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jeudi 30 mai 2024

DFHM : Damoiseau à droits du cul en passant par défaut, délicat, délices, délit d'espine et délit d'homosexualité



" Il n'est pas du tout à la mode, c'est un vrai damoiseau. "
Madame [princesse Palatine, belle-sœur de Louis XIV], lettre du 13 décembre 1718, parlant de son fils le Régent.
Connotation hétérosexuelle, par opposition au " vice à la mode ".

DAUFER

« DAUFER  : satisfaire une passion pédéraste. »
Évariste Nouguier, Dictionnaire d'argot, 1899-1900.

DAUPHIN

« de sout’neur dev’nir dauphin »
Émile Chautard, Goualantes de la Villette et d’ailleurs, 1929.



DÉBAUCHE NATURELLE

« L'aventure de MM. de La Ferté, Biran, Colbert, Argenson est bien infâme; ils ne sont que les malheureux d'une nombreuse confrérie. Nos pères n'étaient pas plus chastes que nous, mais ils se contentaient d'une débauche naturelle. On brode à présent sur les vices, on les raffine. »
Lettre de La Rivière à Bussy-Rabutin, 5 février 1680.

DÉCULER, DÉSENCULER

« Je suis en état de foutre dix coups sans désenculer. »
Le Bordel apostolique institué par Pie VI pape en faveur du clergé de France, « Réponse », 1790 [BnF, Enfer 602].

« L'Italien, déculant son homme, nous offre un vit sec et mutin, maintenant propre à toutes sortes d'attaques. »
Marquis de Sade, Histoire de Juliette, VIe partie, Paris : Gallimard, 1998, édition Michel Delon.

« Ces pieuses dissertations terminées, le moine décula son giton. »
Marquis de Sade, La nouvelle Justine, VIIe partie, Paris : Gallimard, 1995, édition Michel Delon.

DÉFAUT

Pierre Daniel Huet (sur l'humaniste italien Ange Politien) : « Je ne dis rien de ses mœurs, et de sa religion. Il a eu sur cela une réputation fort équivoque, et ce défaut qui est capital, a obscurci toutes ses autres vertus ; d'autant plus que son caractère de Prêtre, et son emploi de Chanoine, requéraient une vie réglée, et des mœurs exemplaires. »
Huetiana, ou pensées diverses de M. Huet, VII, publié par l'abbé Pierre-Joseph d'Olivet (1682-1768).
Paris : J. Estienne, 1722.

Antoine Aubriet signale, dans sa Vie de Cambacérès (1824), que les contemporains lui reprochaient un " petit défaut ".

DÉLICAT

Du latin delicatus (dérivé de deliciae) désirable, voluptueux, fin, avec déjà une connotation homosexuelle chez Jérôme (lettre XIV)  et Sénèque (Lettres à Lucilius, CXIV)

« Pour souligner l’ « ordre et venuste elegance » de la dame Méridienne, l’auteur du deuxième conte fait allusion non seulement aux apparitions de Vénus à Mars, d’Adonis à Vénus, et de Psyché à Cupidon, mais aussi à celle de « l’enfant delicat Ganimedes au souverain Juppiter lorsqu’il le ravit ». 
Les Contes amoureux par Madame Jeanne Flore, vers 1542, édition critique par Régine Reynolds-Cornell, Textes et Contre-Textes no 5, Saint-Étienne, Publications de l’Université
de Saint-Étienne, 2005, page 92.  »
Cité par Gary Ferguson dans son texte « Jeanne Flore pédéraste », in DEBROSSE (Anne), SAINT MARTIN (Marie) (dir.), Horizons du masculin. Pour un imaginaire du genre, Paris : Classiques Garnier, 2020, page 474.

Cette épître « À celle qui se reconnaîtra » est attribuée au marquis de Villette ou au comédien Jacques M. (de) Monvel :

« Tout le monde a des ridicules,
Mais n’a pas des vices qui veut.
Du tien ne va pas te défaire,
Dans la Grèce on en faisait cas
Et sur le vice, on sait, ma chère,
Que les Grecs étaient délicats. »
Mémoires secrets, tome 14, 16 octobre 1779.

« Un jeune homme très délicat [...] la délicatesse en personne »
Joseph Méry, Monsieur Auguste, Paris : A. Bourdillat, 1859, cité par Michael Rosenfeld, " Écrire et escamoter l'amour entre hommes sous le Second Empire : Monsieur Auguste et Le Comte Kostia ", dans " Écrire les homosexualités au XIXe siècle ", Littératures, n° 81, 2019.

« Délicat et blond, adj. Se dit, ironiquement, d’un gandin, d’un homme douillet, quelles que soient la couleur de ses cheveux et la vigueur de son corps. »
Alfred Delvau, Dictionnaire de la langue verte, 2e édition, 1883.

« Les philosophes grecs aimaient les belles formes. Leur cœur s’attachait de préférence aux nobles lignes que les beaux éphèbes déployaient dans les exercices du gymnase […] quelques esprits délicats de nos jours, heurtés par le côté bassement matériel de l’amour, par le prosaïsme des rapports journaliers, frappés de l’incomplet des formes féminines, du manque d’esthétique de leur amitié toujours peu sûre, ont jugé que la passion ordinaire ne pouvait jamais atteindre à ce haut point de désintéressement où se joue l’amitié entre hommes. L’amitié-passion, voilà le remède que vous cherchez. »
Paul Verlaine, La Vie parisienne, 26 septembre 1891.

André Gide avait noté quelque part que sa mère le trouvait délicat.

Émile Zola : " L’incertitude peut commencer au simple aspect physique, aux grandes lignes du caractère : l’homme efféminé, délicat, lâche ; la femme masculine, violente, sans tendresse. Et elle va  jusqu’à la monstruosité constatée, l’hermaphrodisme des organes, les sentiments et les passions contre nature. Certes, la morale et la justice ont raison d’intervenir, puisqu’elles ont la garde de la paix publique. Mais de quel droit pourtant, si la volonté en est en partie abolie ? On ne condamne pas un bossu de naissance parce qu’il est bossu. Pourquoi mépriser un homme d’agir en femme s’il est né femme à demi ? "
Lettre au Dr Laupts (G. Saint-Paul), 25 juin 1895.
Anonyme : " Il me semblait être trop faible, trop joli, trop délicat pour dormir avec une femme à laquelle je ressemblais trop, et d’ailleurs je n’aurais jamais eu ce courage. " Roman d'un inverti-né, II, 1889 (lettres à Zola).

« Royaume-Uni Le "stray" nouveau est arrivé (Société), par Béatrice Colbrant :
Selon une étude britannique, une nouvelle race d’hommes vient de faire son apparition : le "stray", intermédiaire entre l’homme gay traditionnel et le "straight", terme réservé à l’hétéro de base. Le stray serait ainsi un straight déguisé en gay et cela en vue de séduire le plus grand nombre de femmes possible. Des femmes, dit-on, de plus en plus attirées par le look délicat, voire inoffensif, du copain gay toujours prêt à écouter et à rendre service. Référence oblige : on se souvient de Warren Beatty dans "Shampoo", prototype du stray s’attirant les succès féminins sous les dehors les plus détachés. Tout homme outre-Manche est désormais qualifié de "GUPO": "Gay until proven otherwise" (Gay jusqu’à preuve du contraire). »
Têtu quotidien, 2 avril 2003.

DÉLICES

Du latin classique deliciae, voluptés, objet d'amour.

La connotation homosexuelle du terme provient probablement de ces célèbres vers de Virgile :

Formosum pastor Corydon ardebat Alexim,
Delicias domini, nec, quid speraret, habebat.

« Pour le bel Alexis, délices de son maître,
Le pâtre Corydon se consumait en vain » (traduction Paul Valéry).

La Renaissance le ranime :

« Des filles n’avons nul besoin
Car avons-nous pas nos novices
Avec lesquels prenons soin
De trouver toutes nos délices
Et ce faisant n’avons point peur
D’en avoir aucun déshonneur. »
Recueil Maurepas, BnF, mss fr 12616, année 1566, tome 1, page 160, « Chanson d’un cordelier sorbonniste ».

Ainsi mon favori gay m'entretiendra,
Je ne désire pas que l'on cueille mon fruit,
Comme un peuple ignorant dedans l'ombreuse nuit,
Ni comme un courtisan tout à la dérobée."
Oeuvres poétiques du capitaine Laphrise, " Stances de la délice d'amour ", 1597.

« Pourceau le plus cher d’Épicure,
Qui, contre les lois de nature,
Tournez vos pages à l’envers,
Et qui, pris aux chaînes des vices
Vous plongez dedans leurs délices,
J’ai des limbes entendu vos vers. »
Sieur de Sigognes, Ode, in Cabinet satyrique ou Recueil parfait des vers piquants et gaillards de ce temps, 1618.

Dictionnaire français de Pierre Richelet, 1706 : délices



Sade : « Ce singulier Dolmancé […] sodomite par principe, […] les délices de Sodome lui sont aussi chers comme agent que comme patient. »
Marquis de Sade, La Philosophie dans le boudoir (1795), I, Paris, Gallimard, 1998, édition Michel Delon.

Paul Bourget : « C'était le collège qui continuait à les lier l'un à l'autre, et les souvenirs d'enfance. Leur enfance ?... Armand, qui tournait la rue Royale et gagnait les Champs-Élysées, se rappela soudain le défilé de la pension Vanaboste, le jeudi, et la promenade trois par trois, sous la surveillance d'un pauvre diable de maître d'étude qui cherchait à se dissimuler parmi les groupes pour avoir l'air d'un passant comme les autres et non pas d'un chien de cour chargé de garder un troupeau d'élèves. Et quel troupeau ! La plupart avait le teint pali, les yeux creusés, un appauvrissement énervé de tout l'être qui disait de secrètes débauches. Que d'ignominies et de bassesses dans ce monde où les plus âgés avaient dix-neuf ans, où les plus jeunes en avaient huit ! Entre les murs de la prison, comme entre les murs du grand lycée où ils se rendaient deux fois par jour, il n'était question que d'infâmes amours entre ces grands et ces petits. Parmi ces amours contre nature, les unes étaient franchement sensuelles et avaient pour théâtres tous les coins déserts de la maison, depuis les dortoirs jusqu'à l'infirmerie. Et parmi les jeunes Français internés dans des collèges semblables, combien participaient à cette luxure, et les autres se salissaient l'imagination en la repoussant ! Il y avait aussi entre ces collégiens des liaisons exaltées et chastes. La lecture d'une certaine égloque de Virgile, d'un dialogue de Platon, de quelques sonnets de Shakespeare montaient la tête aux plus littéraires, et Alfred Chazel avait un jour reçu, étant en troisième, une pièce de vers écrite par un rhétoricien de Henri IV, qui commençait par ce vers prodigieux dont ils avaient ri comme des fous :
Alfred, mon pâle Alfred, mon Aimé, mes Délices... »
Un Crime d'amour, Paris : Alphonse Lemerre, 1886.

