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dimanche 13 août 2023

NOTES SUR LE MARXISME (2/2)

SUITE DE :



VII - LE MARXISME, QUALIFIÉ OU MÉTAPHORISÉ
VIII – QUELQUES FORMULES DE KARL MARX (1818-1883) ET FRIEDRICH ENGELS (1820-1895)
IX - LES COMMUNISTES
X - CRITIQUE POST-NIETZCHÉENNE
XI - NI MARX NI JÉSUS
XII - LA RUSSIE ET SES SAVANTS :


VII - LE MARXISME, QUALIFIÉ OU MÉTAPHORISÉ:


Illogisme qui est érigé en méthode suprême (Jean Grenier ; on peut en dire autant de la théologie classique)
Philosophie qualitativement différente de tous les systèmes antérieurs (Andreï Jdanov)
Une doctrine d’accusation dont la dialectique ne triomphe que dans l’univers des procès (Albert Camus)
Un idéalisme volontariste (Georg Lukács)

L’indépassable philosophie de notre temps (Jean-Paul Sartre)
La tentative la plus radicale pour éclairer le processus historique dans sa totalité (Jean-Paul Sartre)

Une pratique (nouvelle) de la philosophie (Louis Althusser)
Un monument d’intelligence et de méthode d’analyse concrète (Louis Althusser, Situation politique : analyse concrète ?)

La plus puissante des idéologies scientistes du XIXe siècle (Jacques Monod)
La forme la plus dangereuse de l’historicisme (Karl Popper)
Un répertoire de slogans servant à organiser des intérêts variés (Leszek Kołakowski, 1978)
Une forme de positivisme et de scientisme (Michel Henry)
La seule synthèse totalisante de type scientiste à rester vivante (Raymond Boudon)
Une forme de mise en application de la mystique politique de Hegel (Manuel de Dieguez)
Un subjectivisme collectif (Dominique Janicaud)
L’origine des plus incroyables déraillements intellectuels en Occident (Nicolas Tenzer, 1997)
Un système philosophique qui récuse, du fait de ses principes matérialistes, la liberté de l’homme en insistant sur sa dépendance matérielle (Jean-François Mattéi, 1999)

Le fruit de tout le développement historique de la science (Maurice Thorez)
Un opium du peuple (Simone Weil, Bernard-Henri Lévy)
Une théologie (Jean Grenier)
La vieillesse du monde (Gabriel Matzneff)
Une migration de l’esprit (Jean-Toussaint Desanti)
Une rude école de cynisme (Philippe Némo, 1991)
Une religion de salut terrestre (Luc Ferry, 1996)
L’école de l’obscurantisme moderne (Michel Habib-Deloncle)


VIII – Quelques formules de Karl Marx (1818-1883) et Friedrich Engels (1820-1895) :
1844 MARX : « La religion est le soupir de la créature accablée, l'âme d'un monde sans cœur, comme elle est l'esprit de conditions sociales d'où l'esprit est exclu. Elle est l'opium du peuple. » Karl Marx, Pour une critique de la philosophie du droit de Hegel, Introduction, 1844.
« L’arme de la critique ne saurait remplacer la critique des armes, il faut que la force matérielle soit renversée par une force matérielle, mais la théorie aussi devient une force matérielle, dès qu’elle saisit les masses. La théorie est capable de saisir les masses dès qu’elle argumente ad hominem, et elle argumente ad hominem dès qu’elle devient radicale. Être radical, c’est saisir les choses à la racine. Or, la racine pour l’homme, c’est l’homme lui-même. [...] l'homme est l'être suprême pour l'homme. » Pour une critique de la philosophie du droit de Hegel, Introduction, 1844.

« La grande action de [Ludwig] Feuerbach est : 1° d’avoir démontré que la philosophie n’est rien d’autre que la religion mise sous forme d’idées et développée par la pensée ; qu’elle n’est qu’une autre forme et un autre mode d’existence de l’aliénation de l’homme ; donc qu’elle est tout aussi condamnable ». Manuscrits de 1844, III, " Sur la dialectique de Hegel ".

« Les droits de l’homme, distincts des droits du citoyen, ne sont que les droits du membre de la société bourgeoise, c’est-à-dire de l’homme égoïste, de l’homme séparé de l’homme et de la communauté.[…] Ne cherchons pas le secret du juif dans sa religion, mais cherchons le secret de la religion dans le juif réel. Quel est le fond profane du judaïsme ? Le besoin pratique, l’utilité personnelle. Quel est le culte profane du juif ? Le trafic. Quel est son dieu profane ? L’argent. Eh bien, en s’émancipant du trafic et de l’argent, par conséquent du judaïsme réel et pratique, l’époque actuelle s’émanciperait elle-même. Une organisation sociale qui supprimerait les conditions nécessaires du trafic, par suite la possibilité du trafic, rendrait le juif impossible. La conscience religieuse du juif s’évanouirait, telle une vapeur insipide, dans l’atmosphère véritable de la société. […] La nationalité chimérique du juif est la nationalité du commerçant, de l’homme d’argent. »
La Question juive, I-II, 1844.

« Le salaire est déterminé par la lutte ouverte entre capitaliste et ouvrier. Nécessité de la victoire pour le capitalisme. Le capitaliste peut vivre plus longtemps sans l’ouvrier que l’ouvrier sans le capitaliste.[…] L’ouvrier n’a le sentiment d’être lui-même qu’en dehors du travail. »
Manuscrits de 1844, I.

1845 MARX « La philosophie et l’étude du monde réel sont dans le même rapport que l’onanisme et l’amour sexuel. »
L’Idéologie allemande, 1845, " Le concile de Leipzig – III Saint Max ".

« Après que la famille terrestre a été découverte comme le mystère de la sainte famille, il faut que la première soit elle-même anéantie en théorie et en pratique. […] Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde. Ce qui importe, c’est de le transformer. »
L’Idéologie allemande, 1845, "Thèses sur Feuerbach", 4 et 11.
Commentaire de Karl Jaspers : " La pensée politique totalitaire a reproché aux philosophes de s'être bornés à interpréter diversement le monde alors qu'il s'agit de le transformer. " (Introduction à la philosophie, I).

1848 MARX ET ENGELS : « I :L’histoire de toute société jusqu’à nos jours est l’histoire de luttes de classes [Die Geschichte aller bisherigen Gesellschaft ist die Geschichte von Klassenkämpfen.] (1). […]
II : Le bourgeois voit en sa femme un simple instrument de production. Il entend dire que les instruments de production seront exploités collectivement, et ne peut naturellement rien penser d’autre que les femmes n’aient également pour lot d’être mises en commun. […]
III, 1 : Rien n’est plus facile que de donner à l’ascétisme chrétien un vernis socialiste. Le christianisme ne s’est-il pas élevé lui aussi contre la propriété privée, contre le mariage, contre l’État ? N’a-t-il pas prêché à leur place la charité et la mendicité, le célibat et la mortification de la chair, la vie monastique et l’Église ? Le socialisme chrétien n’est que de l’eau bénite avec laquelle le prêtre consacre la rancune des aristocrates.[…]
IV : Les communistes […] expliquent ouvertement que leurs objectifs ne peuvent être atteints que par le renversement violent de tout ordre social passé. Que les classes dominantes tremblent devant une révolution communiste. Les prolétaires n’ont rien à y perdre que leurs chaînes. Ils ont un monde à y gagner. »
Manifeste du parti communiste, 1848. [Manifest der Kommunistischen Partei]

1. Cf François Guizot, " Le troisième grand résultat de l’affranchissement des communes, c’est la lutte des classes, lutte qui constitue le fait même, et remplit l’histoire moderne. L’Europe moderne est née de la lutte des diverses classes de la société. " (Histoire générale de la civilisation en Europe, 1828, 7e leçon.).
Et Nietzsche : Fragments posthumes, M III 4b, printemps-été 1883 : 7[191] : " Parmi les facteurs les plus puissants du développement d’un État : non seulement la lutte avec les peuples voisins et le développement de sa capacité de défense, mais aussi la concurrence des membres d’une classe, et la concurrence des classes elles-mêmes. "



« Les communistes peuvent résumer leur théorie en cette seule expression : abolition [Aufhebung] de la propriété privée. [In diesem Sinn können die Kommunisten ihre Theorie in dem einen Ausdruck: Aufhebung des Privat-Eigenthums zusammenfassen.] »
Manifeste du parti communiste, II, 1848. Repris en dernier lieu par Frédéric Lordon :
Pour en finir avec le salariat comme rapport de chantage, il faut en finir avec la propriété lucrative des moyens de production, or cette propriété est sanctuarisée dans les textes constitutionnels. Pour en finir avec l’empire du capital, qui est un empire constitutionnalisé, il faut refaire une Constitution. Une Constitution qui abolisse la propriété privée des moyens de production et institue la propriété d’usage. « Il faut cesser de dire ce que nous ne voulons pas pour commencer à dire ce que nous voulons » 14 avril 2016 / Entretien avec Frédéric Lordon 

1857 MARX :

« Il est possible que je me sois mis dans l'embarras. Mais avec un peu de dialectique, on s’en tirera toujours. J’ai naturellement donné à mes considérations une forme telle qu’en cas d'erreur, j’aurais encore raison. [Es ist möglich, daß ich mich blamiere. Indes ist dann immer mit einiger Dialektik zu helfen. Ich habe natürlich meine Aufstellungen so gehalten, daß ich im umgekehrten Fall auch Recht habe]. »
Karl Marx, lettre à Friedrich Engels, 15 août 1857.
La probité marxiste...

1859 MARX : « Le mode de production de la vie matérielle domine en général le développement de la vie sociale, politique et intellectuelle. Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience (1). […] L’humanité ne se propose jamais que les tâches qu’elle peut remplir. »
Karl Marx, Critique de l’économie politique, 1859, Avant-propos.
1. Formule très souvent citée.

