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mardi 24 janvier 2023

DFHM : Manchette à mouchard en passant par masculin, mignon et monosexie


MANCHETTE

La connotation homosexuelle dont l’origine n’est pas connue avec certitude n’a été pratiquement rencontrée qu’au XVIIIe siècle. Le polémiste protestant Agrippa d'Aubigné nous fournit une piste :
Tragiques, II " Princes ".


Dictionnaire français de Pierre Richelet, 1680 et 1706 :

Il se peut aussi que manchette soit dérivé de manche dans le sens que lui donne Mirabeau : « Les Sodomistes pensaient apparemment comme un grand seigneur moderne. Un valet de chambre de confiance lui fit observer que du côté qu’il préférait, ses maîtresses étaient conformées comme des ganymèdes, qu’on ne pouvait trouver au poids de l’or ; qu’il pouvait … des femmes. " Des femmes ", s’écria le maître, " eh ! c’est comme si tu me servais un gigot sans manche " »
H. G. Mirabeau, Erotika Biblion, 1783.

On rencontre cette connotation dans les rapports de la police parisienne à partir de 1726 ; j'en ai fait une publication séparée :

« Il m’a conté la manière dont il avait été arrêté aux Tuileries pour le fait de la manchette, et qu’on en arrêtait aussi à la Demie-Lune et sous les arcades de la place Royale. » (6 janvier 1726)
« Lui ayant dit que j’avais été portier aux Jacobins pendant trois ans, il m’a dit : puisque c’est comme ça, je ne puis pas me fier à vous parce qu’on m’a dit qu’il y avait un jeune homme qui avait été portier aux Jacobins qui faisait arrêter ceux qui étaient de la manchette. » (2 juillet 1727)
« Ils ont tous deux été trois ou quatre fois cet été dernier au Lion d’Argent à la Courtille, où il y avait beaucoup de monde de la manchette, que toute la conversation ne roulait que sur cela, la plupart des hommes qui s’y trouvaient se traitaient de « Madame » et prenait toutes les manières des femmes en faisant comme elles des révérences ; c’est ce qui les a détournés d’y aller. » (16 janvier 1748)
« Il a été rapporté au magistrat que le 29 octobre [1747] Caron s’est trouvé dans une assemblée de gens de la manchette au nombre de vingt qui s’est tenue chez un marchand de vin à l’enseigne du Fer à Cheval à la Courtille, et que tous ont eu affaire les uns avec les autres soit dans ce cabaret soit après en être sortis. » (23 janvier 1748)
Archives de la Bastille, 10256, 257, 259.

Vers sur Deschauffour faits en 1726 :
« L’ordre de la manchette en lui perd son vrai père,
Aux gitons de Paris il tenait ordinaire.
Tout le monde le pleure, et l’église et l’épée. »
De B… [Bois]-Jourdain, Mélanges historiques, satiriques et anecdotiques [...] contenant des détails ignorés ou peu connus sur les événements et les personnes marquantes de la fin du règne de Louis XIV, des premières années de celui de Louis XV, et de la Régence, Paris : Chèvre et Chanson, 1807, tome 2, page 337.

« Leurs discours ressemblent à leurs mœurs, ils ont un langage à part ; plein d’affèterie, ils s’appellent entre eux Frères, Gitons et Ganymèdes. Ces noms bizarres sont leurs noms d’amitié. Ils ont parmi eux un Ordre de Chevalerie dont on ignore l’origine et les prérogatives ; ils tiennent tous à si grand honneur de le porter, qu’il n’y a que les misérables qui ne l’aient pas, on l’appelle Ordre de La Manchette. »
Godard de Beauchamps, Histoire du prince Apprius [Priapus], 1728. (les anagrammes ont été éclaircis)


Dans les Journal et Mémoires du marquis René-Louis d’Argenson, ami de Voltaire, il est question, à la date du 29 mai 1740, d’un certain de Vilaines, « célèbre dans l’ordre de la Manchette », « jouant un grand rôle dans le parti de la Manchette » (tome 3, page 87 de l’édition Vve Jules Renouard, 1859).

Marquis d'Argenson, 29 mai 1740 :

" Ce personnage [Vilaines] est par sa nature porté à l'intrigue, utile à ses amis, et le fond de cette vue est un goût naturel de se mêler d'intrigues de cour. Il est célèbre dans l'ordre de la Manchette. Ce désordre de jeunesse porte à l'amitié et conduit au cœur tendre pour ses amis, quoique le désordre y cesse avec les violentes arsées (sic) qui font le b[ougre]. Celui-ci se trouve grand ami du cardinal de Tencin, que les jésuites lui ont donné pour ami, et il le sert avec jugement, selon le temps.

Ledit Tencin, après avoir tiré si grand parti qu'il a fait du cardinal de Fleury, a considéré d'où venait le vent et où il allait; il a trouvé qu'il allait précisément au sieur Bachelier, et a pénétré que le fond de ce crédit venait des conseils de M. Chauvelin, et qu'il ne pouvait conduire autre part.
[...]
Pour cet effet, il [le cardinal de Tencin] se sert de gens tous désavouables, et tel est de Vilaines jouant un grand rôle dans le parti de la Manchette, ayant vu Courcillon, Deschauffours et même Chausson1. Il est le maître de quelques jeunes gens, secrets sectateurs de cette non conformité, il est bien reçu aux Jésuites, et commande à quantité d'évêques; il va dicter et recevoir des dictées de politique chez la de Tencin, sœur du cardinal, il a de l'esprit, ce qui paraît par une grande facilité à parler de toutes sortes de choses, depuis la politique jusqu'aux marionnettes. Il est homme du monde, il y a toujours été reçu sur cette universalité, et comme homme de bonne compagnie. Ainsi il joint à ses amis de parti quantité de vieux amis, de tous partis indifférents. Il a servi, il a des procès, il est garçon commode, enfin il est dévot, car tous ces pauvres b[ougres]. meurent le c[ul] dans un bénitier. "

1. " Deschauffours avait été brûlé pour crime de sodomie, le 24 mai 1726. Chausson, que d'Argenson appelle Sauchon, avait eu le même sort vers 1674. Si l'on veut juger des progrès que cette hideuse démoralisation avait faits jusque dans les rangs de la jeune noblesse, il faut lire les révélations que renferme à ce sujet le procès-verbal d'un interrogatoire écrit de la main du lieutenant de police d'Argenson : Mss de la Bibliothèque du Louvre. "

Journal et mémoires du marquis d'Argenson, tome 3 / publiés pour la première fois d'après les manuscrits autographes de la Bibliothèque du Louvre, pour la Société de l'histoire de France, par E. J. B. Rathery. Auteur : Argenson, René-Louis de Voyer (1694-1757 ; marquis d'). 1859-1867. Contributeur : Rathery, Edmé-Jacques-Benoît (1807-1875). Société de l'histoire de France. Éditeur scientifique.

« Il y a grande brouillerie dans le ménage du jeune électeur [de Bavière, Maximilien III Joseph] et de l'électrice saxonne : ce prince avant son mariage était de la manchette; il s'est remis au goût régulier, et a pris une maîtresse. » (d'Argenson, Journal et mémoires, tome 5, 6 juillet 1748, page 235.



Jean-Jacques Rousseau utilisa l’expression chevalier de la manchette dans ses Confessions :

« Cette aventure me mit pour l’avenir à couvert des entreprises des Chevaliers de la manchette, et la vue des gens qui passaient pour en être, me rappelant l’air et les gestes de mon effroyable Maure, m’a toujours inspiré tant d’horreur, que j’avais peine à la cacher. »
1ère partie, livre II.

Une des expressions du marquis d’Argenson fut reprise dans l’un des écrits anonymes de la période révolutionnaire, et d’abord dans son titre, Les Enfants de Sodome à l’Assemblée Nationale, ou Députation de l’Ordre de la Manchette :
« Que peut aujourd’hui l’abbé Viennet [député à la Convention, père d’un écrivain célèbre] pour l’Ordre de la Manchette ? Rien sans doute ; mais l’ordre lui doit beaucoup de prosélytes : c’est lui qui, par le moyen de son théâtre bourgeois, a perverti Dumay, commis au Domaine ; Cotte, commis d’architecte ; Mandron le jeune, tapissier ; Michu, de la comédie italienne, lui doit son avancement dans l’Ordre. »


Littré donne ces définitions : « Un marquis de la manchette, un homme qui tend la main, un mendiant. Les chevaliers de la manchette, les pédérastes. »

L’explication du sens homosexuel pourrait alors être dans le geste de la main vers le sexe du partenaire. Mais R. H. Van Gulik apporte une autre piste en signalant qu’en Chine ancienne l’expression « manche coupée » était devenue une désignation littéraire de l’amour masculin après que l’empereur Ai-ti ait coupé la manche de son vêtement pour éviter de réveiller son favori endormi à ses côtés.