DÉLIT D’ÉPINE,  DÉLIT DE L’ÉPINE-DU-DOS

« ESPINE, c'est-à-dire le dos, à cause de l'épine du dos ; & le délit d'espine, c'est-à-dire, la Sodomie. C’est pourquoi Monstrelet [vers 1390-vers 1453] dit que quelques uns furent brûlés à la Grève pour avoir commis le délit d’espine. »
Pierre Borel (vers 1620-1671), Dictionnaire des termes du vieux françois ou Trésor des recherches et antiquités gauloises et françoises, Paris : Briasson, 1750 [Paris : A. Courbé, 1655], à l’article ESPINE.

Gilles Ménage, Dictionnaire étymologique..., 1694.

Gilles Ménage, Dictionnaire étymologique..., 1750.

DÉLIT D'HOMOSEXUALITÉ

« Ce n’est pas seulement l’article 331 du Code pénal concernant le délit d’homosexualité qui aurait besoin d’être revu et assoupli. »
Daniel Guérin, " La Répression de l’homosexualité en France ", La Nef [Nouvelle équipe française], janvier 1958.

Les mentions « homosexualité » et « homosexualité avec mineurs » dans les tableaux des deux séries statistiques du Ministère de la Justice (adultes, mineurs) ont amené certains à parler, après Daniel Guérin, de délit d’homosexualité.

On peut mentionner une troisième série de données, celle de la Direction de l’Éducation surveillée (publiée par l’INSEE). En 1966, 36 garçons de moins de 15 ans avaient été amenés devant les juges pour enfants au titre de l’infraction « homosexualité » (sic). Jusqu’en 1974, 60 à 80 mineurs de moins de 21 ans étaient mis en cause chaque année.

Dans l’Encyclopédie Dalloz – PÉNAL, la rubrique « Attentats aux mœurs » date de 1967 ; l’article 2 de la section 2 (attentat à la pudeur sans violence) comporte un § 3 intitulé « Délit d’homosexualité », expression reprise plusieurs fois, dans les sous-titres, « A. Éléments constitutifs du délit d’homosexualité » et « B. Répression du délit d’homosexualité », et dans le corps du texte : « L’ordonnance du 8 février 1945 […] a judicieusement placé le délit d’homosexualité à l’article 331 du Code pénal qui vise essentiellement la satisfaction de passions personnelles. »

" Quant au délit d'homosexualité, il n'apparaît dans l'arsenal des lois françaises qu'avec la loi de Vichy du 6 août 1942. "
Appel pour la révision du Code pénal, Le Monde, 22-23 mai 1977.

« Le vote de la loi du 23 décembre 1980 et les tentatives d’abrogation du délit d’homosexualité. »
Gisèle Halimi, Rapport N° 602, 1981-1982, AN, séance du 10 décembre 1981.

« En deuxième lecture votre Haute Assemblée, insensible tant aux changements d’option de l’exécutif qu’à l’opinion de l’Assemblée nationale, a maintenu fermement sa position initiale : le délit d’homosexualité devait disparaître de nos lois. »
Robert Badinter, Garde des Sceaux, Sénat, séance du 5 mai 1982.

« La suppression du délit d’homosexualité ne figure ni dans le projet socialiste de 1980, ni dans les 110 propositions du candidat Mitterrand à l’élection présidentielle de 1981. »
Étienne Dailly, Rapport N° 457, 1981-1982, Sénat, séance du 7 juillet 1982.

Mme Élisabeth Guigou était revenu sur cet aspect de la première alternance :
« C’est […] le 29 avril 1981 […] que le candidat François Mitterrand déclarait que l’homosexualité devait cesser d’être un délit. À cette époque elle figurait encore dans le Code pénal, et c’est Robert Badinter qui la fit disparaître. »
Assemblée nationale, séance du 30 mars 1999.

  S’il est évidemment faux que l’homosexualité ait été illégale en France après 1942, il est tout aussi faux qu’elle ait été légale. Même avant 1942, en 1924, la revue L’Inversion/L’Amitié fut poursuivie et condamnée (en 1926) pour outrage aux bonnes mœurs. On sait que de 1960 à 1980 l’homosexualité a été une circonstance aggravante de l’outrage public à la pudeur, que la législation faisait, jusqu'à la loi Taubira du 4 août 2014 (dont l'article 26 supprime dix occurrences de cette expression bonnes mœurs dans le Code civil et quatre autres codes) notamment obligation d’user de la chose louée « en bon père de famille » (Code civil, article 1728, 1°) et que la Préfecture de Police de Paris a longtemps comporté un « Groupe de contrôle des homosexuels ».

  La conduite automobile sur la voie publique est autorisée à partir de 18 ans. La liberté des relations sexuelles entre majeurs, de 1974 à 1982, n’était pas du même ordre. Il y avait autour de l’homosexualité, des actes dits en termes moyen-âgeux « impudiques ou contre nature », un contexte, un climat, une histoire, un encadrement juridique et administratif, qui donnaient une certaine pertinence à l’expression délit d’homosexualité, et à celle de dépénalisation qui suivit.

DÉSHOMOÉROTISATION

« Au moment où Narcisse contemple son image reflétée dans l’eau de la fontaine, la description de sa beauté – celle de l’éphèbe longuement détaillée par Ovide39 – est omise par Jeanne Flore. Ce souci de ce que l’on pourrait appeler la « déshomoérotisation » du récit va même pousser l’auteur renaissant à changer le sexe de l’image dont le jeune homme tombe amoureux. Dans les Métamorphoses, Narcisse est attiré tout naturellement par ce qu’il croit être un jeune homme qu’il désire embrasser. Le Narcisse des Comptes amoureux « va contemplant avec ung subtil et amoureux regard l’excellente beaulté qui luy faict à croyre que quelque Déesse soit du hault ciel descenduë. Dont la saluë il, et reverentement s’encline devant elle ». Cette déshomoérotisation nécessite, en revanche, une certaine effémination du sujet masculin. Pour que le garçon tombe amoureux non pas d’un garçon mais d’une fille, le garçon doit ressembler à une fille. »
Gary Ferguson, « Jeanne Flore pédéraste », in DEBROSSE (Anne), SAINT MARTIN (Marie) (dir.), Horizons du masculin. Pour un imaginaire du genre, Paris : Classiques Garnier, 2020, pages 481-482.

DÉSORDRE

La connotation homosexuelle de ce terme est faible, mais amusante rapportée à plusieurs remarques de Flaubert relative à l’ironie de l’ordre que constituerait l’émergence de l’homosexualité dans une situation officielle :

« SODOMIE, s. f. (Gram. & Jurisprud.) est le crime de ceux qui commettent des impuretés contraires même à l'ordre de la nature (i) ; ce crime a pris son nom de la ville de Sodome, qui périt par le feu du ciel à cause de ce désordre abominable qui y était familier. »
Encyclopédie, tome XV, 1765, colonne 266, par Antoine-Gaspard Boucher d'Argis (1708-1791). [texte complet de l’article au mot sodomie]

« Comme les jeunes gens, qui se prostituaient à ce désordre n'étaient, comme ils ne sont encore en général, que des coiffeurs, des perruquiers, des jockeys, des domestiques sans condition, on les envoyait assez communément à Bicêtre, pour un, deux, trois ou six mois, suivant que le lieutenant de police en prononçait sur le rapport de l'inspecteur ou du commissaire. Quant à ceux avec qui on les trouvait, on en prenait le nom, et quelquefois on les rançonnait. »
Jacques Peuchet, Article « Pédérastie », Encyclopédie méthodique, tome 112 (Police et Municipalité), Panckouke, 1791 [BnF Z 8556].

« Les femmes vont devenir inutiles ; les jeunes garçons prennent leur place. Ce crime abominable se commet avec toute sorte de liberté ; et il est presque passé en coutume, on n’en rougit plus. Ceux qui le commettent s’en font honneur, croient être à la mode et passent pour galants hommes. Ceux qui ne s’abandonnent pas à ce désordre en ont la réputation ; premièrement, parce que le nombre en est fort petit et qu’ils sont confondus dans la foule des criminels. »
Journal d’un poète, juin 1837.

DEVANT/DERRIÈRE

Cette polarité topologique a été durablement associée à la classification des goûts sexuels masculins. Elle contient en germe la notion d’inversion, de même que l’expression à rebours. Une autre polarité topologique, haut/bas, fut invoquée par le philosophe italien Campanelle dans sa Cité du soleil [Civitas Solis, 1623] : il était prévu, dans cette utopie communiste, de stigmatiser les sodomites en leur faisant porter un soulier attaché à la nuque, pour signifier la perversion de l’ordre.

Pierre de L’Estoile rendit compte d’un combat perdu par un mignon d’Henri III en citant le quatrain composé pour l’occasion :

« Quélus n’entend pas la manière
De prendre les gens par devant ;
S’il eût pris Bussy par derrière,
Il lui eut fourré bien avant. »
Journal, année 1578.

Même association dans ces vers qui visaient les pères Jésuites :

« Au collège de Louis le Grand
On n’y connaît point le devant ;
Car ses traîtres de Paris
  Hé bien !
Attaquent le derrière
Vous m’entendez bien. »
Chansonnier Maurepas, année 1685.

Allusion à un certain usage du derrière dans ces vers faits sur Louis-Joseph, duc de Vendôme (1654-1712) par son secrétaire, pour mettre sous son portrait :

« Le héros que tu vois ainsi représenté,
Favori de Vénus ainsi que de Bellone [déesse italique de la guerre]
Prit la vérole et Barcelone
Toutes deux du mauvais côté. »
Charles Collé, Journal et Mémoires, mai 1750.

« Si le général des jésuites avait deux otages à envoyer à Paris aussi beaux que les anges de Loth, et plus, complaisants, il est sûr de rentrer en France par cette porte, qui serait très bonne, quoique ce soit une porte de derrière. »
Thévenau de Morande, Le Philosophe cynique, 1771.

« On aime, on plaît à sa manière :
Le plus sage tourne à tout vent,
L’un attrape l’amour par devant,
L’autre l’attrape par derrière (a),
Le caprice est ce qui nous meut ;
Le diable emporte les scrupules.
Enfin on fait du pis qu’on peut :
Tour le monde a des ridicules,
Mais n’a pas des vices qui veut. »
Mémoires secrets …, 16 octobre 1779 [tome 14].
a. Dans une autre version de cette épître « À celle qui se reconnaîtra », Mayeur de Saint Paul ajouta cette note : « Et Monvel était de ceux-là. »


« En s’éveillant un beau matin,
Le Tout-Puissant lorgna Sodome,
Et fit serment, son foudre en main,
D’en griller jusqu’au dernier homme.
Car en ce lieu chaque vilain
S’amusait tout comme à Berlin ;
Et les coquins s’y prenaient tous,
Sens [c'en] devant derrière.
Et les coquins s’y prenaient tous,
Sens [c'en] devant derrière, sens [c'en] dessus dessous (*). »
Le Pot pourri de Loth, 1784.
*. Cf Rabelais, Gargantua, XI.

