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mercredi 15 février 2023

L'AMOUR GREC DANS LES TEXTES LATINS DE MARTIAL, DE JUVÉNAL ET D'AUSONE ; suivi de NOTE SUR LES " MARIAGES " MASCULINS




MARTIAL (vers 40/102), écrivain satiriste latin,

Sources : Épigrammes, Bibliotheca Teubneriana (BT), Collection Budé (Belles Lettres), Loeb Classical Library (LCL) :
Et aussi : Thierry Martin, MARTIAL Épigrammes érotiques et pédérastiques, QuestionDeGenre /GKC, 2000.

Sur les spectacles : VI : César servi par Vénus.

Épigrammes, I, xxiv : celui qui était une mariée la veille ;
xli, 13 : un vieux cinède railleur ;
xcvi, 10-13 : un efféminé [molllis] qui regarde les mentules des hommes bien montés [drauci].
II, xxviii : qu'es-tu, Sextilius ? tu n'encules pas les garçons [nec pedico ; six catégories d'impureté, d'après Ramirez, 1607 : cinaedum esse, paediconem, fututorem, irrumatorem, fellatorem, cunnilingum] ;
xliii, 13 : ma main me sert de ganymède [et non de femme ; cf Arnaud de Vernioles, Affaire dePamiers ; cité par Forberg] ;
xlvii, 3 : le mari n'est pas un enculeur [pedico ; commenté par John Boswell] ;
li : ton pauvre ventre assiste au banquet de ton cul [Infelix venter spectat convivia culi] ; le ventre a faim, le cul dévore [cf XI, lxxvii ; cité par Forberg] ;
lxii, 1-4 :  Cui praestas, culum quod, Labiene, pilas ? pour qui t'épiles-tu le cul ? [cf Montaigne, I, xlix, 297 pour le premier vers ];
lxxxiv : Poeantius était efféminé [mollis] et facile ;
lxxxvi, 2 : je ne lis pas à l'envers le cinède Sotade [cité par Jean-Luc Hennig] ;
lxxxix, 6 : tu suces [fellas], c'est le vice de qui ?
III, lxxi, 1-2 : le garçon a mal à la bite, et toi? Nevolus, au cul ; je ne suis pas devin, mais ... ;
lxxiii, 4-5 : je voulais te croire efféminé [mollis] mais la rumeur nie que tu soies cinède ;
xcv, 13 : tu te fais enculer [pedicaris], Nevolus.
IV, xlii : le garçon [puer] que je demanderais ;
xliii : je ne t'ai pas appelé cinède, mais cunnilingue [cunnilingum] ;
lv : chanter les palestres de la libidineuse Lacédémone [cité par Montesquieu].
V, lv : le dieu brûle d'amour pour un garçon [puer ; Ganymède].
VI, xxxiii : maintenant le pédicateur Sabellus fout [en con] ;
xxxvii, 5 : il n'a pas de cul, c'est quand même un cinède [cité par Forberg] ;
xxxix; 12 : un visage pâle et un front de cinède ;
l, 3 : courtise les cinèdes ;
lvi, 1 : ; Quod tibi crura rigent saetis et pectora villis , l'entrejambe hérissé de poils et la poitrine velue [cf Montaigne, II, xvii, 641] ; 6 : fais en sorte, Charidemus, que l'on croit que tu te fais enculer.
VII, x, 1-2 : Éros se fait enculer [l'abbé de Marolles traduisait : " Éros trouve bon qu'on lui fasse d'étranges choses "], Linus suce ; Olus, que t'importe ce que l'un ou l'autre fait de sa peau [Pedicatur Eros, fellat Linus: Ole, quid ad te de cute quid faciant ille uel ille sua ?cf Montaigne, III, ix, 990] ;
lviii, 1 : Galla a déjà épousé six ou sept cinèdes ; 9 : la troupe des gens austères a aussi ses cinèdes [cf Montaigne, III, v, 845] ;