On rencontre encore parfois le mot, par exemple dans le polar historique d’Alice Yvernat :
« Il n’avait pas l’impression d’être comme ceux de la manchette. Lui, il aimait vraiment. Et qu’y a-t-il de commun entre un amour véritable et la débauche à laquelle certains se livraient ? »
Les Billets indiscrets, chapitre 7, Paris : L’Embarcadère, 2005.

MANIÉRÉ

« Le général Bigeard avait exprimé une volonté : que ses cendres fussent, à sa mort, répandues au-dessus de Diên Biên Phu. Le Vietnam, dont les autorités ont toujours été aussi humaines que les gars du 25e RIC étaient maniérés, a refusé. »
François Miclo, " Général, nous voilà ! Bigeard aux Invalides ", Causeur.fr, 28 novembre 2011.

MANUÉLISER

« [En septembre 1743] M. de Villars porta la main dans la culotte de lui déclarant [Jean-Baptiste Mars], qu’il manuélisa en lui faisant des reproches de ce qu’il n’avait pas l’érection, de ce qu’il n’agissait pas réciproquement avec la même liberté avec lui duc de Villars qui, pendant qu’il touchait d’une main lui déclarant, se manuélisait de l’autre, et parvint seul à l’éjaculation. »
Archives de la Bastille 1, 11536.

MARCHER

Donner dans les relations masculines.

« Axiome : tout Saint-Malo marche. » (Dans la Correspondance Gide/Ghéon).

Julien Green : « [Robert] Levesque nous dit qu'à Rome tout le monde " marche ", que les hommes font l'amour cinq ou six fois par jour, qu'un garçon comprend dès le premier coup d'œil et consent toujours. »
Journal intégral 1919-1940, 13 avril 1935, Paris : Robert Laffont, 2019.

« Il a été groom au Lido pendant quelque temps et me dit que Cartonnet est connu pour faire de l'œil aux gigolos qu'il préfère de beaucoup aux femmes, et qu'il aime surtout se faire baiser. Ce même Cartonnet " marcherait pour de l'argent ". » Journal... 2 octobre 1936.

MARI

« Mari : très facilement employé dans le milieu gay pour désigner son copain du moment. »
www.tasante.com 2002.

La loi Taubira " mariage pour tous " de 2013 a bouleversé la situation...

MASCULIN

« De combien de mots masculins
A-t-on fait des mots féminins
[...]
Sans que l'abbé de Boisrobert
Ce premier chansonnier de France,
Favori de son éminence,
Cet admirable patelin,
Aimant le genre masculin,
S'opposât de tout son courage
À cet efféminé langage. »
Gilles Ménage, Le Parnasse alarmé ou Requête des dictionnaires, 1649, page 8.

À la mort de l’archevêque d’Albi Séroni, on fit circuler ces vers irrespectueux :

« Pleurez, pleurez jeunes garçons
Un prélat si fort débonnaire
Qui retranchait de vos leçons
Deux des genres de la Grammaire :
De même qu’en pays latin,
Il n’usait que du masculin. »
Recueil Maurepas, BnF, mss fr. 12640, année 1685, tome 25, p. 399.

De même après l’expulsion des Jésuites :

« Vous ne savez pas le latin :
Ne criez pas au sacrilège
Si on ferme votre collège
Car vous mettez au masculin
Ce qu’on ne met qu’au féminin. »
Chansonnier Clairambault-Maurepas, année 1762.

MALÉDICTION, MAUDIT cf RACE MAUDITE

MAUVAIS GENRE

Caricature d'Abel Faivre, Le Rire, septembre 1907.


MÉNAGE, MÉNAGE MASCULIN

« Quel beau ménage ils faisaient à la turquesque. Aussi les petits enfants criaient tout haut que Quelus et Maugiron étaient bardaches […] peu après faisant un nouveau ménage. »
La Vie et faits notables de Henri de Valois, 1589.

« À peine arrivée dans la rue, toute la société [les amis lettrés de Sautelet] s’est mise à parler du ménage masculin de Fiévée et Th. Leclerq. On a beaucoup jasé sur ce sujet. »
Delécluze, Journal, 12 avril 1826.

MÉTIER

Métier eut une connotation homosexuelle à partir du XIIe siècle chez des auteurs comme Gautier de Coincy et dans des œuvres anonymes telles que l’Eneas, le Lai de Lanval et l’histoire de Gille de Chyn.

« Il transfigure cette abomination brutale des Sodomites que l’Écriture condamne si aigrement, et la fait évanouir à ce que bougrerie ne soit pas estimée péché. Ce que je crois il ne fait pas sans cause. Car je pense bien qu’il a pratiqué le métier suivant le privilège de son ordre. »
Jean Calvin, Épître contre un cordelier détenu à Rouen, Recueil des opuscules, 1566, page 719.

« Ci-dessous gît un pauvre prêtre,
Plaintif que Bougoin son maître
Lui fit faire plus d’un métier.
L’esprit revient et lui reproche
Qu’il virait en été la broche,
Et l’hiver il était portier.
Agrippa d’Aubigné, Les Aventures du baron de Fæneste, III, 16.

Virer la broche et portier sont des métaphores fugaces auxquelles je n'ai pas cru devoir consacrer une notice.

« Cet honnête homme fut mis par force au métier. »
Agrippa D’Aubigné, Confession catholique du sieur de Sancy, I, 7.

Il y a cinq ou six mois qu’on a mis à la Bastille un nommé Deschauffours qui était un particulier dans Paris, grand bougre de son métier, bel homme et bien fait. Cet homme connaissait beaucoup de monde dans le grand et dans le médiocre, car en général ce n’est pas l’amusement petit-bourgeois. »
Barbier, Journal, mai 1726, BnF, mss fr. 10286, f° 9.

Résurgence inattendue en 1914 :

Francis Carco : « La franchise du môme sidérait la Caille. Le « métier » lui plaisait vraiment, il avait ça dans le sang, et c'était plus comme les Titine et les Bambou qui se forçaient aux pires boulots... Lui aussi, la Caille, il s'y était forcé !... Mais ce qui l'asseyait, c'était chez le frangin de Bambou c'te facilité pour des mœurs contre nature qui, à lui, pour la même raison qu'elles le remuaient, le débectaient horriblement... »
Jésus-la-Caille, Paris : Mercure de France, 1914, deuxième partie, VIII.

METTRE

« Vous ne savez pas le latin :
Ne criez pas au sacrilège
Si l’on ferme votre collège
Car vous mettez au masculin
Ce qu’on ne met qu’au féminin. »
Chansonnier Clairambaut-Maurepas, année 1762.

« Tous les conquérants, ils doivent, c'est bien naturel, mettre les conquis! c'est la loi des plus vives Espèces !… »
Céline, Bagatelles pour un massacre, 1937.

« Regarde comme ils sont heureux tes "Français de race" d'avoir si bien reçu les Romains... d'avoir si bien tâté leur trique... si bien rampé sous les fourches... si bien orienté leurs miches... si bien avachi leurs endosses. Ils s'en congratulent encore à 18 siècles de distance!.. Toute la Sorbonne en jubile!... Ils en font tout leur bachot de cette merveilleuse enculade! Ils reluisent rien qu'au souvenir!... d'avoir si bien pris leur pied... avec les centurions bourrus... d'avoir si bien pompé César... d'avoir avec le dur carcan, si étrangleur, si féroce, rampé jusqu'à Rome, entravés pire que les mulets, croulants sous les chaînes... sous les chariots d'armes... de s'être bien fait glavioter par la populace romaine... Ils s'esclaffent encore tout transis, tout émus de cette rétrospection... Ah! qu'on s'est parfaitement fait mettre!... Ah! la grosse! énorme civilisation!... On a le cul crevé pour toujours... Ah! mon popotas!... fiotas! fiotum!... Ils s'en caressent encore l'oigne... de reconnaissance... éperdue... Ah! les tendres miches!... Dum tu déclamas!... Roma!... Rosa! Rosa!... Tu pederum!... Rosa! Rosa! mon Cicéron! »
Céline, Bagatelles pour un massacre, 1937.