« N’ayant plus les moyens d’avoir des femmes, nous nous trouvons réduits à la malheureuse nécessité de nous amuser entre nous et de tirer par derrière, n’ayant point l’argent nécessaire pour tirer par devant, c’est-à-dire pour bourrer, pour enfiler des cons. »
Le Bordel apostolique institué par Pie VI pape en faveur du clergé de France, « Supplique », 1790 [BnF Enf 602].

Au début de la Révolution, le ci-devant marquis de Villette fut plaisamment appelé « ci-derrière marquis ».

« L’Univers sait que l’équivoque marquis de Villette est le président perpétuel du formidable district des citoyens rétroactifs, partant zélé partisan de la Constitution où tout est sens devant derrière. »
Andrea de Nerciat, Les Aphrodites, 1793, 1ère partie, « À bon chat : bon rat ».

« Grâce à notre commissaire
On dit qu’sous peu nous allons voir
Un changement salutaire.
Ami du devant
Ce joyeux vivant
Harcèle et poursuit
Le jour et la nuit
Les amis du derrière. »
Albert Glatigny, La Sultane Rozréa, 1871, « Lamentation des filles ».

« La Plume : - Doit-on consentir à croiser le fer avec un individu convaincu d'homosexualité ? [...]
Jacques Fersen : - Oui, on doit se battre. D'abord, il suffit de déplaire aux concierges pour être accusé d'horreurs. Et le concierge, c'est la réputation.
Ensuite, un homo – je ne sais plus quoi – peut être aussi chic, aussi honorable, aussi respecté que Pierre ou Paul.
Pourquoi mêler l'honneur au derrière ? »
La Plume, n° 387, 15 mai 1912, page 230. 

Citons encore les très curieuses Considérations objectives sur la pédérastie de Gabriel Pomerand, publiées en 1949 :

« Mesdames ! Les petits garçons vous obligent à être belles lorsque vous n’êtes que potables. Et vous craignez par trop la concurrence des petits derrières qui prennent le devant de vos devants. »

DISCIPLE DE CORYDON

« Si le milieu homosexuel a changé, c’est en mieux. La plupart des stupides spectacles plus ou moins travestis ou démesurément pimentés ont disparu. On peut circuler à Saint-Germain-des-Prés, le samedi soir, sans être choqué, alors qu’il y a quinze ou vingt ans, à Pigalle, que d’homosexuels s’affichaient, que de petits jeunes gens ostensiblement maquillés déambulaient ! Les différents cercles ou endroits fréquentés par les disciples de Corydon sont en général bien préférables, au point de vue tenue, à ceux qui existaient avant guerre. »
« Qu’on se le dise ! », FUTUR (Organe de combat et d’information pour l’égalité et la liberté sexuelles et pour le respect absolu de la personne humaine), juillet 1954.

DISSIDENT, DISSIDENCE

"dissident de l'amour de la femme"
Marcel Proust, Jean Santeuil.

"D'une dissidence sexuelle au socialisme."
Daniel Guérin, Autobiographie de jeunesse.

DRAG

« On parle couramment de “sœurs” dans la communauté drag. Ce n’est ni de la parodie ni de la moquerie, mais de la réappropriation de codes religieux : parmi les drags les plus connues, les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence sont des militantes qui œuvrent depuis 1979 pour la prévention du sida et pour la paix. » (2024)

DROIT, adj.

Équivalent peu usité de l'anglais straight, c’est-à-dire non-gay.

" Depuis des mois l'efféminé Chargnieu épie la tristesse de Caradec. Il devine sa langueur et ses fringales. Il rôde, calin, autour de l'isolé. Mais celui-ci semble se méfier. Son instinct droit repousse les gestes caresseurs. "
Georges Lecomte, Les Cartons verts, Mardi gras, Paris : Charpentier, 1901.

Expression « il est resté droit » (années 1970).

DROITS DU CUL

Expression employée, en français dans le texte, par Friedrich Engels (1820-1895) dans cette lettre de 1869 à Karl Marx, au sujet du mouvement homosexuel allemand qui faisait alors son apparition :

« C'est un bien curieux Urning [le petit livre Argonauticus d'Ulrich] que tu m'as envoyé. Ce sont là des révélations tout à fait contre nature. Les pédérastes se mettent à se compter et ils trouvent qu'ils constituent une puissance [Macht] dans l'État. Il ne manque plus que l'organisation, mais il apparaît d'après ceci qu'elle existe déjà en secret. Et comme ils comptent déjà des hommes importants dans tous les vieux, et même les nouveaux partis, de Rösing à Schweitzer, la victoire ne peut leur échapper. " Guerre aux cons, paix aux trous-de-cul " [en français dans le texte], dira-t-on dorénavant (1). C'est encore une chance que nous soyons personnellement trop vieux pour avoir à craindre de payer un tribut de notre corps à la victoire de ce parti. Mais la jeune génération ! Soit dit en passant, il n'y a qu'en Allemagne qu'un type pareil peut se manifester, transformer la cochonnerie en théorie, et inviter : introite [entrez, en latin] etc. Malheureusement il n'a pas encore le courage d'avouer ouvertement qu'il est comme ça, et doit toujours opérer coram publico [devant le public] en tant que "du devant", sinon "de l'intérieur du devant", comme il l'a dit une fois dans un lapsus. Mais attends seulement que le nouveau Code pénal de l'Allemagne du Nord reconnaisse les droits du cul [en français dans le texte], et il en sera tout autrement. Nous autres pauvres gens du devant, au goût infantile pour les femmes, nous trouverons alors dans une assez mauvaise situation. Si le Schweitzer devait avoir besoin de quelque chose, ce serait de se faire révéler, par cet étrange honnête homme, les données particulières sur les pédérastes hauts placés ; en tant que confrère cela ne devrait pas lui être difficile. »
Lettre à Karl Marx, Manchester [Angleterre], 22 juin 1869, in Marx Engels Werke, Berlin, 1965, tome 32, pages 324-325 [traduction Éditions sociales revue par Cl. C. ; la même année 1869 apparaissait le mot allemand Homosexualität].
1. Allusion à la formule de Nicolas de Chamfort : « Guerre aux châteaux ! Paix aux chaumières ! »


dimanche 26 mars 2023

DFHM : Backroom à brodeuse en passant par bardache, beau, bipacsie, bougrant, bougre et bourgeois de Sodome




BACKROOM

" Cet ouvrage, naviguant de sauna en backroom, eût été  interdit, il y a une cinquantaine ou une centaine d'années, pour des raisons différentes et pour simple cause d'atteinte aux bonnes mœurs. En un demi-siècle, on a donc assisté à un changement d'optique, quant à la définition de l'obscène, sexualisé jadis, politisé aujourd'hui. "
Emmanuel Le Roy Ladurie, Le Figaro, 2000. (Sur Tricks de Renaud Camus)

" Tel livre il y a tout juste un demi-siècle aurait été aussitôt retiré de la vente pour atteinte aux bonnes mœurs, du fait de ses pérégrinations et narrations incessantes relatives à des séjours en backrooms et en saunas. "
Emmanuel Le Roy Ladurie, " Il est assis entre toutes les chaises ", Commentaire, n° 91, automne 2000, page 679.

" Les backrooms, lieux de rencontres sexuelles, situés à l'étage ou en sous-sol de certains établissements de nuit gays, se sont multipliés ces dernières années, notamment dans la capitale, qui en compte une cinquantaine. Parfois plongées dans le noir, ces pièces ou ces cabines sont le théâtre de rencontres furtives, anonymes et de pratiques sexuelles totalement débridées. "
Sandrine Blanchard, " Dans les backrooms, la vigilance à l'égard du sida recule ", Le Monde, 21 novembre 2000.

« Nous étions dans un bar bizarre, très kitsch, avec des miroirs et des dorures, rempli d’homosexuels paroxystiques qui s’enculaient sans retenue dans des backrooms adjacentes, mais cependant ouvert à tous, des groupes de garçons et de filles prenaient tranquillement des Cocas aux tables voisines. »
Michel Houellebecq, La Possibilité d’une île, DANIEL 1, 15, Paris : Fayard, 2005.

BARDACHE

Ce mot est d’un usage assez régulier depuis la Renaissance. Dès son apparition, il était dépourvu de l’ambiguïté que subissaient bougre et sodomite. Les emplois fréquents jusqu’à la Révolution montrent que la société française s’était surtout attachée à décrire, voire à stigmatiser, la passivité du plus jeune dans l'amour grec.

Bardache vient de l’italien bardassa ou bardascia, jeune garçon, ou encore de bardacco, et non de l'arabe bardaj.
Cf Michel Masson, " BARDA, BARDACHE ET BREDINDIN : La "base" BRD dans les langues romanes ", La Linguistique, Vol. 51, Fasc. 1 (2015), pages 41-88


L’humaniste Henri Estienne souligna l’origine du mot en y voyant l’origine de la chose :
« Les mots dont nous usons pour exprimer une telle méchanceté, empruntés du langage italien, servent de preuve suffisante que la France tient d’eux ce qu’elle en a. »
Henri Estienne, Traité préparatif à l’Apologie pour Hérodote, livre I, chapitre 10 " Qu'il est vraisemblable qu'outre les vices repris par les prêcheurs du siècle prochain au nôtre, il y en avait d'autres ", Genève 1566, Lyon 1592.
« On fait aussi plusieurs contes de Cordeliers et de Jacobins surpris en menant avec eux leurs putains habillées en novices : de fait ça a été une subtile invention de se faire permettre de mener des novices, pour sous ce titre avoir toujours ou un bardache, ou une garce. »
Ibid., chapitre 21 " De la lubricité et paillardise des gens d'église ". Si non caste, tamen caute : si non chastement, du moins avec prudence.

Chez Rabelais, on trouve la variante bredache :

« Ho, bougre, bredache de tous les diables incubes, succubes et tout quand il y a. »
Quart Livre, chapitre XX, 1e édition partielle, 1548.

Lopez de Gomara, Histoire général des Indes occidentales, livre III, chapitre 14 :
Plusieurs éditions de la traduction par Martin Fumée dans le dernier tiers du XVIe siècle.


