant n. Noter que a^≠ b^a. 
Une équation est un problème posé à partir d'une égalité. Soustraction et division se ramènent facilement à l'addition et à la multiplication via les équations
Trouver x (différence) vérifiant l'égalité a + x = b et trouver y (quotient) vérifiant l'égalité  c*y = d, dont les solutions sont
x = b - a, et
y = d/c (pour c non nul).

La soustraction est toujours possible ; la division par zéro n'est pas possible (nombreux sont ceux qui ne savent pas pourquoi).

Méthode pour les soustractions simples :

Soit à calculer 62 - 28 :

On "monte" 28 jusqu'à 62 :
De 28 à 30 : 2
De 30 à 62 : 32
Donc de 28 à 62 : 34.
Par cette méthode plus naturelle on évite le recours à des retenues.

Les questions :

Trouver x tel que a^x = c

et x tel que x^b = c

sont moins simples ; il faut, sauf cas particulier simple, passer par les logarithmes et les puissances avec un exposant non entier (voire réel).

Applications de l'addition et de la multiplication : les moyennes (ou médiétés).

m, moyenne additive (ou arithmétique) de a et b est telle que
m + m = a + b ; on obtient la même somme en remplaçant chaque nombre par la moyenne.
Exemple : 5 est moyenne a de 2 et 8 car 5 + 5 = 2 + 8
Sur une règle graduée, le point marqué 5 est le milieu du segment défini par les points marqués 2 et 8.

g, moyenne multiplicative (ou géométrique) de a et b est telle que
m*m = a*b; on obtient le même produit en remplaçant chaque nombre par la moyenne.
Exemple : 4 est moyenne g de 2 et 8 car 4*4 = 2*8

Il existe d'autres moyennes :
harmonique : même inverse
1/h + 1/h = 1/a + 1/b

quadratique : même carré
q² + q² = a² + b², etc.

Convention d'écriture : règle des priorités 
Afin d'éviter les parenthèses, on convient de prioriser division et multiplication sur addition/soustraction, et puissance sur division/multiplication.
Exemple trouvé sur facebook (SOS Éducation) :
Division d'abord, 3/(1/3) = 3*3 = 9
9 - 9 + 1 = 1.


C / Comment bien traiter l'exercice de Bourdin ?

Il faut d'abord comprendre la question :

Dix objets coûtent ensemble 22 euros, ou Dix objets coûtent chacun 22 euros ? C'est la première version qui est la bonne, ce que la question aurait dû préciser.

   La solution intelligente consiste ensuite à remarquer que l'on a 5 objets supplémentaires, et que 5 étant la moitié de 10, ces 5 objets identiques coûtent évidemment la moitié du prix de 10 objets. Savoir que 2 multiplié par 5, ça fait 10, et qu'inversement 10, c'est 2 fois 5 n'est pas encore, je l'espère, au delà des capacités du Français moyen (même si cela dépassait alors celles du ministre Chatel).
10   22
15     x
devient
5     11
15     x
10 objets, 22 € ;
5 objets, 11 €
Donc, par addition
15 objets, 33 €
   La réponse de l'ex-ministre Luc Chatel était non seulement fausse, mais pas vraisemblable puisque pour lui 15 objets valaient moins cher que 10 !! Le ministre avait certes entrevu que le nombre 11 intervenait dans l'exercice, mais il fit une opération qui n'avait aucun sens, aucune logique, (15/10)*11 (= 16,50 €), au lieu de celle qui en avait, 3*11. Il chercha à appliquer une formule apprise par cœur des années auparavant, sans en connaître  la logique sous-jacente.


Dans ce genre d'exercices, il conviendrait de parler d'une règle de six plutôt que d'une règle de trois, car six nombres sont bien impliqués dans cette histoire :

10 et 22
5 et 11
15 et x, le nombre cherché, soit 33.

Ces six nombres peuvent s'installer dans un tableau de proportionnalité :
Nombre                 Prix 
10                           22
 5                            11
10 + 5, 15               x, 11 + 22, 33
   Ce n’est bien sûr pas la seule méthode possible. On peut ne pas passer par le nombre 5, et appliquer la méthode générale, ici détestable méthode de bourrin ..., en passant par le prix d’un seul objet, toujours dans un tableau à six nombres :
10 objets coûtent 22 €
1 objet coûte donc 2,2 € (dix fois moins, par proportionnalité)
15 objets coûtent quinze fois plus, soit 15*2,2 = 33 €
Ce qui revient à faire intervenir le coefficient de proportionnalité, soit 2,2, des nombres d'objets vers les prix ; mais dans un exercice aussi simple, on peut et on devrait faire l’économie de cette notion dont la dénomination est, de plus, archaïque et lourde (je propose multiplicateur) .