lxii,1 : Amillus perce des grands mecs en laissant les portes ouvertes ; 6 : Illud saepe facit quod sine teste facit, on fait souvent ce qu'on fait sans témoin [cf Montaigne, III, v, 867].
IX, viii, 5 : des corps immatures subissaient des outrages abominables [Domitien remit en usage la loi Scantinia] ; 9-10 : avant tu aimais des garçons et des hommes, jeunes ou vieux ; maintenant, César, ce sont des enfants qui t'aiment ; xvi : beauté d'Éarinos, échanson de Domitien ;
xxvii, 10-14 : Chrestus, libéré de son pédagogue, rencontre un homme bien monté [draucus] et l'emmène pour le sucer ;
xlvii : le dogme de quelle secte est-ce donc de se faire percer ? [cité par Forberg] ;
lxiii, 1 : Phebus, tous les cinèdes t'invitent à dîner.
X, xl : on me disait que ma Polla voyait un cinède ; mais ce n'en est pas un.
XI, xx, 5-6 : Fulviam ego ut futuam? Quid, si me Manius oret
Paedicem, faciam? Non puto, si sapiam. faudra-t-il que j'encule Manius ? [cf Montaigne, II, xii, 474 (499)] ;
xxii, 2 : tu couches avec un ganymède nu ; 6-8 : tes doigts accélèrent la venue de la virilité et de la barbe [Levibus in pueris plus haec quam mentula peccat et faciunt digiti praecipitantque virum : inde tragus celeresque pili mirandaque matri barba cf Montaigne, III, xiii, 1087] ; 9-10 : la nature a divisé le mâle : un côté pour les filles, un pour les hommes [cité par Forberg] ;
xliii, 1-2 : mon épouse qui m'a surpris dans un puer  me dit qu'elle aussi a un cul [réplique : de 3 à 12] ; 3-6 : c'est ce que Junon disait à Jupiter, et il n'en dormait pas moins avec Ganymède déjà grand [cité par Pierre Bayle] ; Hercule posa son arc et inclina Hylas, bien que Mégara [femme d'Hercule] eût des fesses ; 7-8 [Apollon avec Hyacinthe] ; 9-10 : Achille préférait un ami à la peau douce [levis amicus ; Homère, Iliade ; cité par A.-J. Beau] plutôt que Briséis ; 11-12 : évite donc de donner des noms masculins à tes trucs et dis-toi bien, ma femme, que tu as deux cons [épigramme imitée par Saint-Pavin] ;
xlv, 8 : celui qui pédique, ou qui fout [des femmes] n’est pas si timide ;
xlvi : " Sive puer arrisit, sive puella tibi. "cité par Richard Burton
lviii, 11 : At tibi nil faciam, sed lota mentula lana. je ne te ferai rien; mais ma mentule t'ordonnera de la lécher. [cf Montaigne, I, xlix, 298]
lxxvii : Vacerra s'enferme dans tous les cabinets, non pour chier, mais pour se faire inviter à dîner ; lxxviii : un mari à qui le con est étranger ;
lxxxvii : tu étais pedico et ne connaissait aucune femme ;
lxxxviii : Charisianus ne pouvait pédiquer car il avait le ventre relâché ;
civ, 20 : Junon fut un ganymède pour Jupiter.
XII, xvi, 2 : Labienus a acheté trois cinèdes ;
xlii : le barbu Callistrate épouse [nupsit] Afer comme une vierge épouserait un mari ; Rome, n'en as-tu pas assez ? Attends-tu aussi un accouchement ? [cité par John Boswell].
xcvii, 6-9 : le mari Bassus épuisé après s'être escrimé sur de jeunes blondins [cf Montaigne, III, v, 855]