En 1575, le mot figurait dans une curieuse justification de la polygamie brésilienne comme moyen de prévenir l’homosexualité masculine :

« Jamais les hommes n’habitent avec elles pendant qu’elles sont grosses, ni après l’enfantement, et jusqu’à ce que l’enfant soit nourri et chemine tout seul ou ait un an pour le moins : d’autant qu’ils disent avoir affaire avec leurs filles lorsqu’elles sont encore au ventre de la mère et en ce faisant ils paillardent : et si c’est un mâle ils le font bardache ou bougeron, qu’ils nomment en leur langage Tevir : ce qui est fort détestable et abominable, seulement de le penser. Voilà la cause principale pour laquelle ils ont plusieurs femmes. »
André Thevet, Cosmographie universelle, tome 2, folio 933.

Bougeron est ici opposé à bardache comme l’agent au patient, ce que l’on trouvera aussi chez Brantôme :
« Jamais nul bougre ni bardache ne fut brave, vaillant et généreux que le grand Jules César. »
Les Dames galantes, 1er discours.

Dans l’ouvrage anonyme Le Cabinet du Roi de France (La Rochelle, 1581-1582) attribué à un certain Nicolas Froumenteau, on rencontre un curieux dénombrement des ecclésiastiques violant la règle de chasteté ; ainsi sur 478 chanoines de l’archevêché de Lyon, 78 sont trouvés sodomites et 39 bardaches ; des vicaires « ont quelques bardaches, mais cela est fort secret » (livre premier, " Vicaires ", page 28). Un dénombrement analogue est cité, mais comme venant de l'Angleterre, par Henri Estienne (1528-1598) dans l'édition de 1592 de son Apologie pour Hérodote, au chapitre 21.
« Dix-neuf sodomites sont remarqués de ce nombre, et quatorze bardaches, tous dénommés en la liste. » Le Cabinet du Roi de France, livre premier, " Vicaires officiaux et autres ".


Le théologien franciscain Jean Benedicti fit une petite étude de la question :
« La glose expose le mot de saint Paul molles en disant pathiques. Et me semble que sont bardaches, le bordel desquels détruisit le roi Josias [II Rois, XXIII, 7]. Il démolit, dit l’Écriture, les maison des efféminés, ainsi les appelle notre version commune. Les hébreux les appellent Kadeschim, les Ethniques les nommaient cinaedos, c’est-à-dire cinèdes. Tel fut Ganymède, duquel s’énamoura Jupiter, si les poètes disent vrai. Tel fut Jules César étant encore garçon, aimé du roi de Nicomédie. »
La Somme des péchés, 1601.

Le libertinage passa sur les textes.


Dictionnaire français de Pierre Richelet, 1680 et 1706 :
édition de 1680

édition de 1706

Vers composés en 1681 ou 1685 et attribués au musicien Lully :
« La vieille Cortain se fâche
Que Brunet soit mon mignon ;
Elle est une vieille vache,
Il est un joli bardache ;
Elle a le con lâche et profond,
Il a le cul petit et rond. »
BnF, manuscrit français 12688, page 284 (recueil Clairambault, tome 3)

Pierre Jurieu : « C'est une iniquité que d'attirer le bien des familles pour enrichir ce qu'on appelle l'Eglise, et pour fonder des revenus prodigieux, dont on abuse pour nourrir des chiens, des chevaux, des concubines, des bardaches, et pour soutenir des maisons somptueuses comme celles des souverains.
Préjugés légitimes contre le Papisme, Amsterdam : Henry Desbordes, 1685, première partie, chapitre IV, page 87.
« Les évêques de Rome étaient sodomites, bardaches, athées, ivrognes, simoniaques, en un mot c'étaient des démons. » 
Préjugés légitimes ... première partie, chapitre VIII, page 135.

Gilles Ménage, 
Dictionnaire étymologique ..., 1694.


« Il [Louis-Joseph de Vendôme] était sodomite. Mais il eût été à souhaiter qu’au lieu de bougre, l’auteur eût pu mettre bardache, car le grand plaisir de ce duc était de se faire enculer, et il se servait pour cela de valets et de paysans, faute de plus gentils ouvriers. On dit même que les paysans des environs de sa belle maison d’Anet [Eure et Loir] se tenaient avec soin sur son chemin lorsqu’il allait à la chasse, parce qu’il les écartait souvent dans les bois pour se faire foutre et leur donnait à chacun une pistole pour le prix de leur travail»
Recueil Maurepas, année 1695, BnF, manuscrit français 12623, tome 8, page 229. Commentaire du dernier vers d’une épigramme, « C’est le meilleur bougre du monde. » 


Antoine Furetière, Dictionnaire universel..., 1701 (rien en 1690)


...
« Le souverain même des Dieux [Jupiter],
Roi de la bougrerie
Par son bardache dans les Cieux [Ganymède]
Fit verser l’ambroisie. »

Pierre Bayle : « Pour ses autres sœurs, il les prostitua à ses bardaches, et les punit ensuite sous prétexte de conspiration et d'adultère. » Article " Caligula ", Dictionnaire historique et critique, tome 2, 1738.

« On n’y trouve [au café d’Alexandre] que des raccrocheuses, des bougres et des bardaches. Il se passe dans ce café des infamies, des horreurs qu’il est inutile de nommer ; les titres de ceux qui l’habitent les font assez deviner. »
Mayeur de Saint-Paul, Le Désœuvré, ou L’Espion du Boulevard du Temple, 1781, chapitre VI.

« Antinoüs, ainsi nommé parce qu'à l'exemple du bardache d'Hadrien, il joignait au plus beau vit du monde le cul le plus voluptueux, ce qui est très rare, était porteur d'un outil de huit pouces de tour sur douze de long. »
Marquis de Sade, Les Cent vingt journées de Sodome, Introduction.

BARDACHE. Subst. masc. Terme obscène. Jeune homme dont les Pédérastes abusent. "
Dictionnaire de l'Académie française, 5e édition, 1798. Définition inspirée de celle de Richelet.

Honoré de Balzac utilisa le mot comme insulte dans Le Chef d’œuvre inconnu, 1831, chapitre II :
" Tu ne vois rien, manant ! maheustre ! bélître ! bardache ! Pourquoi donc es-tu monté ici ? "

Gustave Flaubert avait eu pour lui une affection particulière :
« J’étais né pour être empereur de Cochinchine, pour fumer dans des pipes de 36 toises, pour avoir 6 mille femmes et 1 400 bardaches. »
Lettre à Ernest Chevalier, 14 novembre 1840.
« Nous avons été indignement floués de 300 piastres (75 francs) pour voir danser les bardaches […] Quant à la pédérastie, brosse. Ces messieurs ont des amants de cœur, je ne sais quoi. On les réserve pour les pachas. Bref il nous a été impossible d’en tâter. Ce que je ne regrette nullement, car leur danse m’a profondément dégoûté d’eux. »
Lettre à Louis Bouilhet, 19 décembre 1850.

Alfred Delvau annonça l’évolution vers le sens général d’homosexuel masculin en mettant :
« BARDACHE. Pédéraste actif ou passif, au choix – des autres. »
Dictionnaire érotique moderne, 1864.

On peut supposer que Flaubert n’était pas sérieux lorsqu’il écrivait :
« Le philosophe Baudry a publié le premier volume de sa Linguistique, qui doit lui ouvrir les portes de l’Institut. Je dîne chez ce brave homme mardi prochain avec Littré, Renan et Maury. Quelle réunion de bardaches ! »
Lettre à Jules Duplan, 14 mars 1868.

Cette nouvelle connotation, rappelant l’évolution de bougre, n’était pas envisagée par Littré, qui donna en 1863 cette définition pas du tout originale « Terme obscène signifiant mignon, giton. »

" La vocation du théâtre est, à mes yeux, la plus basse des misères de ce monde abject et la sodomie passive est, je crois, un peu moins infâme. Le bardache, même vénal, est du moins, forcé de restreindre, chaque fois, son stupre à la cohabitation d'un seul et peut garder encore, -- au fond de son ignominie effroyable, -- la liberté d'un certain choix. Le comédien s'abandonne, sans choix, à la multitude, et son industrie n'est pas moins ignoble, puisque c'est son corps qui est l'instrument. "
Léon Bloy (1846-1917), Le Désespéré (1886), chapitre IV.

« Les voici bien, les jeunes blondins qu’ils adorent, les bardaches modernes, les uns se maquillant comme des femmes, d’autres portant des bagues et des bracelets ou signalant leur passage par une trace de parfum ! Ces greluchons appartiennent au troisième sexe. Ignominieux renversement des lois naturelles qui fait revivre à travers notre société les hontes de l’antique Pentapole [Sodome, Gomorrhe et trois autres villes] ou les plus impures débauches de la décadence romaine. »
FrédéricLoliée, Les Immoraux. Études physiologiques, livre 2, VI, Paris : A. Savine, 1891.

L'amitié entre Maurice Barchèche et Robert Brasillac avait suscité les railleries d'élèves de l'École normale supérieure, qui les surnommèrent " Bardache " et " Brasilèche " (selon Mickaël Studnicki, Droites nationalistes et homosexualités en France, Paris : Sorbonne Université Presses, 2025, chapitre IV, page 206, note 9..

On rencontre encore parfois le mot, par exemple dans le polar historique d’Alice Yvernat :

« Par expérience, il savait que les bardaches n’avaient pas pour la plupart d’entre eux un aspect très différent de n’importe quel honnête homme croisé dans la rue, mais il ne pouvait s’empêcher de se poser la question. Comment apparaissait-il aux yeux de ces gens-là ? »
Les Billets indiscrets, chapitre 5, Paris : L’Embarcadère, 2005.

BARDACHER, BARDACHISER

« De boire, de manger, de jouer, de dormir, de paillarder, de bardachiser, de se jouer de la sorcellerie, on n’en touche ici rien, qui sont néanmoins sept item, qu'on ne peut ôter de la caboche des moines. »
Anonyme [Nicolas Froumenteau], Le Cabinet du Roi de France, La Rochelle, 1581, livre premier, page 166.

L’auteur protestant de cet ouvrage, adepte de l'ordre moral, recommandait le mariage des prêtres comme moyen efficace de supprimer les relations masculines :
« Vous préviendrez par ce moyen chaque an 30 000 ou 40 000 incestes en l’Église anglicane, et la sodomie ; car 25 000 ou 30 000 personnes qui ont accoutumé d’y bardacher se déporteront de leur sodomie afin de se marier. » Le Cabinet du Roi de France, La Rochelle, 1581, livre second " La grande bénédiction et prospérité, qui adviendra en France, si une fois la polygamie est supprimée " page 379.

Bardachiser figurait dans le dictionnaire français-anglais de R. Cotgrave, avec cette définition : « To commit sodomy, to bugger, to ingle ».

BARDACHERIE

"Il ne serait point question de fouterie naturelle. On n'y occuperait ses forces et son temps qu'à soulager les ardeurs de la bougrerie, de la pédérastie et de la bardacherie."
Bordel apostolique institué par Pie VI pape en faveur du clergé de France, « Supplique », 1790.