Cette deuxième méthode, générale, nécessite de plus le recours à une calculette si l'on n'est pas très bon en calcul mental, pour obtenir le résultat 15*(2,2) = 33. Mais dans tous les cas, il y a bien six nombres impliqués, donc bien mieux vaudrait de parler de "règle de six" ; notion hélas pas encore acceptée par les pédagogistes rédacteurs des programmes, ou alors de "règle des trois lignes" (et deux colonnes).


D / Traduire pour comprendre

La mésaventure du député Luc Chatel, illustre l’intérêt énorme qu’il y aurait à comprendre ce que l’on fait en maths, bien que la doctrine officielle reste centrée, non sur l'explication et la compréhension, mais sur la pratique et les apprentissages, s'acharnant par ailleurs à maintenir une terminologie désuète ; un collègue PEGC du Val d'Oise, à l'Isle-Adam, m'avait dit un jour :
« Il ne faut pas expliquer, car certains risqueraient de ne pas comprendre ; et les autres, ils s’en sortiront toujours. »
Contre cet obscurantisme politico-social, je retiens la surprise et le plaisir d’un élève de 4e, en ce même collège de L'Isle-Adam me disant, ravi :
« Je ne savais pas qu’il y avait des choses à comprendre en maths. »
Des enseignants se sont préoccupés de la clarté des questions, proposant de séparer données et questions proprement dites, évitant donc des questions du genre " Déterminer x et y tels que, étant donnés... "

On aura intérêt aussi à pratiquer des exercices de traduction des énoncés en langage mathématique vers le langage courant et inversement ; on connaît
Le carré de l’hypoténuse (1),
Est égal, si je ne m’abuse,
A la somme des carrés,
Des deux autres côtés. 
1. Terme grec (Platon, Timée) signifiant " qui sous-tend". L'hypoténuse est le plus grand des trois côtés d'un triangle rectangle.

En passant, voici une preuve par réarrangement de ce théorème (direct) de Pythagore :

Que la figure de gauche soit bien un carré se justifie par des considérations sur les angles aigus d'un triangle rectangle (ils sont complémentaires).

En langage mathématique : A, B et C étant trois points d'un espace euclidien,

AB  AC   AB² + AC² = BC²

Les exercices appliquant le théorème de Pythagore utilisent souvent les racines carrées, notion souvent mal comprise encore en seconde.


Les trois significations du signe "-"

le - notation d'un nombre négatif ; par exemple " -17 "
le - notation de l'opposé : -a opposé de a
le - notation de l'opération de soustraction : x - y

Seule la première est systématiquement associée à un nombre négatif.


De la règle des signes aux racines carrées :

a) Par définition de la multiplication des réels, on a la règle :

Le produit de deux nombres de même signe est positif, celui de deux nombres de signes contraires est négatifs.

Il en résulte que le carré d'un nombre, produit d'un nombre par lui-même, est positif. L'opposé d'un nombre a, noté -a, est tel que a + (-a) = 0.

Si a est positif, alors -a est négatif ; si a est négatif, alors -a est positif. -a ne désigne donc pas toujours un nombre négatif.

Un nombre a et son opposé -a ont le même carré.
a² = (-a)²

Application à la résolution de l'équation x² = C
Si C est négatif, il ne peut y avoir égalité entre le nombre positif x² et C. On dit alors que l'équation est impossible, qu'elle n'a pas de solutions, ou encore que l'ensemble des solutions est vide.
Si C est nul (= 0), alors la solution est x = 0.
Si C est positif, il y aura deux solutions ; par exemple, si C = 36, 6² = (-6)² = 36. Les solutions sont 6 et -6 ; l'ensemble des solutions est S = {-6, 6}.

-6 et 6 ont pour carré 36 ; on appelle par définition 36 le nombre positif qui a pour carré 36, soit 6.

Quelques défauts de notre enseignement

Trop d'interrogations orales inutiles, qui n'enseignent rien.
Trop d'exercices qui, mal faits, renforcent les défauts de méthodes.
Pas assez d'appels à la réflexion, trop de recherche d'automatismes. " Il ne faut pas être automatique " me dit un jour un élève qui venait de comprendre.