" Bientôt la rentrée 2 : la réédition du best-seller de Thierry Fouet 
Sa traduction des Épigrammes de Martial " (Patrick Cardon, 27/8/16)

Voir le très fouillé article de Michel Magnien, " Légèreté, plaisir et désinvolture : Montaigne à l'école de Martial ? ", Montaigne Studies, XVII (2005) * Number 1-2, pages 97-118. Je remercie cet auteur de m'avoir signalé son article, ce qui m'a permis de corriger et compléter cette page en plusieurs endroits.


JUVÉNAL (vers 55/vers 140), auteur satirique latin,

Sources : Satires, collection Classiques de Poche (Belles Lettres), traduction Olivier Sers ; traduction française Paul Ducos/Perrin, 1887 ; Collection Budé des Universités de France Belles Lettres) ; Loeb Classical Library ; Perseus

Satires,

I, 46-47 : spoliateur forçant son pupille à se prostituer.
II Les hypocrites :
10 : l'égout le plus remarqué parmi les cinèdes socratiques [Castigas turpia, quum sis Inter Socraticos notissima fossa cinædos. ; Sers traduit tantouzerie socratiquecité par Forberg] ;
12-13 : rire du médecin quand il coupe les hémorroïdes [cité par Victor Trinquier, médecin-légiste] ;
20-21 : ceux qui parlent de vertu en remuant les fesses [de virtute locuti Clunem agitant. ; cité par Montesquieu] ;
43-47 : Laronia : réveiller les lois, évoquer avant tout la loi Scantinia ; les hommes en font plus que nous ; leur nombre les protège ; grande concorde entre les efféminés [molles ; cité par Jean de Salisbury] ;
50 : Hipso se soumet aux jeunes et pâlit de l'un et de l'autre excès [cité par R. James] ;
99 : le miroir du passif [pathicus] Othon ;
129 : un mec [vir] se donne à un autre mec ;
134-136 : un ami se marie [nubit] avec son fiancé dans l’intimité. Qu’il nous soit donné de vivre un peu, ces choses se feront au grand jour, publiées à l’état-civil [Liceat modo vivere, fient, Fient ista palam, cupient et in acta referri.];
164-168 : l’Arménien Zalacès, le plus ramolli [mollior] des éphèbes ; mœurs arméniennes.

IV, 106 : Rubrius, plus effronté qu'un cinède se mettant à écrire des satires [Sers traduit : " Plus insolent qu'une tantouze écrivant des satires "].
VI, 34-37 : pourquoi ne pas faire dormir un pusio [dérivé de puer] avec toi ? Avec un garçon, point de querelles nocturnes [Nonne putas melius, quod tecum pusio dormit ? Pusio, qui noctu non litigat, exigit a te Nulla jacens illic munuscula, nec queritur quod Et lateri parcas, nec, quantum jussit, anheles. ; cité par d'Hancarville] ; 345,2-3 ignobles personnages aux allures de cinèdes [invenies omnis turpes similesque cinaedis]., 345,23 : il prend une voix efféminée [suspectus tibi sit quanto vox mollior] ;
345,24 : il promène ses mains dans des fesses.

VII, 69 : si Virgile n'avait pas eu son petit esclave [nam si Vergilio puer et tolerabile desset hospitium]; 133 ; faire emplettes de garçons [pueros] ; 239-240 : jeux deshonnêtes [turpia] ; libertés réciproques.
VIII, 114-115 : nations [Corinthiens, Rhodiens] où les jeunes s’épilent à la résine et où les hommes ont les jambes lisses.
IX Les débauchés :
26 : À Névolus] : sans compter les hommes mariés que tu  fait s'incliner ;
32-34 : [Névolus] : il y a un destin même pour les organes qu'on cache ; si on n'a pas le Ciel avec soi, une longue mesure ne sert à rien [cité par Montaigne, III, v, 853]
35-37 : proposition de Virron qui te voit nu ; le cinède , comme le fer, appelle le mâle [αὐτὸς γὰρ ἐφέλκεται ἄνδρα κίναιδος. ; cf Homère, Odyssée, XVI, 294 (le fer attire l'homme) et XIX, 13 (le fer attire l'homme, γὰρ ἐφέλκεται ἄνδρα σίδηρος) ] ; 
38 : avarice phénoménale d’un efféminé [mollis] ;
42-43 : à la rencontre du repas de la veille [cf les expressions françaises pêcher la fiente à la ligne et courir la lance contre la lie de pain ;
130-134 : jamais un ami ne te manquera pour être ton patient [pathicus] ; ils y viendront toujours, de toutes parts, comme à leur rendez-vous, en voiture, en bateau, tous ceux qui se grattent la tête d'un doigt [un des signes distinctifs . cité par Richard Burton, Terminal Essay].


X, 53 : narguer avec le doigt du milieu [cité par Pierre-Marie Quitard] ; 196-197 : aspects différents des jeunes gens ; un tel est plus beau que tel autre ; 224 : les élèves que le maître Hamillus fait se baisser [cité par Henri I. Marrou] ; 295-298 : des parents qui ont un fils bien fait sont toujours malheureux et inquiets ; il est si rare que beauté et pudeur aillent ensemble ; 304-305 : perversité prodigue du corrupteur qui tente les parents eux-mêmes.
XIII, 41-43 : riches servis à table par des jeunes aussi beaux que Ganymède.
 

