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lundi 25 novembre 2024

INDEX NIETZSCHE (10/16) : LE PETIT NOMBRE, LE TROUPEAU, LES RATÉS

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Fragments posthumes 1870-1873,

U I 2b, fin 1870 - avril 1871 : 7[123] : " Seule une toute petite troupe d’élus peut être initiée jusqu’aux degrés supérieurs ; la grande masse restera éternellement arrêtée sur le parvis. " [Cf Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet, VIII : « Si l’individu ne peut rien savoir, pourquoi tous les individus en sauraient-ils davantage ? Une erreur, fût-elle vieille de cent mille ans, par cela même qu’elle est vieille, ne constitue pas la vérité ! La foule invariablement suit la routine. C’est, au contraire, le petit nombre qui mène le progrès. »]
7[183] : " Est-ce que ce qui est utile à ceux de la multitude [die Vielen] est une fin ? Ou bien ceux de la multitude ne sont-ils qu’un moyen ? "

U I 5a, hiver 1870-1871 - automne 1872 : [58] : " La masse ne produit pas l’individu, au contraire elle lui oppose une résistance. "
[83] :

U I 4a, 1871 : [70] : l’enseignement classique n’est de toute façon fécond que pour le petit nombre.

U II 2, été-automne 1873 : 29[40] : " Les masses ne sont à considérer que 1) comme des copies brouillées des grands hommes, tirées sur du mauvais papier et avec des plaques usées, 2) comme des obstacles à l’action des grands, 3) comme des instruments des grands. Pour le reste, que le diable les emporte. " [Die Massen sind nur zu betrachten einmal 1) als verschwimmende Copien der grossen Männer, auf schlechtem Papier und mit abgenutzten Platten 2) als Widerstand gegen die Grossen 3) als Werkzeug der Grossen. Im Übrigen hole sie der Teufel.]


Considérations inactuelles II, (1874)

De l’utilité et des inconvénients de l’histoire pour la vie,
§ 1 : « Observe le troupeau qui paît sous tes yeux : il ne sait ce qu’est hier ni aujourd’hui, il gambade, broute, se repose, digère, gambade à nouveau, et ainsi du matin au soir et jour après jour, étroitement attaché par son plaisir et son déplaisir au piquet de l’instant, et ne connaissant pour cette raison ni mélancolie ni dégoût. C’est là un spectacle éprouvant pour l’homme, qui regarde, lui, l’animal du haut de son humanité, mais envie néanmoins son bonheur  – car il ne désire rien d’autre que cela : vivre comme un animal, sans dégoût ni souffrance, mais il le désire en vain car il ne le désire pas comme l’animal. » [Betrachte die Heerde, die an dir vorüberweidet: sie weiss nicht was Gestern, was Heute ist, springt umher, frisst, ruht, verdaut, springt wieder, und so vom Morgen bis zur Nacht und von Tage zu Tage, kurz angebunden mit ihrer Lust und Unlust, nämlich an den Pflock des Augenblickes und deshalb weder schwermüthig noch überdrüssig. Dies zu sehen geht dem Menschen hart ein, weil er seines Menschenthums sich vor dem Thiere brüstet und doch nach seinem Glücke eifersüchtig hinblickt — denn das will er allein, gleich dem Thiere weder überdrüssig noch unter Schmerzen leben, und will es doch vergebens, weil er es nicht will wie das Thier.] »


Opinions et sentences mêlées, 1879,
§ 295 : " Affirmer est plus sûr que démontrer. Une affirmation agit avec plus de force qu’un argument, du moins sur la majorité des gens ; car l’argument éveille la méfiance. C’est pourquoi les tribuns populaires cherchent à consolider les arguments de leur parti au moyen d’affirmations. "


Fragments posthumes, 1879-1881,

N IV 1, juillet 1879 :
41[43] : " La communitude s'installe d'abord dans la communauté. " [Die Gemeinheit entsteht erst in der Gemeinschaft.]

