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mardi 11 octobre 2022

NOTES CONTRE LA PÉDOPHILIE ET SUR LES SEUILS DE CONSENTEMENT


N.B. À la fin des années 1970 j'ai eu l'occasion de rencontrer à Paris un petit groupe de pédophiles militants (dont Matzneff était le gourou) et à discuter avec eux. Cet article est le fruit de ma réflexion et de mon travail de documentation ultérieur, et il récuse totalement toute argumentation favorable à la pédophilie.
Retiré en province, je découvre seulement début octobre 2022 l'ouvrage de Pierre Verdrager L'enfant interdit De la défense de la pédophilie à la lutte contre la pédocriminalité, paru en 2021 chez Armand Colin (Paris), collection Sociologica ; les révisions ultérieures de cet article le prendront compte et le commenteront. Je reproduis déjà ci-dessous le passage dans lequel je suis mis en cause et qui me servira de préface :
« La cause pédophile n’a jamais fait l’objet d’une unanimité dans le monde gay, en tout cas dans celui des publications gays : il y avait des controverses. Si Gai Pied était très favorable, comme on l’a vu, à la pédophilie, et ceci jusqu’à la fin, ce n’était pas le cas d’autres journaux plus marqués à droite comme Samouraï  [Pour une critique du rejet de la pédophilie par Samouraï, cf. Francis Lacombe (pseudonyme de Frank Arnal), « Cynisme à la une », Gai Pied Hebdo, n° 159, 2-8 mars 1985, page 9.] Dans ce journal, c’est Claude Courouve qui luttait le plus ardemment contre le mouvement pédophile. Pour lui, la défense de la pédophilie relevait de la « propagande [Claude Courouve, « Réflexions sur la pédophilie », Samouraï Magazine, n° 3, mars 1985, page 86.], ce n’était pas la pratique pédophile qui était universelle, mais bien sa répression. Il rejetait tout lien entre homosexualité et pédophilie et considérait comme une erreur le fait de tenir les enfants pour responsables de ce qu’ils faisaient. Aussi critiquait-il les revendications des organisations gays ou pédophiles, telles que le PIE, le NAMBLA (North american man/boy love association), l’IGA ou le CUARH, qui demandaient un assouplissement des législations dans le domaine de la sexualité des mineurs avec les majeurs. Il regrettait que ces revendications soient dans le monde gay « très peu critiquées [Ibid., p. 87.] ». Il conclut en affirmant que « la nouvelle morale sexuelle des jeunes est plus favorable à l’homosexualité justement parce qu’elle rejette les formes trop asymétriques de sexualité. Notre époque qui cultive l’égalité, en particulier dans le couple hétéro, aurait sans doute bien du mal à se faire à une relation aussi inégale que celle qui peut exister entre un impubère et un adulte [Ibid.] » 
« Les arguments défendus par ces journaux au cours des années 1990 finirent par avoir raison de la cause pédophile et, par rapport aux critères d’aujourd’hui, raison tout court. » Chapitre 3, " La déroute pédophile ".

   La pédophilie, parfois illustrée (déjà la confusion...) par le mythe pédérastique grec de l'enlèvement de Ganymède par Jupiter, fut définie lors d'un colloque de l'UNESCO à Paris en janvier 1999 comme relation sexuelle avec un enfant de moins de 13 ans ; précision utile car le mineur civil est très souvent confondu avec cet enfant de moins de 13 ans : " Pour les Nations Unies, pour l'Union africaine et pour d'autres instituions mondiales, un enfant est une personne de moins de 18 ans. Pourtant, en France, certains ne cessent de lutter pour faire descendre l'âge du consentement aux relations sexuelles (définies par l'association d'un contact et d'un orgasme), aujourd'hui fixé à 15 ans (sauf pour les personne ayant autorité [18 ans]) " (Stéphane Joulain, " La pédophilie dans l'Église catholique : un point de vue interne", Esprit, n°° 378, octobre 2011, pages 28-39).

Selon cette définition de l'UNESCO, la différence d'âge avec le partenaire doit être supérieure à 5 ans (p supérieur ou égal à e + 5) ; ainsi, une relation 11-15 ne sera pas considérée comme de la pédophilie. Cette définition semble raisonnable. À 13 ans et demi, demandera-t-on, on est où ? L'ennui de ces limites d'âge est qu'elles supposent que tous les êtres sont construits sur le même modèle, alors que les temps des maturités physique et psychologique sont différent des uns aux autres, d'une civilisation à une autre. Cependant, la définition de l'Unesco est intéressante pour des Français car elle correspond à ce qu'édictait la législation de la IIIe République ; cependant, à ce critère d'âge d'état-civil, j'adjoins, comme je l'expose plus loin, celui, plus complexe, de l'âge de choix et de connaissance, pour reprendre la fort belle expression de Montaigne, soit le critère de consentement avec discernement.

§ 1 - Distinguer entre pédophilie et ce qu'André Gide appelait pédérastie, distinction faite notamment par le Dr Marcel Eck, psychiatre catholique et parisien : « Au point de vue psychanalytique, il existe une différence considérable entre le pédophile qui cherche des aventures avec les jeunes impubères et l'homosexuel qui pratique son homosexualité avec des adolescents déjà pubères, même plus que pubères » (" L'homosexualité ", exposé aux Journées nationales de l'U.N.A.P.E.L., 7 et 8 juin 1975). Dans ce sens, ni André Gide, ni Julien Green, ni Roger Peyrefitte ou Daniel Guérin n'étaient des pédophiles (pour Henri de Montherlant et Gabriel Matzneff, c’est moins sûr), bien que la presse d'aujourd'hui les rangent parfois dans cette catégorie ; André Gide ne protesta jamais contre le seuil en vigueur à son époque ; son travail pour Corydon entre 1909 et 1918 montre qu’il hésitait entre les deux limites à proposer de 13 ou 15 ans, alors que le seuil légal alors en vigueur était, depuis 1863, de 13 ans.

  Le médecin et sexologue allemand Magnus Hirschfeld (1868-1935) opposait aux gérontophiles les pédophiles « qui recherchent les enfants non pubères » (Anomalies et perversions sexuelles, 1957). La définition de l’American Psychiatric Association retenait le rapport sexuel avec un enfant âgé de treize ans au plus (DSM IV, publié en 1994). Selon une étude de Catherine Montiel et Renaud Fillieule (cf " La pédophilie ", Synthèse, n°3, juin 1997, et La Pédophilie, IHESI, 1997),
« il s’avère nécessaire de retenir la définition psychiatrique : la pédophilie est [...] une attirance sexuelle pour les enfants pré-pubères. Elle ne concerne pas les atteintes sexuelles sur les jeunes adolescents pubères, et il faut également la distinguer de l’inceste qui se limite strictement au cadre familial. »
   Il faudrait en finir avec la confusion médiatique entre impubères et pubères, entre enfants et mineurs, confusion présente dans cette dépêche ancienne de l’A.F.P. signée de Pierre Célérier et datée du 27 mars 2001 : « La loi [en Russie] garantit l’impunité aux responsables d’actes de pédophilie sur des enfants de 14 ans ou plus ». Selon une information en provenance directe de Moscou (janvier 2005), la police moscovite arrête les proxénètes prostituant des mineurs. Comme quoi la législation russe savait distinguer entre liberté sexuelle et exploitation de l’enfance ou de l’adolescence, ce que ne sait pas encore faire la grande presse française.

Confusion qu'entretenait aussi en 1997 l'écrivain Renaud Camus, dans ses réponses à la revue L’Infini :
2) Qu’appelle-t-on un enfant, aujourd’hui ? Qu’appelle-t-on un pédophile ?
« — Mettons qu’on appelle enfant un être humain de moins de quinze ans, ou de quatorze ans : ce me semble une constatation à peu près objective de l’usage courant, indépendamment de l’étymologie. Et cet usage courant ne me paraît pas poser de problème particulier. »

Confusion enfin qu'on retrouve dans un article fielleux de Frédéric Martel sur le Journal intégral de Julien Green, " Le siècle d’enfer de l’écrivain catholique et homosexuel Julien Green ".

Étymologie – Au début du XIXe siècle, pédophilie signifiait " amour des enfants ", sans implication sexuelle. L’expression " pédophilie érotique ", traduite de l’allemand, fut proposée en 1906 par le Dr Auguste Forel. Par la suite, on abrégea en pédophilie, et le pédophile devint, sans doute à tort car bien minoritaire, un des types homosexuels, la pédophilie homosexuelle masculine apparaissant parfois prépondérante, les homosexuels masculins pouvant sembler sur-représentés dans les affaires de pédophilie. Selon l'inventaire du Dr Charles Perrier, un tiers des victimes de moins de treize ans d'attentats à la pudeur étaient des garçons (Les Criminels, 1900).

§ 2 - À la fin des années 1970, une commission d'experts gouvernementaux des pays du Conseil de l'Europe, peut-être instrumentalisée par un lobby pédophile, étudiait la possibilité de réduire les peines appliquées aux infractions relatives aux seuils de consentement, donc aux infractions commises par les pédophiles et une partie des pédérastes. Cette volonté d'harmonisation des Codes pénaux européens allait à l'encontre de considérations anciennes selon lesquelles le développement physique et moral de l'enfant varient suivant les climats. Le rapporteur conclut à la nécessité de réprimer ce qui correspond à peu près à la pédophilie, de fixer un âge précis, et proposait quatorze ans, soit cet ancien seuil romain repris par le droit canon. Voir le rapport de Hartmuth Horstkotte, L'Âge et les conditions du consentement dans le domaine sexuel, volume XXI des Études relatives à la recherche criminologique, Strasbourg : Conseil de l'Europe, 1984, pages 186, 215, 220, 222.