AUSONE (vers 310/vers 385), grammairien latin, rhéteur et poète,

Épigrammes, LCL ; traductions françaises 1843 et 1934-1935 :

50 : Rufus le rhéteur à un mariage : " puissiez-vous avoir des fils appartenant aux genres masculin, féminin et neutre. "
69 : moi-même j'étais garçon tout à l'heure, et me voilà fille [Ecce ego sum factus femina de puero ;cité par Richard Burton].
70 : à Pythagore sur le pédéraste [pullipremo] Marcus [cité par Virey]. que sera Marcus, qui vient d'exhaler son dernier soupir, s'il reprend encore le souffle et la vie ? — Quel était ce Marcus ? — Un matou friand de garçons, et qui corrompit toute la jeune espèce mâle. Fossoyeur d'une Vénus à l'envers, il bêchait par derrière : c'était l'embrocheur grippe-fesse[lxxii] du poète Lucilius. — Il ne sera ni taureau, ni mulet, ni chameau, ni bouc, ni bélier : il sera fouille-merde.
92 : mâle à demi [semivir] qui craint [la loi] Scantinia [cité par P. Guénois].
93 : vice bi-masculin [bimarem nisus ; cf Cicéron] ; femme par le dos, homme sur le devant [d'après Perse ; cité par Forberg].
119 : trois dans un lit, deux agents et deux patients [cf Straton ; cité par d'Hancarville et par Richard Burton] ;
131 : Contre un homme qui se polissait l’engin.
De ton anus échaudé tu arraches les herbes, et tu uses avec la ponce les aspérités de tes Clazomènes[cxxix]. Pourquoi ? je l'ignore ; à moins que ton tempérament n'aspire à une double épreuve, et que tu ne sois femelle par derrière et mâle par devant.

NOTE SUR LES "MARIAGES" MASCULINS

Des mariages masculins sont évoqués par dérision dans la littérature latine. Voir Cicéron, Philippiques ; Suétone, Néron ; Tacite, Annales, XV ; Dion Cassius, XLII, LXIII, LXXIX ; Martial et Juvénal ; Orose, VII ; Xiphilin.
« Tibère invente les sellarii et les spintriæ [cf Tacite] ; Néron épouse publiquement l'affranchi Pythagore [cf Tacite], et Héliogabale célèbre ses noces avec Hiéroclès [cf Dion]. » François-René de Chateaubriand (1768-1848), Génie du christianisme [1802], IV, vi, 13.