Blague racontée dans les années 1950 : " Jean Marais vient voir Cocteau à son domicile. Un domestique le reçoit et demande : - C'est pour le maître ? - Non, juste pour le voir. "

La formule insultante " allez vous faire mettre ", " va te faire mettre " n'est pas encore tombée en désuétude.

MFL

Sigle d’un groupe de la fin des années 1970, transposé du MLF, et signifiant Mouvance folle lesbienne ; un groupe d’hommes, contrairement à ce que l’on pourrait croire.

MFLGBT

Sigle assez ridicule correspondant à : Marche des fiertés lesbienne, gay, bi et transgenre

M. G.

Abbréviation de mœurs grecques ou de mauvais genre dans la correspondance de Marcel Proust.

« l’air m. g. «  (29 février 1904) ; « M. est bien m. g. » (février 1905).

MIGNARD, MIGNARDER

« Un gros prieur son petit fils baisait
Et mignardait au matin en sa couche. »
Clément Marot, Épigramme 168, vers 1530

« Il [Zola] s’étend sur les salauderies qui ont lieu dans les collèges de province et qui ont un coin de brutalité que ne présentent pas les branlades mignardes des collèges parisiens. »
Edmond de Goncourt, Journal, 18 avril 1883.

MIGNON

D’origine incertaine, peut-être de minet, chat, ou de l’espagnol niño, garçon. L’adjectif chez Rabelais (Gargantua, chapitre 54) et Du Bellay est dénué de nuance péjorative, mais sans doute aussi de toute connotation homosexuelle.

L’emploi comme substantif fut noté par Pierre de L’Estoile en juillet 1576 :

« Mignons. Le nom de Mignons commença, en ce temps, à trotter par la bouche du peuple, auquel ils étaient fort odieux, tant pour leurs façons de faire qui étaient badines et hautaines, que pour leurs fards et accoutrements efféminés et impudiques, mais surtout pour les dons immenses et libéralités que leur faisait le Roi, que le peuple avait opinion être la cause de leur ruine, encore que la vérité fut que telles libéralités, ne pouvant subsister en leur épargne un seul moment, étaient aussitôt transmises au peuple qu’est l’eau par un conduit. » (origine probable de la théorie du ruissellement).

Ces favoris d’Henri III furent aussi appelés « ganymèdes effrontés », « compagnons de mignétise », et par un ligueur « beaux petits fouille-merde ». On faisait des reproches au Roi :

« Il s’allie avec ses mignons
Ainsi que font les hannetons. »
(De L’Estoile, décembre 1581)

Dans des sonnets dits « peu chrétiens », Ronsard formula les mêmes accusations :

« Le Roi, comme l’on dit, accole, baise et lèche,
De ses poupins mignons le teint frais, nuit et jour ;
Eux, pour avoir argent lui prêtent, tour à tour,
Leurs fessiers rebondis, et endurent la brêche.
[…]
Avec vos mignons consommez le loisir
Qui est dû, selon droit, à la chose publique.
[…]
Les culs plus que les cons sont maintenant ouverts ;
Les mignons de la Cour y mettent leurs lancettes. »
(BnF, mss fr. NA 6888, pp. 136-137)

Chez Montaigne, mignon signifie le plus souvent ami ou favori, mais la connotation d’homosexualité existe dans cette paraphrase de Diogène Laërce :
 
« Archelaus le physicien, duquel Socrate fut le disciple et le mignon selon Aristoxenus. »
(Essais, II, xii, page 556 de l’édition Villey/PUF/Quadrige ; DL, Vie..., II, 19 ; mignon correspond ici au grec παιδικά, garçon aimé).
Le terme se trouve dans les traductions d’ouvrages grecs, par exemple celles de Diogène Laërce et de la Bibliothèque d’Apollodore.

Agrippa d’Aubigné ne laissa aucun doute sur les mœurs des Mignons qu’il disait « putains de la Cour » :
Tragiques, 1616, II " Princes.

Furetière définissait plus délicatement :
« Favori, en matière d’amitié, ou d’amour. Du temps de Henri III, les favoris s’appelaient mignons ; et ce terme emportait quelque chose qui n’est pas fort honnête. »

Michelet crut pouvoir innocenter ce petit monde :

« Puisque ce mot de mignons est arrivé sous ma plume, je dois dire pourtant que je ne crois ni certain ni vraisemblable le sens que tous les partis, acharnés contre Henri III, s’accordèrent à lui donner. »
(Histoire de la France au XVIe siècle. La ligue et Henri IV, chapitre 5.

Vers sur le musicien Lully, composés en 1681 ou 1685 :

« La vieille Cortain se fâche
Que Brunet soit mon mignon ;
Elle est une vieille vache,
Il est un joli bardache ;
Elle a le con lâche et profond,
Il a le cul petit et rond. »
BnF, mss fr. 12688, page 284 (recueil Clairambault, tome 3)

De Pierre Bayle (1647-1706) : " Antinous, mignon de l'empereur Hadrien " dans l'article " Antinous " du Dictionnaire historique et critique. Autre emploi à l'article " Arcésilas ".

Dictionnaire français de Pierre Richelet, 1706 (rien en 1680) :


Fénelon évoqua en 1712 les « infâmes mignons » d’Henri III dans ses Dialogues des morts (§§ 67-68).

« La duchesse de La Ferté a dit qu’on remarquait dans l’histoire que la galanterie des rois roulait, l’un après l’autre, sur les hommes et sur les femmes, qu’Henri II et Charles IX aimaient les femmes, et Henri III les mignons ; Henri IV aimait les femmes. Louis XIII les hommes, Louis XIV les femmes et qu’à présent le tour des mignons était revenu. »
Mathieu Marais, Journal et Mémoires, août 1722.

« Le propre jour que le maréchal de Villeroy est venu à Versailles, on a découvert que le jeune duc de La Trémouille, premier gentilhomme du Roi, lui servait plus que de gentilhomme, et avait fait de son maître son Ganymède. Ce secret amour est bientôt devenu public, et l’on a envoyé le duc à l’Académie avec son gouverneur pour apprendre à régler ses mœurs. Le Roi a dit que c’était bien fait. Voilà donc le tour des mignons et l’usage de la Cour de Henri III. »
Id., ibid., 27 juin 1724.

" Les dames ont fait les diables ; elles l[le prince de Ligne]'ont fait suivre et surprendre dans un vilain cabaret à Paris, avec quatre ou cinq de ses mignons. "
Lettre de Mathieu Marais au président Louis Bouhier, 24 juillet 1730.

René-Louis d'Argenson :
Journal et Mémoires, volume VIII, année 1754, page 210.

« Il [un Monsignor romain] voulut m’apprendre les catégories d’Aristote et fut sur le point de me mettre dans la catégorie de ses mignons : je l’échappai belle. »
Voltaire, Histoire des Voyages de Scarmentado.

« On parle de l’affaire Coin, du théâtre où paraissaient des femmes qu’on insultait, qu’on débinait et que remplaçaient des hommes nus ; de David, chef de bureau au Ministère de la Guerre, qui fournissait les mignons de la Garde en si grand nombre que le gouvernement a cru à une conspiration militaire et que c’est pour cela que la police est intervenue. »
Edmond et Jules de Goncourt, Journal. Mémoires de la vie littéraire de 1851 à 1896, Paris : Fasquelle/Flammarion, 1956, 10 octobre 1864.

« Lapin : enfant ou adolescent vicieux qui remplit dans les collèges le rôle des mignons de Henri III, ou celui d'Alcibiade près de Socrate. »
Hector France, Dictionnaire de la langue verte, 1907, réédition Nigel Gauvin, 1990.

L'écrivain Yvan Audouard distinguait trois sortes d'homosexuels au café de Flore :
" Les " grands mignons " qui [s'étaient] fait un nom en littérature, et [que le patron] estim[ait] ; les " petits mignons " qui [étaient] bien élevés, qui n'affich[ai]ent pas leurs sentiments, et qu'il absol[vait] ; enfin les " vilains mignons " qui [faisaient] profession de l'être et auxquels il continu[ait] de botter périodiquement les fesses ".
" Yvan Audouard vous présente le troisième sexe comme si vous en étiez " , France Dimanche, nº 120, 19 décembre 1948, page 7. [Cité dans Geoffroy Huard, Au-delà de la libération gay - Le monde homosexuel à Paris de l’après-guerre au Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire.]