La loi 80-1041 du 23 décembre 1980 remplaça le crime d'attentat à la pudeur sans violence sur mineur de moins de quinze ans par un simple délit, punissable d'une peine de 3 à 5 ans d'emprisonnement et d’une amende de 6 000 F à 60 000 F ou de l’une de ces deux peines seulement ; il n'y eut, lors des débats, que les parlementaires communistes pour s'opposer à cette indulgence. Le Nouveau Code pénal en vigueur depuis 1993 réduisit encore, à 2 ans d'emprisonnement et 200 000 F d’amende (ancien article 227-25), la peine encourue pour une telle relation sexuelle. Cette évolution put légitimement inspirer la théorie de la " société complice ", déclaration de l'archevêque de Rennes Jacques Jullien (1929-2012) à Ouest-France, 8 août 1997. Théorie actualisée avec la re-découverte en décembre 2019 des écrits et déclarations de Gabriel Matzneff, à l'occasion de l'annonce de publication de Le Consentement par Vanessa Springola ; actualisée aussi avec la découverte de ce qui se passait dans la familia grande d'Olivier Duhamel et de Bernard Kouchner. Mais que dire de l'Église elle-même, l'actualité en est aussi pleine, avant et depuis le curieux comportement des évêques Jacques Gaillot et Pierre Pican dans l’affaire Vadeboncœur ? Depuis le procès Barbarin ??

La loi 98-468 du 17 juin 1998, dite loi [Ségolène] Royal, renversa la tendance, en montant la peine, pour un majeur, à cinq ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende (article 227-25 nouveau) ; des parlementaires proposèrent alors, sans succès, d’y ajouter l’imprescriptibilité. L'enfant et le tout jeune adolescent (mineur de moins de 15 ans) restent donc moins bien protégés qu’avant 1980 pour les atteintes non violentes dans lesquelles son consentement éclairé n'est pourtant jamais présumé ; en revanche la répression du viol sur mineur de moins de quinze ans et des agressions sexuelles a été renforcée. Par ailleurs le grand adolescent est davantage contrôlé : un seuil de 18 ans (au lieu de 15 ans) est applicable depuis la loi 80-1041 du 23 décembre 1980 à l'entourage, familial ou éducatif ; cette disposition a pour origine un amendement du sénateur socialiste Edgar Tailhades (article 331-1 de l'ancien Code pénal) et constitue aujourd'hui l'article 227-27 du Nouveau Code pénal de 1993 (2 ans d'emprisonnement et 30 000 € d'amende) ; elle n'a rien à voir avec la répression de la pédophilie et se rapprocherait plutôt de la lutte contre le harcèlement sexuel sur le lieu de travail ... (L'Allemagne possède une disposition analogue à notre article 227-27, l'article 174)
 
Dans une affaire aussi triste que celle du professeur Gabrielle Russier, cet article 227-27 offrirait un deuxième chef d'inculpation de cette malheureuse ; à l'époque, elle n'avait été poursuivie que pour détournement de mineur (article 356 de l'ancien Code pénal), c'est-à-dire non pour une infraction à caractère sexuel, mais seulement pour avoir fait quitter à ce mineur le domicile parental.
Détournement de mineur dans le nouveau Code pénal :
Section 3 : Des atteintes à l'exercice de l'autorité parentale
Article 227-8 
Le fait, par une personne autre que celles mentionnées à l'article 227-7 de soustraire, sans fraude ni violence, un enfant mineur des mains de ceux qui exercent l'autorité parentale ou auxquels il a été confié ou chez qui il a sa résidence habituelle, est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.

§ 3 - La tolérance de la pédophilie attribuée à l'Ancien Régime français n'a jamais existé ailleurs que dans l'imagination de l’historien Philippe Ariès (1914-1984) auteur de L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime (Paris : Plon, 1960). La pédophilie choquait, comme le montrent de très nombreux témoignages littéraires, historiques et judiciaires (certains sont cités dans la dernière partie de cette étude). Selon le juge Horstkotte, ici bien documenté :
« La thèse suivant laquelle les infractions sexuelles contre les mineurs sont des attaques contre une victime considérée individuellement, sa liberté et son intégrité, n'est pas une idée moderne, mais une idée profondément enracinée dans l'histoire du droit. » 
Cette mise au point souffre cependant de l'ambiguïté du terme de mineur : moins de 25 ans sous l'Ancien Régime ! Mais elle devient exacte si l'on remplace " mineurs " par " enfants ", soit des impubères. Contrairement à ce que Monseigneur Yves Patenôtre put déclarer à la télévision, à toutes les époques on avait clairement identifié la pédophilie et on en avait parlé, on l'avait condamnée, comme le montrent les nombreuses références que je donne dans la partie historique de ces Notes.


   Dans un entretien avec Michel Onfray (Philosophie Magazine, avril 2007) le candidat Nicolas Sarkozy assurait " incliner (...) à penser qu'on naît pédophile, et c'est d'ailleurs un problème que nous ne sachions pas gérer cette pathologie ". En sens inverse, au micro de R.T.L., Monseigneur André Vingt-Trois, archevêque de Paris, s'éleva début avril 2007 contre toute tentation d'eugénisme : « Surtout, ce que me paraît plus grave, c'est l'idée qu'on ne peut pas changer le cours du destin. C'est vrai quand on prend la perspective génétique, mais c'est aussi vrai quand on prend la perspective sociologique. Parce que dire que quelqu'un est pré-déterminé par la famille qui l'a entouré, par les conditions dans lesquelles il a vécu, ça veut dire que l'homme est conditionné absolument. »


§ 4. Le journaliste Luc Rosenzweig (1943-2018) fournissait un témoignage précieux sur les années 1950. Dans sa chronique " Pêle-Mêle " du quotidien Le Monde du 6 mars 2001, il interrogeait : 

« Pourquoi, vers le milieu du siècle dernier, a-t-on laissé " œuvrer " pendant plusieurs lustres, dans un prestigieux établissement public d'enseignement secondaire de Lyon, deux aumôniers catholiques, le Père A. et le Père G. dont les comportements nous semblent, aujourd'hui, sans équivoque ? ». Dans un e-mail, il me précisait : 
« Les aumôniers auxquels je faisais allusion étaient en fonction dans l'établissement que je fréquentais alors. Assistant, (à l'insu de mes parents, qui n'étaient pas catholiques) à des cours d'instruction religieuse en sixième, j'ai été alors intrigué, mais pas plus que ça, par les méthodes de ces deux abbés, qui prenaient les gamins sur les genoux pour leur caresser les cheveux, organisaient des séances de "confessions", à genoux sur un petit banc au fond de la classe, au cours desquelles ils faisaient raconter aux enfants leurs pratiques nocturnes avec force détails. En ce qui me concerne, les choses n'ont pas été plus loin, mais bien des années après, quelques anciens condisciples rencontrés par hasard m'ont confirmé que pour certains d'entre eux, notamment au cours des camps de scouts que l'un des aumôniers animait, on était allé bien plus avant dans des pratiques aujourd'hui qualifiées de pédophiles. Au milieu des années 60, ils ont, paraît-il, été discrètement mis à l'écart, sans que le scandale n'éclate publiquement...Tout cela, naturellement, demande à être vérifié, et fera peut-être l'objet d'une recherche que je mènerai […]. L'allusion faite dans ma chronique était, dans cette optique, destinée à déclencher des témoignages me permettant de l'amorcer. »


Zeus et Ganymède, Shelby White and Leon Levy Collection, New York
Attributed to the Eucharides Painter, circa 490 - 480 B.C.


§ 5. – L’histoire détaillée des seuils de consentements est encore à faire. Selon Aetius, " Héraclite [d'Éphèse] et les Stoïciens déclarent que les hommes commencent leur maturité à la fin de la seconde série de sept années, au moment où l'activité sexuelle se développe. " (Opinions, IV, v, 23). Clément d'Alexandrie indiquait que l'âge de l'éphébie était 14 ans en Égypte grecque (Le Pédagogue, III, x, 49). Dans la Rome antique, on pratiqua d'abord l'inspection physique des adolescents pour savoir s'ils étaient pubères ou non. L'empereur d'Orient Justinien (482/565) fixa l'âge de la puberté à ce même âge de 14 ans (Corpus Juris Civilis, " Institutes ", I, 22). Ce seuil fut conservé par Grégoire IX (pape de 1227 à 1241) pour le droit canon, comme on peut le voir dans les Décrétales, IV, ii et V, xxiii. 

Début 2012, un commentaire rapide du Conseil constitutionnel faisait le point de la question :
" Ces articles [227-25 (atteinte sexuelle non violente, 227-26 (circonstances aggravantes), 227-27 (atteinte commise par personne ayant autorité] ne figurent pas dans le chapitre [II du titre II du livre II] du code pénal consacré aux atteintes à l’intégrité physique ou psychique contre les personnes mais dans le chapitre [VII, section 5] consacré aux atteintes aux mineurs et à la famille. Ces infractions sont constituées en cas d’atteinte sexuelles « sans violence, contrainte, menace ni surprise ». Ils visent à réprimer certaines relations sexuelles consenties ou, à tout le moins, pour lesquelles la preuve de l’absence de consentement n’est pas rapportée.
Ces dispositions ont pour effet de fixer à quinze ans l’âge de la majorité sexuelle définie comme l’âge à partir duquel un mineur peut valablement consentir à des relations sexuelles (avec ou sans pénétration) avec une personne majeure à condition que cette dernière ne soit pas en position d’autorité à l’égard du mineur. "
Commentaire Décision n° 2011-222 QPC du 17 février 2012, I. – Dispositions contestées, A. – La notion d’atteinte sexuelle.
Dans la loi Dupond-Moretti du 21 avril 2021, le 5° de l'article 1 crée l'article 222-23-1 du Code pénal :

Hors le cas prévu à l'article 222-23 [viol], constitue également un viol tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis par un majeur sur la personne d'un mineur de quinze ans ou commis sur l'auteur par le mineur, lorsque la différence d'âge entre le majeur et le mineur est d'au moins cinq ans.
La condition de différence d'âge prévue au premier alinéa du présent article n'est pas applicable si les faits sont commis en échange d'une rémunération, d'une promesse de rémunération, de la fourniture d'un avantage en nature ou de la promesse d'un tel avantage.