Au passage, notez la belle expression "soulager les ardeurs", aux antipodes de ce que nous offre la sociologie gauchiste avec ses "pratiques sexuelles".

BARDACHIN, BARDACHINET

« Accourez, bougres, bardaches, bardachins et bardachinets, contemplez et voyez si la mobilité de mon rond ne met pas en défaut la mobilité du vôtre. »
Anonyme, Les Enfants de Sodome à l’Assemblée nationale, 1790, discours de la Tabouret.

BAREBACK, BAREBACKER

« Le " bareback " est le culte des rapports non protégés, le " no capote ". II signifie littéralement " chevauchée à cru ". Pour les " barebackers ", les capotes empêcheraient de bander. Elles seraient un indice de la honte de soi et de haine du sexe. »
Régine Deforges, Libération, 16 avril 2003.

BAT-CONTRE

Alfred Delvau : « BAT-CONTRE. Pédéraste, dans l'argot des voleurs, qui est aussi celui des filles. »
Dictionnaire érotique moderne, 1864. Peut-être un rapport avec le conte de La Fontaine Le Bât.

BATHILLE,  BATHYLLE

  Nom d’un aimé dans les vers d’Anacréon (VIe siècle avant J. C.) et de ses imitateurs ; selon Pierre Bayle, cet amour a toujours passé pour « une franche pédérastie ». Juvénal en fit un nom de danseur dans sa VIe satire (vers 63), et Agrippa d’Aubigné en dériva un terme générique :

« Caresser un Bathille, en son lit l’héberger,
N’ayant muet témoin de ses noires ordures
Que les impures nuits et les couches impures. »
Tragiques, II, « Princes ». Publié en 1616.

Le souvenir d’Anacréon fut réveillé par ces vers de Mérard de Saint-Just :

« Monsieur Richfort, Anglais très entiché
D’un goût impropre, épris du beau Bathylle,
Des beaux garçons le plus beau de la ville,
Pour cent louis a conclu le marché ;
Il le désire, et des mains le dévore ;
Et s’il n’est pas complètement encore
Heureux amant, on peut lire en ses yeux
Qu’avec son ange il voudrait être aux cieux. »
La Courtisane d’Athènes. Poésies diverses, 1801.

Le mot revit le jour en 1909, année pendant laquelle l’homosexualité fut en France un sujet fort discuté dans de nombreuses publications :

« En notre troisième République, Bathylle règne à Paris comme il régnait à Rome. Sous l’œil tolérant de notre police, des bars select, affectés au nouveau culte, reçoivent, chaque soir, un public de malades, de pervertis, de snobs, de provinciaux, et d’étrangers, anglo-saxons pour la plupart, avides, sans doute, d’exercer en ces lieux l’apostolat méthodiste qui sommeille dans tout cœur britannique. »
Wamba, « L’hérésie sentimentale », Fantasio - Magazine gai, n° 67, 1er mai 1909 ; sont mentionnés l’Alvin’s Bar et le Maxence Bar ; vers 1900 d’autres signalaient le Scarabée, rue de Dunkerque.

BEAU, subs.

« Aristote dit, appartenir aux beaux, le droit de commander [cf Diogène Laërce, Vies..., V, § 19] : et quand il en est, de qui la beauté approche celle des images des Dieux, que la vénération leur est pareillement due. À celui qui lui demandait, pourquoi plus long temps, et plus souvent, on hantait les beaux : Cette demande, fait-il, n'appartient à être faite, que par un aveugle. La plupart et les plus grands Philosophes, payèrent leur écolage, et acquirent la sagesse, par l'entremise et faveur de leur beauté. »
Montaigne, Essais, III, xii, 1058.

« Le quartier général de ces messieurs à culotte se tient place du Carrousel, entre les deux guichets du côté de la rivière, de huit à neuf heures du soir. Les beaux, les patients, sont en ligne, dans l'attitude d'un homme qui satisfait un besoin. Les amateurs inspectent. Enveloppé dans mon manteau, j'ai parcouru cette ligne de chiens et de cochons! C'est là le dernier degré de la dépravation humaine. »
Fournier-Verneuil, Paris, Tableau moral et philosophique, 1826.

« Catalogue critique et descriptif de 43 gitons, par un Genevois turquisant. Fazyl Bey. Le Livre des beaux. Traduit du turc avec une introduction et des notes par un pacha à trois queues. Paris, Bibliothèque internationale d'édition, 1909. » (Extrait du catalogue de la vente Erotica de 2007 chez Bergé et associés).
« Le Livre des Beaux contient 43 courts chapitres consacrés chacun à la description d'un giton. Le « pacha à trois queues » à qui est attribuée cette traduction annotée pourrait bien être Edmond Fazy, qui était Suisse et non Levantin comme Fazyl Bey, mais qui connaissait le turc et qui semble avoir accordé un intérêt particulier aux homosexuels » (Pascal Pia, pages 818-819)."

[Georges Hérelle] : « Il [Phanoclès] avait composé un poème intitulé "Eρωτες ή Καλοί", " Les amours ou les Beaux ", où il chantait des légendes religieuses et héroïques relatives à l’amour des garçons. […] Phanoclès avait intitulé Καλοί le poème où il célébrait les plus illustres des "Beaux" d’autrefois.»
Histoire de l’amour grec, 1930, sous le pseudonyme de L. R. de Pogey-Castries.

Sur les petits-maîtres et les beaux, voir le 
chapitre « Le Théâtre des Beaux »,  dans Pierre Saint-Amand, Suite libertine. Vies du XVIIIe siècle, pages 115-128, Paris : Classiques Garnier, 2021.


BERGER, BERGER PASSIONNÉ

« Le berger passionné Corydon »
Rabelais, Quart Livre [1552], chap. 28.

« Un berger de Virgile ou un élève de Platon »
Marcel Proust, Sodome et Gomorrhe II, chapitre II. (1922).

André Gide désigna par le mot de « berger » d’abord le personnage de Théocrite et de Virgile, puis son ouvrage Corydon. Il connaissait sans aucun doute le poème de Christopher Marlowe « The Passionate Shepherd to his Love ».

BI, adj. inv. Et subs.

Abréviation de bisexuel.

« Dans ces temps-là tout le monde était peu ou prou bi : pendant que Monsieur s’intéressait à la puberté de quelque giton, Madame jouait les grandes goudous sacrées, entre filles. »
Dominique Durand, « Le courrier de Jeanne Lacane », Le Canard enchaîné, 13 avril 1983.

« Aujourd’hui, le mouvement bi américain est riche de groupes bi mixtes et non mixtes, de groupes de support et d’autres de discussion, de groupes « black », juifs, étudiants, de parents et d’épouses de bisexuels. Bref, il existe plus de 350 organisations bi. Leur diversité témoigne de leur vitalité et de leur raison d’être. »

« Le Conseil est la principale instance décisionnaire de l'Interassociative lesbienne, gaie, bi et trans. Son rôle est de discuter et de décider des grandes orientations de l'association. C'est aussi un lieu public de rencontre et d'échanges pour ses membres, et un lieu de mise en commun de moyens et d'élaboration de stratégies collectives. »

« Ce 28 juin prochain [2003], de toute façon, on remet ça, pour la 2è édition de la Marche des fiertés lesbiennes, gaies, bi et trans. politique et revendicative. Face à des pouvoirs publics qui nous ignorent, cette marche le sera comme jamais, avec un mot d'ordre clair et exigeant : "Homophobie, lesbophobie, transphobie : agissons !". Elle sera tout à la fois pop, rock, techno, house, ou bal musette : loin d'être uniforme, elle cultivera comme toujours la diversité musicale, culturelle, générationnelle. Hétéros, bi et homos de tout genre s'y cotoieront derrière cet unique mot d'ordre et ces multiples ambiances. »

Un habitué d’un club échangiste auvergnat se définit comme « bi léger ».

Encore abrégé en B dans LGBT et Inter-LGBT.

BIBI

Selon Alfred Delvau, « BIBI. Mignon ; Jouvenceau qui sert aux plaisirs libertins des vieillards, – le giton du Satyricon, le Ganmède de Jupiter, l’officiosus des bains publics, à Rome.  » La 2e édition ajoute : « – ou mignon de dame. »
Dictionnaire érotique moderne, 1964.

BICHON

« BICHON. Jeune homme qui sert aux plaisirs d'un homme mûr. C'est le giton moderne. »
Alfred Delvau, Dictionnaire érotique moderne..., 1864.
« Bichon : Petit jeune homme qui joue le rôle de Théodore Calvi auprès de n’importe quels Vautrin. »
Alfred Delvau, Dictionnaire de la langue verte, Paris : E. Dentu, 1866.

Donné comme équivalent de pédéraste par Georges Delesalle dans son Dictionnaire Argot-Français et Français-Argot, Paris : Paul Ollendorff, 1896.

BIJOU

« Jeune homme débauché tenant la place entre le petit Jésus et le maître chanteur. »
Gustave Macé, Mes lundis en prison, Paris : G. Charpentier, 1889.

BILBOQUET

« Homme qui est le jouet des autres. »
Alfred Delvau, Dictionnaire de la langue verte, 2e édition, Paris : E. Dentu, 1866.


BIPHOBIE

Terme d'origine anglo-saxonne.

" Article pour faire un état des lieux sommaire de la biphobie avec un top 10 des anecdotes biphobes "
La Biphobie ! Et si on en parlait (2016).

BIQUE ET BOUC

Bique-et-bouc Créatures des deux genres, — dans l'argot du peuple, ordinairement plus brutal pour ces créatures-là.
Alfred Delvau, Dictionnaire de la langue verte, 2e édition, Paris : E. Dentu, 1866.

« BIQUE ET BOUC : Voir Être (en) »
Lorédan Larchey, 1881.

Bique et bouc sont donnés comme équivalent de pédérastes par Georges Delesalle dans son Dictionnaire Argot-Français et Français-Argot, Paris : Paul Ollendorff, 1896.

Homosexuel à la fois actif et passif, d’après François Caradec et le Grand Robert 1985.

BIS(S)EXUALITÉ

Ce mot ainsi que bisexuel ont d’abord été appliqués par les botanistes aux plantes hermaphrodites, en opposition à unisexualité et unisexuel. Charles Fourier a transposé cette double paire d’opposés dans le domaine de la sexualité humaine.

« Les hommes qui ont séduit, corrompu, souillé les âmes et les vies de leurs semblables plus jeunes sont d’habitude des pervertis. Ils n’ont pas toujours été unisexuels. Ils ont plus de prise. Ils sont plus vicieux. L’unisexuel qui s’essaye à la bissexualité devient aussi corrompu que l’homme sexuel normal qui s’essaye à l’unisexualité : ils ont tous les vices, ceux qui leur reviennent et les autres. »
Marc-André Raffalovich, « Quelques observations sur l’inversion », Archives d’Anthropologie Criminelle, n° 50, 15 mars 1894.