" On voit très bien que Monsieur Philippot s'empare des leviers de commande, place ses hommes, ses mignons, partout, et il fait un pression constante évidemment sur Marine Le Pen et le pauvre bureau politique ; elle ne doit pas laisser des apparatchiks s'emparer de l'appareil ; c'est Philippot ou Le Pen, un des deux, il faut que les choses soient claires (...) On n'a pas forcément raison parce qu'on est un jeune con. ". (Jean-Marie Le Pen, 11 mai 2015)

« Interrogé sur le caractère "homophobe" de certains de ses propos sur les "mignons" de Florian Philippot, il a expliqué qu'il ne " condamnait pas les homosexuels à titre individuel mais quand ils chassent en meute oui ". C'est-à-dire selon lui " quand de conserve ils manœuvrent d'une certaine manière et se conduisent comme des hétérophobes et des gens qui détestent ceux qui ne sont pas comme eux ".
" M. Philippot et ses amis recrutent plutôt dans leur milieu socio-culturel, si j'ose dire, et ont sur leurs amis une influence d'un type différent de celui qui gouverne généralement les relations entre les hommes ordinaires ", a-t-il dit. " Quand les gens se servent de leur particularité, je la dénonce ", a-t-il ajouté.  » (lepoint.fr, 13 mai 2015).

On a donc là un des termes de l'Ancien Régime monarchique ayant le mieux survécus à la modernité.

MIGNON DE COUCHETTE

Sens hétérosexuel au XVIIe siècle seulement :

« Le voilà, le beau-fils, le mignon de couchette,
Le malheureux tison de ta flamme secrète »
Molière, Sganarelle, acte unique, scène VI.

De Pierre Bayle (1647-1706), l'expression mignon de couchette dans l'article " Jules III " de son Dictionnaire historique et critique.

« Le Créateur nous a fait l’un pour l’autre.
Qui voudra donc aller contre la loi
Du tout-puissant ? Ce ne sera pas moi.
Que l’on m’amène un mignon de couchette
Beau, fait au tour (*), un Adonis enfin ;
D’autre côté, telle quelle soubrette :
Je plante là mon ange masculin,
Et je m’en vais cajoler ma grisette. »
Jean-Baptiste Rousseau, Contes et épigrammes, 1724, « La fourmi ».
* : Je retrouve " fait au tour " dans le Journal intégral de Green, 18 avril 1932, page 412.

« Et Jocko son barbier, marquis de la pincette
Et Monsieur de Maki son mignon de couchette. »
Germain Nouveau, Le Maron travesti.

MIGNONISME

« Les Crétois ont été les premiers à ériger le mignonisme en système. »
Combes-Dounous, annotations des Dissertations de l’orateur grec Maxime de Tyr, 1802.

MIGNONNEMENT

Selon Agrippa d’Aubigné, « marcher mignonnement » faisait partie des lois de la Cour royale (Tragiques, 1616, II " Princes ").

MINET

Terme d'affection ou de mépris ; possède une  connotation homosexuelle que l'Académie n'a pas notée.

" Fig. Jeune homme, jeune fille, à l'existence facile et oisive, aux ^préoccupations frivoles. "
Dictionnaire de l'Académie française, 9e édition.

« J'ai pas peur des petits minets
Qui mangent leur ronron au Drugstore
Ils travaill'nt tout comme les castors
Ni avec leurs mains, ni avec leurs pieds. »
Jacques Dutronc, Les playboys, 1966.

« Dans chaque club, les garçons se tiennent sur la scène très éclairée par petits groupes de quatre ou six ; ils portent la tenue distincte de l'établissement et de sa spécialité, minimale et sexy : maillot 1900 à bretelles ou cycliste pour les athlètes, boxers shorts, strings pour les minets ou pseudo-voyous, les follassons ont droit à des mini-jupes. »
Frédéric Mitterrand, La Mauvaise Vie, Paris : Robert Laffont, 2005.

MISER

Aphérèse de sodomiser.

« C’est le destin des Français de se faire miser dans le cours des âges. »
Louis-Ferdinand Céline, Bagatelles pour un massacre.

« Ils connaissaient les tantes et les pédés par ce qu’en disait Théo, par ce qu’ils en disaient eux-mêmes, s’interpelant en riant, avec ces phrases : "Il en est, de la pédale qui craque !… Tu les prends en long, en large ou en travers ? Va te faire miser, eh ! Va voir chez tonton, tu gagneras mieux ta croûte !…" Mais ces expressions, vite lancées, ne leur représentaient rien de précis. »
Jean Genet, Querelle de Brest, 1947.

MODE

« L’hypocrisie est un vice à la mode, et tous les vices à la mode passent pour vertus. »
Molière, Dom Juan, V, 2, Dom Juan à Sganarelle.
De Madame, princesse Palatine, belle-sœur de Louis XIV : « Quand on a raconté à Mme Cornuel la vie dévergondée des dames du faubourg (car on les appellent ainsi pace qu’elles habitent toutes au faubourg St Germain), elle a dit : "Mon Dieu, ne les blâmez pas, vous verrez que c’est une mission qu’on aura envoyée là, pour ramener les jeunes hommes du vice à la mode". Cette dame a maintenant 87 ans. »
Lettre à Sophie de Hanovre, 1er février 1693.
« Ce vice, qui s’appelait autrefois le beau vice, parce qu’il n’était affecté qu’aux grands seigneurs, aux gens d’esprit ou aux Adonis, est devenu si à la mode qu’il n’est pas aujourd’hui d’ordre de l’État depuis les ducs jusqu’aux laquais et au peuple qui n’en soit infecté. Le commissaire Foucault, mort depuis peu, était chargé de cette partie et montrait à ses amis un gros livre où étaient inscrits tous les noms de pédérastes notés à la police ; il prétendait qu’il y en avait à Paris presque autant que de filles, c’est-à-dire environ 40 000. »
Mémoires secrets …, 13 octobre 1783.

MŒURS

Dans cette disposition et les suivantes (articles 187-2, 416, 416-1 du CP, art. 2-6 du CPP), mœurs a une connotation homosexuelle 
Loi Badinter/Delebarre 85-772 du 25 juillet 1985 portant diverses dispositions d'ordre social.

Voir Appendices de 1985

MOLLESSE

Du grec malakia et du latin mollitia. La mollesse est décrite et souvent stigmatisée par de nombreux auteurs anciens : Alcuin d'York, Augustin, Célius Aurélien, Cyprien de Carthage, Démosthène, Horace, Juvénal, Pétrone, Philon d'Alexandrie, Salvien, Sénèque le Jeune, Sénèque le Père, Tacite, Tite-Live, et Vincent de Beauvais (au sens de masturbation) ; sans parler de tous ceux qui citèrent la 1ère Épître aux Corinthiens de l'apôtre Paul.

Jean Benedicti, La Somme des péchés..., 1587, 1601. Pour cet auteur, la sodomie n’est le fait que de l’actif, les bardaches, patients, ne commettant que le péché de mollesse.



Dictionnaire français de Pierre Richelet, 1680 et 1706 :

Pierre Saint-Amand : " Dans un passage de son essai sur le théâtre, Mercier reviendra sur l’affectation du personnage [le petit-maître]. Il mentionnera « le ton apprêté de leur mollesse […] ». C’est ici le terme homophobe qui désigne le plus directement l’effémination du fat, l’adoption des postures du sexe opposé (68).
68. La mollesse est associée depuis l’Antiquité à l’homosexualité passive. Voir Marie-Jo Bonnet, Les relations amoureuses entre les femmes, Paris, Odile Jacob, 1995, p. 61. Les molles, dans les écrits de l’Antiquité recherchent des satisfactions sexuelles anormales ; ils représentent l’absence de toute puissance virile. Voir David M. Halperin, One Hundred Years of Homosexuality, New York, Routledge, 1990, p. 22-24. Halperin a raffiné son analyse de la mollitia dans un autre livre. Il s’agirait pour lui d’un des modèles du pré-homosexuel. Il étudie cette catégorie intéressante de l’inversion de l’identité sexuelle (masculine). Voir How to Do the History of Homosexuality, Chicago, University of Chicago Press, 2002, p. 121-130. Sur la notion de mollesse, pour le contexte français, je renvoie à l’étude de Christophe Martin, « La fontaine de Salmacis. Hantise de la mollesse et construction de la masculinité chez Rousseau », dans Masculinités en révolution, de Rousseau à Balzac, dir. Daniele Maira et Jean-Marie-Roulin, Saint-Étienne, PUSE, 2013, p. 31-48. "
Suite libertine. Vies du XVIIIe siècle, chapitre « Le Théâtre des Beaux », Paris : Classiques Garnier, 2021.