La loi romaine de 342 interdisait les " noces d'hommes " ; mais s'agissait-il auparavant de mariages en bonne forme juridique, ou de parodies ?
À la fin du Moyen-Âge : affrairamentum entre paysans dans le Midi ; usage ancien auquel le XVe siècle donne une nouvelle jeunesse. En 1446, Jean Rey, que sa femme a quitté, a un grand ami, Colrat ; " Il l'aime, il en est aimé. Échec conjugal, amitié masculine passionnée (non dépourvue d'ambigüité, dans ce cas et dans quelques autres) " note l'historien de Montaillou ; cf Emmanuel Le Roy Ladurie, Les Paysans du Languedoc, 1ère partie, chapitre 1, pages 39-40 de l'édition en collection Champs
(Flammarion).
Lopez de Gomara, Histoire générale des Indes Occidentales, II,xi ou III,xviii ; cf Montaigne, Essais, I,xxiii, 112 (bordels publics de mâles, voire et des mariages) et
ensuite les Dialogues de La Mothe Le Vayer (cité dans les appendices du DFHM).
Plusieurs Portugais et Espagnols à Rome, à l'église, en été 1578 ; Antonio Tiepolo, il 2 agosto 1578 : " Sono stati presi undeci fera Portughesi e Spagnuoli, i quali adunatisi in une chiesa, ch'e vicina san Giovanni Laterano, facevano alcune lor cerimonie, e con horrenda sceleraggine bruttando il sacrosante nome di matrimonio, se maritavano l'un con l'altro, congiongendosi insieme, come morito con moglio. Vintisette si trovano, et piu, insieme il piu delle volte, ma questa volta non ne hanno potuto coglier piu che questi undeci, i quali anderamo al fuoco, e come meritano ." Cf F. Mutinelli, Storia arcana e aneddotica d'Italia, Vol. I, " Roma e Milano ", Parte seconda, vii, Venise : P. Naratovich, 1856 ; Montaigne, Journal de voyage en Italie.
Thiers, Traité des superstitions qui regardent les sacrements : un riche Portugais et son domestique, avant 1704, avec dispense du Pape [??]. Fuite après qu'ils aient été découverts.
« Tibère invente les sellarii et les spintriæ [cf Tacite] ; Néron épouse publiquement l'affranchi Pythagore [cf Tacite], et Héliogabale célèbre ses noces avec Hiéroclès [cf Dion]. » François-René de Chateaubriand (1768-1848), Génie du christianisme [1802], IV, vi, 13.
« Le premier qui ait introduit le mot " Urning " dans la langue fut [Karl Heinrich] Ulrichs, qui, en 1864, se posa, sous le pseudonyme de Numa Numantius, en défenseur du bon droit des hommes qui se sentent plus fortement attirés vers l'homme que vers la femme. Dans son zèle à défendre cette cause, qui était un peu la sienne (car lui-même avait une nature uraniste) il alla jusqu'à désirer le sanctionnement légal et ecclésiastique du mariage et du commerce sexuel entre hommes ! » Dr A. Alétrino, " La Situation sociale de l'Uraniste ", AAC, 1901.
Vers le 20 avril 1866 : le Journal des frères Edmond et Jules de Goncourt rapporte « Un joli mot entendu : " On se marie beaucoup, cette année ... surtout les hommes ! " »
Heinrich Marx, Urnings Liebe, 1875 : demande l'institution du mariage légal de l'uraniste avec l'homme de son choix ; affirme que ce genre de mariage existe déjà en Albanie.
Années 1980, France : le pasteur baptiste Joseph Doucé (assassiné en juillet 1990) avait célébré plusieurs "bénédictions d'amitié" ; M. Dorwling-Caster, magistrat, a parlé de "mariages", ce qui dépassait la pensée et l'action du défunt pasteur.
Dernier ouvrage de John Boswell (1947-1994) : Same-Sex Unions in Premodern Europe, 1994 (Les Unions du même sexe dans l'Europe antique et médiévale, Paris : Fayard, 1996).


Voir aussi : Platon, Xénophon et Aristote
Plutarque et Athénée
AUTEURS LICENCIEUX GRECS ET LATINS

mercredi 21 avril 2021

L'AMOUR GREC DANS LE LIVRE III DES ESSAIS DE MONTAIGNE

Deux passages relèvent de l'ethnographie, les 24 autres concernent tous l'Antiquité gréco-latine. Le chapitre V a fait l'objet d'une édition séparée, commentée et annotée par Jean Terrel aux Classiques Garnier en 2019.



1* iii " De Trois Commerces ", 827 (868) : (Beauté masculine) quoi qu'elle désire des traits un peu autres, n'est en son point que confuse avec la leur [celle des femmes] puérile et imberbe. On dit que chez le grand Seigneur ceux qui le servent sous titre de beauté, qui sont en nombre infini, ont leur congé, au plus loin, à vingt-deux ans. [Cf Guillaume Postel, Histoire des Turcs, II].

2* v " Sur des Vers de Virgile ", 841 (883) : " Me vais amusant en la recordation des jeunesses passées,
animus quod perdidit optat,
Atque in praeterita se totus imagine versat. "
 [esprit obsédé du regret de l'illusion perdue ; voir le contexte de cette citation de Pétrone, Satiricon, 128 : J'allai au lit sans Giton [...] Je redoutais de perdre le souffle au contact de mon frater]

3* v, 845 (886) : Ayant pour suspecte toute mine rébarbative
[...]
Et habet tristis quoque turba cynaedos (Cf Martial, Épigrammes, VII, lviii, 9)

4* v, 846 (888) : " Rude choix, comme on fit Origène: ou qu'il idolâtrât, ou qu'il se souffrit jouir charnellement à un grand vilain Éthiopien qu'on lui présenta " [d'après Nicéphore Calliste, Histoire ecclésiastique, livre V, 32, traduction de 1578]

5* v, 853 (895) : la beauté, l'opportunité, la destinée ; citation de Juvénal, IX, 32-34 : fatum est in partibus illis
Quas sinus abscondit: nam, si tibi sidera cessent,
Nil faciet longi mensura incognita nervi,
[À Névolus qui vend ses charmes à l'un et l'autre sexe : " il y a un destin même pour les organes qu'on cache ; si on n'a pas le Ciel avec soi, une longue mesure ne sert à rien "]

6* v, 855 (898) : Vigueur du mari répandue ailleurs [avec de jeunes blondins : cf Martial XII, xcvii, 6-9].