BISEXUEL

« En amour, il y a ultragamie entre deux femmes saphiennes. Ce lien sort des attributions de l’amour qui comprennent les unions bisexuelles. Dans ce cas, les deux ressorts de l’amour engrènent dans la passion d’amitié ou affection unisexuelle. »
Charles Fourier, Œuvres complètes, Anthropos, 1967, tome IV, page 367.

« L’orgie bisexuelle, genre très beau et très précieux en harmonie, mais inadmissible en civilisation où l’on en voit à peine quelques lueurs à la suite de festins et sans habitudes maintenues.
Charles Fourier, Œuvres complètes, Anthropos, 1967, tome VII, page 58.

Ces termes ont été repris par P.-J. Proudhon qui opposait à l’érotisme homoïousien l’amour androgyne ou bi-sexuel :

« Cet érotisme homoïousien, quelque spiritualiste qu’en soit le principe, n’en demeure pas moins un délit contre le droit mutuel des sexes, et ce mensonge à la destinée, après de si beaux commencements, méritait d’avoir une fin épouvantable. Un des interlocuteurs de Plutarque, celui qui défend la cause de l’amour androgyne ou bisexuel, fait à son adversaire, qui protestait au nom des sectateurs du parfait amour contre les accusations dont on les chargeait, l’objection suivante : Vous prétendez que votre amour est pur de tout rapprochement des corps, et que l’union n’existe qu’entre les âmes ; mais comment peut-il y avoir amour là où il n’y a pas possession ? [Dialogue sur l’amour] »
Proudhon, Amour et mariage, XXVI, 1858.

La trace de ce terme se perd ensuite ; on ne le retrouve, dans un sens différent, qu’après l’introduction d’homosexuel et d’uraniste, dans la période " fin de siècle " de réflexions médicale et sociologique sur la question.

« Le docteur [Magnus] Hirschfeld a naturellement expédié des questionnaires aux étudiants, aux ouvriers. D’après quelques uranistes de toute confiance, M. Hirschfeld compte, à Berlin, sur 56 000, en Allemagne sur 1 200 000. Et les "bisexuels" sont deux fois aussi nombreux. Hambourg abrite 5 000 unisexuels. »
« Les groupes uranistes … », 1904.

« M. Hirschfeld, qui est actuellement probablement le meilleur connaisseur de l’homosexualité du monde entier, n’a certes pas exagéré en disant que Berlin a plus de 50 000 homo et bisexuels parmi les hommes. »
« Le monde homosexuel de Paris », Archives d’Anthropologie Criminelle, n° 135, 15 mars 1905.

L’attention portée à la catégorie des bisexuels, désormais ceux qui sont susceptibles d’aimer plus ou moins également les deux sexes, fut renforcée par la publication en 1910 de l’ouvrage du Dr Saint-Paul L’Homosexualité et les types homosexuels ; une critique en figurait dans Le Malthusien de février 1911 :

« Les types homosexuels (invertis-nés, paidophiles, occasionnels, bisexuels) sont fixés et déterminés de main de maître. »

En tant que disposition constitutionnelle ou « puissance des contraires » (Jacques Corraze, 1969), le concept de bisexualité dérive de celui d’hermaphrodisme moral.

BITUMINIE

Genèse XIV, 10 : "la vallée de Siddim [Sodome] était pleine de puits de bitume"
cf Béroalde de Verville, Le Moyen de Parvenir, édition de 1984, p. 182, en note : bituminie = sodomie.

Dictionnaire française de Pierre Richelet, 1706 :


BLEU

Dans les expressions « ballets bleus » (par opposition à « ballets roses »), « zone bleue », « garçon bleu » (de l’anglais « blue boy »).
Voir aussi l’opuscule de Jacques-ouis. Delpal, Ultra-Guide Paris bleu tendre, 1972.



En russe, голубой signifie à la fois « bleu ciel » et « homosexuel » (Meilach, 1982 ; Le Guévellou, 2002). Le terme se prête au calembour : голу- boy.

BLONDIN, BLONDINET

« Les voici bien, les jeunes blondins qu’ils adorent, les bardaches modernes, les uns se maquillant comme des femmes, d’autres portant des bagues et des bracelets ou signalant leur passage par une trace de parfum ! Ces greluchons appartiennent au troisième sexe. »
Frédéric Loliée, Les Immoraux. Études physiologiques, Livre 2, VI, 1891.

« T’imaginais tout de même pas qu’il allait sacrifier sa carrière pour tes petites fesses de blondinet ? »
Brian Kinney à Justin Taylor, Queer as Folk, version française.

BORD

Synonyme récent d'orientation sexuelle. Dans cette connotation, succède à côté.

« Chacun sa vie sexuelle, on sait que les homos existent pas besoin de nous le rabâcher. Aujourd'hui ils n'ont plus besoin de se battre pour prouver quoi que ce soit à l'autre bord. L'homosexualité est dans les mœurs maintenant plus la peine de nous en faire tout un cake ! »
Message Internet, mai 2008.

« Monsieur, vous êtes de quel bord ? »
Entendu le 11 avril 2010 à la discothèque " Le Pharaon " à Montluçon (Allier, Auvergne).

BOUGERON, BOUGERONNER, BOUGERONNERIE

En juin 1578, des Mémoires anonymes sur les troubles des Pays-Bas signalèrent plusieurs peines capitales
« le tout à cause de cet abominable péché de sodomie ou autrement appelé bougeronnerie. » Édition J. B. Blaes, 1860, tome 2, pages 297-298.

Bougeronnerie dérive de bougeron ; on proposa pour sodomites les qualificatifs suivants :
« Infâmes, exécrables, odieux, brutaux, vilains, abominables, vicieux, bougres ou bougerons, malheureux, détestables, gomorrhéens. »
M. de La Porte, Épithètes, 1580.
En 1575, le mot figurait dans une curieuse justification de la polygamie brésilienne comme moyen de prévenir l’homosexualité masculine :

« Jamais les hommes n’habitent avec elles pendant qu’elles sont grosses, ni après l’enfantement, et jusqu’à ce que l’enfant soit nourri et chemine tout seul ou ait un an pour le moins : d’autant qu’ils disent avoir affaire avec leurs filles lorsqu’elles sont encore au ventre de la mère et en ce faisant ils paillardent : et si c’est un mâle ils le font bardache ou bougeron, qu’ils nomment en leur langage Tevir : ce qui est fort détestable et abominable, seulement de le penser. Voilà la cause principale pour laquelle ils ont plusieurs femmes. »
André Thevet, Cosmographie universelle, tome 2, f° 933.

« N’est-ce pas une belle morale
De voir les hommes se baiser !
Tous les Gascons en font métier
Bougres putains et bougerons :
Au demeurant, bons compagnons. »
Pierre de L’Estoile, Journal, décembre 1581.

« Quand le pape veut paillarder, ou bougeronner quelque bardache en sa chambre, j'estime qu'il fait retirer son valet. »
Le Cabinet du Roi de France, 1581, page 249.

« Un autre prêtre de St Honoré, dans l’église même, bougeronne un jeune garçon ; et plusieurs autres actes exécrables, tant que le papier en rougit, se commettent à Paris en ce mois [août 1608] »
Pierre de L’Estoile, Journal.

« On menait au supplice deux garçons. Celui qui avait été le bougeron crut qu’il y allait de son honneur de passer pour ce qu’il était et déclara aux assistants que l’autre avait été le bardache. »
Tallemant des Réaux, Historiettes, II, 740.

Sur bougeronner, le Grand Vocabulaire Français donnait en 1768 : « vieux verbe français qui signifiait autrefois commettre le crime de sodomie. Le Complément du Dictionnaire de l'Académie française (1842) ajoute le participe passé :


BOUGRANT, BOUGRE, BOUGRÉ, BOUGRERIE

Selon le Thresor de la langue française (1606) du diplomate Jean Nicot, bougre correspond aux termes latins paedico, paederastes.

Bougre et bougrerie servaient au XIIe siècle à désigner les Bulgares (Villehardouin, Conquête de Constantinople, chapitres 97, 107, 108 et 116) ; ils se sont ensuite appliqués aux hérétiques et à leurs croyances, et enfin aux auteurs d’actes sexuels illicites et à ces actes. Pierre Jurieu attribue ce détournement de sens au Papisme.
... péché pour lequel Sodome fut brûlée. "
Préjugés légitimes contre le Papisme, 1685,
seconde partie, chapitre XXIV, page 303.

À la différence de sodomite, il n’y avait donc initialement aucune idée d’homosexualité qui puisse expliquer la transition de la dissidence religieuse à la dissidence sexuelle, sens dominant à notre époque moderne. Sur ce cheminement, on rencontre la bestialité et la sodomisation hétérosexuelle. Le sens homosexuel est manifeste dans cet exemple du XIVe siècle, à l’occasion du procès d’un certain Remion à Reims en 1372 :
« Remion ayant été accusé et pris pour péché de bougrerie et de sodomie ; [il] habita charnellement avec plusieurs hommes, il nomma Pierre de Cierges.
  Cierges nia tout, confessa seulement qu’il s’était approché d’une personne chaussée de hauts souliers de femme, croyant que c’en était une ; la femme se coucha sous lui volontairement ; lorsqu’il s’aperçut qu’il avait été trompé, il en éprouva si grande déplaisance qu’il s’en alla tout honteux et abominable.
  Remion fut condamné à être brûlé. »
Bibliothèque de l’Arsenal, Paris, Archives de la Bastille, mss. 10254.

Gilles Ménage, Dictionnaire étymologique,..., 1750 [1694].


Dans une autre affaire judiciaire, la violence remplaçait la ruse : la Chronique de Charles VII de Jean Chartier raconte, à l’année 1435, cette exécution :

« En ce même temps, advint en la ville de Bourges [Cher actuel] qu’un nommé Jacques Purgatoire, offensant Dieu et la Cour céleste, avait commis le détestable péché de sodomite, autrement dit bougrerie, et avait eu charnellement, par force, maîtrise et violence, copulation avec plusieurs personnes par le fondement. Pour quoi il fut emprisonné par les gens de justice, et après avoir été dûment examiné, et le crime par lui confessé, il fut prêché en lieu public. Et afin que cela tournât en exemple à tous, il fut condamné par justice à être brûlé au lieu en tel cas accoutumé ; pour faire cette exécution, on requit le bourreau de cette ville, qui fit son devoir en présence du peuple, ce qui fut un grand bien et un bel exemple à chacun. »

L’élément de violence, présent dans environ 50 % des procès connus du XIVe au XVIIIe siècle, dont la célèbre affaire Deschauffours en 1726, n’était alors pas considéré comme le plus grave ; c’était la bougrerie qui faisait horreur et offensait Dieu... À Toulouse en 1456, un certain Octo Castillan, argentier du Roi, fut accusé d’avoir commis
« le péché désordonné, ou bougrerie » (BnF, mss. français 5454) ; cet inculpé avait entrepris une grève de la faim et fut transféré à l’hôtel de l’Inquisition ; l’issue de l’affaire n’est pas connue.
Le texte dit aussi « touchant la sodomie dont il est accusé […] », ce qui manifeste la synonymie des deux termes dans l'esprit de l’auteur. Au début du XVIe siècle, le Journal d’un bourgeois de Paris sous le règne de François Ier révélait deux nouveaux procès :
« L’an 1533, fut brûlé à Blois, où était le Roi, un Italien de la ville d’Alexandrie, à cause qu’il était bougre et sodomite.
  1534. Au mois de janvier, fut amené de Lyon en la Cour du Parlement un marchand de Florence appelant de la justice laye de Lyon, de la mort, pour avoir été trouvé bougre et avoir commis ce péché  à une fille outre nature, et à un jeune fils, lesquels fils et fille s’en étaient plaints à la justice. Il avait été condamné à Lyon à être brûlé vif, dont il appela en Parlement […] finalement, par force d’argent, il n’en mourut point. » Édition Lalanne, 1854.