MÔME

Vidocq mettait pour ce mot : « adolescent, joli garçon. » Ce terme d’argot prit ensuite le sens de

« petit garçon livré à la pédérastie »
Anonyme [Pierre Joigneaux ?], L’Intérieur des prisons, 1846.

« On m’a même proposé des mômes, ô mon ami. Mais j’ai refusé. »
Gustave Flaubert, lettre à Camille Rogier, 11 mars 1851.

« Enfants, on les appelle mômes ou gosselins, adolescents ce sont des cousines, plus âgés, ce sont des tantes. »
Larchey, « Dictionnaire des excentricités du langage », Revue anecdotique des excentricités contemporaines, n°5, septembre 1859.

Charles Perrier releva dans l’argot de la prison centrale de Nîmes les mots girond et môme, avec le sens de prostitué ; en vieillissant, le môme devenait une tante ou une copaille (Les Criminels, tome 2, 1905).

« S’ils aiment tant la femme, pourquoi, et surtout dans ce monde ouvrier où c’est mal vu, où ils se cachent par amour-propre, ont-ils besoin de ce qu’ils appellent un môme ?
Marcel Proust, À la recherche du temps perdu, « La Prisonnière »

Selon un observateur, dans un pénitencier guyanais,

« Les homosexuels du type actif s’appellent les hommes, ceux du type passif les mômes […] Pour un forçat, l’épithète de môme est la plus grosse injure après celle de bourricot. »
Dr L. Rousseau, Un Médecin au bagne, chapitre VII, 1930.

MONOSEXIE, MONOSEXUALITÉ, MONOSEXUÉMONOSEXUEL

Le concept d’une sexualité ne s’exerçant qu’à l’intérieur de l’ensemble des êtres d’un seul sexe fut représenté à l’aide des préfixes mono et uni. L’utopiste Charles Fourier avait imaginé, avant 1837, le néologisme monosexie :

« On voit dès à présent que les femmes dans leur état de liberté de perfectibilité comme celles de Paris, ont beaucoup de penchant au saphisme. Les journaux de Paris se sont plaints quelquefois que ce goût se généralisait parmi les jeunes personnes de la capitale ; ce sexe est plus que l’autre enclin à la monosexie. »
" Le saphisme en harmonie ", Le Nouveau monde amoureux, tome VII.

Monosexie est donc, avec homoïousien et unisexualité, un précurseur de la série des termes allemands en homo- ; « monosexual » est un des termes utilisés par Kertbeny dans la lettre de 1868. On peut regretter que ce terme monosexie, moins lourd que d’autres (mais aussi moins clair), n’ait eu aucun succès. Quelques auteurs ont suggéré l’emploi de monosexuel et monosexualité ; on en trouvait encore des traces dans l’ouvrage de Paul Reboux, Sens interdits, 1951.


Michel Foucault : « Il y a deux âges d’or de la problématisation de l’homosexualité comme monosexualité, c’est-à-dire des rapports entre hommes et hommes, et hommes et garçons. Le premier, c’est celui de la période grecque, hellénistique qui se termine en gros au cours de l’Empire romain. Les derniers grands témoignages en sont : le dialogue de Plutarque, les dissertations de Maxime de Tyr et le dialogue de Lucien. »
« Entretien avec Jean Pierre Joecker, M. Overd et Alain Sanzio », Masques, n° 13, printemps 1982.


" Nombreux sont ceux parmi les opposants au texte qui évoquent à son sujet une « révolution anthropologique » fondamentale et irréversible au travers de l’instauration possible pour les enfants d’un double lien de filiation monosexué. " Erwan Binet, RAPPORT FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI (N° 344), ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, 17 janvier 2013, III, B.

" Le terme « homoparentalité » est assez ambigu : les relations homosexuelles qu’entretiennent les personnes avec qui vit l’enfant ne concernent que les adultes ; elles ne concernent en rien l’enfant et moins encore les liens juridiques qui unissent les adultes à ce dernier. On devrait donc sans doute davantage parler de « parentalité monosexuée », reposant sur l’indifférence sexuée, plutôt que de parentalité homosexuelle qui se fonderait sur la sexualité partagée par le couple alors qu’il s’agit bien de la question de la parentalité exercée par deux personnes de même sexe. Pour autant, le terme « homoparentalité » est aujourd’hui entré dans le débat public et parfaitement compris de tous. " Ibid., IV, A, 1.


" Si l’ouverture de l’adoption aux couples de personnes de même sexe permettra l’établissement, dans les deux cas qui viennent d’être mentionnés [adoption d'un enfant par le conjoint et adoption conjointe], d’une double filiation monosexuée, le régime de l’adoption simple comme de l’adoption plénière n’emporte pas de mensonge sur les origines de celui-ci. " Ibid, IV, C.

D’autres enfin témoignent d’une opposition à l’établissement – notamment dans le cadre de l’adoption – d’un double lien de filiation monosexuée, en ce qu’il contredirait l’altérité sexuelle au fondement du modèle reproductif naturel. Ibid, Annexe N° 3.

MOUCHARD

« On m’a traité de mouchard.
Mouchard veut dire : homme qui ne pense pas comme nous.
Synonyme au XVIIIe siècle : pédéraste. »
Charles Baudelaire, Pauvre Belgique.

Nous n’avons pu vérifier l’affirmation relative au XVIIIe siècle ; mais au début du règne de Louis XV on appelait mouches les provocateurs qui approchaient les gens de la manchette pour lier conversation, puis les faire arrêter.

Jules Choux donnait en 1881, dans Le Petit citateur - Notes érotiques et pornographiques

« en être : être mouchard ou pédéraste ; quelquefois tous les deux ; ce qui s’appelle joindre l’utile à l’agréable. » Ouvrage réédité par la BnF.


mercredi 28 septembre 2022

DFHM : Damoiseau à droits du cul en passant par défaut, délicat, délices, délit d'espine et délit d'homosexualité



" Il n'est pas du tout à la mode, c'est un vrai damoiseau. "
Madame [princesse Palatine, belle-sœur de Louis XIV], lettre du 13 décembre 1718, parlant de son fils le Régent.
Connotation hétérosexuelle, par opposition au " vice à la mode ".

DAUFER

« DAUFER  : satisfaire une passion pédéraste. »
Évariste Nouguier, Dictionnaire d'argot, 1899-1900.

DAUPHIN

« de sout’neur dev’nir dauphin »
Émile Chautard, Goualantes de la Villette et d’ailleurs, 1929.



DÉBAUCHE NATURELLE

« L'aventure de MM. de La Ferté, Biran, Colbert, Argenson est bien infâme; ils ne sont que les malheureux d'une nombreuse confrérie. Nos pères n'étaient pas plus chastes que nous, mais ils se contentaient d'une débauche naturelle. On brode à présent sur les vices, on les raffine. »
Lettre de La Rivière à Bussy-Rabutin, 5 février 1680.

DÉCULER, DÉSENCULER

« Je suis en état de foutre dix coups sans désenculer. »
Le Bordel apostolique institué par Pie VI pape en faveur du clergé de France, « Réponse », 1790 [BnF, Enfer 602].

« L'Italien, déculant son homme, nous offre un vit sec et mutin, maintenant propre à toutes sortes d'attaques. »
Marquis de Sade, Histoire de Juliette, VIe partie, Paris : Gallimard, 1998, édition Michel Delon.

« Ces pieuses dissertations terminées, le moine décula son giton. »
Marquis de Sade, La nouvelle Justine, VIIe partie, Paris : Gallimard, 1995, édition Michel Delon.

DÉFAUT

Pierre Daniel Huet (sur l'humaniste italien Ange Politien) : « Je ne dis rien de ses mœurs, et de sa religion. Il a eu sur cela une réputation fort équivoque, et ce défaut qui est capital, a obscurci toutes ses autres vertus ; d'autant plus que son caractère de Prêtre, et son emploi de Chanoine, requéraient une vie réglée, et des mœurs exemplaires. »
Huetiana, ou pensées diverses de M. Huet, VII, publié par l'abbé Pierre-Joseph d'Olivet (1682-1768).
Paris : J. Estienne, 1722.

Antoine Aubriet signale, dans sa Vie de Cambacérès (1824), que les contemporains lui reprochaient un " petit défaut ".