1869 ENGELS : « C'est un bien curieux Urning [le petit livre Argonauticus de Karl Heinrich Ulrichs] que tu m'as envoyé. Ce sont là des révélations tout à fait contre nature. Les pédérastes se mettent à se compter et ils trouvent qu'ils constituent une puissance [Macht] dans l'État. Il ne manque plus que l'organisation, mais il apparaît d'après ceci qu'elle existe déjà en secret. Et comme ils comptent déjà des hommes importants dans tous les vieux, et même les nouveaux partis, de Rösing à Schweitzer, la victoire ne peut leur échapper. "Guerre aux cons, paix aux trous-de-cul" [en français dans le texte], dira-t-on dorénavant (1). C'est encore une chance que nous soyons personnellement trop vieux pour avoir à craindre de payer un tribut de notre corps à la victoire de ce parti. Mais la jeune génération ! Soit dit en passant, il n'y a qu'en Allemagne qu'un type pareil peut se manifester, transformer la cochonnerie en théorie, et inviter : introite [entrez, en latin] etc. Malheureusement il n'a pas encore le courage d'avouer ouvertement qu'il est comme ça, et doit toujours opérer coram publico [devant le public] en tant que "du devant", sinon "de l'intérieur du devant", comme il l'a dit une fois dans un lapsus. Mais attends seulement que le nouveau Code pénal de l'Allemagne du Nord reconnaisse les droits du cul [en français dans le texte], et il en sera tout autrement. Nous autres pauvres gens du devant, au goût infantile pour les femmes, nous trouverons alors dans une assez mauvaise situation. Si le Schweitzer devait avoir besoin de quelque chose, ce serait de se faire révéler, par cet étrange honnête homme, les données particulières sur les pédérastes hauts placés ; en tant que confrère cela ne devrait pas lui être difficile. »
Lettre à Karl Marx, Manchester [Angleterre], 22 juin 1869, in Marx Engels Werke, Berlin, 1965, tome 32, pages 324-325 [traduit par Cl. C. ; l’année précédente apparaissait le mot allemand Homosexualität].
1. Allusion à la formule de Nicolas de Chamfort : « Guerre aux châteaux ! Paix aux chaumières ! »

* * * * *

MARX : « Une araignée fait des opérations qui ressemblent à celles du tisserand, et l'abeille confond par la structure de ses cellules de cire l'habileté de plus d'un architecte. Mais ce qui distingue dès l’abord le plus mauvais architecte de l'abeille la plus experte, c’est qu'il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. [Eine Spinne verrichtet Operationen, die denen des Webers ähneln, und eine Biene beschämt durch den Bau ihrer Wachszellen manchen menschlichen Baumeister. Was aber von vornherein den schlechtesten Baumeister vor der besten Biene auszeichnet, ist, daß er die Zelle in seinem Kopf gebaut hat, bevor er siein Wachs baut. Am Ende des Arbeitsprozesses kommt ein Resultat heraus, das beim Beginn desselben schon in der Vorstellung des Arbeiters, also schon ideell vorhanden war.]»
Le Capital, 1867, I,iii, 5, 1.
Expression fort maladroite en regard de la belle remarque de Frédéric Nietzsche : « En tant que génie de l’architecture, l’homme surpasse de beaucoup l’abeille: celle-ci construit avec la cire qu’elle récolte dans la nature, l’homme avec la matière bien plus fragile des concepts qu’il est obligé de fabriquer par ses seuls moyens. » (Vérité et mensonge au sens extra-moral, 1873, 1).

« Toute action humaine peut être envisagée comme une abstention de son contraire. »
Le Capital, XXIV, iii.

« Quand, avec le développement diversifié des individus, leurs forces productives auront augmenté elles aussi, et que toutes les sources de la richesse collective jailliront avec force – alors seulement l’horizon étroit du droit bourgeois pourra être totalement dépassé, et la société pourra écrire sur son drapeau: De chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins! »
Critique du programme de Gotha, I, 3. [Cf Actes des apôtres, IV, 32, 34-35 : dividebatur autem singulis, prout cuique opus erat]

1884 ENGELS : « L’avilissement des femmes [dans la prostitution] eut sa revanche dans celui des hommes et les [les Grecs anciens] avilit jusqu’à les faire tomber dans la pratique répugnante de l’amour des garçons et se déshonorer eux-mêmes en déshonorant leurs dieux par le mythe de Ganymède. […] L’amour sexuel, dans notre sens, était si bien chose indifférente au vieil Anacréon, le poète classique [grec] de l’amour dans l’Antiquité, que le sexe même de l’être aimé lui était indifférent. »
L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, " La famille ", [1884].

1885 ENGELS « Les gens qui se sont vantés d’avoir fait une révolution ont toujours vu, le lendemain, qu’ils ne savaient point ce qu’ils faisaient ; que la révolution faite ne ressemblait pas du tout à celle qu’ils avaient voulu faire. C’est ce que Hegel appelle ironie de l’histoire … Pour moi, la chose importante est que l’impulsion en Russie soit donnée, que la révolution éclate. […] le 1789 une fois lancé, le 1793 ne tardera pas à suivre … »
Lettre à Véra Zassoulitch, 23 avril 1885, cité dans " Études de Marxologie ", Économies et Sociétés, S, n° 28-29, 1991. [Véra Zassoulitch (1850-1919), militante politique russe, d’abord marxiste, puis ralliée au menchévisme ; elle désapprouva la révolution d’octobre 1917.]

« Zéro est plus riche de contenu que tout autre nombre. Placé à la droite de tout autre nombre dans notre système de numération, il décuple sa valeur. […] Il est donc dans la nature du zéro lui-même qu’il soit employé de cette façon, que seul il puisse être utilisé ainsi. »
Dialectique de la nature [publié en 1925 ; Ce n’est pas le zéro en tant que tel qui donne sa valeur au 2 de 20, mais la position du 2; comme dans 23.].


IX - LES COMMUNISTES :

KANAPA : « Léon Blum, qui construit le monde À l’échelle humaine affirme d’une plume amoureuse la communauté de vues et de buts du socialisme et du Vatican, comme si l’un des thèmes fondamentaux du marxisme n’était pas justement que la religion est l’étouffoir de l’homme ! […] Le marxisme fait de la philosophie tout autre chose qu’un "refus" : une arme d’émancipation humaine – de la connaissance tout autre chose qu’un "rêve du monde" et une effusion mystique : une conquête acharnée du réel. »
Jean Kanapa (1921-1978), L’Existentialisme n’est pas un humanisme, 1947.

ALTHUSSER :
« Je ne sais pas si l'humanité connaîtra jamais le communisme, cette vue eschatologique de Marx. [...] La seule définition possible du communisme – s’il doit un jour exister dans le monde –, c’est l’absence de rapports marchands, donc de rapports [1] d’exploitation de classe et [2] de domination d’État. »
Louis Althusser (1918-1990), L’Avenir dure longtemps suivie de Les faits, XVIII, Paris : Stock, 1992.  Réédité en 2013 par Flammarion dans la collection Champs-essais.

Critique nietzschéenne :

1886 « De nos jours on s’exalte partout, fût-ce en invoquant la science, sur l’état futur de la société où " le caractère profiteur " n’existera plus : de tels mots sonnent à mes oreilles comme si on promettait d’inventer une forme de vie qui s’abstiendrait volontairement de toute fonction organique. L’ "exploitation" [Ausbeutung] n’est pas le propre d’une société vicieuse ou d’une société imparfaite et primitive : elle appartient à l’essence du vivant dont elle constitue une fonction organique primordiale, elle est très exactement une suite de la volonté de puissance, qui est la volonté de la vie. – À supposer que cette théorie soit nouvelle, en tant que réalité c’est le fait premier de toute l’histoire : ayons donc l’honnêteté de le reconnaître ! – » (Par-delà Bien et Mal, 1886, IX, § 259).

Voir aussi ma page Index Nietzsche et les socialistes


X - CRITIQUE POST-NIETZCHÉENNE : 

LUXEMBOURG : « Le remède trouvé par Lénine et Trotsky, la suppression de la démocratie en général, est encore pire que le mal qu’il doit maîtriser. »
Rosa Luxemburg, La Révolution russe, IV.

ROLLAND : « Croyez-vous que le devoir actuel de l’artiste, du savant, de l’homme de pensée, soit de s’engager, comme en 1914 dans l’armée du Droit, en 1922 dans celle de la Révolution ? – ou bien ne vous semble-t-il pas que la meilleure façon de servir la cause humaine et la Révolution même, c’est de garder l’intégrité de votre pensée libre, – fût-ce contre la Révolution, si elle ne comprenait pas ce besoin vital de liberté ! »
Romain Rolland (1866-1944), Lettre à Henri Barbusse, Art libre, février 1922.


1931 KEYNES :
Merci à Stan Korst

WEIL : " L'homme ne peut supporter d'être seul à vouloir le bien. Il lui faut un allié tout-puissant. Si cet allié n'est pas esprit, il sera matière. Il s'agit simplement de deux expressions différentes de la même pensée fondamentale. Seulement la seconde expression est défectueuse. C'est une religion mal construite. Mais c'est une religion. Il n'est donc pas étonnant que le marxisme ait toujours eu un caractère religieux. Il a en commun avec les formes de vie religieuse les plus âprement combattues par Marx un grand nombre de choses, et notamment d'avoir été fréquemment utilisé, pour citer la formule de Marx, comme opium du peuple. Mais c'est une religion sans mystique, au vrai sens de ce mot. " (Simone Weil, Oppression et liberté, Fragments Londres, 1943, II, Paris : Gallimard, 1955).

HALÉVY/SUARÈS : « En raison de l’effondrement anarchique, de la disparition totale de l’État, un groupe d’hommes armés, animés par une foi commune, a décrété qu’il était l’État : le soviétisme, sous cette forme, est, à la lettre, un "fascisme" […] L’idéologie révolutionnaire est tyrannique intellectuellement avant de l’être socialement. » 
Élie Halévy, « L’Ère des tyrannies », Bulletin de la Société française de philosophie, octobre-décembre 1936 [Séance du 28 novembre 1936]. À rapprocher de Julien Green : « Vu [André] Suarès. Il m'a beaucoup parlé de sa situation actuelle à l'égard du communisme. Il a changé. Il trouve que le communisme et le fascisme en sont venus à se ressembler trop pour qu'un esprit libre puisse se rallier à l'une ou l'autre de ces doctrines. » (Journal intégral 1919-1940, 21 décembre 1936, Paris : Robert Laffont, 2019).
ARON/BAVEREZ : « Aron était adolescent durant la Grande Guerre. Acquis au socialisme et au pacifisme, il comprit la nature et le danger du nazisme durant son séjour en Allemagne, face à 1' agonie de la république de Weimar et fut l'un des premiers, aux côtés d'Élie Halévy, à effectuer dès la seconde moitié des années 1930 une comparaison entre le stalinisme et l'hitlérisme. » (Préface de Nicolas Baverez aux Mémoires de Raymond Aron, Paris : Robert Laffont, 2010).


WAHL : « MATÉRIALISME DIALECTIQUE

Deux beaux mots. Le premier fait appel à une forme de l’entendement révolutionnaire, à l’instinct de "honte arborée", et le deuxième à l’orgueil. De sorte que le snobisme à rebours et le rebours tout court trouvent à la fois leur compte. Mon premier est ce qu’il y a de plus bas. Mon second est ce qu’il y a de plus haut. Reste à savoir si mon tout n’est pas un attrape-nigauds. »
Jean Wahl, "Satire", Nouvelle Revue Française, juin 1938.

RUSSELL : « Beaucoup de mes amis espérèrent en l’Union soviétique, mais quand je m’y rendis en 1920, je ne trouvai rien que je puisse aimer ou admirer. […] Les marxistes s’intéressent à la philosophie comme effet, mais ne la reconnaissent pas comme cause. Cependant il est évident que toute philosophie importante est les deux. » 
Bertrand Russell, « My mental development [1943] », The Philosophy of Bertrand Russell, Evanston (Illinois) : The Library of Living philosophers, 1946.