7* v, 856 (898) : " Polémon [d'Athènes] allait semant en champ stérile le fruit dû au champ génital "
Note sur l'exemplaire de Bordeaux (postérieure à 1588)

 [DL, IV, §§ 17 et 21Pour Polémon ; sur l'expression " semer en champ stérile " voir mon Dictionnaire..., sv].

8* v, 857-858 (900) : De quoi traitait Théophraste en ceux [les livres] qu'il intitula, l'un l'Amoureux, l'autre de l'Amour ? [DL, V, § 43 ; DL rapporte au § 39 (selon Aristippe, Sur la sensibilité des Anciens, IV) que Théophraste fut amoureux du fils d'Aristote NicomaqueDe quoi Aristippe au sien des anciennes délices ? [DL, II, § 84] Que veulent prétendre les descriptions si étendues et vives en Platon, des amours plus hardies du temps de Platon  [...] Clinias ou l'amoureux forcé de Héraclide Ponticus [DL, V, § 87 : " L'Érotique et (et ?) Clinias] [...] On tenait aux églises des garces, et des
garçons à jouir [EB88 pour et des garçons].

9* v, 860 (903) : Attirer les hommes à elles et les retirer des mâles à quoi cette nation est du tout abandonnée [Gasparo Balbi, Viaggio..., 1590]
 
10* v, 864 (906-907) : Braves hommes furent cocus, et le surent sans en exciter tumulte. Il n'y eut, en ce temps là, qu'un sot de Lepidus qui en mourut d'angoisse.
Ah'tum te miserum malique fati,
Quem attractis pedibus, patente porta,
Percurrent mugilésque raphanique. [CatullePoésies, XV, 17-19 : chaste adolescent que rien n'a défloré ; préserve la pudeur de mon puer (Juventius), toi et ton pénis fatal aux bons et mauvais garçons ; qu'on te punisse comme on fait des adultères]

11* v, 868-869 (911) : Phédon le philosophe prostitua sa beauté [DL, II, § 105]

12* v, 877 (920) : Appétit de génération par l’entremise de la beauté (Platon, Banquet, 206d-e)

13* v, 878 (921-922) : Ils disent que Zénon [de Cittum] n'eut affaire à femme qu'une fois en sa vie: et que ce fut par civilité, pour ne sembler dédaigner trop obstinément le sexe (DL, VII, § 13

14* v, 881 (925) : Culilingis [déformation facétieuse de Martial, VII, xcv, 14cunnilinguis] [...] grâce des baisers, lesquels Socrate dit être si puissants et dangereux à voler nos cœurs [Xénophon, Mémorables, I, iii, 8-15]

15* v, 884 (928) : Platon montre qu'en toute espèce d'amour, la facilité et promptitude est interdite aux tenants. Ratures successives sur EB88 : " Platon dit qu'en contrées de la Grèce où à quelque condition estimée utile l'amour des garçons était licite et où les poursuites, les flatteries les veillées, les services et les passions étaient vus en public d'un bon œil et favorable si la hâte de complaire et de se rendre était ce néanmoins très réprouvée aux tenants et condamnée; "

16* v, 892 (935-936) : sage Anacréon [...]  Socrate et son objet amoureux [cf Xénophon, Banquet, IV, 27-28]

17* v, 894 (938) : ce philosophe ancien [Bion de Borysthène] et son tendron [DL, IV, § 47]

18* v, 895-896 (938-939) : Xénophon emploie pour objection et accusation, à l'encontre de Ménon, qu'en son amour il embesogna des objets passant fleur [XénophonAnabase, II, vi, 28,] [...] Appétit fantastique de l'empereur Galba [Cf Suétone, Galba, XXII] Emonez, jeune gars de Chio, pensant par des beaux atours acquérir la beauté que nature lui ôtait, se présenta au philosophe Arcésilas, et lui demanda si un sage se pourrait voir amoureux: Oui da, répondit l'autre, pourvu que ce ne soit pas d'une beauté parée et sophistiquée comme la tienne [DL, IV, § 34] [...]