Selon le Grand Coutumier de Jacques d’Ableiges [1515], la punition de la bougrerie appartenait habituellement au juge royal, et non au prévôt du seigneur. Le crime consistait en un coït anal homo ou hétéro, ou en une relation avec un animal (bestialité) ; parfois on comprenait sous cette accusation une relation entre femmes, mais jamais – à la différence de sodomie ou péché contre nature – la masturbation. Le Recueil d’arrêts notables de Jean Papon spécifiait en 1565, au chapitre 22 :

« De luxure abominable.
§ 1. Bougrerie étant non accomplie est digne du feu avec l’animal.
§ 2. Femme luxuriant avec une autre femme doit mourir. Deux femmes se corrompant l’une l’autre ensemble sans mâle, sont punissables à la mort : et est ce délit bougrerie et contre nature. »

Bien curieusement, Jean Papon n’envisageait pas l’homosexualité masculine ; un paragraphe du chapitre 24, froidement intitulé « Bougres punis par combustion », n’était relatif qu’à des actes de bestialité. Il en était autrement dans un ouvrage un peu ultérieur, le Traité des peines et amendes de Jean Duret (1572), à l’article "Bougres" :

« Nous avons déclaré ci-dessus les peines propres aux adultères, et espérons ci-après traiter succinctement des concubinages, stupres, incestes, paillardises, et autres connexes, selon qu’il se trouvera plus à propos. Maintenant que l’occasion se présente, voyons en deux mots quelles punitions doivent endurer ceux qui s’adonnent à luxure contre nature. Le vulgaire les appellent bougres ; Moïse traitant de cet abominable péché ordonna que celui qui habiterait avec bêtes brutes, ou coucherait avec un autre homme ainsi qu’il pouvait le faire avec une femme, ayant transgressé, fût puni de mort (a). Les lois impériales, conformes à de si saintes ordonnances, lorsque l’homme prend la place de la femme, comme s’il espérait quelquefois enfanter – chose détestable à penser - , que Vénus se déguise, que l’amour est cherché là où il ne peut être trouvé, veulent que les droits s’arment, et s’élèvent pour punir de mort tels monstres infâmes à jamais (b). Autant en dit la disposition canonique : bien qu’irraisonnable, et ne relevant pas de la loi, la bête qui a commis ce péché doit être mise à mort avec l’homme ou la femme qu’elle a touché, pour éviter que demeurant en vie ainsi polluée et contaminée, le seul souvenir ne fût odieux aux hommes. Il est donc tout certain que le bougre doit mourir avec la bête, mais de quelle sorte de mort ? Les praticiens français récitent que la mort indéterminée par la loi a été appliquée au feu par un long usage, et la coutume, de sorte que l’animal premièrement étranglé, et l’homme vif quelquefois, sont mis dans le feu pour être réduits en cendres, même si le délit a été interrompu, et est demeuré sans accomplissement. Voilà brièvement les peines que méritent les luxurieux avec bêtes irraisonnables, et les hommes avec autres non différents de sexe. Voilà une troisième espèce de cet énorme péché qui court entre les femmes tant abominables, qu’elles suivent de chaleur d’autres femmes, autant ou plus que l’homme : sans mâles se corrompent ensemble l’une l’autre : s’il y a preuves suffisantes, elles n’échappent à moindre peine que la mort. »
a. Cf Lévitique, XVIII, 22-23 et XX, 13 et 15-16.
b. On a ici une traduction approximative de la loi romaine de Constant, adoptée en 342 et connue par ses premiers mots : Cum vir nubit in femina.

Duret s’inspirait visiblement de Papon, ou d'une source commune, mais ne le suivait pas entièrement.

L’entrée dans la langue littéraire se fit avec Rabelais :
« J’avertirai le Roi des énormes abus que sont forgés céans et par vos mains et menées, et que je sois ladre [lépreux] s’il ne vous fait tous vifs brûler comme bougres,  traîtres, hérétiques et séducteurs, ennemis de Dieu et vertus. »
Gargantua, chapitre XX, 1534.
« Fous fanatiques, aucuns ladres, aucuns bougres, autres ladres et bougres ensemble »
Quart Livre, Prologue de 1548.
« Ho, bougre, bredache de tous les diables incubes, succubes et tout quand il y a. »
Quart Livre, chapitre XX, 1e édition partielle, 1548.
Dans les Annales de Bourgogne publiées en 1566, Paradin de Cuyseaux rapporta, sans y souscrire complètement, les bruits qui couraient sur les Albigeois :
« Aucuns disaient qu’ils usaient de paillardises contre nature, et bougreries […] Aucuns disent que ces vices sont choses inventées, pour les rendre odieux. »

Estienne :
Henri Estienne, Apologie pour Hérodote, 1566-1592, chapitre 21.

Que les Albigeois aient été accusé de bougrerie fut confirmé par un juriste du XVIIIe siècle :
 « Le mot de bougrerie est appliqué par les uns aux Albigeois qui avaient suivi la même hérésie que les Bulgares ; et ils se fondent sur ce par l’intitulé du chapitre [des Établissements de Saint Louis], où il paraît que l’on n’a eu en vue que les mécréants et hérites, c’est-à-dire hérétiques. Les autres appliquent la première partie de ce chapitre au crime contre nature, parce qu’on a donné le même nom [bougres] à ceux qui s’en rendent coupables : d’ailleurs la manière dont ce chapitre est conçu paraît l’indiquer, puisqu’on y distingue deux espèces de crimes. »
C. C. de L’Averdy, Code pénal, ou Recueil des principales ordonnances, 1752. Voltaire discute ce point dans l’article « Amour nommé socratique » des Questions sur l’Encyclopédie.

Henri Estienne : " bougre sodomitique " (Apologie pour Hérodote, 1566-1592, livre I, chapitre 13).

Anonyme [Nicolas Froumenteau] : « Deux cents de ces curés sont bougres. » Le Cabinet du Roi de France, La Rochelle 1581, livre premier, " Curés ou pasteurs ".
Cabinet..., page 39. Via Gallica BnF.

De la même année 1581 :
« N’est-ce pas une belle morale
De voir les hommes se baiser !
Tous les Gascons en font métier
Bougres putains et bougerons :
Au demeurant, bons compagnons. »
Pierre de L’Estoile, Vers anonymes cités dans les Mémoires-Journaux, décembre 1581.

Dans Les Origines de la langue française (1650), Gille Ménage commençait ainsi son fameux article sur bougre :
« Bougre : je suis de l’avis […] ». Tallemant des Réaux rapporta la plaisanterie faite à ce sujet :
« Ah ! lui dit Bautru, vous en êtes donc aussi, et vous l’imprimez ! tenez : il y a, bien moulé : Bougre je suis. »
Historiettes, « M. de Bautru ».
  Ce serait donc Guillaume Bautru (1588-1669), réputé pour avoir aimé les hommes, qui aurait forgé ou fait connaître l'expression en être, révélatrice d’une certaine notion d’identité homosexuelle

Dans de violentes attaques contre le cardinal Mazarin, le poète Paul Scarron (1610-1660) fit à partir de bougre d’étonnants exercices de style :

« Bougre, des Bougres le majeur,
Des Politiques le mineur ;
[...]
Sergent à verge de Sodome,
Exploitant partout le Royaume,
Bougre bougrant, bougre bougré,
Et bougre au suprême degré,
Bougre au poil, et bougre à la plume,
Bougre en grand et petit volume,
Bougre sodomisant l’État
Et bougre du plus haut carat,
Investissant le monde en poupe,
C’est-à-dire baisant en croupe.
Bougre à chèvres, bougre à garçons,
Bougre de toutes les façons,
Bougre venant en droite ligne,
D'Onan, masturbateur insigne,
Bougre Docteur in utroque,
Pipeur, Magicien quoque,
Homme aux femmes, et femme aux hommes,
Pour des poires, et pour des pommes. »
La Mazarinade, 1651 ; réédité en 1867
sous le titre La Pure vérité cachée.

Variante de date inconnue :
« 
Bougre, bouffon, baudet, badin,
Coquin, croquant, croqueur d’andouilles
Gavache, glorieux gredin,
Bougre, bouffon, baudet, badin,
Viedaze, vrai vilebrequin
De ceux au cul de qui tu fouilles,
Bougre, bouffon, baudet, badin,
Coquin, croquant, croqueur d’andouilles. »
Le Carême de Mazarin, dans 
Via Gallica BnF.


" En je ne sais quelle pièce au Pape, il [Dulot] lui disait :
            Jusqu'où s'étend votre empire bougrin.
Il était un peu bougre lui-même. "
Tallemant des Réaux, Historiettes [1657-1659], Dulot.

Libertinage érudit :
Gilles Ménage, Dictionnaire étymologique, 1694. Via Gallica BnF.

Montesquieu : « On se prépare à faire un feu de monsieur Chauffour, ancien commissaire des guerres, lequel tenait une maison où jamais femme n'entra mais bien, dit-on, des évêques et des ducs. Il demande d'être renvoyé par-devant un concile provincial, et cela en bonne jurisprudence, parce que le privilégié attire toujours le non-privilégié. On va faire une chambre ardente contre les bougres de province. »
Lettre à un destinataire inconnue, 6 mars 1726.
À Mandobar, avril 1726 : « Vous badinez sur la brûlure de Chaufours. Vous riez, parce que vous avez des amis dans les deux partis et que vous ne pouvez tomber que de vos pieds. »
Correspondance publiée par François Gébelin, Bordeaux : Société des bibliophiles, 1914.