NV 3, été 1880 :
4[78] : « Pour la morale, l’humanité inférieure de la foule possède une valeur qu’elle paye sans hésiter au prix de l’humanité supérieure des individus isolés » [Für die Moral besitzt die geringere Menschlichkeit einer Masse einen Werth, den sie mit der höheren Menschlichkeit Einzelner zu bezahlen kein Bedenken trägt: ebenso in Betreff der Gesundheit, des Glücks]

N V 4, automne 1880 :
6[163] : « Si l’on souhaite des hommes ordinaires et égaux, c’est parce que les faibles redoutent l’individu fort et préfèrent un affaiblissement général à un développement dirigé vers l’individuel. Je vois dans la morale actuelle un artifice flatteur pour dissimuler l’affaiblissement général : tout comme le christianisme voulait affaiblir et ramener à l’égalité les hommes forts et intelligents. »

M III 1, printemps-automne 1881 :
[57] : la masse MÉPRISE  tout ce qui est ordinaire, léger, petit.


Gai Savoir, 1882,
III,
§ 174 : il est indifférent qu’une seule opinion soit imposée au troupeau ou que cinq opinions lui soient permises – quiconque s’écarte des cinq opinions fondamentales aura toujours contre lui le troupeau tout entier.

Fragments posthumes 1882-1883,

N V 9c. N VI 1b. N V 8, novembre 1882 — février 1883, 4[38] : " Voulez-vous avoir une vie facile ? Alors restez toujours avec le troupeau et perdez-vous dans le troupeau. " [Willst du das Leben leicht haben, so bleibe immer bei der Heerde. Vergiß dich über der Heerde! Liebe den Hirten und ehre das Gebiß seines Hundes!]


Fragments posthumes 1884-1886,

W I 1, printemps 1884 : 25[440] : Le spectacle des masses et de ceux qui s’adressent aux masses [der Lehrer der Massen] rend sombre !
25[484] : le jugement de valeur selon les critères de la foule tient encore trop de place même chez le sage !

W I 2, été-automne 1884 : 26[155] : on ne devient pas un conducteur, si l’on n’a pas d’abord été une bonne foi exclu du troupeau.
26[185] : Un individu discrédité et mis au ban par le troupeau est du même coup dispensé d’observer l’esprit de mensonge, qui fait partie des premiers devoirs de la conscience du troupeau.

Z II 5a, été-automne 1884 : 27[17] : J’enseigne : le troupeau essaye de maintenir un type et se garde des deux côtés, aussi bien contre les spécimens de dégénérescence (criminels, etc.) que contre ceux qui s’élèvent au dessus du niveau fixé. La tendance du troupeau est dirigée vers le repos et la conservation, il n’y a rien de créateur en elle.

N VII 1, avril-juin 1885 : 34[77] : Grande louange pour le christianisme : il est la véritable religion du troupeau.

W I 3a, mai-juillet 1885 : 35[34] : Aucune de toutes ces bêtes de troupeau, lourdaudes, aux consciences inquiètes — car c'est ce qu'elles sont toutes, les unes comme les autres — ne veut se rendre compte qu'il y a une hiérarchie des hommes, et que par conséquent une morale unique pour tous constitue un préjudice pour l'homme le plus haut, que ce qui est juste pour l'un peut ne l'être nullement pour l'autre. [Niemand von allen diesen schwerfälligen, im Gewissen beunruhigten Heerden-Thieren — denn das sind sie allesammt — will etwas davon wissen, daß es eine Rangordnung der Menschen giebt, folglich Eine Moral für Alle eine Beeinträchtigung der höchsten Menschen ist, daß, was dem Einen billig ist, durchaus noch nicht dem Anderen es sein kann.]
Le bonheur du plus grand nombre est un idéal à vomir pour quiconque a la distinction de ne pas faire partie du grand nombre. [vielmehr das „Glück der Meisten“ für Jeden ein Ideal zum Erbrechen ist, die Auszeichnung hat, nicht zu den Meisten zu gehören.]
W I 8, automne 1885 - automne 1886 : 2[168] : le combat de la multitude contre la minorité, du banal contre l’exceptionnel, des faibles contre les forts.
[179] : avec sa morale, le christianisme, en tant qu’idéal plébéien, aboutit à nuire aux types les plus forts, les plus noblement conformés, les plus virils, et favorise l’espèce des hommes du troupeau : il constitue une préparation à la manière de penser démocratique.