   En France, un seuil légal de 11 ans fut établi en avril 1832. Selon le Garde des Sceaux de l'époque, Félix Barthe, les jurés se montraient déjà très sévères dans de semblables occasions [relations avec un enfant de moins de 11 ans] car l'enfant n'était jamais considéré comme ayant donné son consentement. Le Code pénal de 1791 réprimait " l'enlèvement d'une fille de moins de 14 ans par violence pour en abuser ou la prostituer " (article 33). À Naples, tout attentat à la pudeur était présumé commis à l'aide de violences s'il avait lieu sur une personne âgée de moins de 12 ans accomplis (Lois pénales de Naples, 1819, article 339). Le député Fidèle-Marie Gaillard de Kerbertin proposa, mais sans succès, le seuil de 15 ans pour harmoniser avec l'article 332 concernant l'attentat à la pudeur avec violence (Supplément au Moniteur, 3 décembre 1831). 

Par la suite, les seuils applicables aux personnes extérieures à l'entourage de l'enfant ou de l'adolescent furent les suivants :
 
11 ans de 1832 à 1863 ;
13 ans de 1863 à 1942 ; moyen terme entre 12 ans (Toscane, Sardaigne et Deux-Siciles) et 14 ans (Autriche, Prusse et Suisse), car "l'influence des climats est ordinairement prise en considération dans ces matières".
- 13 ans de 1942 à 1945 pour les relations hétérosexuelles ;
21 ans de 1942 à 1974 pour les relations homosexuelles ; disposition du régime de Vichy (Pétain, Laval, Loi n° 744 du 6 août 1942, Journal Officiel du 27 août 1942, page 2923), conservée en 1945 par l'ordonnance du 8 février 1945 qui effaçait la liberté accordée à l'homosexualité depuis la loi du 19/22 juillet 1791 sur l'organisation de la police correctionnelle. Cette disposition établissait la confusion juridique entre pédophilie et pédérastie.
15 ans de 1945 à 2023 pour les relations hétérosexuelles ; ordonnance 45-1456 du 2 juillet 1945, sur ce point " se conformant au vœu de certains criminalistes ", écrit Joseph Magnol (" L'ordonnance du 2 février 1945 sur l'enfance délinquante  ", Revue de science criminelle et de droit pénal comparé, janvier-mars 1946)..
18 ans de 1974 (loi 74-631 du 5 juillet 1974) à août 1982 pour les relations homosexuelles.
15 ans depuis 1982 (loi 82-683 du 4 août 1982) pour les relations homosexuelles ; la différence de seuil hétéro/homo est donc supprimée en France depuis août 1982. Les autres pays européens ont actuellement un seuil uniforme, de 14 ans (Autriche, Italie), 15 ans (Danemark, Grèce, Suède), 16 ans (Belgique, Grande Bretagne, Hollande, Espagne, Finlande, Portugal et Suisse) ou 17 ans (Irlande). La Russie possède également, depuis 1993, un seuil uniforme de 15 ans. En Allemagne existe un seuil uniforme mais " élastique ", les relations avec un partenaire de plus de 14 ans mais de moins de 16 ans pouvant ne pas être poursuivies, selon les circonstances. 

Des relèvements de seuils analogues se produisirent dans d'autres pays d'Europe. En Angleterre, une loi de 1575/76 fixait l'âge limite à 10 ans pour les filles, seuil porté à 12 ans en 1861, puis élevé à 16 ans en 1885. Cette évolution était en accord avec la tendance de l'époque contemporaine à l'instauration, puis à la prolongation, de la scolarité obligatoire – jusqu'à 16 ans en France actuellement – et à l'abaissement de l'âge de la majorité civile : pour la France, cette majorité civile fut abaissée de 25 à 21 ans en 1793, puis de 21 à 18 ans en juillet 1974 ; ceci venant après l'élévation de 15 à 25 ans au cours des XIVe et XVe siècles. Du VIIIe au XIIIe siècle, cette majorité civile était fixée à 15 ans, seuil qui resta longtemps celui du mariage pour les filles (article 144 ancien du Code civil, modifié par la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 qui porte ce seuil à 18 ans). La majorité matrimoniale, âge à partir duquel on peut se marier sans le consentement des parents, ne coïncide avec la majorité civile que depuis une loi du 2 février 1933 ; d'où la présence, dans des actes de mariage antérieurs à cette date, de la mention " leurs parents présents et consentants " même lorsque les mariés étaient majeurs.

   Il semble que la notion d’enfant soit aujourd'hui en passe de se confondre avec celle de mineur, et que le législateur, y compris le législateur européen, soit à la recherche d'un seuil unique de maturité ; ce qui sera bien difficile à mettre en œuvre, ne serait-ce que pour la majorité pénale partielle, actuellement fixée à treize ans en France, et qu'on ne peut envisager de relever dans la situation actuelle de délinquance juvénile importante, notamment immigrée, et en augmentation. 


§ 6 -   Les tentatives de justification de la pédophilie stricto sensu (donc distinguée de la pédérastie) ont émané en France de la partie la plus radicale du mouvement homosexuel.

En janvier 1976, le GLH - Politique et quotidien demandait la reconnaissance de la sexualité des enfants :


En 1977, le Manifeste du Groupe Homosexuel de Clermont-Ferrand disait lutter " pour que le droit à la sexualité soit reconnu sans limitation d'âge " (point 6).

À la fin des années 1970, le Groupe de Libération Homosexuelle de Rouen demanda l'abaissement de la majorité sexuelle à 13 ans, mais ajouta : « En dessous de 13 ans, le problème est complètement différent. Il n'est pas question pour nous de cautionner ni de défendre des relations directement sexuées entre un adulte et un mineur de moins de 13 ans. » (Allonz' enfants, n° 6, hiver 1978-1979). Soit le retour au régime pénal de la IIIe République. En 1980, le G.R.E.D., Groupe de Recherche pour une Enfance Différente, revendiquait le " libre choix de sa sexualité quel que soit son âge " (Masques, n° 5, été 1980, page 104). Voir plus loin les déclarations de Jean Le Bitoux. En 1984, le mouvement homosexuel C.U.A.R.H. réclama dans son Manifeste européen :

Masques, n° 22, page 182.

Le gros du mouvement homosexuel des années 2000 et 2010 s'en tenait encore à son " pentalogue " GLBTQ, gais, lesbiennes, bisexuels, transexuels et queer.

Les homosexuels masculins semblent sur-représentés dans les affaires de pédophilie. Selon le Dr Charles Perrier, un tiers des victimes d'attentats à la pudeur de moins de treize ans étaient des garçons (Les Criminels, 1900). Selon le Dr Marcel Eck, la pédophilie " est habituellement homosexuelle, mais pas toujours " (" L'homosexualité ", exposé aux Journées nationales de l'U.N.A.P.E.L., 7 et 8 juin 1975).. D'après Frank M. Du Mas, il y aurait quatre à cinq fois plus de pédophiles parmi les homosexuels que parmi les hétérosexuels (Gay is not good, Nashville : T. Nelson, 1979). Le premier secrétaire d’État du Saint-Siège, Tarcisio Bertone, établissait un lien entre homosexualité et pédophilie, le 12 avril 2010 lors d'un conférence de presse donnée au Chili, se référant à ce que lui auraient  rapporté certains spécialistes.

Pédophilie et révolution, ou pédophilie et " progrès ", ont été liées dans l'esprit de certains. Le 26 janvier 1977, le quotidien Le Monde publiait une pétition initiée par Matzneff en faveur de trois inculpés maintenus trois ans en détention préventive ; il s'agissait de l'affaire dite " de Versailles ", dans laquelle un sénateur néerlandais, Edward Brongersma (1911-1998), échappa de peu à l'arrestation ; parmi les 69 signataires, on pouvait relever les noms de :
Louis Aragon, Roland Barthes, Simone de Beauvoir, Jean-Louis Bory, Bertrand Boulin, François Chatelet, Patrice Chéreau, Gilles Deleuze (tous les huit décédés) ;
Jean-Pierre Faye, André Glucksmann, Félix Guattari, (décédé), Bernard Kouchner (ancien ministre d'ouverture et soutien de Roman Polanski), Jack Lang (ancien ministre de la Culture et soutien de Roman Polanski), Gabriel Matzneff (" Cette révoltante pétition, je la connais bien puisque c’est moi qui l’ai écrite ", écrivait Matzneff dans une de ses chroniques de 2013), Danielle Sallenave, Jean-Paul Sartre (décédé), René Schérer, Philippe Sollers.
Mais ni Françoise Dolto, ni sa fille Catherine Dolto n'avaient signé ce texte, contrairement à ce qu'affirmait Jack Lang en janvier 2021 sur Europe 1.


§ 7 -   Jack Lang et Jean Gattégno

Jack Lang fut mis en cause implicitement fin mai 2011 par l'ancien ministre et professeur de philosophie Luc Ferry au " Grand journal " de Canal +, et un temps inquiété dans l'affaire dite du Coral (dans le Gard) instruite fin 1982 par le juge parisien Michel Zalzmann. Jack Lang déclara au journal homosexuel Gai Pied du 31 janvier 1991 : " La sexualité puérile est encore un continent interdit, aux découvreurs du XXIe siècle d'en aborder les rivages. " Allusion à Une érotique puérile de René Schérer, ouvrage paru en 1978... Luc Ferry cita notamment un article du Figaro sur une " affaire de Marrakech ayant fait l'objet d'un article plus ancien : " À l'approche de la présidentielle de 2002, quelques chiraquiens racontent une arrestation de Jack Lang au Maroc, dans une affaire de mœurs, suivie d'une exfiltration discrète organisée par l'Élysée. " (lexpress.fr, 22/09/2005).