(Ambiguïté sexuelle de l’adolescent) [HoraceOdes, II, v, 21-24] :
Exemplaire de Bordeaux, folio 400 verso


Exemplaire de Bordeaux, folio 400 verso ;
même faute dans l'édition de 1595, page 76.
Le sophiste Bion [de Borysthène ; pertinente correction de Dion, signalée dès l'édition Tardieu-Denesle des Essais (Paris, 1828, tome cinquième), selon la source Plutarque : " σοφιστὴς Βίων "] appelait les poils follets de l’adolescence Aristogitons et Harmodiens [PlutarqueDialogue sur l'amour, 770bc] [...] Que ne prend-il envie à quelqu'une de cette noble harde Socratique du corps à l'esprit, achetant au pris de ses cuisses une intelligence et génération philosophique et spirituelle, le plus haut pris où elle les puisse monter ? Platon ordonne en ses lois [République, V, 468b-c] que celui qui aura fait quelque signalé et utile exploit en la guerre ne puisse être refusé durant l'expédition d'icelle, sans respect de sa laideur ou de son âge, du baiser ou autre faveur amoureuse de qui il la veuille.

19* vii " De l'incommodité de la grandeur ", 919-920 (965) : la paillardise s'en est vue en crédit, et toute dissolution ; comme aussi la déloyauté, les blasphèmes, la cruauté ; comme l'hérésie; comme la superstition, l'irreligion, la mollesse; et pis, si pis il y a.

20* ix " De la Vanité ", 989 (1035) : En toutes les chambrées de la philosophie ancienne ceci se trouvera, qu'un même ouvrier y publie des règles de tempérance et publie ensemble des écrits d'amour et débauche. Et Xénophon, au giron de Clinias, écrivit contre la volupté Aristippique [DL, II, § 49]

21* ix, 990 (1036) : Antisthène permet au sage d'aimer, et faire à sa mode [DL, VI, § 11 : ἐρασθήσεσθαι]. [...] Il n’est si homme de bien [...] qu'il serait très grand dommage et très injuste de punir et de perdre.
Olle, quid ad te
De cute quid faciat ille, vel illa sua ?
[Martial, VII, x, 2 : " qu'importe l'usage que chacun fait de sa peau " ; allusion probable à Anthony Bacon et/ou à Marc-Antoine Muret]

22* x " De Ménager sa Volonté ", 1015 (1061) : Zénon [de Citium] amoureux de Chrémonides [DL, VII, § 17]

23* xii " De la Physionomie ", 1057 (1104) : Socrate, " si amoureux et si affolé de la beauté. Nature lui fit injustice. ".

24* xii, 1058 (1105) : Socrate appelait la beauté une courte tyrannie [DL, V, § 19] [...] Aristote dit aux beaux [DL, V, § 20appartenir le droit de commander, et quand il en est de qui la beauté approche celle des images des Dieux, que la vénération leur est pareillement due. À celui qui lui demandait pourquoi plus longtemps et plus souvent on hantait les beaux : Cette demande, dit-il, n'appartient à être faite que par un aveugle [DL, V, § 20. La plupart et les plus grands philosophes payèrent leur instruction [escholage] et acquirent la sagesse par l'entremise et faveur de leur beauté.

25* xiii " De l'Expérience ", 1087 (1134-1135) : Ce fut long temps avant l'âge de choix et de connaissance. Il ne me souvient point de moi de si loin. Inde tragus... [cf Martial, XI, xxii, 7-8]. William J Beck : « De toutes les citations de Martial, celle-ci semble la plus personnelle pour Montaigne. » (Article cité, page 47). Michel Magnien note que Montaigne associe l'évocation de sa sexualité à des épigrammes qui mettent en scène des homosexuels ; cf " Montaigne à l'école de Martial ? ", Montaigne Studies, XVII, 1-2, (Montaigne et les Anciens), 2005, page 109.]

26* xiii, 1113 (1164) : Socrate, notre précepteur, prise, comme il doit, la volupté corporelle : mais il préfère celle de l'esprit [...] Pour lui la tempérance est modératrice, non adversaire des voluptés. Nature est un doux guide.