DÉLICAT

Du latin delicatus (dérivé de deliciae) désirable, voluptueux, fin, avec déjà une connotation homosexuelle chez Jérôme (lettre XIV)  et Sénèque (Lettres à Lucilius, CXIV)

« Pour souligner l’ « ordre et venuste elegance » de la dame Méridienne, l’auteur du deuxième conte fait allusion non seulement aux apparitions de Vénus à Mars, d’Adonis à Vénus, et de Psyché à Cupidon, mais aussi à celle de « l’enfant delicat Ganimedes au souverain Juppiter lorsqu’il le ravit ». 
Les Contes amoureux par Madame Jeanne Flore, vers 1542, édition critique par Régine Reynolds-Cornell, Textes et Contre-Textes no 5, Saint-Étienne, Publications de l’Université
de Saint-Étienne, 2005, page 92.  »
Cité par Gary Ferguson dans son texte « Jeanne Flore pédéraste », in DEBROSSE (Anne), SAINT MARTIN (Marie) (dir.), Horizons du masculin. Pour un imaginaire du genre, Paris : Classiques Garnier, 2020, page 474.

Cette épître « À celle qui se reconnaîtra » est attribuée au marquis de Villette ou au comédien Jacques M. (de) Monvel :

« Tout le monde a des ridicules,
Mais n’a pas des vices qui veut.
Du tien ne va pas te défaire,
Dans la Grèce on en faisait cas
Et sur le vice, on sait, ma chère,
Que les Grecs étaient délicats. »
Mémoires secrets, tome 14, 16 octobre 1779.

« Un jeune homme très délicat [...] la délicatesse en personne »
Joseph Méry, Monsieur Auguste, Paris : A. Bourdillat, 1859, cité par Michael Rosenfeld, " Écrire et escamoter l'amour entre hommes sous le Second Empire : Monsieur Auguste et Le Comte Kostia ", dans " Écrire les homosexualités au XIXe siècle ", Littératures, n° 81, 2019.

« Délicat et blond, adj. Se dit, ironiquement, d’un gandin, d’un homme douillet, quelles que soient la couleur de ses cheveux et la vigueur de son corps. »
Alfred Delvau, Dictionnaire de la langue verte, 2e édition, 1883.

« Les philosophes grecs aimaient les belles formes. Leur cœur s’attachait de préférence aux nobles lignes que les beaux éphèbes déployaient dans les exercices du gymnase […] quelques esprits délicats de nos jours, heurtés par le côté bassement matériel de l’amour, par le prosaïsme des rapports journaliers, frappés de l’incomplet des formes féminines, du manque d’esthétique de leur amitié toujours peu sûre, ont jugé que la passion ordinaire ne pouvait jamais atteindre à ce haut point de désintéressement où se joue l’amitié entre hommes. L’amitié-passion, voilà le remède que vous cherchez. »
Paul Verlaine, La Vie parisienne, 26 septembre 1891.

André Gide avait noté quelque part que sa mère le trouvait délicat.

Émile Zola : " L’incertitude peut commencer au simple aspect physique, aux grandes lignes du caractère : l’homme efféminé, délicat, lâche ; la femme masculine, violente, sans tendresse. Et elle va  jusqu’à la monstruosité constatée, l’hermaphrodisme des organes, les sentiments et les passions contre nature. Certes, la morale et la justice ont raison d’intervenir, puisqu’elles ont la garde de la paix publique. Mais de quel droit pourtant, si la volonté en est en partie abolie ? On ne condamne pas un bossu de naissance parce qu’il est bossu. Pourquoi mépriser un homme d’agir en femme s’il est né femme à demi ? "
Lettre au Dr Laupts (G. Saint-Paul), 25 juin 1895.
Anonyme : " Il me semblait être trop faible, trop joli, trop délicat pour dormir avec une femme à laquelle je ressemblais trop, et d’ailleurs je n’aurais jamais eu ce courage. " Roman d'un inverti-né, II, 1889 (lettres à Zola).

« Royaume-Uni Le "stray" nouveau est arrivé (Société), par Béatrice Colbrant :
Selon une étude britannique, une nouvelle race d’hommes vient de faire son apparition : le "stray", intermédiaire entre l’homme gay traditionnel et le "straight", terme réservé à l’hétéro de base. Le stray serait ainsi un straight déguisé en gay et cela en vue de séduire le plus grand nombre de femmes possible. Des femmes, dit-on, de plus en plus attirées par le look délicat, voire inoffensif, du copain gay toujours prêt à écouter et à rendre service. Référence oblige : on se souvient de Warren Beatty dans "Shampoo", prototype du stray s’attirant les succès féminins sous les dehors les plus détachés. Tout homme outre-Manche est désormais qualifié de "GUPO": "Gay until proven otherwise" (Gay jusqu’à preuve du contraire). »
Têtu quotidien, 2 avril 2003.

DÉLICES

Du latin classique deliciae, voluptés, objet d'amour.

La connotation homosexuelle du terme provient probablement de ces célèbres vers de Virgile :

Formosum pastor Corydon ardebat Alexim,
Delicias domini, nec, quid speraret, habebat.

« Pour le bel Alexis, délices de son maître,
Le pâtre Corydon se consumait en vain » (traduction Paul Valéry).

La Renaissance le ranime :

« Des filles n’avons nul besoin
Car avons-nous pas nos novices
Avec lesquels prenons soin
De trouver toutes nos délices
Et ce faisant n’avons point peur
D’en avoir aucun déshonneur. »
Recueil Maurepas, BnF, mss fr 12616, année 1566, tome 1, page 160, « Chanson d’un cordelier sorbonniste ».

Ainsi mon favori gay m'entretiendra,
Je ne désire pas que l'on cueille mon fruit,
Comme un peuple ignorant dedans l'ombreuse nuit,
Ni comme un courtisan tout à la dérobée."
Oeuvres poétiques du capitaine Laphrise, " Stances de la délice d'amour ", 1597.

« Pourceau le plus cher d’Épicure,
Qui, contre les lois de nature,
Tournez vos pages à l’envers,
Et qui, pris aux chaînes des vices
Vous plongez dedans leurs délices,
J’ai des limbes entendu vos vers. »
Sieur de Sigognes, Ode, in Cabinet satyrique ou Recueil parfait des vers piquants et gaillards de ce temps, 1618.

Dictionnaire français de Pierre Richelet, 1706 : délices



Sade : « Ce singulier Dolmancé […] sodomite par principe, […] les délices de Sodome lui sont aussi chers comme agent que comme patient. »
Marquis de Sade, La Philosophie dans le boudoir (1795), I, Paris, Gallimard, 1998, édition Michel Delon.

Paul Bourget : « C'était le collège qui continuait à les lier l'un à l'autre, et les souvenirs d'enfance. Leur enfance ?... Armand, qui tournait la rue Royale et gagnait les Champs-Élysées, se rappela soudain le défilé de la pension Vanaboste, le jeudi, et la promenade trois par trois, sous la surveillance d'un pauvre diable de maître d'étude qui cherchait à se dissimuler parmi les groupes pour avoir l'air d'un passant comme les autres et non pas d'un chien de cour chargé de garder un troupeau d'élèves. Et quel troupeau ! La plupart avait le teint pali, les yeux creusés, un appauvrissement énervé de tout l'être qui disait de secrètes débauches. Que d'ignominies et de bassesses dans ce monde où les plus âgés avaient dix-neuf ans, où les plus jeunes en avaient huit ! Entre les murs de la prison, comme entre les murs du grand lycée où ils se rendaient deux fois par jour, il n'était question que d'infâmes amours entre ces grands et ces petits. Parmi ces amours contre nature, les unes étaient franchement sensuelles et avaient pour théâtres tous les coins déserts de la maison, depuis les dortoirs jusqu'à l'infirmerie. Et parmi les jeunes Français internés dans des collèges semblables, combien participaient à cette luxure, et les autres se salissaient l'imagination en la repoussant ! Il y avait aussi entre ces collégiens des liaisons exaltées et chastes. La lecture d'une certaine égloque de Virgile, d'un dialogue de Platon, de quelques sonnets de Shakespeare montaient la tête aux plus littéraires, et Alfred Chazel avait un jour reçu, étant en troisième, une pièce de vers écrite par un rhétoricien de Henri IV, qui commençait par ce vers prodigieux dont ils avaient ri comme des fous :
Alfred, mon pâle Alfred, mon Aimé, mes Délices... »
Un Crime d'amour, Paris : Alphonse Lemerre, 1886.