L'écrivain Jean Gattégno (1934-1994), qui fut par ailleurs, sous l'autorité de Jack Lang sauf de 1986 à 1988, directeur du Livre et de la Lecture au Ministère de la Culture de 1981 à 1989), agrégé d'anglais, biographe de Charles Dickens et de Lewis Caroll,  assimila la répression des violeurs et des proxénètes d'enfants à la persécution d'homosexuels plus ordinaires dans son article " Du pécheur au militant ", publié dans Le Débat (n° 10, mars 1981, pages 118-131). Il sollicitait lourdement et maladroitement l'indignation des lecteurs de l’article, confondant au passage deux affaires " Dugué " (compliquée de pédopornographie) et " Marc Croissant " (purement politique).
« Le terme de « communauté », répété à satiété par [Jeffrey] Weeks, me paraît essentiel, et son ambiguïté ne l'est pas moins. Il ne se recrée pas un ghetto, puisque toutes les portes sont ouvertes, du moins dans les grandes villes et pour les classes moyennes ; mais une société « autre », qui, pour l'essentiel, singe l'ancienne et dans laquelle les tabous survivent : ainsi la pédophilie et la « transsexualité » sont-elles jugées, par beaucoup d'homosexuels, comme des déviances qu'il serait inopportun de défendre. ».
Et en note : « Impossible ici de ne pas renvoyer à l'affaire de cet éducateur [Marc Croissant, début 1979] employé par la municipalité [communiste] d'Ivry-sur-Seine, et qui fut finalement licencié lorsqu'un employé de la F.N.A.C. eut transmis à la police des photos d'enfants qu'il [Jacques Dugué, en 1978] avait données à développer. ».

LE MONDE DU 31 MARS 1979 :
« " L'Humanité " du 30 mars consacre une pleine page, sous le titre " Une nouvelle opération anticommuniste du " Monde ", à répondre à l'information dans laquelle nous signalions l'exclusion de fait d'un responsable de la mairie d'Ivry-sur-Seine parce que, dans une lettre au quotidien communiste, il s'était ému de la manière dont la presse du P.C.F. rendait compte de l'affaire de prostitution d'enfants et de pédophilie de Saint-Ouen, et avait défendu le principe d'une liberté sexuelle totale, y compris pour les enfants et les adolescents (Le Monde du 29 mars).

Le quotidien communiste publie la lettre adressée par MM. Marc Croissant [1953-2007] et Jean-Pierre Januel [1947-2003] à L'Humanité et la réponse de M. [Roland] Leroy, deux documents dont nous avions donné des extraits. Il publie également la lettre du maire d'Ivry-sur-Seine au Monde (voir ci-dessous). L'Humanité ajoute quelques commentaires, qui nécessitent plusieurs mises au point.

Le quotidien communiste nous reproche d'avoir utilisé " les termes les plus grossièrement outranciers, jusqu'à parler de scènes de chasse dans le Val-de-Marne ". Il s'agissait d'une citation. La formule a été utilisée par un intellectuel communiste célèbre : M. Antoine Vitez, directeur du Théâtre des Quartiers d'Ivry.

L'Humanité s'étonne que nous n'ayons pas publié le jour même la lettre que nous avons reçue - tardivement - de M. [Jacques] Laloë [maire d'Ivry-sur-Seine] et n'hésite pas à y voir une preuve de la " mauvaise foi " du Monde. Nous pouvons lui retourner le compliment.

À propos de M. [Charles] Fiterman, nous avons confondu deux réunions. Celle des bureaux de cellules de la ville d'Ivry, qui s'est tenue le 28 février et qui a été effectivement houleuse, puisque l'un des responsables du P.C.F. est allé jusqu'à dire qu'il y avait deux partis, celui représenté à la tribune et celui qui était dans la salle. L'assemblée du 7 mars à laquelle s'est rendu M. Fiterman n'a pu être houleuse, puisque les dirigeants communistes ont refusé de donner la parole à la salle.

Enfin, L'Humanité ne souffle mot sur le fait que M. Croissant s'est vu refuser sa carte du P.C.F. pour 1979.

Notons encore, en réponse à M. Laloë, que M. Croissant n'est plus, depuis deux ans, au contact " de milliers de jeunes " puisqu'il est conseiller culturel d'Ivry, chargé des sciences et des techniques. Il avait auparavant dirigé pendant cinq ans le service municipal de la jeunesse et l'avait quitté, avec les félicitations de la municipalité, pour se voir offrir une promotion. D'autre part, rien, dans la lettre qu'il a adressée à L'Humanité, n'indique qu'il défend la prostitution des enfants. » 

Jean Gattégno applaudissait le GLF anglais et le FHAR français car « comme en Amérique, il s'agissait avant tout d'inscrire la lutte pour la libération des homo-sexuel(le)s dans le combat pour la révolution. Dès 1971 le G.L.F. anglais et le F.H.A.R. décident de participer en tant que tels aux grandes manifestations de la gauche, notamment aux défilés du 1er mai, »,
Il concluait : « l'Allemagne et les deux grands pays anglo-saxons, longtemps soumis à une forte répression morale, sociale et légale, ont connu, depuis la fin du XIXe siècle, inégalement mais durablement, un mouvement de lutte qui a su remporter des victoires. L'une des plus grandes me paraît être d'ordre symbolique : l'invention, par les homosexuels anglo-saxons, d'un terme positif pour se désigner. Alors qu'en France, le F.H.A.R. parlait par provocation des « pédés », et que ses héritiers tentent de populariser « homos », le « gay » des États-Unis et d'Angleterre a presque complètement remplacé « queer », « pansy » et autres « faggot ». (La création en France du périodique appelé Le Gai Pied reste bien dans la ligne ironique et légèrement défensive lancée par le F.H.A.R.) Rendre compte de façon plus approfondie et moins subjective de cette différence d'attitude dépasserait les limites de cet article. On est cependant en droit de se demander si, pour l'homosexualité aussi, il faut une vraie répression pour créer des militants ? ». " Du pécheur au militant ", Le Débat, n° 10, mars 1981, pages 118-131.

De 1989 à 1993, Évelyne Pisier, mère d'Antoine Kouchner, succéda à Jean Gattégno, toujours sous l'autorité de Jack Lang... (La familia grande...)

L'intervention purement politique de Marc Croissant sur l'affaire Dugué donna lieu à une réaction énergique du P.C.F. :
Le Monde, 29 mars 1979 ; noter la coquille " exclut " pour " inclut ".

« Les communistes […] ne se sont jamais prononcés ni pour ni contre l’homosexualité. Cela relève avant tout de la personnalité de chaque individu et nous condamnons donc, de ce point de vue, toute forme de répression […] Vous [Marc Croissant] nous reprochez de ne pas avoir compris que ce qu’on a appelé " l’affaire de mœurs de Saint-Ouen " était en réalité ce que vous considérez comme une pratique sexuelle banale ["simplement des pratiques sexuelles de groupe entre adultes et adolescents de 11 à 17 ans, et de photos"]. Comment osez-vous soutenir un tel point de vue, alors qu’il s’agit en l’occurrence de la prostitution d’une quarantaine d’adolescents et d’enfants, dont le plus jeune avait tout juste quatre ans ! […] En tant que défenseur de la pédophilie et de " tout autre forme de sexualité " (on est loin de l’homosexualité) vous y trouvez peut-être votre compte, mais vous me permettrez de dire que je considère votre lettre [publiée dans L’Humanité du 30 mars 1979] indigne d’un communiste. »
Réponse de Roland Leroy (1926-2019) à Marc Croissant, L’Humanité, 30 mars 1979.

§ 8 -   Dans un entretien accordé au magazine gay Illico en mars 2001, le journaliste Jean Le Bitoux (né en 1948 à Bordeaux - décédé le 21 avril 2010 à Paris XIXe), confondant pédophilie et pédérastie, déclarait :
« En France, l’homosexualité vient d’une culture pédophile avec André Gide. En 1968, il existait même un comité d’action pédérastique révolutionnaire. Dans le discours du G.L.H. [Groupe de Libération Homosexuelle] à partir de 1975, il y a tout un héritage du F.H.A.R. [Front Homosexuel d'Action Révolutionnaire] notamment sur la question pédophile. À l’époque, il s’agissait de libérer son corps, libérer ses fantasmes. Il ne faut pas oublier qu’à cette époque-là la majorité est à 21 ans [sic, pour 18 ans à partir de 1974 ; autre confusion ...], ce qui est bien tard. Dans les années 1970, tout est à libérer y compris l’enfant qui est corseté comme la femme, comme l’homosexuel. Aujourd’hui, on ne parle plus du tout du même enfant. L’enfant des années 1970 était l’esclave d’une vieille civilisation, l’enfant d’aujourd’hui est extrêmement sacralisé. [...] Tony Duvert tenait une rubrique dans Gai Pied où il affirmait : " La question pédophile existe et certains gays sont pédophobes et ils considèrent que l’émancipation des homosexuels se fera sur le dos des pédophiles. On a inventé un homosexuel qui laisse de côté la question pédophile. " [...] Aujourd’hui, je pense que les pédophiles sont toujours les boucs émissaires des homosexuels. Le débat n’est plus du côté d’un espace de liberté que les pédophiles n’ont toujours pas, mais du côté de la jeunesse des homosexuels. »


§ 9 - La revue L'Infini 

publiée par Gallimard (avec le concours du Centre National des Lettres) et dirigée par Philippe Sollers (signataire de cette pétition de 1977) consacra l’ensemble de son numéro 59 d'automne 1997 (142 pages) à " La Question pédophile ", avec une suite, une réaction publiée dans le numéro 60 d'hiver 1997-98. Un questionnaire était proposé, quarante-deux réponses de personnalités furent publiées. 