CAMUS : « La volonté marxiste de supprimer la dégradante opposition du travail intellectuel au travail manuel a buté contre les nécessités de la production que [Karl] Marx exaltait ailleurs. […] Le marxisme n’est pas scientifique ; il est, au mieux, scientiste. […] La raison ne se prêche pas, ou si elle prêche, elle n’est plus la raison. C’est pourquoi la raison historique est une raison irrationnelle et romantique, qui rappelle parfois la systématisation de l’obsédé, l’affirmation mystique du verbe, d’autres fois. »
Albert Camus (1913-1960), L’Homme révolté, III, v, 3 (1951).

ARON : « Le prophétisme marxiste transfigure un schéma d’évolution en une histoire sacrée, dont la société sans classes marquera l’aboutissement. Il prête une importance démesurée à quelques institutions (régime de propriété, mode de fonctionnement), il fait de la planification par un État tout-puissant une étape décisive de l’histoire. L’intelligentsia tombe facilement dans ces erreurs auxquelles prédispose le conformisme de gauche. »
Raymond Aron (1905-1983), L’Opium des intellectuels, 1955, III, ix.

1970 MONOD : « Puisque, donc, la pensée est partie et reflet du mouvement universel, et puisque son mouvement est dialectique, il faut que la loi d’évolution de l’univers lui-même soit dialectique. Ce qui explique et justifie l’emploi de termes tels que contradiction, affirmation, négation, à propos de phénomènes naturels. […] Le prophétisme historiciste fondé sur le matérialisme dialectique était, dès sa naissance, lourd de toutes les menaces qui se sont, en effet, réalisées. Plus encore peut-être que les autres animismes, le matérialisme dialectique repose sur une confusion totale des catégories de valeur et de connaissance. C’est cette confusion même qui lui permet, dans un discours profondément inauthentique, de proclamer qu’il a établi " scientifiquement " les lois de l’histoire auxquelles l’homme n’aurait d’autre recours ni d’autre devoir que d’obéir, s’il ne veut entrer dans le néant. »
Jacques Monod, Le Hasard et la nécessité, 2, 9, Paris : Seuil, 1970..

1983 FOUCAULT : « Pendant longtemps, la philosophie, la réflexion théorique ou la "spéculation" ont eu à l’histoire un rapport distant et peut-être un peu hautain. On allait demander à la lecture d’ouvrages historiques, souvent de très bonne qualité, un matériau considéré comme "brut" et donc comme "exact" ; et il suffisait alors de le réfléchir, ou d’y réfléchir, pour lui donner un sens et une vérité qu’il ne possédait pas par lui-même. Le libre usage du travail des autres était un genre admis. Et si bien admis que nul ne songeait à cacher qu’il élaborait du travail déjà fait ; il le citait sans honte. Les choses ont changé, me semble-t-il. Peut-être à cause de ce qui s’est passé du côté du marxisme, du communisme, de l’Union soviétique. Il ne paraissait plus suffisant de faire confiance à ceux qui savaient et de penser de haut ce que d’autres avaient été voir là-bas. […] Il fallait aller chercher soi-même, pour le définir et l’élaborer, un objet historique nouveau. […] C’est un travail qu’il faut faire soi-même. Il faut aller au fond de la mine ; ça demande du temps ; ça coûte de la peine. Et quelquefois on échoue. Il y a en tout cas une chose certaine : c’est qu’on ne peut pas dans ce genre d’entreprise réfléchir sur le travail des autres et faire croire qu’on l’a effectué de ses propres mains. […] Pas de recette, guère de méthode générale. Mais des règles techniques : de documentation, de recherche, de vérification. Une éthique aussi […] respecter ces règles techniques. »
Michel Foucault, « À propos des faiseurs », Libération, 21 janvier 1983. Rapprochez Friedrich Nietzsche : « Il faut tout faire soi-même pour savoir soi-même quelque chose ; c’est dire que l’on a beaucoup à faire. » (Par-delà bien et mal, III, § 45)

MATTÉI (1941-2014) : « Dans le communisme, l’entendement guide les pulsions de l’instinct en légitimant la terreur de masse par un discours rationnel tenu au nom de l’humanité [cf aussi Robespierre]. Au lieu d’asservir, de déporter et d’exécuter au nom de la force et de la race, le parti asservit, déporte et exécute au nom du concept et de la classe, en d’autres termes, puisque le sujet communiste s’est investi de son humanité, au nom du genre humain tout entier. Cette barbarie active du communisme […] substitue à l’instinct du plus fort, dont la raison s’est retirée, la raison du plus fort, dont l’instinct s’est emparé. […] Au lieu d’interpréter le monde, pour en éprouver l’intelligibilité à partir de ses principes, la philosophie doit le transformer, c’est-à-dire faire de la philosophie elle-même un instrument de production d’un monde qui naîtra sur la destruction du monde existant. […] Ce n’est pas le Goulag, mais la mort qui rôde dans la révolution marxiste dès lors que sa philosophie de la vie transfère toute l’énergie et toute la ruse de la raison du côté de la destruction pour parvenir à son but : une humanité réconciliée abstraitement avec elle-même sur les cadavres des hommes réels que charrie avec indifférence le cours de l’Histoire. »
Jean-François Mattéi, La Barbarie intérieure, VI, 2, Paris : PUF, 1999.

2002 NICOLAS BAVEREZ : « L'acceptation du marxisme comme vérité scientifique et le soutien inconditionnel apporté à l'URSS sont une inconséquence politique mais plus encore une erreur scientifique et une faute morale, qui mettent au service de la terreur l'autorité symbolique de la connaissance. » (Introduction à Raymond Aron, L'Opium des intellectuels, Paris : Hachette Littératures 2002).

MALIA : « Par " Mensonge " [terme utilisé par Soljénitsyne], il faut entendre la contradiction fatale d’un universalisme que ne dictent ni la charité, ni la bienfaisance humanitaire, ni la raison naturelle, mais le principe idéologique de la "guerre des classes", ou plus exactement, d’une pseudo-guerre des classes : de fait, la  "construction du socialisme " n’a pas été une authentique lutte sociale mais un combat politique où la classe rédemptrice (ou plutôt son substitut idéologique, le Parti) prétendait éliminer toutes les classes exploiteuses (en fait, toute opposition politique). »
Martin Malia, « Nazisme et communisme : réflexions sur une comparaison », Commentaire, N° 99, automne 2002.


XI - NI MARX NI JÉSUS

« Ni Marx ni Jésus : De la seconde révolution américaine à la seconde révolution mondiale. »
Jean-François Revel [né Ricard à Marseille en 1924 - décédé le 30 avril 2006 au Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne)], Paris : R. Laffont, 1970.

La formule évoque « Ni Dieu, ni maître », titre du journal créé par le marxiste Louis Auguste Blanqui (1805-1881) en novembre 1880. La faiblesse de ces formules est de ne proposer aucun « mais … » ; je dirais donc plutôt :

« Ni Marx (l’idéologie), ni Moïse, Jésus ou Mahomet (les religions), mais Socrate (la philosophie), Archimède (la science) et Mozart (la musique). »

* * * * *

Cette formule de Jean-François Revel, négation logique de « Marx ou Jésus », fut traitée par un des café-philos de Montpellier le 21 janvier 2004. Je développe ici les interventions que j’y avais faites afin d’examiner si cette formule a quelque pertinence. Proposer, envisager ou refuser un choix entre Jésus et Marx implique à la fois une certaine interchangeabilité de ces deux personnages et des différences significatives. Jésus de Nazareth et Karl Marx de Trier ont en commun un certain nombre d’aspects, relevés par divers auteurs (Frédéric Nietzsche, Dolléans, Sigmund Freud, André Gide, etc.). 


« Le socialisme est la forme qu’a prise au XIXe siècle la religiosité latente en la nature humaine […] On peut dire de cette doctrine qu’elle est la religion de l’humanité [Pierre Le Roux] ou encore la religion du prolétariat déifié [Georges Clémenceau] […] Les socialistes sont des chrétiens sans le savoir, des chrétiens qui sans doute ont perdu la douceur évangélique, mais n’ont rien oublié de l’intolérance de l’Église. […] Le vice fondamental des doctrines socialistes est de reposer sur une psychologie erronée de la nature humaine. »
Édouard Dolléans (1877-1954), « Le caractère religieux du socialisme », Revue d’économie politique, 1906. Rapprocher Leszek Kołakowski : « L’absence du corps et de la mort, l’absence de sexualité et d’agressivité, l’absence de conditions géographiques ou démographiques, bref, une interprétation qui ne voit en tous ces éléments que des facteurs purement sociaux, constitue l’une des dimensions les plus caractéristiques de l’utopie marxiste. [Marx’s ignoring of the body and physical death, sex and aggression, geography and human fertility—all of which he turns into purely social realities—is one of the most characteristic yet most neglected features of his Utopia.] » (Main Currents of Marxism (New York: Oxford University Press, XVI, 1978 : Histoire du marxisme, XVI, Paris : Fayard, 1987).


   La formule « À chacun selon ses besoins » se trouve, comme on sait, chez Karl Marx : « De chacun selon ses moyens [ou capacités], à chacun selon ses besoins ! » (Critique du programme de Gotha, I, 3), mais aussi dans le Nouveau Testament : « La multitude de ceux qui avaient foi n’était qu’un cœur et qu’une âme, et personne ne disait qu’aucun de ses biens fût à lui, au contraire ils mettaient tout en commun. […] Il n’y avait aucun indigent parmi eux. Tous ceux, en effet, qui étaient propriétaires de domaines ou de maisons les vendaient ; ils apportaient le prix de la vente et le déposaient aux pieds des apôtres ; c’était distribué selon les besoins de chacun. » (Actes des apôtres, IV, 32, 34-35 :

Un antécédent aristotélicien :

" ou, au contraire, la terre est commune et on la travaille en commun, mais les produits en seront partagés selon les besoins de chacun (on dit que des Barbares pratiquent cette sorte de communisme). " (Les Politiques, II, v, 1263a)

  La Règle de saint Benoît dénonce le " vice de propriété " (chapitre LV) en se référant à ces Actes. Dans le Manifeste, Marx et Engels précisaient : « Les communistes peuvent résumer leur théorie en cette seule expression : abolition [Aufhebung] de la propriété privée. ». Et un résumé n'est jamais si bon que lorsqu'il est le fait des auteurs du texte...

  Les deux doctrines sont profondément insatisfaites du monde tel qu’il existe, et proposent, pour l’une un autre monde, pour l’autre un changement de société (et non un changement de la société) ; dans les deux cas, ce qui est ultimement visé, c’est la suppression des conflits, la suppression du mal et de la culpabilité associée. Mais il est plus facile de constater l’échec du marxisme en terre communiste que de démontrer en terre chrétienne l’inexistence de l’autre monde de Jésus. Toutefois, la contribution de Jésus concernait une société primitive, sans culture, dépourvue de sciences et de techniques, très éloignée de la nôtre en ce début de XXIe siècle. Le berceau des trois religions monothéistes est concentré sur l'axe asiatique Nazareth-Jérusalem-Bethléem-Hébron-Médine-La Mecque.