Par-delà Bien et mal (1886),

II " L'esprit libre ", § 29 : Être indépendant est l’affaire d’un très petit nombre ; c’est un privilège des forts.
§ 44 : Ce qu'ils aimeraient réaliser de toutes leurs forces c'est le bonheur du troupeau pour tout le monde, le bonheur du troupeau paissant sa verte prairie, dans la sécurité, le bien-être, l'universel allègement de l'existence.

§ 62 :

V " Contribution à l'histoire naturelle de la morale ", § 201 : Tant que l'utilitarisme qui réside dans les jugements moraux ne visera que ce qui est utile au troupeau, tant qu'il n'aura en vue que la conservation de la communauté et que l'on taxera d'immoralité uniquement ce qui paraîtra la mettre en danger, on ne pourra encore parler d'une " morale de l'amour du prochain ". [...] L' " amour du prochain " est toujours chose secondaire, en partie conventionnelle, arbitraire et illusoire en comparaison de la peur du prochain.
§ 202 : La morale est aujourd’hui en Europe la morale du troupeau. [...] La religion aidant, cette religion qui a fait siennes les ultimes aspirations du troupeau et les a flattées, les choses en sont venues au point que les institutions politiques et sociales expriment elles-mêmes cette morale d'une manière toujours plus évidente : le mouvement démocratique est l'héritier du mouvement chrétien.
§ 203 : Cette déchéance et ce rapetissement de l’homme transformé en bête de troupeau [diese Entartung und Verkleinerung des Menschen zum vollkommenen Heerdenthiere]

§ 257 :

IX " Qu’est-ce qui est aristocratique ? ", § 260 : Il y a morale des maîtres et morale des esclaves.[Cf M III 4b, printemps-été 1883 : [22]]
§ 263 : « On atteint beaucoup quand on a réussi à inculquer à la grande masse (les esprits creux et les étourdis de toutes sortes), qu'ils n'ont pas le droit de toucher à tout, qu'il y a des expériences sacrées devant lesquelles ils ont à retirer leurs chaussures et à surveiller leurs mains sales, — c'est là à peu près leur plus haut degré d'humanité. Inversement, il n'est peut-être rien de plus répugnant, chez les prétendus cultivés, les croyants aux " idées modernes ", que le manque de pudeur, l'insolente familiarité avec lesquels ils touchent, lèchent et palpent tout ; et il est possible qu'on trouve aujourd'hui dans le peuple, dans le bas peuple et notamment chez les paysans, relativement plus de distinction dans le goût et de tact dans le respect, qu'au sein de ce demi-monde de l'esprit lisant les journaux, les Cultivés. »
Belle rencontre avec Dostoïevski :


§ 268 : Les hommes ordinaires, les hommes qui se ressemblent entre eux ont été et sont toujours avantagés ; l’élite, les plus raffinés, les plus singuliers, les plus difficiles à comprendre demeurent souvent seuls, succombent aux accidents du fait de leur isolement et se perpétuent rarement.
§ 284 : le commerce des hommes, — en « société » — est inévitablement malpropre. Peu importe où, quand, comment, toute communauté rend — « commun » [Jede Gemeinschaft macht, irgendwie, irgendwo, irgendwann — „gemein.].