Le psychanalyste Roger Dadoun y définissait la pédophilie comme " intérêt sexuel pour l'enfant avec passage à l'acte " ; le pédophile selon Catherine Millot est un " adulte ayant des relations sexuelles avec un impubère ". Bertrand Boulin (1949-2002, fils de l'ancien ministre R.P.R. Robert Boulin) constatait que " l'enfant est aujourd'hui le mineur " ce qui est certes une confusion regrettable [encore faite par Roland Castro sur La Cinquième – Ripostes, 11 mars 2001, et par Philippe Sollers sur LCI, 14 mars 2001 ; confusion qui recouvre celle entre pédophilie et pédérastie]. Frédéric-Charles Coulet posait cette question : " Y aurait-il par hasard un rapport entre la criminalisation [il s'agit plutôt de stigmatisation, puisque la pédérastie est légale, tranche d'âge 15-18 ans] de la pédérastie, l'éclipse d'une certaine beauté chez les jeunes et la délinquance des mineurs qui insiste chaque matin dans les colonnes des journaux ? " Florence Dupont déplorait un " déferlement de bonne conscience fondé sur la haine " et Gilles Châtelet (dans le n° 60) une " hystérie anti-pédophile ". Le magistrat Yves Lemoine constatait que " le sort de l'enfant est d'être abusé " ; certes..., mais on peut ne pas s'y résigner. 

Renaud Camus, fondateur du " NON au changement de peuple et de civilisation " (NCPC) après avoir présidé le parti de l'In-nocence, y écrivait, bien naïvement :

 « Je crois que la “pédophilie”, la mal-nommée, est avec la question des races, la question des classes, celle de l’immigration et celle du chômage un des terrains d’élection par excellence de ce que j’appelle la glu des discours. Elle est aussi une arme absolue de langage, en ce sens qu’elle permet de déconsidérer à jamais et même d’éliminer du terrain de l’échange intellectuel quiconque prendrait la liberté de tenir une parole ou d’entretenir une opinion qui s’écarteraient si peu que ce soit du discours sympathique en place — lequel, vautré dans l’adhésion qu’il provoque, et qu’il entretient par un mélange de complaisance et de terreur, écrase tous les autres, et interdit toute nuance, confondant sans scrupule le monstrueux avec l’insignifiant. [...] Si la sexualité, comme je crois, n'a strictement rien de répréhensible en soi, on ne voit pas pourquoi elle le serait chez les enfants, ou avec les enfants. Il est absurde de considérer qu'elle serait illicite jusqu'à un certain âge, et deviendrait licite du jour au lendemain, dès que cet âge est dépassé [Je réponds plus loin à cet argument.]
. Les enfants ont une sexualité et des pulsions sentimentales bien connues, qui peuvent très bien se porter sur des adultes, en particulier sur de jeunes et beaux adultes, professeurs de gymnastique ou moniteurs de colonies de vacances, comme nous l'avons tous vu. [...] il faut veiller avec le plus grand soin à ne pas confondre, d’une part, relations sentimentales ou sexuelles entre adultes et enfants d’un âge raisonnable parfaitement consentants, ou même désirants — relations qui peuvent être tout à fait innocentes, et quelquefois seraient très belles, si la société ne s’en mêlait pas — et d’autre part les faits divers épouvantables qui défraient la chronique ». (L'Infini, Gallimard, n° 59, automne 1997, " La Question pédophile ").

  Sur son site web, visité le 18 mai 2001, Renaud Camus persistait :
« Les enfants sont le dernier bastion de la haine du sexe (1). Autant dire qu'il est farouchement protégé. Pourtant, si on pensait vraiment que le sexe est tout à fait innocent ; si on était tout à fait convaincu, comme je le suis, que par essence il est tout entier du côté de la douceur, de la bienveillance, de la gentillesse, de l'humour, et bien sûr de la plus complète liberté de chacun ; si on acceptait de l'envisager comme un des plus grands bonheurs de la vie, certes, mais aussi comme l'un des rapports humains les plus riches, les plus complexes, les plus chargés de civilisation et de sens ; si on croyait vraiment tout cela, que l'on dit croire, mais que l'on ne croit pas sérieusement, la preuve, on ne trouverait pas si monstrueux que des adultes initient des enfants à ces plaisirs-là, pourvu qu'il s'agisse bien de plaisirs, et véritablement de liberté. »
1. On se demande où RC a bien pu dénicher cette haine du sexe, sexe qu'une grande majorité des humains apprécie.

Le 20 mai 2016, Renaud Camus se décidait enfin à expliquer sa position (après avoir reproduit ses réponses de 1997) :
« Le principal élément d’accusation est certain paragraphe, déterré il y a quelques années par Juan Asensio, sans doute, et qui a fait une belle carrière depuis lors, étant allé jusqu’à atterrir, piloté par des mains bienveillantes, au creux de ma fiche Wikipédia, où l’on ne voit guère ce qu’il a à faire si ce n’est me nuire. Il est tiré d’un obscur entretien que j’avais donné il y a presque vingt ans, sur sa demande, à la revue L’Infini, qui faisait, à la suite de l’affaire Dutroux, sans doute, un numéro spécial, le 59, automne 1997, sur “ La question pédophile ”, et interrogeait la cour et la ville. [...] Sans doute mes réponses ne seraient-elles pas exactement les mêmes aujourd’hui : je préciserais certains points, en particulier sur la question de l’âge, d’autant que le sens du mot enfant a changé, ainsi que je le notais ici même il y a quelques mois. Déjà, en 1997, il faut bien le reconnaître, tout ce numéro de revue  relevait d’un esprit largement révolu, celui des années soixante-dix. Mais enfin, dans l’ensemble, mes sentiments sur la question — qui ne me concerne pas directement, c’est le moins qu’on puisse dire (d’où peut-être une certaine naïveté, qu’on m’a reprochée) — n’ont guère changé. Ils se résument à peu près à ceci : condamnation totale et sans réserve, et qui dans mon esprit va sans dire, de toute séduction active, contrainte et voie de fait, sans même parler du viol, à l’égard des enfants proprement dits ; émoi assez limité, je le reconnais, face aux amours de garçons ou de filles de quatorze ou quinze ans pour, voire ensuite avec, si ces adolescents arrivent à leur fin, leur professeur de gymnastique de vingt-cinq (mettons). Celui-ci me consulterait-il sur la conduite à tenir je lui conseillerais fermement l’abstention ; mais plus par prudence et respect de la loi que par conviction morale bien arrêtée : je suis trop nourri de Théocrite, de Mopse et de Bion. Il me semble qu’il n’y a guère lieu d’être moins naturiste que la nature : la puberté doit bien signifier quelque chose. » https://www.renaud-camus.net/journal/2016/05/20

Un " obscur entretien "... C'est irrespectueux s'agissant d'une revue publiée par Gallimard qui n'est pas un obscur éditeur !!

Sylvain Desmille caractérisait assez pertinemment la pédophilie comme un " métissage des temps ", ce qui est également vrai de la pédérastie grecque ou gidienne, et bien souvent même de la sexualité entre adultes ; comme l'écrivait Nietzsche dans ses notes de lecture sur Dühring« toutes les fois que la différence d'âge ou de caractère produit un contraste semblable à celui de l'homme et de la femme, ce contraste peut aussi bien nourrir une expression dans la sensibilité », ce qu'il n'était pas le premier à remarquer (car Horace et Montaigne avant lui). Enfin, dans cette revue, deux exemples de l'inexistentialisme selon Marcel Gauchet : pour Philippe Forest, " l'enfance n'existe pas, elle est le rêve du pédophile " ; pour Michel Houellebecq enfin, " les pulsions sexuelles de l'enfance n'existent pas ". 


§ 10  À la différence de l'homosexualité, la pédophilie ne trouva jamais le moindre commencement d'adhésion chez les grands auteurs classiques ou modernes, à l'exception notable du marquis de Sade.

Une des premières condamnations de la pédophilie : ESCHINE D'ATHÈNES (vers -390/-314, entre Socrate et Platon), homme politique grec puis professeur de rhétorique,

Contre Timarque, " 139 : l'amant doit se contrôler tant que le garçon est incapable de discernement. "

Elle était explicitement rejetée par Platon (Symposium, 181 d-e), ce qui passe bien trop souvent inaperçu : le convive Pausanias reprochait à ceux qui aiment les impubères de surprendre leur jeunesse et de profiter de leur crédulité pour les duper avant de les abandonner ; et il estimait que la loi aurait dû interdire les relations avec les garçons trop jeunes. Si l'interdiction semble conçue plutôt dans l'intérêt de l'amant que dans celui de l'enfant, il reste la notion de duperie dans le cas de l'enfant.

Dans les Lois (II, 653 b-c), Platon réaffirmait l'incapacité morale de l'enfant dans les relations amoureuses. Le philosophe Aristoxène de Tarente pensait que l’apprentissage tardif de la sexualité était préférable, qu’il fallait empêcher l’enfant de chercher à avoir des relations sexuelles, et même de savoir ce dont il s’agit, avant l’âge de vingt ans (cité par Stobée, Florilège, IV, xxxvii, 4). Michel Onfray fit donc erreur, dans son Antimanuel de philosophie (Rosny : Bréal, 2001) en affirmant : « Un pédophile, dans la Grèce de Platon, n'est pas condamné ou condamnable » (page 134) ou « À l'ère atomique, Socrate croupirait en prison. » (page 135).

Ce n'est donc pas seulement le judaïsme-christianisme qui rejetait la pédophilie – car on lit dans le Nouveau Testament : « Quiconque scandalise l'un de ces petits [...] mieux vaudrait pour lui qu'on lui passe une meule autour du cou et qu'on le jette à la mer » (Matthieu, XVIII, 6 ; Marc, IX, 42 ; Luc, XVII, 2) – mais aussi une bonne partie de la culture gréco-latine. On l’a vu, le christianisme, avec son droit canon fixant à 14 ans l'âge de la puberté, conserva officiellement l'interdit évangélique.