  Leur rapport à la connaissance n’est pas celui de la philosophie grecque ; dans le cas chrétien, le désir de connaissance est dévalorisé. « La science ? elle sera abolie » trouve-t-on dans la première Épître aux Corinthiens (XIII, 8) : Sive scientia, destruetur. La philosophie est mise au service (ancilla) de la théologie. Dans le cas marxiste, la philosophie est remplaçée par « l’étude du monde réel », monde réel auquel on imposera la conformité au dogme (affaire Lyssenko) ; le marxisme semble favorable à la science, mais sa scientificité n’est qu’un scientisme. Opposition générale des disciples de Marx et de Jésus à la culture classique étendue et diversifiée qui fait l’honnête homme.
« L’Église primitive, c’est bien connu, luttait contre les "intelligents", en faveur des " pauvres en esprit " » (Frédéric Nietzsche, Crépuscule des Idoles, [5] " La morale, une anti-nature ", § 1) ; le parti communiste faisait de même). 
  De Jésus rien n’est rapporté concernant la philosophie, mais pour Paul de Tarse (accablé par Nietzsche), c’est « ce vain leurre [inanem fallaciam] qui s’inspire de la tradition humaine et des éléments du monde, mais non du Christ » (Épître aux Colossiens, II, 8). Cependant, dans Opinions et sentences mêlées, Nietzsche proclame cette rencontre inattendue :
" Le philosophe a à dire comme le Christ, " Ne jugez point ! " [Nolite judicareMatthieu, VII, 1 ; Luc, VI, 37] et la dernière différence entre les têtes philosophiques et les autres serait que les premiers veulent être justes, les derniers voulant être juges. " (§ 33).
Jésus rejette la culture mondaine comme Marx la culture bourgeoise. De l’un à l’autre, la ligne de dichotomie s’est déplacée, mais la dichotomie subsiste.

Antiphilosophie chez Karl Marx : « La grande action de Feuerbach est : 1° d’avoir démontré que la philosophie n’est rien d’autre que la religion mise sous forme d’idées et développée par la pensée ; qu’elle n’est qu’une autre forme et un autre mode d’existence de l’aliénation de l’homme ; donc qu’elle est tout aussi condamnable » (Sur la dialectique de Hegel, 1844).

« Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde. Ce qui importe, c’est de le transformer. » L’Idéologie allemande, "Thèses sur Feuerbach", 11. Opposer Louis Althusser : « J'ai critiqué le fameux mot des "Thèses sur Feuebach" de Marx [...] montrant contre cette formule que tous les grands philosophes ont voulu intervenir sur le cours de l’histoire du monde, soit pour le transformer, soit pour le faire régresser, soit pour le conserver et le renforcer en sa forme existante contre les menaces d’un changement jugé dangereux. Et sur ce point, en dépit de la célèbre formule aventureuse de Marx, je pense avoir eu raison et le pense toujours. » (L’Avenir dure longtemps ..., XIV, 1992).

« La philosophie et l’étude du monde réel sont dans le même rapport que l’onanisme et l’amour sexuel. » (L’Idéologie allemande, Le concile de Leipzig – III Saint Max).

  Les libertés de connaissance et d’expression sont brimées, puisqu’il s’agit d’interdire la connaissance ouverte et en progrès, hors dogmes. Intolérance et fanatisme sont des caractéristiques communes. (Gustave Le Bon, Psychologie des foules ; Sigmund Freud, Nouvelles conférences, 1932). La liberté de penser autre chose, d’acquérir ce savoir indépendant et objectif cher aux Grecs, est absente aussi bien chez Jésus que chez Marx.

  L’égalité est fortement privilégiée, à la fois par rapport à la liberté et par rapport à la compétition ou concurrence. Voltaire, qui n’était heureusement ni Marx ni Jésus, pouvait seul reconnaître cette vérité : « Le commerce, qui a enrichi les citoyens en Angleterre, a contribué à les rendre libres, et cette liberté a étendu le commerce à son tour. » (Lettres philosophiques, X). La famille, attache mondaine dans un cas, bourgeoise dans l’autre, est rejetée énergiquement, ce qui devient  cocasse par ces temps d'opposition entre le " faire famille " socialiste et le traditionalisme catholique.

  Abêtissement, perte de l’esprit critique, par soumission à l’orthodoxie ; il y a là une sorte de servitude volontaire intellectuelle des adeptes qui amène des esprits parfois très brillants dans d’autres domaines à accepter sans discussion des réponses très simplistes ; ainsi le croyant dévalorisera toute la cosmologie qu’il ignore au nom de sa foi. Le marxiste, comme le gauchiste, récuse a priori toute explication qui ne soit pas fondée sur l’économie, les " injustices sociales " ou la pseudo-logique dominés/dominants. Divergence : alors que Jésus pense que le mal vient de chaque homme, tout en valorisant la faiblesse et la débilité, et en appelant à la conversion intérieure, Karl Marx, après Jean-Jacques Rousseau, rejette presque toute la faute sur l’organisation sociale, qui serait source d’aliénation ; il appelle le prolétaire à la « prise de conscience » (équivalent marxiste de la conversion religieuse intérieure), unique référence à la notion de responsabilité individuelle. 

Jésus propose un anti-matérialisme, Karl Marx est matérialiste.

« Camarade, ne crois à rien ; n’accepte rien sans preuve. […] L’appétit de savoir naît du doute. Cesse de croire et instruis-toi. » (André Gide, Les Nouvelles nourritures, IV). Gide nous ramène à la connaissance (objective par définition), bien malmenée à la fois par les religions et les idéologies totalitaires, mais valorisée par la philosophie ; c'est même cette valorisation de la connaissance qui caractérise le mieux la philosophie, et sa rupture fondatrice avec les mythologies de toutes sortes. 


XII - LA RUSSIE ET SES SAVANTS :

On a trop souvent dit ou écrit que les difficultés durables du régime communiste de l'ex-U.R.S.S. s'expliquaient par le niveau extrêmement bas de la Russie tsariste en 1917 : " tragiquement sous-développé " selon le sous-informé Pierre Mendès-France ; " ce pays qui était, il y moins d'un demi-siècle, le plus arriéré d'Europe " lisait-on en avril 1962 dans Les Échos (article cité par le communiste Waldeck Rochet) ; " pays sous-développé, arriéré "  écrivait encore le bistrosophe Marc Sautet dans Un Café pour Socrate en 1995. Mais la Russie anté-bolchévique " n'était pas du tout la nation de sauvages dépeinte ensuite par la propagande communiste " écrivait Jean-François Revel, né en 1924 à Marseille - décédé le 30 avril 2006 au Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne), dans " L'essentielle identité du fascisme rouge et du fascisme noir ", Commentaire, n° 81, printemps 1998, page 232. Plus récemment, Yvon Quiniou : " Si, à la fin de sa vie, il [Karl Marx] a envisagé avec Engels qu'une révolution pourrait se déclencher dans un pays arriéré comme la Russie [...] Récuser Marx au nom des régimes communistes relève de l'amalgame ou de l'incompréhension. ", Le Monde, 15 août 2010.

  Sur les plans scientifique et technique, la Russie de 1917 était un peu moins avancée que les meilleurs d'Europe de l'Ouest (Angleterre, France, Allemagne, Italie), mais sans être arriérée pour autant. Sur le plan culturel, si elle n'avait pas de très grands philosophes ni de grands logiciens, les Lumières sont entrées en Russie grâce à Catherine II, et parmi ses philosophes on relève les noms de Piotr Tchaadaiev, Nicolas Tchernichevski et Nicolas Berdaiev. Sa littérature est universellement reconnue et admirée (Lermontov, Gogol, Dostoïevski, Tchékov, Tolstoï, Pouchkine, Tourguéniev, Nekrassov, Gorki, et alii), de même que sa musique (Borodine, Moussorgski, Rimski-Korsakov, Prokofiev, Tchaïkovski, et alii) et sa peinture (Roublev, Ivanov, Savrassov, Pérov, Kramskoï, Vroubel, Kandinski, Chagall, et alii).

Arriérés, nombre de pays colonisés l'étaient réellement, notamment les pays d'Afrique qui ne disposaient pas d'une langue écrite. Mais il n'est pas politiquement correct de le dire...

Voici, rapidement, les noms de 61 savants russes des XVIIIe, XIXe et début XXe siècles. Plusieurs d'entre eux, signalés par un *, appartenaient à l'Académie Impériale des Sciences de Saint-Pétersbourg, fondée en 1724, ou à l'Académie des Sciences de Russie.

Références :
Charles C. Gillispie, editor in chiefDictionary of Scientific Biography, New York : Ch. Scribner's Sons, NY, 1970-1980.
Jacques Angenault, La Chimie. Dictionnaire encyclopédique, Paris : Dunod, 1995.

* * * * *

P.S. Alexandrov, 1896/, topologie algébrique.
N.I. Andrusov, 1861/1924, géologie, paléontologie.

A.N. Bach, 1857/1946, chimie.
V.M. Bechterev, 1857/1927, psycho-physiologie.
S.N. Bernstein, 1880/1968, mathématiques.
A.P. Borodine, 1833/1887, chimie.
A. Boutlerov, 1828/1896, chimie.
V.Y. Buniakowski*, 1804/1889, mathématiques.

D.F. Egorov, 1869/1931, mathématiques.

B.B. Golitsyne, 1862/1916, physique.

G.H. Hess, 1802/1850, chimie.

A. F. Ioffe, 1880/1960, physique.
V.N. Ipatieff, 1867/1952, chimie.

A.P. Karpinski*, 1847/1936, géologie.
A.Y. Khintchine, 1894/1959, mathématiques.
S.K. Kostinski, 1867/1936, astronomie.
N. Kostyleff, 1876/1956, psychologie.
A.O. Kovalevski, 1840/1901, embryologie.
S.V. Kovalevskaia, 1850/1891, mathématiques.
M.A. Kovalsky, 1821/1884, astronomie.
A.N. Krylov*, 1863/1945, mathématiques.
N. M. Krylov  1879/1955, mathématiques.

M.A. Landau, 1889/1957, chimie.
E.K. Lenz*, 1804/1865, électro-magnétisme.
A.M. Liapounoff*, 1857/1918, mathématiques.
N.I. Lobatchevsky, 1792/1856, mathématiques.
V.M. Lokhtine, 1849/1919, hydrologie.
M.V. Lomonossov, 1711/1765, physique-chimie.
N.N. Lousine, 1883/1950, mathématiques.

A.A. Markov*, 1856/1922, mathématiques.
D.I. Mendeleiev, 1834/1907, chimie.
E. Metchnikoff, 1845/1916, biologie.

G.N. Neuymin, 1886/1946, astronomie.

V. A. Obruchev, 1893/1956, géologie.
M.V. Ostrogradski*, 1801/1862, mathématiques.

I.P. Pavlov, 1849/1936, physiologie, prix Nobel 1904.
I.G. Pétrovski, 1801/1873, mathématiques.
A.A. Popov, 1859/1906, électromagnétisme.
I.I. Privalov, 1891/1941, mathématiques.