Fragments posthumes 1886-1887,


N VII 3, été 1886 - automne 1887 : [108] : Erreur fondamentale : prendre le troupeau pour but et non les individus isolés ! Le troupeau est un moyen, rien de plus ! Mais aujourd’hui, on tente de concevoir le troupeau comme un individu et de lui attribuer un rang supérieur à celui de l’individu.
On tente de caractériser ce qui rend moutonnier, les sentiments de sympathie, comme le côté le plus précieux de notre nature !

Mp XVII 3b, fin 1886 – printemps 1887 : [6] : Ma philosophie vise à la hiérarchie : non à une morale individualiste. Le sens du troupeau doit régner dans le troupeau – mais ne pas déborder au delà. […] si l’on ressent ses actions altruistes et désintéressées comme un danger et une erreur pour soi-même, on ne fait pas partie du troupeau.
[9] : Le phénomène fondamental : d’innombrables individus SACRIFIÉS au profit d’un petit nombre, en tant qu’ils le rendent possible.


La Généalogie de la morale (1887),

III "Que signifient les idéaux ascétiques ?",
§ 18 : la formation des troupeaux est un progrès essentiel et une victoire dans la lutte contre la dépression. [die Heerdenbildung ist im Kampf mit der Depression ein wesentlicher Schritt und Sieg [...] Partout où il y a troupeau, c’est l’instinct de faiblesse qui a voulu le troupeau et la sagesse du prêtre qui l’a organisé. Par nécessité naturelle les forts ont tendance à se séparer autant que les faibles ont tendance à s’unir ;si les uns s'associent ce n'est qu'en vue d'une action agressive commune, d'une satisfaction commune de leur volonté de puissance, et non sans avoir à surmonter individuellement de grandes répugnances ; les faibles au contraire, en s'associant, prennent plaisir précisément à cette association. [wo es Heerden giebt, ist es der Schwäche-Instinkt, der die Heerde gewollt hat, und die Priester-Klugheit, die sie organisirt hat. Denn man übersehe dies nicht: die Starken streben ebenso naturnothwendig aus einander, als die Schwachen zu einander; wenn erstere sich verbinden, so geschieht es nur in der Aussicht auf eine aggressive Gesammt-Aktion und Gesammt-Befriedigung ihres Willens zur Macht, mit vielem Widerstande des Einzel-Gewissens; letztere dagegen ordnen sich zusammen, mit Lust gerade an dieser Zusammenordnung]


Fragments posthumes 1887-1888,

Mp XVII 3c, été 1887 : [4] : haine des médiocres envers les exceptions, du troupeau envers les indépendants.

W II 2, automne 1887 : concept de la dégénérescence dans les deux cas : lorsque le troupeau se rapproche des qualités de l’être solitaire et celles-là des qualités du troupeau, – bref, lorsqu’elles se rapprochent.

W II 3, novembre 1887 - mars 1888 :
[127] : raison de la séparation aristocratique par rapport à la masse
[140] : contre les idéaux du troupeau, je défend l’aristocratisme
[341] : dans un troupeau l’égalité peut régner

W II 5, printemps 1888 : 14[123] : Les plus forts et les plus heureux sont faibles quand ils ont contre eux les instincts organisés du troupeau, la lâcheté des faibles, le surnombre [...] Aussi curieux que cela paraisse : il faut toujours armer les forts contre les faibles ; les chanceux contre les malchanceux ; les sains contre les dépravés et les congénitalement tarés. [die Stärksten und Glücklichsten sind schwach, wenn sie organisirte Heerdeninstinkte, wenn sie die Furchtsamkeit der Schwachen, der Überzahl gegen sich haben. [...] So seltsam es klingt: man hat die Starken immer zu bewaffnen gegen die Schwachen; die Glücklichen gegen die Mißglückten; die Gesunden gegen die Verkommenden und Erblich-Belasteten.] 