Dans ses deux premières brochures (1864) le magistrat allemand Karl Heinrich Ulrichs (1825-1895), grand défenseur des homosexuels et promoteur du concept de " troisième sexe ", précisait que le pais [garçon] grec n'était pas un impubère, ce qui fut confirmé depuis par plusieurs hellénistes chevronnés (Henri I. Marrou, Kenneth J. Dover, Félix Buffière, Bernard Sergent) : son âge allait de 12-15 ans à 20-21 ans.

Montaigne déplorait le non-respect de " l'âge de choix et de connaissance " en amour (Essais, III, v, page 868, et III, xiii, page 1087 de l’édition P. Villey/Saulnier/PUF/Quadrige), ce qui correspond exactement au " consentement avec discernement " que l'on exige généralement aujourd'hui ; il ajoutait : " l'amour ne me semble proprement et naturellement en sa saison qu'en l'âge voisin de l'enfance " (III, v, page 895), mais l'âge voisin de l'enfance, ce n'est pas l'enfance ; distinction reprise par Tolstoï dans
Enfance, adolescence et jeunesse.

Montaigne esquissait la description d’une véritable liberté sexuelle en écrivant « qu'on aime un corps sans âme ou sans sentiment quand on aime un corps sans son consentement et sans son désir. » (III, v, page 882). Des mots qu'on n'a hélas plus guère l'habitude d'entendre ... Le marxisme vulgaire et la sociologie aidant, les « pratiques sexuelles » ont remplacé l’amour. Marc-André Raffalovich (1864-1934), considéré parfois comme un pionnier du militantisme homosexuel français, pensait que personne n'avait le droit de " rendre plus courte ou moins complète la précieuse durée de l'enfance impubère [...] il est sot, il est inique à la minorité de se croire tout permis parce que rien ne lui est accordé. " (Uranisme et unisexualité, 1896, page 12). 

Montesquieu était choqué qu'une loi anglaise permette à une fille de sept [ou dix ?] ans de se marier : " Cette loi était choquante de deux manières : elle n'avait aucun égard au temps de la maturité que la nature a donné à l'esprit, ni au temps de la maturité qu'elle a donné au corps. " (Esprit des lois, XXVI, 3). Ces deux temps de la maturité sont en effet requis simultanément dans les relations amoureuses et sexuelles. Les critiques que Voltaire adressaient aux non-conformistes ne visaient pas la relation symétrique des " garçons qui s'aiment " (Traité de Métaphysique, chapitre IX), mais toujours une situation d'abus de pouvoir des jésuites et autres religieux (Desfontaines et Marsy, notamment) sur leurs élèves ; abus de pouvoir que la gauche anticléricale dénoncera vigoureusement tout au long de la IIIe République (il y a peu la gauche caviar se mobilisait en faveur de Roman Polanski ...).

 § 11 - L'utopiste Charles Fourier imaginait que l'harmonie passionnelle, qui devrait réaliser une pleine " liberté en amour " (Molière, Dom Juan, acte III) rejetterait quiconque " enseignerait aux enfants ce qu'ils doivent ignorer " (Le Nouveau monde amoureux). Encore le respect de l'âge des jouets et de l'étude, avant celui de l'amour. Le traducteur et annotateur de l'Histoire de l'amour grec de Meier, Georges Hérelle (professeur de philosophie), arrivait, vers 1900, après bien des discussions, à des conclusions pessimistes sur l'amour des tous jeunes garçons (notes laissées, parmi de nombreux manuscrits, à la Bibliothèque municipale de Troyes) :
« Lorsque l'on révèle les passions anormales à un enfant de la classe inférieure, apprenti, petit commis, etc., et c'est le cas le plus ordinaire, on ne manque pas de lui procurer, pendant qu'on l'aime, quelques satisfactions qu'il n'aurait pu se procurer seul, le théâtre, le café, les dîners dans un bon restaurant, qui paraît luxueux à l'enfant. Plus tard, quand l'amour aura cessé, on quittera l'enfant et on le rendra à son milieu avec une vision d'une condition meilleure, plus brillante, plus jouissante. Mais l'enfant ne manquera pas de se souvenir de ce qu'il a perdu, et il le cherchera ailleurs, peut-être dans l'amour vénal, peut-être dans la prostitution. Or la prostitution masculine est la dernière des misères et la plus dangereuse des bassesses. Ernest [Ernest P., ami d'Hérelle] prétend, il est vrai, que dans sa pratique il n'a jamais vu cela. Mais dans les exemples de Stéphane et du Polonais, est-il sûr que ses relations avec eux n'ont pas au moins contribué à les jeter au ruisseau ?
Il y a certainement un mal social possible. Notre société n'admet pas cet amour, le réprouve, le flétrit. Nous exposons donc l'enfant que nous séduisons au mépris social, le jour où ses relations avec nous seront connues. Et si, dans notre société, il prend le goût de cette passion, nous l'exposons à un isolement moral et à des malheurs qui peuvent accabler sa vie entière. On peut être l'amant d'un enfant qui n'a pas la vocation et qui se laisse séduire à cette débauche par l'effervescence du sang, la faiblesse de l'âge. Alors il paraît certain qu'on déprave sa nature, c'est-à-dire qu'on le détourne, au moins provisoirement, de la voie où le poussait un instinct normal, qu'on excite en lui des passions de jouissance pure, qu'on l'accoutume à faire de lui-même un instrument de débauche. Là où est l'amour, la volupté a quelque chose de profond et de noble jusque dans ses égarements. Mais, là où l'amour n'est point, la volupté n'est qu'un plaisir sale. » (mss 3257)

À ceci, Georges Hérelle opposait par souci d'objectivité le point de vue d'Ernest P. [Psichari ?] exprimé en avril 1889 :
« Je ne demande ni n'espère que la pédérastie devienne une institution, mais je souhaite qu'on s'en accommode après en avoir reconnu l'innocuité. La pédérastie est le plus souvent une passion aristocratique : elle suppose un certain raffinement intellectuel, etc. Il s'agit donc de convaincre l'aristocratie que ces passions sont en même temps fatales et inoffensives, et depuis quelques années un grand progrès s'est réalisé sur ce point. Pourquoi désespérer qu'un jour l'aristocratie, éclairée et indulgente, nous accepte ? Alors, tout le monde nous tolèrera. » (mss 3257)
Il semble s'agir ici de pédérastie, plus que de pédophilie, puisque "l'enfant" est supposé travailler. Mais cette réflexion sur la pédérastie peut orienter celle sur la pédophilie, ne serait-ce qu'en posant le problème des " trottoirs de Manille ".


§ 12 - Pour François Regnault, " le pédophile est l'envers du pédagogue " (L'Infini, enquête citée) ; dans les cinq âges de la vie distingués au XIVe siècle, l'âge de l'amour et des sports venait en troisième position, APRÈS ceux des jouets et de l'école. Il y a une cohérence certaine à fixer la fin de la scolarité obligatoire à peu près à l’âge où on libère la sexualité. Les débats actuels sur l’accessibilité des films pornographiques par la télé et des vidéos pornos par Internet reposent à juste titre le problème de la nécessité du respect de ces « âges de la vie ». Sigmund Freud, qui n’était pas le pan-sexualiste que certains ont cru, prenait parti en faveur de l'éducation et contre la sexualité précoce initiée par l’intervention des adultes ; un personnage du roman de Nicolas Jones-Gorlin Rose bonbon (Paris : Gallimard, 2002) percevait très bien l’alternative, mais faisait le choix inverse, option typique du pédophile : « le vrai ennemi, c’est l’éducation … » (chapitre 4). Déclaration à laquelle un André Gide n’aurait jamais souscrit. Mais je suis favorable à la liberté sexuelle des grands adolescents et au respect de leur vie privée ; contre l'article 227-27, donc ; article " Gabrielle Russier ", pourrait-on dire.

   L'étude des sociétés primitives, que les pédophiles militants et leurs alliés invoquent régulièrement, montre que l'initiation sexuelle des jeunes gens peut parfois être admise pendant, ou très peu avant, la puberté, mais jamais aux âges mentionnés par Tony Duvert dans L'Enfant au masculin, page 21 : " à six ans, le fruit me paraît mûr : c'est un homme et il n'y manque rien. Ce devrait être l'âge de la majorité civile ", ou par le mouvement pédophile anglais Paedophile Information Exchange (PIE : un pie est un pâté en croûte, symbole de l’enfant – objet de consommation, et souvent de consommation collective, en réseau d'échanges) qui demandait un âge limite de quatre ans. Il en résulta rapidement la fin du soutien que le mouvement Campaign for Homosexual Equality avait commencé à accorder aux pédophiles.

L'affaire Vanessa Springola provoqua le retour du nom de Tony Duvert dans l'actualité :

Lu ces propos d'Alain Finkielkraut dans Le Point du 19 janvier 2021 :

Quel que soit le comportement social envisagé, il pourra assez souvent se trouver des sociétés qui l'acceptent : mains coupées pour les voleurs, peine de mort, excision et circoncision, polygamie, lapidation de la femme adultère, castration, etc., et donc pédophilie aussi. Cependant, chaque société, et surtout une société évoluée comme la nôtre, positiviste et progressiste, est responsable selon ses propres critères juridiques, philosophiques et scientifiques, des interdits qu'elle s'impose et des libertés qu'elle s'accorde ; c'est à elle, et pour elle-même, de décider, en raison et en toute indépendance, sans s'en laisser imposer par " l'argument ethnologique " (ailleurs) ou " l'argument historique " (jadis). Arguments exposés, mais de façon pas très convaincante, plutôt avec dérision, dans Rose bonbon : 
« Ensuite il m’a parlé des Grecs. Il m’a expliqué que les vieux initiaient les jeunes. Même chose dans les pays arabes. Et ailleurs encore. Grecs, Arabes, en Chine aussi, et en Papouasie, et ailleurs et ailleurs. Tout le monde ne peut pas se tromper. » (chapitre 4) ; dans ce roman, Dorothée n’a que sept ans, même si elle en paraît neuf (chapitre 1).