« Il y a cinq ou six mois qu'on a mis à la Bastille un nommé Deschauffours qui était un particulier dans Paris, grand bougre de son métier, bel homme et bien fait. Cet homme connaissait beaucoup de monde dans le grand et dans le médiocre, car en général ce n'est pas l'amusement petit-bourgeois. C'était chez lui le rendez-vous général, les parties de débauche s'y faisaient ... M. l'abbé de La Fare, évêque de Laon, était dans cette compagnie ; il est enfermé au séminaire. M. le comte de Tavannes, cordon bleu, est, dit-on, pour le même sujet exilé. »
Edmond Jean François Barbier, avocat, Journal historique et anecdotique du règne de Louis XV, mai 1726, BnF, mss fr. 10286, f° 9.

« On me contait ces jours-ci en parlant du maréchal d’Huxelles qu’il avait toujours été fort entiché du péché philosophique, ce vice n’a pas laissé d’avoir de grands hommes pour amis, et qu’un jour ils étaient trois en partie de débauche, et que le troisième, qui n’était pas de ce goût-là, le fronda fort et ne voulait pas croire qu’il y eût des bougres. »
Barbier, Journal..., octobre 1726.

Recueil de pièces choisies..., 1735, page 42. Via Gallica BnF.

L’argumentation de L’Averdy citée plus haut répondait par avance à cette note de Voltaire dans le Prix de la justice et de l’humanité : « le mot bulgarie, qui ne signifie qu’hérésie, fut pris pour le péché contre nature. » Voltaire ne s’était pas interrogé sur le sens d’hérite et de mécréant, passant ainsi à côté du phénomène assez fréquent de l’imputation de mauvaises mœurs à des fins polémiques. Type de dénigrement fort pratiqué pendant la Révolution ; dans Les Enfants de Sodome à l’Assemblée Nationale, l’abbé Louis Esprit Viennet (dont le frère Jacques Joseph fut député à la Convention) était décrit comme « le plus zélé partisan de la bougrerie ».

« Il ne serait point question de la fouterie naturelle. On n'y occuperait ses forces et son temps qu'à soulager les ardeurs de la bougrerie, de la pédérastie et de la bardacherie. »
Bordel apostolique …, 1790.

Dans le Comité ecclésiastique (1790, autre ouvrage parodique), treize noms étaient cités, dont

« L'abbé Lemintier [Augustin-René-Louis Le Mintier], évêque de Tréguier, qui réunit tous les titres de bougrerie et de jeanfoutrerie. ».

Le Jean-foutre, c'était alors l'homme à femmes (sauf pour Sade).

« Bourdaloue, Lully, d’Alembert, La Harpe, Thomas, etc. sont des bougres. »
Les Enfants de Sodome à l’Assemblée Nationale, 1790.

Seule exception à la prédominance du sens homosexuel au XVIIIe siècle, les écrits du marquis de Sade, où bougre et sodomiste peuvent désigner celui qui sodomise une femme.

« Des soins divers, mais superflus,
De Fiévée (*) occupent la vie :
Comme bougre il tache les culs,
Comme écrivain, il les essuie. »
Michaud, Petite biographie des gens de lettres, 1826.
(*) Joseph Fiévée, 1767-1839, écrivain et agent secret.

Deux entrées du Complément du Dictionnaire de l'Académie française, 1842.
Via Gallica BnF.

Le sens homosexuel s’est perdu progressivement, bougre subsistant dans des interjections, parfois sous la forme atténuée bigre, ou avec les significations de joyeux luron, pauvre diable, brave homme.

Gustave Flaubert, grand lecteur de Sade, affectionnait des expressions telles que « cher vieux bougre », et l'adverbe « bougrement »..
« J'approche de la fin de ma petite bougrerie, laquelle n'est point commode ».
Correspondance, 1876.

« BOUGRE : Ce mot est à noter comme ayant perdu tout à fait la portée injurieuse qu’il avait autrefois. Il n’est plus aujourd’hui qu’un synonyme du mot garçon. »
Lorédan Larchey (1831-1902), Les Excentricités du langage français, Paris : Aux bureaux de la Revue anecdotique, 1861.

À deux années de distance, Alfred Delvau donna deux définitions différentes :
Dictionnaire érotique moderne, 1864 :
« Pédéraste, – en souvenir des hérétiques albigeois et bulgares qui, en leur qualité d’ennemis, étaient chargés d’une foule d’iniquités et de turpitudes par le peuple, alors ignorant, comme aujourd’hui. »
Dictionnaire de la langue verte, Paris : E. Dentu, 1866 : « Homme robuste, de bons poings et de grand cœur, – dans l’argot du peuple, qui ne donne pas à ce mot le sens obscène qu’il a eu pendant un long temps. »

Lucien Rigaud confirma la perte de portée injurieuse :
Le Jargon Parisien - L'argot ancien et l'argot moderne,
Paris : Paul Ollendorff, 1878.

La liberté de langage des années 1789-1792 avait permis aux contre-révolutionnaires de dessiner une sorte d'image homosexuelle de la Révolution. Le père Duchesne (alias Hébert) accumulait les « Bougre ! ». Mais le mot ne bénéficiait pas, comme pédéraste et les dérivés de Sodome, d'ancrage culturel profond. L'évolution a été différente en anglais, bugger et le verbe to bugger continuant d'être employés jusqu'à une époque très récente.

Julien Green : « [Thad] Lovett nous raconte les soirées [Robert] Bernstein, les dîners de tapettes hâtivement expédiés par le maître de maison qui permet à peine qu'on happe son dessert et veut qu'on passe au salon et que les bougreries commencent au plus tôt. »
Journal intégral, 14 mars 1934, Paris : Robert Laffont, 2019.

« M. André Gide est pédéraste. Ce n'est pas le diffamer que de le dire, il s'en fait gloire. Il a écrit un petit livre (Corydon) pour s'en flatter et défendre l'uranie, et un gros bouquin (Si le grain ne meurt...) pour s'en confesser.
Je ne le lui reproche pas. Je m'en moque éperdument. Chacun prend son plaisir où il le trouve. Il me semble seulement aussi puéril d'avouer et de proclamer le goût qu'on a pour les jeunes gens qu'il me parait déplacé d'ouïr les confidences d'un érotomane déclarant n'aimer que les dames à gros derrière ou les jeunes filles aux seins inexistants.
Ce n'est pas du non-conformisme. C'est de l'exhibitionnisme... Une triste manie, sans plus.
Cependant, voici un article du réquisitoire d'André Gide contre l'U.R.S.S. (note au bas de la page 63) qu'il vient de publier et par lequel il accède pour la première fois, à soixante et un ans, aux gros tirages : " Que penser, au point de vue marxiste (sic) de celle (la loi) plus ancienne contre les homosexuels qui, les assimilant à des contre-révolutionnaires (car le non-conformisme est poursuivi jusque dans les questions sexuelles) les condamne à la déportation pour cinq ans, avec renouvellement de peine s'ils ne se trouvent pas amendés par l'exil ? "
On a le droit et peut-être le devoir de penser que ces dispositions sont bien rigoureuses. Mais on ne peut pas sous-estimer le poids dont elles ont pesé, au trébuchet de M. Gide, et la mesure dans laquelle elles ont aidé à sa déception.
Passons. Au sens propre du mot, M. André Gide est un pauvre bougre. »
" Un pauvre bougre : André Gide " Le Merle blanc siffle et persifle le samedi, N° 140, 5 décembre 1936, page 1. Via Gallica BnF.


BOUGRIE

« L’inceste et la bougrie ordinaire
Ont mis hors du rang du vulgaire
Le canonisé Borromée. »
Agrippa d’Aubigné, Épigrammes.

BOUGRIN (adj. et subs.), BOUGRINIÈRE, BOUGRINO, BOUGRISQUE

Bougrin se rencontre deux fois chez Rabelais, et il y eut des reprises :

« Missaire Bougrino » (Pantagruel, 1532, XIV)

« Le pape Jules [Jules II], crieur de petits pâtés, mais il ne portait plus sa grande et bougrisque barbe » (Pantagruel, XX)

« En ce guéret, peu de bougrins sont nés,
Qu’on n’ait berné sus le moulin à tan. » (Gargantua, 1534, II)

« Gens soumis […] À Vénus, comme putains, maquerelles, marjolets, bougrins, bragars, napleux, […] » (Pantagrueline prognostication, V)

« Le saint champ du seigneur est plein de parasites,
Et l’autel précieux ne sert qu’aux sodomites ;
Bref, les temples à saints usages ordonnés
Par ces ganymèdes bougrins sont profanés. »
Henri Estienne, Apologie pour Hérodote, 1566-1592, chapitre 39, citant Baptiste Mantuan évoquant les vices des papes.

« Cette Maison est impudique :
Les pages s’y branlent la pique,
Les gardes foutent les exempts.
Pour achever la bougrinière,
On dit que très assurément,
Guitaut fout en cul la Rallière. »
Baron de Blot, Parnasse satyrique, 1623.

« En je ne sais quelle pièce au Pape, il [Dulot] lui disait :
            " Jusqu'où s'étend votre empire bougrin. "
Il était un peu bougre lui-même. »
Tallemant des Réaux, Historiettes, Dulot.

BOUJARONNER

Le Bordel des muses, 1661.

BOURGEOIS DE SODOME

Une des nombreuses expressions en " ... de Sodome ".

« Serait-ce celui dont on m’a parlé d’une si étrange sorte, et qui était bourgeois de Sodome longtemps avant d’être capitaine dans Loudun [Vienne actuelle] ? C'est-à-dire que, sans aller à la guerre, il [Nicolas Vauquelin] sait faire tourner le dos aux hommes, et qu'il a appris il y a longtemps l'art de dompter et de subjuguer. Je sais cet horrible secret d'un jeune gentilhomme de mes amis, quo non formosior alter, et sur la  pudicité duquel ce frère a eu de très dangereux desseins, lorsqu'ils étaient ensemble à l'Académie ou au collège ; mais peut-être que c'est le frère chaste qui est votre ami et non le frère pédéraste ; Dieu le veuille ainsi pour l'honneur de votre amitié. »
Lettre de Guez de Balzac à Jean Chapelain, 3 octobre 1644 (Lettres, Paris : Imprimerie Nationale, 1873)  

BRANLADE

« Il [Émile Zola] s’étend sur les salauderies qui ont lieu dans les collèges de province et qui ont un coin de brutalité que ne présentent pas les branlades mignardes des collèges parisiens. »
Edmond de Goncourt, Journal. Mémoires de la vie littéraire de 1851 à 1896, Paris : Fasquelle/Flammarion, 1956, à la date du 18 avril 1883.

BRODEUSE

« Individu appartenant au troisième sexe. Argot des voleurs. »
Alfred Delvau, Dictionnaire de la langue verte, 2e édition, 1866.

Donné comme équivalent de pédéraste par Georges Delesalle dans son Dictionnaire Argot-Français et Français-Argot, Paris : Paul Ollendorff, 1896.