W II 6a, printemps 1888 : 15[79] : Les valeurs des faibles ont le dessus parce que les forts les ont reprises, pour gouverner grâce à elles … [NB NB. Die Werthe der Schwachen sind obenan, weil die Starken sie übernommen haben, um damit zu leiten…]

Ecce Homo, Pourquoi je suis si avisé,
§ 10 : « Je n’ai jamais souffert que de la "multitude" [Vielsamkeit] »

LES RATÉS (Miβrathenen)


Fragments posthumes, 1881-1884,

M III 5, automne 1881 : [16] : le malade et le criminel ne doivent pas être reconnus aptes à se reproduire.

W I 1, printemps 1884 : 25[243] : Que les premiers et plus réussis exemplaires ne soient pas désavantagés par égard pour les ratés (c’est-à-dire la masse).
Destruction [Vernichtung] des ratés - pour cela il faut s'émanciper de la morale qui a eu cours jusqu'ici. [Erster Grundsatz: keine Rücksicht auf die Zahl: die Masse, die Elenden und Unglücklichen gehen mich wenig an — sondern die ersten und gelungensten Exemplare, und daß sie nicht aus Rücksicht für die Mißrathenen (d.h. die Masse) zu kurz kommen.
Vernichtung der Mißrathenen — dazu muß man sich von der bisherigen Moral emancipiren.]

25[335] : – atteindre cette monstrueuse énergie de la grandeur, pour pouvoir, par l'éducation et d'autre part l'anéantissement [Vernichtung] de millions de ratés [eugénisme ?], former l'homme futur, et ne pas mourir de la douleur que l'on crée, et qui n'a jamais eu d'équivalent ! – [— jene ungeheure Energie der Größe zu gewinnen, um, durch Züchtung und anderseits durch Vernichtung von Millionen Mißrathener, den zukünftigen Menschen zu gestalten und nicht zu Grunde zu gehen an dem Leid, das manschafft, und dessen Gleichen noch nie da war! —]

[Passage remarqué et commenté par l’historien allemand Ernst Nolte (1923-2016) : référence malheureusement perdue]


– cette disposition des ratés à se sacrifier : c’est le sens des Ordres qui font vœu de chasteté. [— Gesinnung der Mißrathenen, sich zu opfern: das der Sinn der Orden, welche sich Keuschheit geloben.]

25[343] : La grande majorité des êtres humains sont sans droit à l'existence, mais un malheur pour les êtres supérieurs : je n'accorde pas encore le droit aux ratés. Il y a aussi des peuples ratés. [Die allermeisten Menschen sind ohne Recht zum Dasein, sondern ein Unglück für die höheren: ich gebe den Mißrathenen noch nicht das Recht. Es giebt auch mißrathene Völker.]

25[345] : Causes du pessimisme

[...] les compatissants et les âmes sensibles : absence de la dureté – le ménagement des ratés

25[382] : Le raté se conserve beaucoup plus longtemps et détériore la race : c'est pourquoi l'homme par comparaison avec les animaux est l'animal le plus malade. [So erhält sich das Mißrathene viel länger und verschlechtert die Rasse: weshalb der Mensch, im Vergleich zu den Thieren, das krankhafteste Thier ist.]

25[383] : Je ne permets qu'aux hommes pleinement réussis de philosopher sur la vie. Mais il y a des hommes et des peuples ratés : il faut leur clouer le bec. Il faut en finir avec le Christianisme – c'est le plus grand blasphème qu'il y ait jamais eu sur la Terre et dans la vie – il faut clouer le bec à ces hommes et à ces peuples ratés. [Ich erlaube nur den Menschen, die wohlgerathen sind, über das Leben zu philosophiren. Aber es giebt mißrathene Menschen und Völker: denen muß man das Maul stopfen. Man muß ein Ende machen mit dem Christenthum — es ist die größte Lästerung auf Erde und Erdenleben, die es bisher gegeben hat — man muß mißrathenen Menschen und Völkern das Maul stopfen.]