Sexualité n'est pas synonyme d'amour, faut-il rappeler cette évidence ? S'il est vrai que le sexe a une composante amoureuse, il possède aussi une composante égoïste (la "loi" du désir, la consommation) et même une composante agressive. C'est pourquoi l'argument de Renaud Camus (pas très différend de celui de Gabriel Matzneff dans Les Moins de seize ans), ou plutôt le sophisme, qui considère la sexualité comme en soi non répréhensible (L'Infini, article cité), n'est pas fondé. En soi, la sexualité, comme Ésope le disait de la parole, n'est ni bonne ni mauvaise, ni répréhensible ni licite, mais indifférente moralement.

Donner droit de cité à l'érotisme enfant/adulte exposerait, on l'a dit, l'enfant à des relations sado-maso, au proxénétisme, aux I.S.T. et au sida. Or la protection de la santé des enfants est un principe constitutionnel qui ne devrait laisser personne indifférent (Alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946 ; ce préambule fait partie du bloc de constitutionnalité depuis la décision 71-44 DC du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971. Voir aussi l’article II-84, § 1, du Traité constitutionnel  de l’Union européenne (29 octobre 2004) : « Les enfants ont droit à la protection et aux soins nécessaires à leur bien-être » ; je suppose que c'est conservé dans le Traité de Lisbonne).

Selon certains pédophiles, les enfants seraient parfaitement capables de gérer une relation sexuelle, d'y consentir ou de la refuser. En revanche, devant les policiers et les magistrats, ils diraient n'importe quoi. Le professeur de philosophie René Schérer (né en 1922) s’est vanté devant moi d'avoir "retourné" le témoignage – pourtant véridique selon R. S. lui-même – d'un enfant lors d'une confrontation .... Ce qui prend évidemment un relief particulier après sa mise hors de cause dans l'affaire du Coral (fin 1982 ou début 1983) ainsi qu'en général dans l’affaire d’Outreau (Outreau 1) et l’évocation d’un "mythe" de la pédophilie. Voir " Innocents ou coupables ? Outreau, le poison du  doute ", mai 2011. L'enfant du pédophile voit sa parole confisquée ou disqualifiée ; le pédophile saurait seul ce qui est bien pour cet enfant-adulte qui est à côté de cet adulte comme un personnage de film muet. Il se trouve qu'un tel film crypto-pédophilique existe, diffusé jadis par France 3, et traitant de " L'École en bateau ". Les enfants y sont muets ; je dois préciser qu'aucun acte pédophilique n'y est représenté ; tout est dans l'ambiance. En mai 2011 (décidément, c'est le mois des révélations), le fondateur de cette association, arrêté en 2008, et quatre autres personnes, soupçonnés de viols aggravés à bord d'un bateau-école dans les années 1980, sont poursuivis en justice ; près de 17 ans après la première plainte en 1994, Léonide Kameneff, 74 ans, ancien capitaine du " Karrek Ven ", et quatre anciens membres de l'équipage ont comparu devant la Cour d'assises des mineurs de Paris en mars 2013, une des personnes poursuivies étant mineure au moment des faits. Ils étaient poursuivis notamment pour des " pénétrations sexuelles par violence, contrainte, menace ou surprise " sur des mineurs de moins de 15 ans. Cette association proposait des croisières éducatives à des adolescents. Léonid Kameneff fut extradé du Venezuela en 2008 pour être mis en examen et écroué en France. Une trentaine de jeunes ayant participé à ces croisières ont dénoncé des abus sexuels. Environ 400 enfants ont séjourné sur les deux bateaux-écoles de l'association entre 1969 et 2002.

Certains, comme Dominique d’O., disaient que " si on force parfois un peu les enfants ", c’est pour contrebalancer le conditionnement social ; et puis, après tout, " les femmes aussi subissent souvent le devoir conjugal ", ajoutait-il ; les mères féministes apprécieront ... Ce sont de tels propos, qui choquèrent le regretté Bertrand Boulin (fils du ministre Robert Boulin), qui rendent bien difficile la distinction entre la pédophilie qui se dit amoureuse des enfants et la pédophilie des faits divers.

Dans sa chronique Le Rose et le noir, le journaliste Frédéric Martel évoquait l'affaire de Saint-Ouen (1979), qui aurait concerné un " homosexuel mineur ". Singulière atténuation ... Selon les termes de la lettre de deux militants communistes (Marc Croissant et Jean-Pierre Januel) à L'Humanité, les autorités judiciaires avaient trouvé " simplement  [sic] des pratiques sexuelles de groupe entre adultes et adolescents de 11 à 17 ans et des photos " ; cette lettre, qui justifiait ces " pratiques", provoqua une vive réaction de Roland Leroy, alors directeur de ce quotidien : « Comment osez-vous soutenir un tel point de vue alors qu'il s'agit en l'occurrence de la prostitution d'une quarantaine d'adolescents et d'enfants, dont le plus jeune avait tout juste quatre ans ! [...] Je considère votre lettre indigne d'un communiste. »

L'argument de l'existence d'une sexualité infantile apparaît plus pertinent (on sait aujourd'hui, grâce à l'échographie, que le fœtus mâle a des érections). La distinction établie depuis l'Antiquité entre sexualité et reproduction, soulignée par le marquis de Sade, Nietzsche et Sigmund Freud, est ainsi confirmée. Mais, car il y a un mais, l'aptitude partielle à une activité sexuelle chez le jeune enfant, par l'érection dans le cas du garçon, ne signifie pas qu'il a acquis l'autonomie psychologique et sociale également requise pour une relation sexuelle – l'enfant sait signer bien avant de comprendre la portée de la signature d'un contrat ; il sait déposer un bulletin dans une urne avant de comprendre la portée d'un vote, etc. Freud ne vit jamais dans la " sexualité infantile " une justification de la pédophilie ; cela apparaît dès 1905 avec le premier des Trois essais sur la théorie de la sexualité (section I, B) ; la même année, il déclarait à un quotidien viennois que la pédophilie homosexuelle devait être poursuivie devant les tribunaux, mais dans les mêmes conditions que la pédophilie hétérosexuelle ; le seuil en Autriche était alors de quatorze ans (encore le seuil du droit canon !). Freud pensait qu'une activité sexuelle précoce diminuait l'éducabilité de l'enfant, et que la construction de la personnalité psychologique et sociale (acquisition du principe de réalité) requérait que la fonction sexuelle ne soit pas sollicitée précocement. Quant au freudo-marxiste Wilhelm Reich, il considérait l'homosexualité comme une sorte de satisfaction parallèle à la satisfaction hétérosexuelle et souhaitait qu'elle soit dénuée de toute sanction pénale, sauf précisément dans le cas de séduction d'enfants (Die Sexualität in Kulturkampf, 1936). C'est donc bien à tort que Daniel Cohn-Bendit, ancien député européen, invoqua ces deux auteurs pour justifier ses écrits de 1975 puis ses propos à Apostrophes le 23 avril 1982. 

§ Le fait que depuis une quarantaine d'années une argumentation en faveur de la pédophilie (argumentation souvent purement idéologique) ait été soutenue, ait fait l'objet de pétitions, est une innovation radicale dans notre société occidentale, comme le fit remarquer l'écrivain et journaliste Jean-Claude Guillebaud dans La Tyrannie du plaisir (Paris : Le Seuil, 1998) ; après avoir relevé d'une conception révolutionnaire (anarchiste et trotskyste), cette argumentation post-moderne a semblé pouvoir se rattacher à ce courant dit du politiquement correct qui vise à exacerber hic et nunc les exigences d'égalité des droits des minorités ou pseudo-minorités de toutes sortes – ici la catégorie des enfants, qui ont trouvé de bien curieux libérateurs ; cette évolution est elle-même un des avatars, une conversion, de l'utopie marxiste, comme le sociologue Paul Yonnet l'a montré dans le cas de l'antiracisme. Dans une " Tribune libre ", le G.R.E.D. (Groupe de recherche pour une enfance différente) affirmait : 