DÉLIT D’ÉPINE

« ESPINE, c'est-à-dire le dos, à cause de l'épine du dos ; & le délit d'espine, c'est-à-dire, la Sodomie. C’est pourquoi Monstrelet [vers 1390-vers 1453] dit que quelques uns furent brûlés à la Grève pour avoir commis le délit d’espine. »
Pierre Borel (vers 1620-1671), Dictionnaire des termes du vieux françois ou Trésor des recherches et antiquités gauloises et françoises, Paris : Briasson, 1750 [Paris : A. Courbé, 1655], à l’article ESPINE.

Gilles Ménage, Dictionnaire étymologique..., 1750 [1694].

DÉLIT D'HOMOSEXUALITÉ

« Ce n’est pas seulement l’article 331 du Code pénal concernant le délit d’homosexualité qui aurait besoin d’être revu et assoupli. »
Daniel Guérin, " La Répression de l’homosexualité en France ", La Nef [Nouvelle équipe française], janvier 1958.

Les mentions « homosexualité » et « homosexualité avec mineurs » dans les tableaux des deux séries statistiques du Ministère de la Justice (adultes, mineurs) ont amené certains à parler, après Daniel Guérin, de délit d’homosexualité.

On peut mentionner une troisième série de données, celle de la Direction de l’Éducation surveillée (publiée par l’INSEE). En 1966, 36 garçons de moins de 15 ans avaient été amenés devant les juges pour enfants au titre de l’infraction « homosexualité » (sic). Jusqu’en 1974, 60 à 80 mineurs de moins de 21 ans étaient mis en cause chaque année.

Dans l’Encyclopédie Dalloz – PÉNAL, la rubrique « Attentats aux mœurs » date de 1967 ; l’article 2 de la section 2 (attentat à la pudeur sans violence) comporte un § 3 intitulé « Délit d’homosexualité », expression reprise plusieurs fois, dans les sous-titres, « A. Éléments constitutifs du délit d’homosexualité » et « B. Répression du délit d’homosexualité », et dans le corps du texte : « L’ordonnance du 8 février 1945 […] a judicieusement placé le délit d’homosexualité à l’article 331 du Code pénal qui vise essentiellement la satisfaction de passions personnelles. »

" Quant au délit d'homosexualité, il n'apparaît dans l'arsenal des lois françaises qu'avec la loi de Vichy du 6 août 1942. "
Appel pour la révision du Code pénal, Le Monde, 22-23 mai 1977.

« Le vote de la loi du 23 décembre 1980 et les tentatives d’abrogation du délit d’homosexualité. »
Gisèle Halimi, Rapport N° 602, 1981-1982, AN, séance du 10 décembre 1981.

« En deuxième lecture votre Haute Assemblée, insensible tant aux changements d’option de l’exécutif qu’à l’opinion de l’Assemblée nationale, a maintenu fermement sa position initiale : le délit d’homosexualité devait disparaître de nos lois. »
Robert Badinter, Garde des Sceaux, Sénat, séance du 5 mai 1982.

« La suppression du délit d’homosexualité ne figure ni dans le projet socialiste de 1980, ni dans les 110 propositions du candidat Mitterrand à l’élection présidentielle de 1981. »
Étienne Dailly, Rapport N° 457, 1981-1982, Sénat, séance du 7 juillet 1982.

Mme Élisabeth Guigou était revenu sur cet aspect de la première alternance :
« C’est […] le 29 avril 1981 […] que le candidat François Mitterrand déclarait que l’homosexualité devait cesser d’être un délit. À cette époque elle figurait encore dans le Code pénal, et c’est Robert Badinter qui la fit disparaître. »
Assemblée nationale, séance du 30 mars 1999.

  S’il est évidemment faux que l’homosexualité ait été illégale en France après 1942, il est tout aussi faux qu’elle ait été légale. Même avant 1942, en 1924, la revue L’Inversion/L’Amitié fut poursuivie et condamnée (en 1926) pour outrage aux bonnes mœurs. On sait que de 1960 à 1980 l’homosexualité a été une circonstance aggravante de l’outrage public à la pudeur, que la législation faisait, jusqu'à la loi Taubira du 4 août 2014 (dont l'article 26 supprime dix occurrences de cette expression bonnes mœurs dans le Code civil et quatre autres codes) notamment obligation d’user de la chose louée « en bon père de famille » (Code civil, article 1728, 1°) et que la Préfecture de Police de Paris a longtemps comporté un « Groupe de contrôle des homosexuels ».

  La conduite automobile sur la voie publique est autorisée à partir de 18 ans. La liberté des relations sexuelles entre majeurs, de 1974 à 1982, n’était pas du même ordre. Il y avait autour de l’homosexualité, des actes dits en termes moyen-âgeux « impudiques ou contre nature », un contexte, un climat, une histoire, un encadrement juridique et administratif, qui donnaient une certaine pertinence à l’expression délit d’homosexualité, et à celle de dépénalisation qui suivit.

DÉSHOMOÉROTISATION

« Au moment où Narcisse contemple son image reflétée dans l’eau de la fontaine, la description de sa beauté – celle de l’éphèbe longuement détaillée par Ovide39 – est omise par Jeanne Flore. Ce souci de ce que l’on pourrait appeler la « déshomoérotisation » du récit va même pousser l’auteur renaissant à changer le sexe de l’image dont le jeune homme tombe amoureux. Dans les Métamorphoses, Narcisse est attiré tout naturellement par ce qu’il croit être un jeune homme qu’il désire embrasser. Le Narcisse des Comptes amoureux « va contemplant avec ung subtil et amoureux regard l’excellente beaulté qui luy faict à croyre que quelque Déesse soit du hault ciel descenduë. Dont la saluë il, et reverentement s’encline devant elle ». Cette déshomoérotisation nécessite, en revanche, une certaine effémination du sujet masculin. Pour que le garçon tombe amoureux non pas d’un garçon mais d’une fille, le garçon doit ressembler à une fille. »
Gary Ferguson, « Jeanne Flore pédéraste », in DEBROSSE (Anne), SAINT MARTIN (Marie) (dir.), Horizons du masculin. Pour un imaginaire du genre, Paris : Classiques Garnier, 2020, pages 481-482.

DÉSORDRE

La connotation homosexuelle de ce terme est faible, mais amusante rapportée à plusieurs remarques de Flaubert relative à l’ironie de l’ordre que constituerait l’émergence de l’homosexualité dans une situation officielle :

« SODOMIE, s. f. (Gram. & Jurisprud.) est le crime de ceux qui commettent des impuretés contraires même à l'ordre de la nature (i) ; ce crime a pris son nom de la ville de Sodome, qui périt par le feu du ciel à cause de ce désordre abominable qui y était familier. »
Encyclopédie, tome XV, 1765, colonne 266, par Antoine-Gaspard Boucher d'Argis (1708-1791). [texte complet de l’article au mot sodomie]

« Comme les jeunes gens, qui se prostituaient à ce désordre n'étaient, comme ils ne sont encore en général, que des coiffeurs, des perruquiers, des jockeys, des domestiques sans condition, on les envoyait assez communément à Bicêtre, pour un, deux, trois ou six mois, suivant que le lieutenant de police en prononçait sur le rapport de l'inspecteur ou du commissaire. Quant à ceux avec qui on les trouvait, on en prenait le nom, et quelquefois on les rançonnait. »
Jacques Peuchet, Article « Pédérastie », Encyclopédie méthodique, tome 112 (Police et Municipalité), Panckouke, 1791 [BnF Z 8556].

« Les femmes vont devenir inutiles ; les jeunes garçons prennent leur place. Ce crime abominable se commet avec toute sorte de liberté ; et il est presque passé en coutume, on n’en rougit plus. Ceux qui le commettent s’en font honneur, croient être à la mode et passent pour galants hommes. Ceux qui ne s’abandonnent pas à ce désordre en ont la réputation ; premièrement, parce que le nombre en est fort petit et qu’ils sont confondus dans la foule des criminels. »
Journal d’un poète, juin 1837.

DEVANT/DERRIÈRE

Cette polarité topologique a été durablement associée à la classification des goûts sexuels masculins. Elle contient en germe la notion d’inversion, de même que l’expression à rebours. Une autre polarité topologique, haut/bas, fut invoquée par le philosophe italien Campanelle dans sa Cité du soleil [Civitas Solis, 1623] : il était prévu, dans cette utopie communiste, de stigmatiser les sodomites en leur faisant porter un soulier attaché à la nuque, pour signifier la perversion de l’ordre.