25[385] : La condamnation du corps est typique du mélange raté, et de même la condamnation de la vie : signe auquel on reconnait les vaincus.

25[413] : Les consolations qui renvoient à l’au-delà ont l’intérêt de maintenir en vie beaucoup de ceux qui ont de la peine à vivre : de propager les ratés : ce qui (comme pour les mélanges de races) peut être en soi plein d’intérêt, dans la perspective où une race finit par devenir pure.

Il est dans le caractère de la vie que la majorité des exemplaires deviennent des ratés.

25[438] : Quel sens peut bien avoir ce que des religions entières répètent : « tout est mauvais, faux et méchant ! » Cette condamnation de l’ensemble du processus ne peut être qu’un jugement de ratés !

Les ratés, dira-t-on, pourraient être ceux qui souffrent le plus, les plus sensibles ? Les satisfaits pourraient ne pas valoir grand-chose ?

25[485] : " Pour faire la différence entre le réussi et le raté, le corps est le meilleur conseiller, du moins c’est lui qu’on peut étudier le mieux. "



Par-delà Bien et mal (1886),

III "Le phénomène religieux,
§ 62 : " On trouve dans l’espèce humaine, comme dans toutes les autres espèces animales, un excédent d’individus ratés, malades, dégénérés, infirmes, d’êtres voués à la souffrance ; chez les hommes aussi les réussites constituent toujours l’exception, et, compte tenu du fait que l’homme est l’animal dont le caractère n’est pas encore fixé, l’exception rarissime. "


Fragments posthumes 1886-1888,
N VII 3, été 1886 - automne 1887 : [71] : 10 : la morale protégeait du nihilisme les ratés en conférant à chacun une valeur infinie, une valeur métaphysique
12 : le nihilisme comme symptôme de ce que les ratés n’ont plus de consolation
14 : Que signifie aujourd’hui « raté » ? C’est avant tout physiologique : [ce n’est] plus politique.

W II 6a, printemps 1888 : 15[110] : " L’espèce a besoin de la disparition des ratés, des faibles, des dégénérés : mais vers eux précisément s’est tourné le christianisme. " [Die Gattung braucht den Untergang der Mißrathenen, Schwachen, Degenerirten: aber gerade an sie wendete sich das Christenthum,]


L’Antéchrist, 1888,


§ 2 : Périssent les faibles et les ratés ! Premier principe de notre philanthropie. Et il faut même les y aider. [les première et troisième phrases sont commentées par Alexandre Lacroix dans le N° 1 de philosophie MAGAZINE]

[Die Schwachen und Missrathnen sollen zu Grunde gehn: erster Satz unsrer Menschenliebe. Und man soll ihnen noch dazu helfen.]

" Qu’est-ce qui est plus nuisible qu’aucun vice ? La compassion active pour tous les ratés et les faibles – le christianisme …" [Was ist schädlicher als irgend ein Laster? — Das Mitleiden der That mit allen Missrathnen und Schwachen — das Christenthum…]


Ecce homo, 1908 [1888],
" L'origine de la tragédie ",  § 4 : " Ce nouveau parti de la vie qui prendra en main la plus haute de toutes les tâches, l'éducation supérieure de l'humanité, y compris l'extinction sans ménagements de tout ce qui est dégénéré et parasitaire, rendra à nouveau possible sur Terre ce trop-plein de vie dont, à son tour, le dionysisme doit nécessairement sortir. " [Jene neue Partei des Lebens, welche die grösste aller Aufgaben, die Höherzüchtung der Menschheit in die Hände nimmt, eingerechnet die schonungslose Vernichtung alles Entartenden und Parasitischen, wird jenes Zuviel von Leben auf Erden wieder möglich machen, aus dem auch der dionysische Zustand wieder erwachsen muss.]