« L'enfant, même très jeune, a une sexualité très "ouverte" : qu'il s'agisse d'onanisme, de jeux sexuels avec d'autres enfants ou avec des adultes, que les partenaires soient du même sexe ou non, cette sexualité polyvalente n'a pas à être réprimée ». 
Il se proposait d'aider à l'organisation de l'enfance : 
« Comme l'ont fait tous les groupes humains aspirant à l'émancipation (travailleurs, esclaves noirs, peuples colonisés, femmes ...) les jeunes (enfants et ados) doivent s'inventer des structures radicalement en rupture », pour créer « l'expérience (et le réflexe mental) de la lutte collective pour leur liberté et leurs revendications ; peut-être la solution à la crise générale du militantisme ... » (Travail social - Actualités, n° 55, 23 novembre 1984).
  Louis Pauwels (1920-1997) se déclara choqué par cette tribune dans le Figaro Magazine du 19 janvier 1985. Je découvris alors l'existence d'autres groupes pédophiles ayant milité en France, parmi lesquels le FLIP, " Front de libération pédophile " :
On  lisait ceci dans Libération du 1er mars 1979 :
« Naissance du « Front de libération des pédophiles »
Un nouveau groupe vient de naître: le FLIP (Front de libération des Pédophiles) dont vous pourrez lire ci-dessous la plate-forme constitutive. Qui sont-ils ? Pour l’essentiel, des lecteurs de Libération qui à la suite d’une « lettre ouverte aux pédophiles dans notre édition du 9/2/77 nous firent parvenir un courrier abondant – nous en rapportions quelques-unes dans une double page le 24 mars 77 intitulée: Relations Adultes-Enfants. Le 2 avril dernier se tenait à Jussieu une première réunion regroupant une trentaine de personnes. Simple prise de contact. Sans doute, peut-on regretter que l’essentiel des préoccupations ait été d’ordre judiciaire. Il ne fut en effet question que de répression, de défense et de poursuite des pédophiles. Sans méconnaître ces dures réalités, un tel groupe a tout à gagner s’il élargit son champ de réflexions. Le FLIP (Front de libération des Pédophiles) est né. Quelques objectifs essentiels ont déjà pu être lancés:— Combattre l’injustice pénale et mener une réflexion critique sur la famille et l’école, fondée sur une analyse politique de la sexualité entre mineurs et adultes.— S’associer à la lutte des enfants qui veulent changer leur mode de vie et de tout groupe politique qui vise à l’établissement d’une société radicalement nouvelle où la pédérastie existera librement.— Développer une culture pédérastique qui s’exprime par un mode de vie nouveau, et l’émergence d’un art nouveau.
— Prendre la parole dans des organes d’information qui lui en donnent les moyens et par les voies qui s’imposent.— Manifester sa solidarité avec les pédophiles emprisonnés ou victimes de la psychiatrie officielle.La « tyrannie bourgeoise » fait de l’amoureux des enfants un monstre de légende qui croque les chaumières. Nous casserons ensemble monstres et chaumières.Pour joindre le FLIP, écrivez à Jean-Louis Burckhardt [un des trois inculpés de l'affaire de Versailles, affaire à l'origine de la pétition de janvier 1977], BP N°361, 75 Paris cédex 02 (ne pas mentionner FLIP sur l’enveloppe, joindre un timbre pour la réponse) ».
   Il existait aussi le FRED (Front d'action et de recherche pour une enfance différente, créé par des radicaux du GRED). En Belgique, le groupe CRIES, qui éditait le bulletin Espoir, et aux activités duquel la police mit fin en 1987.

   Parce que la nouvelle morale sexuelle rejette les formes asymétriques de sexualité (viols et tournantes, mariages forcés, polygamie, inceste), elle a été amenée à admettre désormais l'homosexualité ; mais elle ne pourrait se faire, sous couvert d'une absurde revendication des « droits égaux » de l'enfant et de l'adulte à la sexualité, à une relation aussi inégale que celle existant entre un(e) jeune mineure et un(e) adulte. On connaît la boutade : « Avec l'évolution des mœurs, les gens finiront par accepter les pratiques sexuelles de l'Église catholique. ».
Justement, non, cela ne passe pas. Le simple bon sens et l'état de l'opinion publique étaient exprimés par Claude Sarraute (Mme Revel, 1927-2023) dans son billet " Pétitions"  : " Quand on en est arrivé au droit des petits gamins à disposer de leur corps, à se plier aux exigences de vieux messieurs libidineux, moi, j'ai calé. " (Le Monde, 14 février 1986). Dans sa chronique " Une vieille réalité ", Pierre Georges évoqua les réseaux pédophiles, [Quelques indices sur ces réseaux sont éparpillés dans la Chronologie de Gabriel Matzneff.] " appuyés sur de solides complicités et de fumeux théoriciens du légitime droit de l'enfance à l'amour. " (Le Monde, 14 mars 1997).

Aurions-nous oublié que « toutes choses ont leur saison » ? 

* * * * *

§ 17 / c) ÉDITORIAL
AFFAIRE MATZNEFF : UN CONFLIT DE DROITS
Par Laurent Joffrin
Libération — 29 décembre 2019

« Coupable, Matzneff ? A coup sûr. Dans ses livres, sur les plateaux, il se vante de relations sexuelles avec des jeunes de moins de 15 ans, chose légalement prohibée pour un adulte. Le visionnage d’une conversation télévisée animée par Bernard Pivot ne laisse aucun doute sur la question. Il a fallu, dans la même émission, l’incontestable courage de Denise Bombardier, écrivaine québécoise au fait des lois de protection de l’enfance, pour qu’un minimum de logique fasse une intempestive irruption au milieu d’un badinage irresponsable. On dit, pour justifier la complice réaction des participants et celle d’une bonne partie du milieu littéraire : « c’était une autre époque », réflexion qui explique peu et n’excuse rien. A cette époque, justement, la loi proscrivait explicitement ces relations et donc Matzneff, quelles que soient la qualité de son style ou l’étendue de sa culture, était un délinquant. Loi archaïque ? Produit d’une pudibonderie hors d’âge aux relents pétainistes ? Pas exactement. Elle procédait d’une ordonnance prise à la Libération (en juillet 1945) pour protéger l’enfance et fut précisée par un texte de 1998 [loi Guigou n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs], qui réaffirmait l’existence d’un âge de 15 ans pour la majorité sexuelle, au-dessous duquel on définit la relation intime comme une « atteinte sexuelle » (qui n’est pas annulée par le consentement du ou de la mineure), passible de sanction pénale.

La tolérance dont bénéficiait le dandy au crâne lisse dérivait ainsi de l’ignorance, alliée à cette frivolité germanopratine qui valorisait les postures libertaires, les rébellions mondaines (qui ne coûtent pas grand-chose) et la sacralisation des écrivains. Car si l’on peut admettre (cela se discute) que la littérature a tous les droits, il n’en va pas de même des écrivains, qui sont soumis aux lois communes et répondre de leurs actes, sinon de leurs écrits. Matzneff aggravait même son cas en contant ses frasques tout aussi choquantes auprès de gamins prostitués dans des bars asiatiques, ou encore en livrant des réflexions qu’on qualifierait aujourd’hui de machisme grossier, bien plus archaïque que les lois dont on se plaignait à l’époque. Rappel inoffensif, au demeurant, puisque les faits sont prescrits (on n’ajoutera pas « grâce à Dieu »).

Mais alors, dira-t-on, que penser des textes tout aussi révoltants publiés jusque dans les années 80 par Libération ? La même chose, à vrai dire. Le journal s’en est expliqué plusieurs fois, notamment par un long article de 2001 écrit par Sorj Chalandon. C’est un fait que Libération accueillait en son sein un certain nombre de militants qui revendiquaient leur goût pour les relations sexuelles avec des enfants et tenaient qu’il fallait dépénaliser ces comportements au nom de la libération sexuelle, celle des enfants et, surtout, celle des adultes. Chalandon décrivait ces errements sans faux-fuyants, tout en prononçant leur condamnation sans ambages. Libération, enfant de Mai 68, professait à l’époque une culture libertaire dirigée contre les préjugés et les interdits de l’ancienne société. Ces plaidoyers portaient souvent sur des causes justes, le féminisme, le refus des discriminations envers les étrangers ou les homosexuels, la liberté sexuelle des adultes consentants, etc. Mais ils promouvaient parfois des excès fort condamnables, comme l’apologie intermittente de la pédophilie, que le journal a mis un certain temps à bannir. Ce n’était pas seulement la traduction d’un air du temps, d’un esprit répandu à l’époque, qui tendait à dénoncer toute réminiscence de «l’ordre moral». On y lisait aussi les effets d’une théorie, pas toujours bien assimilée, qui découlait de cette « pensée 68 » illustrée par Sartre, Foucault [qui n'avait pas signé la pétition de 1977], Bourdieu ou Derrida. Pour faire court, il était entendu dans ces cercles intellectuels que toute loi, toute norme, pour ainsi dire toute habitude, renvoyait à l’exercice d’un pouvoir oppressif, omniprésent et diffus, qui dépassait en étendue et en influence celui de l’État ou d’une classe sociale, pour contrôler, orienter, contraindre les corps et les âmes au profit de la domination multiforme qui structurait la société capitaliste. Ainsi la proscription de la pédophilie dérivait de ce pouvoir (un peu mystérieux, à vrai dire) sur les comportements quotidiens, dont il fallait s’émanciper. En oubliant bizarrement la domination subreptice mais impérieuse que les adultes peuvent exercer sur les mineurs (de 15 ans). On proclamait le droit à la sexualité sans limites, mais on négligeait la souffrance psychologique, les dommages de long terme, que pouvait occasionner cette « libération », comme le montre éloquemment le témoignage de Vanessa Springora [1], amante de 14 ans et victime de Gabriel Matzneff.

La « pensée 68 » reste une référence - plus lointaine - du journal, ne serait-ce qu’en raison de la qualité des penseurs déjà cités. Mais Libération se recommande désormais, de la logique des droits humains, appuis solides des démocraties, qui prescrivent l’égalité des dignités et s’étendent, par là même, aux enfants.

L’affaire Matzneff illustre un conflit de droits. Celui de l’adulte à une sexualité libre et celui de l’enfant à la protection vis-à-vis des prédateurs, seraient-ils des personnages parisiens. La loi a fixé une limite, plutôt sage. Elle vise non à exercer un pouvoir sur les corps pour le compte des « dominants », mais à civiliser les relations humaines. »
Laurent Joffrin

1. Sur Vanessa Springora, dans la Chronologie de Matzneff :
" Rencontre de Vanessa S., qui lui inspirera le personnage d'Allegra dans Harrison Plaza (6 novembre 1985).
Gabriel et Vanessa deviennent amants (7 juin 1986).
Gabriel prend la décision de rompre avec toutes ses autres amantes (12 juin 1986).
Séjour en Corse avec Vanessa (21 décembre - 4 janvier 1987).
Séjour à Djerba avec Vanessa (22 février - 1er mars 1987).
Janvier 1988 : de retour de Manille, il trouve à l'hôtel Taranne la lettre de rupture de Vanessa. "

Affaire Matzneff: un éditeur de Gallimard lui aussi dans le viseur de la justice
Mediapart, 12 février 2020 PAR FABRICE ARFI ET MARINE TURCHI
Les éditions Gallimard ont été perquisitionnées ce mercredi. Les enquêteurs, qui recherchent des passages censurés de ses livres, s’interrogent sur l’implication de son éditeur et compagnon de voyage aux Philippines, Christian Giudicelli.