Selinsky, 1861/1953, chimie.
I. Setchènov, 1829/1905, psycho-physiologie.
V.M. Severgine, 1765/1826, minéralogie.
Sikorsky, 1889/1972, aéronautique.
Y.K. Sokhotsky, 1842/1927, mathématiques.
D.I. Sokolov, 1788/1852, géologie.
O.I. Somoff, 1815/1876, mathématiques.
N.Y. Sonin, 1849/1915, mathématiques.
M. Sousline, 1894/1919, mathématiques.
V.V. Stepanov, 1889/1950, mathématiques.

P.L. Tchebichev*, 1821/1894, mathématiques.
N.G. Tchébotarev, 1894/1946, mathématique.
D.K. Tchernov, 1839/1921, métallurgie.
M.S. Tswett, 1872/1919, botanique.

P.S. Urysohn, 1898/1924, mathématiques.

S.I. Vavilov, 1891/1951, physique.
V. I. Vernadsky*, 1863/1945, minéralogie.

A. Zaitsev, 1841/1910, chimie.
N. Zinine, 1812/1880, chimie organique.
E.I. Zolotareff, 1847/1878, mathématiques.
N.E. Zhukovsky, 1847/1921, maths appliquées et mécanique.
N.N Zubov, 1885/1960, océanographie.

samedi 30 juillet 2022

NOTES SUR LE MARXISME (1/2)




I – Effets secondaires néfastes sur la probité intellectuelle
II - Prémonitions et mises en garde (avant Frédéric Nietzsche)
III - Engagements, égarements ; matériaux d'un sottisier politique
IV - Reculs critiques et autocritiques
V - Et après ?
VI – Définitions positives du marxisme



I – Effets secondaires malfaisants sur la probité intellectuelle la plus élémentaire :


GIDE : « Ce qui m’effraie, c’est que cette religion communiste comporte, elle aussi, un dogme, une orthodoxie, des textes auxquels on se réfère, une abdication de la critique … C’est trop. » André Gide (1869-1951), Journal, 13 août 1933.

Carte postale de la série " Les écrivains du monde pour la défense de l'URSS "
éditée en 1933 en l'honneur d'André Gide. (Merci à Philippe Brin)

SARTRE : « Pendant des années l’intellectuel marxiste crut qu’il servait son parti, en violant l’expérience, en négligeant les détails gênants, en simplifiant grossièrement les données et surtout en conceptualisant l’événement avant de l’avoir étudié. »
Jean-Paul Sartre (né en 1905 à Paris XVIe - mort le 15 avril 1980 à Paris XIVe), Questions de méthode, 1, " Marxisme et existentialisme ", 1957. [À rapprocher de l’inestimable avertissement kantien :
« des pensées sans contenu sont vides ; des intuitions sans concepts sont aveugles. [Gedanken ohne Inhalt sind leer, Anschauungen ohne Begriffe sind blind.] », Critique de la raison pure, I Théorie transcendantale des éléments, 2e partie " Logique transcendantale ", introduction, I " De la logique en général ", traduction Delamarre/Marty, Paris : Gallimard 1980, Collection " Bibliothèque de la Pléiade "].
BESANÇON : « Le système est bouclé sur lui-même puisque tout essai de réfutation révèle [à lire avec des guillemets] l’influence de la bourgeoisie, par conséquent la lutte des classes telle que le marxisme lui-même l’a définie. »
Alain Besançon (né en 1932 à Paris VIe, décédé à Paris le 9 juillet 1923), Les Origines intellectuelles du léninisme, Paris : Calmann-Lévy, 1977, XII.

FOUCAULT : « Pendant longtemps, la philosophie, la réflexion théorique ou la "spéculation" ont eu à l’histoire un rapport distant et peut-être un peu hautain. On allait demander à la lecture d’ouvrages historiques, souvent de très bonne qualité, un matériau considéré comme "brut" et donc comme "exact" ; et il suffisait alors de le réfléchir, ou d’y réfléchir, pour lui donner un sens et une vérité qu’il ne possédait pas par lui-même. Le libre usage du travail des autres était un genre admis. Et si bien admis que nul ne songeait à cacher qu’il élaborait du travail déjà fait ; il le citait sans honte.

Les choses ont changé, me semble-t-il. Peut-être à cause de ce qui s’est passé du côté du marxisme, du communisme, de l’Union soviétique. Il ne paraissait plus suffisant de faire confiance à ceux qui savaient et de penser de haut ce que d’autres avaient été voir là-bas. Le même changement qui rendait impossible de recevoir ce qui venait d’ailleurs a suscité l’envie de ne plus recevoir tout fait, des mains des historiens, ce sur quoi on devait réfléchir. Il fallait aller chercher soi-même, pour le définir et l’élaborer, un objet historique nouveau. C’était le seul moyen pour donner à la réflexion sur nous-mêmes, sur notre société, sur notre pensée, notre savoir, nos comportements, un contenu réel. C’était inversement une manière de n’être pas, sans le savoir, prisonnier des postulats implicites de l’histoire. C’était une manière de donner à la réflexion des objets historiques au profil nouveau.

On voyait se dessiner entre philosophie et histoire un type de relations qui n’étaient ni la constitution d’une philosophie de l’histoire ni le déchiffrement d’un sens caché de l’histoire. Ce n’était plus une réflexion sur l’histoire, c’était une réflexion dans l’histoire. Une manière de faire faire à la pensée l’épreuve du travail historique ; une manière aussi de mettre le travail historique à l’épreuve d’une transformation des cadres conceptuels et théoriques. Il ne s’agit pas de sacraliser ou d’héroïser ce genre de travail. Il corresponde à une certaine situation. C’est un genre difficile qui comporte beaucoup de dangers, comme tout travail qui fait jouer deux types d’activités différents. On est trop historien pour les uns et, pour les autres, trop positiviste. Mais, de toute façon, c’est un travail qu’il faut faire soi-même. Il faut aller au fond de la mine ; ça demande du temps ; ça coûte de la peine. Et quelquefois on échoue. Il y a en tout cas une chose certaine : c’est qu’on ne peut pas dans ce genre d’entreprise réfléchir sur le travail des autres et faire croire qu’on l’a effectué de ses propres mains ; ni non plus faire croire qu’on renouvelle la façon de penser quand on l’habille simplement de quelques généralités supplémentaires. Je connais mal le livre [de Jacques Attali] dont vous me parlez. Mais j'ai vu passer depuis bien des années des histoires de ceci ou de cela - et vous savez, on voit tout de suite la différence entre ceux qui ont écrit entre deux avions et ceux qui ont été se salir les mains. Je voudrais être clair. Nul n'est forcé d'écrire des livres, ni de passer des années à les élaborer, ni de se réclamer de ce genre de travail. Il n'y a aucune raison d'obliger à mettre des notes, à faire des bibliographies, à poser des références. Aucune raison de ne pas choisir la libre réflexion sur le travail des autres. Il suffit de bien marquer, et clairement, quel rapport on établit entre son travail et le travail des autres. Le genre de travail que j'évoquais, c'est avant tout une expérience - une expérience pour penser l'histoire de ce que nous sommes. Une expérience beaucoup plus qu'un système. Pas de recette, guère de méthode générale. Mais des règles techniques : de documentation, de recherche, de vérification. Une éthique aussi, car je crois qu'en ce domaine, entre technique et éthique, il n'y a pas beaucoup de différences. D'autant moins peut-être que les procédures sont moins codifiées. Et le principal de cette éthique, c'est avant tout de respecter ces règles techniques et de faire connaître celles qu’on a utilisées. »
Michel Foucault (1926-1984), « À propos des faiseurs », Libération, 21 janvier 1983, entretien avec Didier Éribon.



BOUVERESSE : « Pour n’avoir pas vu le goulag là où il crevait les yeux de tout le monde, un certain nombre d’intellectuels se croient obligés depuis quelque temps de le détecter partout où il n’est pas, en particulier dans l’exercice normal du droit de critique, qui devrait constituer justement, en matière intellectuelle, la plus fondamentale des libertés. »
Jacques Flavien Bouveresse (né dans le Doubs en 1940 - décédé le 9 mai 2021 à Paris XIIe), Le Philosophe chez les autophages, II, Paris : Minuit, 1984.



« Si l’on regarde ce qu’a produit la période durant laquelle on a pensé que la philosophie était de la " lutte de classes dans la théorie " [allusion à Louis Althusser], ou quelque chose de ce genre, il n’y a pas de quoi être fier: cela a produit essentiellement de la pseudo-science, de la mauvaise philosophie, et de la politique imaginaire. »
Jacques Bouveresse, « Entretien avec Christian Delacampagne », Le Monde, 25-26 juin 1995.


* * * * *

Cette malhonnêteté intellectuelle des marxistes, des staliniens, ce manque de probité, a muté en une police de la parole exercée par la correction (au double sens de rectification et de punition) politique sur les propos dits réactionnaires, antisémites et racistes d'abord, puis dit révisionnistes, puis dit homophobes, puis dits islamophobes, xénophobes ou nationalistes.


II - Prémonitions et mises en garde (avant Frédéric Nietzsche) :

CICÉRON  : « [La République] tombée aux mains d’hommes moins désireux de modifier l’État que de le détruire. »
Cicéron, Des devoirs, II, 1.

SÉNÈQUE : « Nous ne vivons pas sous un roi, que chacun dispose de lui-même.[…] Qui suit un autre, il ne suit rien. Il ne trouve rien, voire il ne cherche rien. »
Sénèque le Jeune, Lettres à Lucilius [Ad Lucilium epistulae morales], XXXIII, 4, 10 [pour les deux dernières phrases, c'est la traduction de Montaigne].

MONTAIGNE : « Le changement donne seul forme à l’injustice et à la tyrannie. […] amender les défauts particuliers par une confusion universelle et guérir la maladie par la mort […] Toutes grandes mutations ébranlent l'État, et le désordonnent. » MontaigneEssaisIII, ix, page 958 de l'édition Villey/PUF/Quadrige.

MONTESQUIEUDe l'Esprit des lois



PORTALIS : « Nous appelons esprit révolutionnaire, le désir exalté de sacrifier violemment tous les droits à un but politique, et de ne plus admettre d’autre considération que celle d’un mystérieux et variable intérêt d’État. » Jean-Étienne-Marie Portalis, 1746-1807, emprisonné sous la Terreur, Discours préliminaire sur le projet de Code civil.
Voilà une bonne définition du totalitarisme ; le KGB soviétique, que le quotidien Le Monde appelait Comité d'État pour la Sécurité, était en réalité un Comité pour la Sécurité de l'État [Комитет государственной безопасности].

HUGO :
« Communisme. Une égalité d’aigles et de moineaux, de colibris et de chauves-souris, qui consisterait à mettre toutes les envergures dans la même cage et toutes les prunelles dans le même crépuscule, je n’en veux pas […] Communisme. Rêve de quelques uns et cauchemar de tous. »
Victor Hugo, Dossier " Idées ça et là ", VI, publié par Henri Guillemin (1903-1992) en 1951 dans Pierres.
MILL :
« Forcer des populations non préparées à subir le communisme, même si le pouvoir donné par une révolution politique permet une telle tentative, se terminerait par une déconvenue […] L’idée même de conduire toute l’industrie d’un pays en la dirigeant à partir d’un centre unique est évidemment si chimérique, que personne ne s’aventure à proposer une manière de la mettre en œuvre. […] Si l’on peut faire confiance aux apparences, le principe qui anime trop de révolutionnaires est la haine. » John Stuart Mill  (1806-1873), Essays on Economics and Society, Chapters on Socialism, 1879, « The difficulties of Socialism ».