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 « Un jour qu’on lui demandait si la pédérastie n’était pas un crime : " À Dieu ne plaise", répondit-elle, " que je condamne ce que Socrate a pratiqué. " À son sens, la pédérastie est louable ; mais cela est assez gaillard pour une pucelle. »
Tallemant des Réaux, Historiettes, « Mademoiselle de Gournay ». [Marie Le Jars, dite de Gournay, 1565-1645, était une grande amie de Michel de Montaigne, et s’en disait la " fille d’alliance "].

Edward Carpenter :
« Parmi les prosateurs de cette période [la Renaissance], il ne fut pas oublier Montaigne, qui traite le sujet d'une façon enthousiaste et non équivoque  (Voir Montaigne, par [William Carew] Hazlitt, ch. XXVII.) »
" L'Amour homogénique et sa place dans une société libre ", La Société nouvelle - Revue internationale - Sociologie, Arts, Sciences, Lettres, septembre, octobre 1896, tome 2, pages 297-308 et 433-447).

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Voir le chapitre 4 " Montaigne's Itchy Ears " dans Gary FergusonQueer (Re)Readings in the French Renaissance: Homosexuality, Gender, Culture, Farnham (UK) : Ashgate, 2008, Routledge 2016, pages 191-243 (extraits sur Google)


Dans le Journal d'Italie :
Vitry-le-François : « Depuis peu de jours il avait été pendu à un lieu nommé Montirandet, voisin de là, pour telle occasion : Sept ou huit filles d’autour de Chaumont en Bassigni complotèrent, il y a quelques années, de se vêtir en mâles, et continuer ainsi leur vie par le monde. Entre les autres, l’une vint en ce lieu de Vitry sous le nom de Mary, gagnant sa vie à être tisserand ; jeune homme bien conditionné et qui se rendait à un chacun ami. Il fiança audit Vitry une femme, qui est encore vivante ; mais pour quelque désaccord qui survint entre eux, leur marché ne passa plus outre. Depuis étant allé audit Montirandet gagnant toujours sa vie audit métier, il devint amoureux d’une femme laquelle il avait épousée, et vécut quatre ou cinq mois avec elle avec son contentement, à ce qu’on dit ; mais ayant été reconnu par quelque un dudit Chaumont, et la chose mise en avant à la justice, elle avait été condamnée à être pendue : ce quelle disait aimer mieux souffrir que de se remettre en état de fille, et fut pendue pour des inventions illicites à suppléer au défaut de son sexe. »

« […] Je rencontrai au retour de Saint Pierre un homme qui m’avisa plaisamment de deux choses […] que ce même jour la station était à Saint Jean Porta Latina, en laquelle église certains Portugais, quelques années y a [en 1578], étaient entrés en une étrange confrérie. Ils s’épousaient mâle à mâle à la messe, avec mêmes cérémonies que nous faisons nos mariages, faisant leurs pâques ensemble, lisaient ce même évangile des noces, et puis couchaient et habitaient ensemble. Les esprits romains disaient que, parce qu’en l’autre conjonction, de mâle et femelle, cette seule circonstance la rend légitime, que ce soit en mariage, il avait semblé à ces fines gens que cette autre action deviendrait parfaitement juste, qui l’aurait autorisée de cérémonies et mystères de l’Église. Il fut brûlé huit ou neuf Portugais de cette belle secte. »
18 mars 1581.

On pourra comparer le récit de Montaigne avec celui dû à Antonio Tiepolo, le 2 août 1578 :
" Sono stati presi undeci fera Portughesi e Spagnuoli, i quali adunatisi in une chiesa, ch'e vicina san Giovanni Laterano, facevano alcune lor cerimonie, e con horrenda sceleraggine bruttando il sacrosante nome di matrimonio, se maritavano l'un con l'altro, congiongendosi insieme, come morito con moglio. Vintisette si trovano, et piu, insieme il piu delle volte, ma questa volta non ne hanno potuto coglier piu che questi undeci, i quali anderamo al fuoco, e come meritano. " Cf F. Mutinelli, Storia arcana e aneddotica d'Italia, Venise : P. Naratovich, 1856.

Sur ce genre de mariages, on pourra se reporter à : Gary FergusonSame-Sex Marriage in Renaissance Rome: Sexuality, Identity, and Community in Early Modern Europe, Ithaca (NY) : Cornell University Press, 2016.