Les contrôles continus ont les défauts suivants :
fragmentent le cours en tranches vite révisées, vite oubliées
amalgament les fonctions d'enseignement et de contrôle alors que l'idéal serait qu'elles soient dissociées
sont trop fréquents et parfois arbitraires (cf la série PBLV)

Le soutien scolaire est mal conçu car
effectué par des gens peu formés, notamment les assistants d'éducation et les jeunes du service public
vise l'aide aux devoirs alors que l'étude et la mémorisation des leçons devrait passer avant, de toute évidence.
Bref, la notion d'instruction publique se perd davantage de jour en jour.


E /  Sur un blog rédactionnel du quotidien parisien Le Monde, Big Browser, on lisait en été 2012 :

« Mais il n’y a aucune preuve qui montre que quelqu’un capable de résoudre (x2 + y2)2 = (x2 – y2)2 + (2xy)2 aura des opinions politiques ou des analyses sociales plus développées. »
L'original américain était :
« But there’s no evidence that being able to prove (x² + y²)² = (x² - y²)² + (2xy)² leads to more credible political opinions or social analysis. »
Le retour à cet original est très fructueux car :

1) le pléonasme " preuve qui montre " ne s'y trouve pas ;

2) une identité remarquable (ici vraie pour tout couple de nombres réels (x, y), n'est pas une équation, donc elle ne se résout pas, elle se démontre, comme l'écrit Andrew Hacker ;

3) enfin, le New York Times dispose d'une typographie lui permettant de faire la différence entre le 2 de x² et celui de 2x (x +x), ce qui n'était pas encore le cas en 2012 du quotidien français dit "de référence", Le Monde.

* * * * *





Je demande à un élève de TS s'il sait pourquoi on ne peut pas diviser par zéro ; sa réponse : " Ben si on a un gâteau, on ne peut pas le diviser en zéro parts ".

A / Pourquoi on ne peut pas diviser par zéro
B / Pourquoi l'exemple du gâteau n'est pas pertinent

A / Pourquoi on ne peut pas diviser par zéro :

La division est, comme l'addition, la multiplication et la soustraction, une opération (ou loi de composition interne,) dont on attend UN résultat ; pas plus, mais pas moins

La division est liée à la multiplication ; a et b étant des nombres réels ou complexes, rechercher a divisé par b, c'est rechercher un unique réel ou complexe q tel que qb [q multiplié par b, q x b] = a.

Cas de la division euclidienne ; a et b étant des nombres entiers naturels, rechercher a divisé par b (question : en a, combien de fois b), c'est rechercher un unique entier naturel q tel que
a = bq + r avec r < b.

On sait que quel que soit qq x 0 = 0 ; 0 est dit élément absorbant pour la multiplication.

Il faut alors distinguer deux cas, b nul et b non nul, dans la recherche de q tel que

qb = a

Si b = 0, il y a à nouveau deux cas à distinguer :

1) b = 0 avec a ≠ 0

On recherche donc alors q tel que q x 0 = a, soit tel que q x 0  0 ; c'est impossible puisque q x 0 = 0 pour tout nombre q. Aucun résultat.

2) b = 0 avec a = 0, soit

q x 0 = 0

N'importe quel nombre q fait alors l'affaire puisque cette égalité q x 0 = 0 est vraie pour tout q. C'est bien trop, puisque l'on cherche UN résultat.

Dans les deux cas, l'opération posée ne fournit donc rien de satisfaisant comme résultat.


3) Le vocabulaire pédagogique utilise parfois l'expression "valeur interdite" ; je trouve cette irruption de l'interdit déplorable car elle n'encourage pas l'intelligence de la situation mathématique. Ceci indépendamment de la charge affective négative accordée à la note "0".


B / Pourquoi l'exemple du gâteau n'est pas pertinent :

Mathématiquement, on peut diviser par n'importe quel nombre réel ou complexe autre que zéro. Le gâteau, lui, ne peut pas se diviser non plus en 1, ni en aucun nombre non entier (1/2, 1/3, 3,14, etc.) ou négatif, mais seulement en un nombre de parts, nombre entier et égal ou supérieur à 2. On a là un exemple des impasses auxquelles conduit le recours au concret. (La division par 1/n, ou multiplication des gâteaux, ne fut possible qu'une fois, dans les Évangiles...)