MARX : « Toutes les révolutions ont perfectionné cette machine [le pouvoir gouvernemental] au lieu de la briser. »
Karl Marx, Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, 1852, VII.
Depuis : « Jusqu’à présent, il n’est pas une révolution qui, en fin de compte, n’ait abouti à un renforcement de la mécanique administrative. » (LénineL'État et la révolution, 1917, II).
Et : « Il n’y a pas de " jusqu’à présent " qui tienne : la petite phrase reste vraie et ce que Lénine écrivait en 1917, il pourrait le récrire encore. », André GideJournal, Feuillets II, Été 1937.

III - Engagements, égarements ; matériaux pour un sottisier politique

HENRI BARBUSSE (1873-1935) : « J'estime que cette perversion d'un instinct naturel, comme bien d'autres perversions, est un indice de la profonde décadence sociale et morale d'une certaine partie de la société actuelle. À toutes les époques les signes de décadence se sont manifestés par des raffinements et des anomalies dans la sensation, dans l’impression et dans le sentiment. La complaisance avec laquelle certains écrivains mettent leur talent délicat au service de questions de cette espèce, alors que le vieux monde est en proie à des crises économiques et sociales formidables, et s’achemine inéluctablement vers le gouffre ou vers la révolution, ne fait pas honneur à cette phalange décadente d’intellectuels. Elle ne peut que renforcer le mépris que la saine et jeune puissance populaire éprouve pour ces représentants de doctrines maladives et artificielles, et tout cela hâtera, je l'espère, l'heure de la colère, et de la renaissance. »
Réponse au questionnaire sur la préoccupation homosexuelle en littérature, Les Marges, n° 141, 15 mars 1926. [En 1930, dans son ouvrage Russie, Barbusse traitait Proust, Cocteau et Gide de « littérateurs de fin d’Empire ».]

ARAGON : " Il s'agit de préparer le procès monstre
d'un monde monstrueux
Aiguisez demain sur la pierre
Préparez les conseils d'ouvriers et soldats
Constituez le tribunal révolutionnaire
J'appelle la Terreur du fond de mes poumons

Je chante le Guépéou (*) qui se forme
en France à l'heure qu'il est
Je chante le Guépéou nécessaire de France

Je chante les Guépéous de nulle part et de partout
Je demande un Guépéou pour préparer la fin d'un monde
Demandez un Guépéou pour préparer la fin d'un monde
pour défendre ceux qui sont trahis
pour défendre ceux qui sont toujours trahis
Demandez un Guépéou vous qu'on plie et vous qu'on tue
Demandez un Guépéou
Il vous faut un Guépéou

Vive le Guépéou véritable image de la grandeur matérialiste
Vive le Guépéou contre Dieu Chiappe et la Marseillaise
Vive le Guépéou contre le pape et les poux
Vive le Guépéou contre la résignation des banques
Vive le Guépéou contre les manœuvres de l'Est
Vive le Guépéou contre la famille
Vive le Guépéou contre les lois scélérates
Vive le Guépéou contre le socialisme des assassins du type
Caballero Boncour Mac Donald Zoergibel
Vive le Guépéou contre tous les ennemis du prolétariat. "
Louis Aragon (né à Paris XVIe en 1897 - décédé le 24 décembre 1982 à Paris VIIe), " Prélude au temps des cerises " dans Persécuté-Persécuteur, Paris : Denoël, 1931.
* Guépéou (ou GPU, ГПУ en alphabet cyrillique) était le sigle de Gossoudarstvénnoïe polititcheskoié oupravlénié (en russe : Государственное политическое управление, ; en français : Direction Politique de l’État).


Cité dans



MAXIME GORKI (1868-1936) :
« Dans le pays que le prolétariat dirige virilement et avec succès, l'homosexualité [гомосексуализм] qui déprave la jeunesse est considéré comme un crime social et puni comme tel, tandis que dans le pays "cultivé" des grands philosophes, des grands savants et des grands musiciens, il se manifeste librement et impunément. On a déjà composé un slogan sarcastique : "Exterminez les homosexuels – le fascisme disparaîtra. »
La Culture et le peuple, " Humanisme prolétarien ", 1934. [Œuvres complètes, tome XXVII, page 238 ; texte publié par ailleurs en article dans la presse soviétique (Izvestia-Известия,  Pravda-Правда) de l’époque ; traduit par Cl. C.]

La Culture et le peuple, " Du vieil homme et de l'homme nouveau " (1932),
Paris : Éditions sociales internationales, 1938, page 221.

Maurice Thorez, L'Humanité, 3 septembre 1936, page 2.


SARTRE : « La morale de [André] Gide est un des mythes qui marquent le passage de la grande propriété bourgeoise – possession concrète de la maison, des champs, de la terre, luxe intime – à la propriété abstraite du capitalisme. »
Jean-Paul Sartre, Les Carnets de la drôle de guerre, 1983, V, mardi 20 décembre 1939.


EDGAR MORIN (NAHOUM) (1947) : « Il y a des génies qui devancent l'histoire. Ils restent des décades ignorés, méconnus. Et puis l'histoire les rattrape. Et puis l'histoire les dépasse. Et pourtant l'heure où ils sont dépassés, l'heure où ils perdent leurs vertus est l'heure même de la gloire officielle, de la grande canonisation littéraire.
André Gide a reçu le Prix Nobel. Couronnement pleinement justifié s'il s'était agi d'honorer ce style admirable, se purifiant sans cesse, de l'auteur des « Nourritures terrestres », de la « Porte étroite », de la « Symphonie pastorale », des « Caves du Vatican », des « Faux Monnayeurs », ou l'immense influence libératrice sur la jeunesse que fut celle de Gide de 1923 à 1936.
Mais que reste-t-il de ce Gide-là ? Qu'est aujourd'hui le Gide couronné et le Gide officiel ?
Ma foi l'anticommunisme de Gide, depuis le retour de l'U.R.S.S. ne lui a pas subitement ôté son talent. Gide écrit toujours aussi admirablement. Mais depuis dix ans, l'anticommunisme a souillé le caractère universel du « message » gidien. Depuis 1936, il y a un Gide figé, amer, frivole. Un Gide qui, en 1947, n'a plus derrière lui ce qu'il a eu pendant vingt ans : la jeunesse. Un Gide qui ne sait plus enseigner la ferveur, mais la peur, mais un refus, un rejet.
Il est toujours triste de ne pouvoir admirer pleinement, comme on le désire. Il est toujours triste de dénoncer l'imposture de celui qui a su dénoncer tant d'impostures. Il est triste de voir s'être desséché ce qui fut l'une des belles consciences du siècle. Mais quoi ! La canonisation a commencé. Les voilà qui s'agitent avec leurs couronnes, ceux qui ont mis vingt ans à découvrir les « Nourritures », ceux qui ont hurlé après Corydon, ceux qui ont crié au scandale après le « Voyage au Congo ». La bourgeoisie commence à embaumer et maquiller – comme s'il était déjà mort – celui qui laisse dire et ne proteste plus – celui qui avait écrit pourtant en 1935 :
« Chaque homme porte en soi de quoi lutter contre soi-même et le combat restera toujours actuel, entre la pesanteur de la matière inerte et l'élan de l'esprit, entre l'invitation à la paresse et l'exigence de la ferveur. » [Discours prononcé par André Gide sur la Place Rouge le 20 juin 1936, pour les funérailles de Gorki ]
Il n'y a plus de combat depuis douze ans. Gide ne cherche plus. Il est d'accord avec ce qui est. Adapté. Et en échange : adopté.

*

Comment donc situer Gide ? Le moment des Prix Nobel est le moment de l'éclipse de son influence réelle. Cette éclipse durera-t-elle ? L'œuvre de Gide se débrouillera avec la postérité. Cela ne nous regarde pas. Ce qui nous regarde, c'est d'expliquer pourquoi Gide n'est plus le maître des ferveurs et des révoltes de la jeunesse.
Mais tout d'abord, il faut rappeler pourquoi et comment il eut une grande influence libératrice. Il faut se souvenir de la querelles des « peupliers », du refus de la mythologie barrésienne : « La Terre et les morts ». Il faut se souvenir du « Familles, je vous hais » à l'époque où la pesante hypocrisie des familles bourgeoises étouffait les jeunes gens. Il faut se souvenir de la révolte contre l'oppression colonialiste : « Voyage au Congo », « Retour du Tchad », épanouissement de cette révolte, l'adhésion au communisme... « Les Nouvelles nourritures » où il était dit : « C'est dans l'abnégation que chaque affirmation s'achève. Tout ce que tu résignes en toi prendra vie. Tout ce qui cherche à s'affirmer se nie ; tout ce qui se renonce s'affirme. La possession parfaite ne se prouve que par le don. Tout ce que tu ne sais pas donner te possède... [Morin coupe ici deux phrases des Nourritures terrestres : « Sans sacrifice il n'est pas de résurrection. Rien ne s'épanouit que par offrande. » Note de Fabrice Picandet]. Ce que tu prétends protéger en toi s'atrophie. » On ne dit pas cela dans les académies, même en Suède. C'est à nous de le dire.
Et aujourd'hui, 25 ans après, jour du Prix Nobel, Gide déclare à l'Associated Press, en faisant allusion au communisme, et pour s'opposer : « Je suis farouchement individualiste. » Mais a-t-il oublié que cet individualisme est celui-là même qui « cherchant à s'affirmer se nie » et que disant cela, il n'est plus un grand individu ? Et le voilà desséché, recroquevillé et bien attablé devant de petits problèmes : faisant des gloses sur tel vers d'Iphigénie, ou agitant des considérations distinguées sur tel point de grammaire, ou bien frémissant de peur devant le monde, lui qui auparavant frissonnait d'inquiétude. Oui, « Ce que tu prétends protéger en toi s'atrophie. » C'est ce Gide que porte universellement au Panthéon la cohorte des atrophiés.