Pierre de L’Estoile rendit compte d’un combat perdu par un mignon d’Henri III en citant le quatrain composé pour l’occasion :

« Quélus n’entend pas la manière
De prendre les gens par devant ;
S’il eût pris Bussy par derrière,
Il lui eut fourré bien avant. »
Journal, année 1578.

Même association dans ces vers qui visaient les pères Jésuites :

« Au collège de Louis le Grand
On n’y connaît point le devant ;
Car ses traîtres de Paris
  Hé bien !
Attaquent le derrière
Vous m’entendez bien. »
Chansonnier Maurepas, année 1685.

Allusion à un certain usage du derrière dans ces vers faits sur Louis-Joseph, duc de Vendôme (1654-1712) par son secrétaire, pour mettre sous son portrait :

« Le héros que tu vois ainsi représenté,
Favori de Vénus ainsi que de Bellone [déesse italique de la guerre]
Prit la vérole et Barcelone
Toutes deux du mauvais côté. »
Charles Collé, Journal et Mémoires, mai 1750.

« Si le général des jésuites avait deux otages à envoyer à Paris aussi beaux que les anges de Loth, et plus, complaisants, il est sûr de rentrer en France par cette porte, qui serait très bonne, quoique ce soit une porte de derrière. »
Thévenau de Morande, Le Philosophe cynique, 1771.

« On aime, on plaît à sa manière :
Le plus sage tourne à tout vent,
L’un attrape l’amour par devant,
L’autre l’attrape par derrière (a),
Le caprice est ce qui nous meut ;
Le diable emporte les scrupules.
Enfin on fait du pis qu’on peut :
Tour le monde a des ridicules,
Mais n’a pas des vices qui veut. »
Mémoires secrets …, 16 octobre 1779 [tome 14].
a. Dans une autre version de cette épître « À celle qui se reconnaîtra », Mayeur de Saint Paul ajouta cette note : « Et Monvel était de ceux-là. »


« En s’éveillant un beau matin,
Le Tout-Puissant lorgna Sodome,
Et fit serment, son foudre en main,
D’en griller jusqu’au dernier homme.
Car en ce lieu chaque vilain
S’amusait tout comme à Berlin ;
Et les coquins s’y prenaient tous,
Sens [c'en] devant derrière.
Et les coquins s’y prenaient tous,
Sens [c'en] devant derrière, sens [c'en] dessus dessous (*). »
Le Pot pourri de Loth, 1784.
*. Cf Rabelais, Gargantua, XI.

« N’ayant plus les moyens d’avoir des femmes, nous nous trouvons réduits à la malheureuse nécessité de nous amuser entre nous et de tirer par derrière, n’ayant point l’argent nécessaire pour tirer par devant, c’est-à-dire pour bourrer, pour enfiler des cons. »
Le Bordel apostolique institué par Pie VI pape en faveur du clergé de France, « Supplique », 1790 [BnF Enf 602].

Au début de la Révolution, le ci-devant marquis de Villette fut plaisamment appelé « ci-derrière marquis ».

« L’Univers sait que l’équivoque marquis de Villette est le président perpétuel du formidable district des citoyens rétroactifs, partant zélé partisan de la Constitution où tout est sens devant derrière. »
Andrea de Nerciat, Les Aphrodites, 1793, 1ère partie, « À bon chat : bon rat ».

« Grâce à notre commissaire
On dit qu’sous peu nous allons voir
Un changement salutaire.
Ami du devant
Ce joyeux vivant
Harcèle et poursuit
Le jour et la nuit
Les amis du derrière. »
Albert Glatigny, La Sultane Rozréa, 1871, « Lamentation des filles ».

« La Plume : - Doit-on consentir à croiser le fer avec un individu convaincu d'homosexualité ? [...]
Jacques Fersen : - Oui, on doit se battre. D'abord, il suffit de déplaire aux concierges pour être accusé d'horreurs. Et le concierge, c'est la réputation.
Ensuite, un homo – je ne sais plus quoi – peut être aussi chic, aussi honorable, aussi respecté que Pierre ou Paul.
Pourquoi mêler l'honneur au derrière ? »
La Plume, n° 387, 15 mai 1912, page 230. 

Citons encore les très curieuses Considérations objectives sur la pédérastie de Gabriel Pomerand, publiées en 1949 :

« Mesdames ! Les petits garçons vous obligent à être belles lorsque vous n’êtes que potables. Et vous craignez par trop la concurrence des petits derrières qui prennent le devant de vos devants. »

DISCIPLE DE CORYDON

« Si le milieu homosexuel a changé, c’est en mieux. La plupart des stupides spectacles plus ou moins travestis ou démesurément pimentés ont disparu. On peut circuler à Saint-Germain-des-Prés, le samedi soir, sans être choqué, alors qu’il y a quinze ou vingt ans, à Pigalle, que d’homosexuels s’affichaient, que de petits jeunes gens ostensiblement maquillés déambulaient ! Les différents cercles ou endroits fréquentés par les disciples de Corydon sont en général bien préférables, au point de vue tenue, à ceux qui existaient avant guerre. »
« Qu’on se le dise ! », FUTUR (Organe de combat et d’information pour l’égalité et la liberté sexuelles et pour le respect absolu de la personne humaine), juillet 1954.

DISSIDENT, DISSIDENCE

"dissident de l'amour de la femme"
Marcel Proust, Jean Santeuil.

"D'une dissidence sexuelle au socialisme."
Daniel Guérin, Autobiographie de jeunesse.


DROIT, adj.

Équivalent peu usité de l'anglais straight, c’est-à-dire non-gay.

" Depuis des mois l'efféminé Chargnieu épie la tristesse de Caradec. Il devine sa langueur et ses fringales. Il rôde, calin, autour de l'isolé. Mais celui-ci semble se méfier. Son instinct droit repousse les gestes caresseurs. "
Georges Lecomte, Les Cartons verts, Mardi gras, Paris : Charpentier, 1901.

Expression « il est resté droit » (années 1970).

DROITS DU CUL

Expression employée, en français dans le texte, par Friedrich Engels (1820-1895) dans cette lettre de 1869 à Karl Marx, au sujet du mouvement homosexuel allemand qui faisait alors son apparition :

« C'est un bien curieux Urning [le petit livre Argonauticus d'Ulrich] que tu m'as envoyé. Ce sont là des révélations tout à fait contre nature. Les pédérastes se mettent à se compter et ils trouvent qu'ils constituent une puissance [Macht] dans l'État. Il ne manque plus que l'organisation, mais il apparaît d'après ceci qu'elle existe déjà en secret. Et comme ils comptent déjà des hommes importants dans tous les vieux, et même les nouveaux partis, de Rösing à Schweitzer, la victoire ne peut leur échapper. " Guerre aux cons, paix aux trous-de-cul " [en français dans le texte], dira-t-on dorénavant (1). C'est encore une chance que nous soyons personnellement trop vieux pour avoir à craindre de payer un tribut de notre corps à la victoire de ce parti. Mais la jeune génération ! Soit dit en passant, il n'y a qu'en Allemagne qu'un type pareil peut se manifester, transformer la cochonnerie en théorie, et inviter : introite [entrez, en latin] etc. Malheureusement il n'a pas encore le courage d'avouer ouvertement qu'il est comme ça, et doit toujours opérer coram publico [devant le public] en tant que "du devant", sinon "de l'intérieur du devant", comme il l'a dit une fois dans un lapsus. Mais attends seulement que le nouveau Code pénal de l'Allemagne du Nord reconnaisse les droits du cul [en français dans le texte], et il en sera tout autrement. Nous autres pauvres gens du devant, au goût infantile pour les femmes, nous trouverons alors dans une assez mauvaise situation. Si le Schweitzer devait avoir besoin de quelque chose, ce serait de se faire révéler, par cet étrange honnête homme, les données particulières sur les pédérastes hauts placés ; en tant que confrère cela ne devrait pas lui être difficile. »
Lettre à Karl Marx, Manchester [Angleterre], 22 juin 1869, in Marx Engels Werke, Berlin, 1965, tome 32, pages 324-325 [traduction Éditions sociales revue par Cl. C. ; la même année 1869 apparaissait le mot allemand Homosexualität].
1. Allusion à la formule de Nicolas de Chamfort : « Guerre aux châteaux ! Paix aux chaumières ! »