*

À l'époque où elle exerça son heureuse influence, l'œuvre de Gide n'était pas, comme aiment le dire les conformistes, une œuvre de décadence. Au contraire, c'était un « appel direct » pour le « retour aux joies naturelles ». C'était une réaction contre l'univers artificiel du symbolisme qui s'était lui-même nommé décadence.
Bien sûr, il est faux, et [mot illisible], de vouloir chercher en Gide une pensée organisatrice et créatrice. Gide fut un révolutionnaire de la sensibilité. Mais il ne fut nullement révolutionnaire de l'intelligence. Les vues générales de Gide, dans son « Journal », appuyées de métaphores botaniques, sont d'une grande pauvreté. Gide devait obscurément sentir cette faiblesse. Il fut heureux de s'opposer à l'intellectualisme, et de dire un jour, à propos de Dostoïevski : « Ce qui s'oppose à l'amour, ce n'est point tant la haine que la rumination du cerveau. » D'où la promotion des valeurs de pure sensibilité : « ferveur, inquiétude ». D'où une philosophie « gidienne » qui si on voulait la réduire à quelques concepts serait une banalité ridicule.
D'où aussi les multiples métamorphoses de Gide, ses perpétuelles adhésions à des doctrines et des fois contradictoires ; d'où son impuissance à comprendre rationnellement ce qu'était l'U.R.S.S., d'où peut-être l'abdication finale actuelle dans les jeux frivoles de la linguistique, dans les discours vides où seule sa magnifique voix grave éveille encore quelque résonance, tandis que les pharisiens désormais applaudissent; d'où aussi le fait que l'œuvre de Gide est une œuvre essentiellement poétique « parlant de l'âme à l'âme » mais en rien une œuvre qui enseigne à penser.
D'autre part de le message Gidien a épuisé son [mot illisible] parce que depuis cette guerre les problèmes de la jeunesse, les problèmes de l'homme qui cherche une vérité ont fondamentalement changé. Le message Gidien était une « recherche de la vraie vie », problème essentiel des intellectuels de l'entre-deux guerres, qui se sentant isolés du peuple, isolés des conditions dramatiques de la vie humaine, étaient avides, eux qui tournaient dans leur univers [un mot illisible] et paisible, d'intensité, d'aventure.
Gide proposa le premier l'aventure des instincts, des passions, le mépris des conventions et des traditions. Il a dit le premier : « vivez sans remords de vivre ».
Ce fut un point de départ nécessaire.... Beaucoup se perdirent, mais beaucoup trouvèrent une issue.
Aujourd'hui, après cette guerre mondiale, le problème des hommes de littérature n'est plus de vivre. La vie nous a emporté dans ses remous énormes ; guerre, [un mot illisible], la plus prodigieuse des aventures. Nous [deux mots illisibles] par notre expérience [un mot illisible]. Le problème de la littérature est désormais : la conscience. Prendre conscience du vécu, du réel. Là Gide n'est plus d'aucun secours. Grand écrivain mais nullement penseur, nullement maître de conscience. Au contraire : esprit faux – et qui le reconnaît d'ailleurs.
Aujourd'hui l'œuvre de Gide n'a plus d'efficacité, de prolongements sinon purement esthétiques.
Gide n'a pu, depuis quinze ans, se transformer une fois de plus, ouvrir un chemin nouveau. Au contraire, il a fait marche arrière. Il rentre dans le sein des familles bourgeoises. « Après [Arthur] Kœstler, tu liras les Retouches au retour d'U.R.S.S. mon petit chéri. » — « Oui, maman. » Dommage pour l'humanité. Dommage pour Gide. Sa vieillesse n'est pas l'épanouissement goethéen. C'est quelque chose qui se dessèche. Emportez ces cendres, [un mot illisible]. »
Edgar Morin [Edgar Nahoum], « " Familles, je vous haïssais" » ANDRÉ GIDE et le PRIX NOBEL », Action Hebdomadaire de l'indépendance français, n°164, 19-25 novembre 1947. Fac-simile sur Gidiana.

* * * * *

ARAGON/MONOD : « Aux yeux de [Trofim Denissovitch] Lyssenko [1898-1976], des mitchouriniens, des kolkhosiens et sovkhosiens de l’U.R.S.S., du Parti bolchevik, de son Comité central, et de Staline, la victoire de Lyssenko est effectivement, comme le reconnaît avec stupeur le Dr Jacques Monod (1), une victoire de la science, une victoire scientifique, le refus le plus éclatant de politiser les chromosomes. » Louis Aragon, « De la libre discussion des idées », Europe, octobre 1948.

1. « Ce qu'il s'agit de comprendre, c'est comment Lyssenko a pu acquérir assez d'influence et de pouvoir pour subjuguer ses collègues, conquérir l'appui de la radio et de la presse, l'approbation du comité central et de Staline en personne, au point qu'aujourd'hui la " Vérité " dérisoire de Lyssenko est la vérité officielle, garantie par l'État, que tout ce qui s'en écarte est " irrévocablement banni " de la science soviétique (" Pravda ", cité d'après " Soviet news " [publication de l'ambassade soviétique à Londres] du 27 août [1948] et que les opposants qui contre lui défendaient la science, le progrès, les vrais intérêts de leur patrie sont honteusement chassés, cloués au pilori comme " esclaves de la science bourgeoise " et pratiquement accusés de trahison.
Tout cela est insensé, démesuré, invraisemblable. C'est vrai pourtant. Que s'est-il passé ? » — Jacques Monod, Combat, 15 septembre 1948.

ANONYME« Le véritable marxiste, enfin, ne se juge marxiste qu'à partir du moment où il lui semble pouvoir mériter l'épithète enthousiasmante de " stalinien ". » " Présentation ", La Nouvelle Critique - Revue du marxisme militant, n° 1, décembre 1948, page 11.


La Nouvelle Critique Revue du marxisme militant.
" La revue est créée en 1948 par le Parti communiste français.
N° 1, décembre 1948

Jean Kanapa (né en 1921 dans le Val-d'Oise - décédé le 5  septembre 1978 à Saint-Cloud, Hauts-de-Seine, agrégé de philosophie en 1943, classé 4e sur 15) en a été le rédacteur en chef jusqu'en 1959, puis Jacques Arnault lui succède. Dirigée à partir de 1967 par le journaliste Francis Cohen, elle cesse de paraître en février 1980.
Créée pour diffuser dans les milieux intellectuels ce que le Parti communiste français présente comme les analyses marxistes liées à son combat politique, ce qu'affiche son sous-titre « revue du marxisme militant », elle se distingue de ce point de vue de La Pensée, autre revue du PCF.
À partir du début des années 1960 elle devient un des lieux des débats qui s'ouvrent parmi les intellectuels communistes. Cette ouverture - qui va croissant dans les années 1970 - et des problèmes financiers conduisent à la disparition de la revue en 1980. " (avec PANDOR.u-bourgogne.fr)
Organisme responsable de l'accès intellectuel : Maison des Sciences de l'Homme de Dijon. (USR UB-CNRS 3516).

DESANTI : « La science prolétarienne est aujourd'hui la véritable science [...] Les nouveaux et modernes Galilée s'appellent Marx, Engels, Lénine et Staline. »
Jean [-Toussaint] Desanti, né en 1914 à Ajaccio (Corse-du-Sud) - décédé le 20 janvier 2002 à Paris Xe, ENS-Ulm (1935), agrégé de philosophie (1942, classé 2e sur 8), dans l’ouvrage collectif Science bourgeoise et science prolétarienne, Paris : LNC, 1950.

Conclusion de l'article " Descartes et les petits bourgeois ",
n° 17 de juin 1950 de La Nouvelle Critique.
Voir plus loin Gorki (1929) et Althusser (1976).

" La supériorité soviétique, c'est la supériorité de ce qui naît sur ce qui meurt, du nouveau sur l'ancien, de la suppression totale de l'exploitation de l'homme par l'homme, de la science marxiste-léniniste-stalinienne. C'est la supériorité du Parti qui, sur des bases scientifiques, guide le prolétariat opprimé, aliéné, vers la transformation révolutionnaire de la société, puis vers l'édification de la société sans classes où l'homme est un dieu pour l'homme. "
Jean Kanapa, 1921-1978, agrégé de philosophie, directeur de La Nouvelle Critique Revue du marxisme militant.
Conclusion de " L'ART ET SA MORALE ou Supériorité du cinéma soviétique ", dans le n° 27 de juin 1951 de la NC.
On voit à quel point un agrégé de philosophie pouvait se laisser abuser sur la notion de science.


SARTRE : « Le citoyen soviétique possède, à mon avis, une entière liberté de critique.»
Jean-Paul Sartre, Libération, 15 juillet 1954.

" Le marxisme [...] philosophie indépassable de notre temps. "
Jean-Paul Sartre, Critique de la raison dialectique, Paris : Gallimard, 1960.

Raymond Aron : " En 1977, ce qui me frappait et domina la première partie du Plaidoyer [Aron, Plaidoyer pour l'Europe décadente, 1977], c'était le dialogue entre les dissidents soviétiques et la gauche plus ou moins marxiste de l'Occident. Le marxisme demeure la philosophie indépassable de notre époque, répète Sartre lors même qu'il rompt avec le parti communiste. À celui qu'il appelle avec ironie le maître à penser de 1' Occident, Alexandre Soljenitsyne répond : « Le marxisme est tombé si bas qu'il est devenu simplement un objet de mépris ; pas une personne sérieuse dans notre pays, pas même les élèves dans les écoles, ne peut parler du marxisme sans sourire. » (Mémoires, IV, 6, Paris : R. Laffont, 2010).

« Un anticommuniste est un chien, je ne sors pas de là, je n’en sortirai plus jamais. »
Jean-Paul Sartre, Les Temps Modernes, octobre-novembre 1961 (repris en 1964 dans Situations IV). [L'existentialisme n'était pas un humanisme …]


SOLLERS (né en 1936) : " Dès la parution en 1971 du livre Les Habits neufs du président Mao, Simon Leys est critiqué par les membres de la revue Tel Quel, dont Philippe Sollers est un des principaux animateurs. Simon Leys qualifiait ces contradicteurs de « maoïstes mondains ». Ce n'est que vingt-sept ans plus tard que Philippe Sollers reconnaîtra la justesse des analyses de Simon Leys :
« Il n’y a, me semble-t-il, dans l’œuvre monumentale de Simon Leys rassemblée aujourd’hui sous le titre Essais sur la Chine, qu’une erreur, d’ailleurs secondaire et cocasse, celle qui met sur le même plan, à deux ou trois reprises, l’auteur de ces lignes et des personnages aussi considérables que Nixon, Kissinger ou Alain Peyrefitte. Je rougis de cette promotion injustifiée due à mon « maoïsme » de jeunesse [Sollers avait quand même 35 ans en 1971], sur lequel je me suis expliqué cent fois en vain (mais il faudrait refaire chaque année son autocritique, on le sait). Trente ans [sic] ont passé, et la question reste fondamentale. Disons-le donc simplement : Leys avait raison, il continue d’avoir raison, c’est un analyste et un écrivain de premier ordre, ses livres et articles sont une montagne de vérités précises, on va d’ailleurs le louer pour mieux s’en débarrasser, ce qui n’est pas mon cas, curieux paradoxe. » (Philippe Sollers, Le Monde, 3 avril 1998). " (avec fr.wikipedia.org)

CHÂTELET : « Il faut s’y résoudre : pour "dépassé" qu’il soit dans la tête de ceux qui ne l’entendent point, le marxisme demeure la référence décisive dont se réclament deux des plus puissants États, aujourd’hui [U.R.S.S., Chine populaire] ; il inspire les luttes de nombreuses couches sociales – ouvrières, agricoles, intellectuelles – des pays industrialisés. »
François Châtelet [beau-frère de Lionel Jospin, né à Paris XVIe en 1925, décédé à Garches (Hauts-de-Seine) le 26 décembre 1985], Introduction au Manifeste du Parti communiste, Paris : LGF, 1973.


LOUIS ALTHUSSER, né en 1918 à Birmandreis (Algérie) - décédé le 22 octobre 1990 à La Verrière (Yvelines), ENS-Ulm (1939) ; agrégé de philosophie (1948), classé 2e sur 15) : « Ceux qui ont pu s'imaginer que je fus converti au communisme par Hélène [Rytmann] doivent savoir que ce fut par [Pierre] Courrèges.  » L’Avenir dure longtemps suivi de Les faits, X, Paris : Stock,  1992. Réédité par Flammarion en collection Champs-essais en 2013.

« Comme tout "intellectuel", un professeur de philosophie est un petit bourgeois. Quand il ouvre la bouche, c’est l’idéologie petite-bourgeoise qui parle: ses ressources et ses ruses sont infinies. »
Positions (1964-1975), Paris : Éditions sociales, 1976, " La philosophie comme arme de la révolution ", 2.

Ce que l'écrivain soviétique Maxime Gorki écrivait en 1929 :
La Culture et le peuple, Paris : Éditions sociales internationales, 1938.


Louis Althusser

« Lénine disait à très juste titre que sans théorie révolutionnaire il n’est pas d’action révolutionnaire possible ; ce mot n’a nullement vieilli. Il suffit [sic et lol] de trouver les formes qui peuvent aujourd’hui lui donner sens et vie, en évitant tous les travers que nous ne connaissons que trop. Tâche longue et ardue, mais à la limite nullement impossible, à condition de l'entreprendre dès maintenant avec patience et rigueur et sans jamais se payer de mots, en exigeant toujours (Kant, Marx) de " penser par soi-même (1)" sans laisser soit les textes sacrés, soit les pères fondateurs, soit les dirigeants des organisations, soit la spontanéité des masses elles-mêmes penser à notre place.»
L’Avenir dure longtemps suivi de Les faits, « Matériaux », II " Fragments de L'Avenir dure longtemps ", 3 "Situation politique : analyse concrète ?", Livre de poche, 1994. Réédité en collection Champs-essais en 2013.
1. Exigence bien antérieure à Marx et Kant ; voir mon article "Lesprit faux ..."

Louis Althusser



AUROUX : « Le marxisme se présente comme unité (de la théorie et de la pratique), comme totalité (reprenant dans l’unité de la praxis la diversité des déterminations humaines et mondaines), et comme universalité (historique et concrète). C’est donc le totalitarisme qui rend le marxisme adéquat à incarner l’essence historique du projet philosophique. »


Sylvain Auroux, Barbarie et philosophie, IV, Paris, PUF, 1990.


MICHEL ONFRAY : « Les Lumières qui suivent Kant sont connues : Feuerbach, Nietzsche, Marx (1), Freud, entre autres. » Traité d'athéologie. Physique de la métaphysique, Paris : Grasset, 2005 ; Introduction, § 5 " L'immense clarté athéologique ".

« Tout ce qui définit habituellement le fascisme [...] la guerre expansionniste vécue comme preuve de la santé de la nation ; la haine des Lumières — raison, marxisme (1), science, matérialisme, livres ; le régime de terreur policière. » (Traité d'athéologie ..., Paris : Grasset, 2005 ; 4e partie "Théocratie", III " Pour une laïcité post-chrétienne ", § 8).

1. Ranger l'idéologie marxiste — idéologie des totalitarismes soviétique et maoïste — parmi les Lumières, c'est inattendu de la part d'un philosophe contemporain. Mais depuis on en a vu d'autres de sa part. Cependant pour Yvon Quiniou, le Onfray libertaire serait " hostile d'une manière obsessionnelle au marxisme (de Marx) ".


IV - Reculs critiques et autocritiques :

MERLEAU-PONTY : « Si le marxisme, après avoir pris le pouvoir en Russie et s’être fait accepter par la moitié du peuple français, semble aujourd’hui incapable d’expliquer dans son détail l’histoire que nous vivons, si les facteurs essentiels de l’histoire qu’il avait dégagés sont aujourd’hui mêlés dans le tissu des événements à des facteurs nationaux ou psychologiques qu’il considérait comme secondaires, et recouverts par eux, n’est-ce pas la preuve que rien n’est essentiel en histoire, que tout compte également, qu’aucune mise en perspective n’a de privilège, et n’est-ce pas au scepticisme que nous sommes conduits ? La politique ne doit-elle pas renoncer à se fonder sur une philosophie de l’histoire, et, prenant le monde comme il est, quels que soient nos vœux, nos jugements ou nos rêves, définir ses fins et ses moyens d’après ce que les faits autorisent ? Mais on ne se passe pas de mise en perspective, nous sommes, que nous le voulions ou non, condamnés aux vœux, aux jugements de valeur, et même à la philosophie de l’histoire. »
Maurice Merleau-Ponty, « Pour la vérité », Les Temps Modernes, n° 4, janvier 1946. [Une version modifiée de ce texte (« par un tiers du peuple français », « les facteurs de l’histoire ») fut proposée comme sujet-commentaire au bac A dans l'académie de Paris en 1991].

La négation du goulag par les communistes n'entraîna pas de répression judiciaire ; le P. C. F. (un des promoteurs, avec Laurent Fabius, de la loi Gayssot de juillet 1990) tenta même, sans succès, de disqualifier les dénonciateurs de ce goulag ; les députés communistes Virgile Barel et Jacques Duclos traitèrent David Rousset de journaliste hitlérien, de policier, de roussin (Assemblée nationale, 1ère séance du 26 décembre 1949, JO N° 120, page 7250).
Affaires Kravchenko : Victor Kravchenko porta plainte contre Les Lettres françaises pour diffamation, et gagna ce procès le 4 avril 1949. Дело Кравченко.
Affaire David Rousset : plainte de David Rousset contre Les Lettres françaises, procès gagné en 1951. Me Joe Nordmann (né en 1910 dans le Haut-Rhin - décédé le 12 novembre 2005 à Neuvéglise-sur-Truyère (Cantal)), négateur de l'existence du Goulag au procès Kravchenko, s'excusa, un demi-siècle plus tard, de son aveuglement sectaire dans Aux Vents de l'histoire (Avocat et communiste), Arles : Actes-Sud, 1996.
FOUCAULT : « Il est faux de dire " avec certain post-hégélien célèbre " [Karl Marx], que l’existence concrète de l’homme c’est le travail. Car la vie et le temps de l’homme ne sont pas par nature travail, ils sont : plaisir, discontinuité, fête, repos, besoins, hasards, appétits, violences, déprédations, etc… »
Michel Foucault (1926-1984), Le Pouvoir et la norme, 1973.

JACQUES BOUVERESSE : « La philosophie peut prendre et même réussir jusqu’à un certain point à faire prendre ce que le véritable esprit critique considèrerait comme l’expression la plus typique du dogmatisme et du conformisme idéologique du moment pour la forme la plus impitoyable et la plus sophistiquée de la critique. »
Le Philosophe chez les autophages, 1, Paris : Minuit, 1984.

POIROT-DELPECH : « Aux yeux du marxiste [Bertolt] Brecht, le ventre fécond figure principalement, sinon exclusivement, le capitalisme. Jusqu’à sa mort à Berlin-Est, l’été 1956, qui est celui des chars russes à Budapest, il n’écrira rien qui laisse entendre que le communisme peut produire, aussi, la barbarie. En réduisant le nazisme à un phénomène de gangstérisme minable et en éludant les processus instinctifs qui ont conduit une grande majorité d’Allemands à y adhérer, l’auteur a pris le risque de sembler négliger la responsabilité des peuples et de couvrir un autre gang, le stalinien (vingt millions de morts, hors guerre, selon les dernières estimations). »
Bertrand Poirot-Delpech, « Petites phrases », Le Monde, 15 décembre 1993.

COURTOIS : « Transposant la science de l’homme, avec ses lois propres, à l’étude des sociétés, [Karl] Marx a appliqué à la sphère politique ce qui relevait du domaine biologique [évolutionnisme de Darwin], amorçant toutes les dérives du siècle suivant. En affirmant qu’il existait des lois gérant l’évolution de la société, Marx a conclu à la nécessité de suivre ces lois. C’est le vers d’Aragon: "Les yeux bleus de la Révolution/brillent d’une cruauté nécessaire." ["Front rouge", Littérature de la révolution mondiale, janvier 1932]. Ces gens-là ont tué au nom d’une nécessité historique à laquelle nul ne pouvait prétendre échapper. »
Stéphane Courtois, « Crimes communistes : le malaise français », Politique internationale, n° 80, été 1998.


V - Et après ?

KRIEGEL : « Tout se passe en vérité comme si le déclin et la défaite du marxisme qui avait eu, lui, la prétention d’imposer la classe, la lutte des classes, la mission émancipatrice de la classe ouvrière comme mode unique de la structuration et de la stratification sociale, comme "moteur de l’histoire", n’avait donné sa chance, à gauche, qu’à un autre manichéisme élisant l’ethnie – expression pudique, équivalent respectable du concept de race – comme principe organisateur de la société en général et de la société de l’avenir en particulier. Encore la classe jouit-elle d’attributs qui sont ceux d’une société relativement moderne. Tandis que la race, hors des sociétés les plus archaïques, n’est plus qu’un concept tout à la fois scientifiquement récusé et socialement redoutable.»
Annie Kriegel, « Une vision panraciale », Le Figaro, 2 avril 1985.

TORT : « Être marxiste aujourd'hui, c'est donner un contenu universel à la logique égalitaire en l'étendant sans restriction au terrain de la citoyenneté. Etre marxiste aujourd'hui, c'est comprendre que l'égalité ne triomphera que dans l'élément du mixte, et non dans le sein délabré des vieilles finasseries identitaires. Toute revendication d'identité, analysée dans le présent contexte historique et politique, dissimulant de plus en plus malaisément ce qu'elle recouvre d'implication suprématistes résiduelles ou résurgentes. Qu'on veuille bien considérer ces réflexions que je vais développer à ce propos comme un essai pour remplacer par une problématique réelle les lieux communs ordinaires du discours politicien. »
Patrick Tort, Être marxiste aujourd'hui, Paris: Aubier, 1986.


VI – Définitions (positives) du marxisme :

Une méthode d’appropriation et de synthèse des résultats de la science (Friedrich Engels)
La science prenant conscience d’elle-même (Paul Labérenne)
Une logique historique (Claude Lefort)
L’idéologie conquérante de la classe qui porte en elle l’avenir de toute l’humanité (Laurent Casanova, 1950)
La science fondamentale du prolétariat (Jean-Toussaint Desanti)
Pour l’essentiel cette idée que l’histoire a un sens (Maurice Merleau-Ponty)
Une méthode d’explication et d’action (Roland Barthes, 1955)
Le système de coordonnées qui permet seul de situer et de définir une pensée en quelque domaine que ce soit, de l’économie politique à la physique, de l’histoire à la morale (Roger Garaudy)
La seule méthode qui rende compte de l’ensemble du mouvement historique dans un cadre logique (Jean-Paul Sartre).