INDEX NIETZSCHE (4/15) : LES SOCIALISTES

N.B. SUR MES INDEXATIONS DE NIETZSCHE

Les notes et les indications entre [ ] sont de MOI. La traduction est le plus souvent revue vers une plus grande littéralité à partir de celle des éditions Gallimard (Paris), Œuvres philosophiques complètes. Traducteurs : Anne-Sophie Astrup, Henri-Alexis Baatsch, Jean-Louis Backès, Pascal David, Maurice de Gandillac, Jean Gratien, Michel Haar, Cornélius Heim, Jean-Claude Hémery, Julien Hervier, Isabelle Hildenbrand, Pierre Klossowski, Philippe Lacoue-Labarthe, Jean Launay, Marc B. de Launay, Jean-Luc Nancy, Robert Rovini, Pierre Rusch.


Tous les textes allemands sont accessibles sur Nietzsche Source
 
INDEX NIETZSCHE (11/16) : LA SEXUALITÉ

dimanche 26 mars 2023

DFHM : Backroom à brodeuse en passant par bardache, beau, bipacsie, bougrant, bougre et bourgeois de Sodome




BACKROOM

" Cet ouvrage, naviguant de sauna en backroom, eût été  interdit, il y a une cinquantaine ou une centaine d'années, pour des raisons différentes et pour simple cause d'atteinte aux bonnes mœurs. En un demi-siècle, on a donc assisté à un changement d'optique, quant à la définition de l'obscène, sexualisé jadis, politisé aujourd'hui. "
Emmanuel Le Roy Ladurie, Le Figaro, 2000. (Sur Tricks de Renaud Camus)

" Tel livre il y a tout juste un demi-siècle aurait été aussitôt retiré de la vente pour atteinte aux bonnes mœurs, du fait de ses pérégrinations et narrations incessantes relatives à des séjours en backrooms et en saunas. "
Emmanuel Le Roy Ladurie, " Il est assis entre toutes les chaises ", Commentaire, n° 91, automne 2000, page 679.

" Les backrooms, lieux de rencontres sexuelles, situés à l'étage ou en sous-sol de certains établissements de nuit gays, se sont multipliés ces dernières années, notamment dans la capitale, qui en compte une cinquantaine. Parfois plongées dans le noir, ces pièces ou ces cabines sont le théâtre de rencontres furtives, anonymes et de pratiques sexuelles totalement débridées. "
Sandrine Blanchard, " Dans les backrooms, la vigilance à l'égard du sida recule ", Le Monde, 21 novembre 2000.

« Nous étions dans un bar bizarre, très kitsch, avec des miroirs et des dorures, rempli d’homosexuels paroxystiques qui s’enculaient sans retenue dans des backrooms adjacentes, mais cependant ouvert à tous, des groupes de garçons et de filles prenaient tranquillement des Cocas aux tables voisines. »
Michel Houellebecq, La Possibilité d’une île, DANIEL 1, 15, Paris : Fayard, 2005.

BARDACHE

Ce mot est d’un usage assez régulier depuis la Renaissance. Dès son apparition, il était dépourvu de l’ambiguïté que subissaient bougre et sodomite. Les emplois fréquents jusqu’à la Révolution montrent que la société française s’était surtout attachée à décrire, voire à stigmatiser, la passivité du plus jeune dans l'amour grec.

Bardache vient de l’italien bardassa ou bardascia, jeune garçon, ou encore de bardacco, et non de l'arabe bardaj.
Cf Michel Masson, " BARDA, BARDACHE ET BREDINDIN : La "base" BRD dans les langues romanes ", La Linguistique, Vol. 51, Fasc. 1 (2015), pages 41-88


L’humaniste Henri Estienne souligna l’origine du mot en y voyant l’origine de la chose :
« Les mots dont nous usons pour exprimer une telle méchanceté, empruntés du langage italien, servent de preuve suffisante que la France tient d’eux ce qu’elle en a. »
Henri Estienne, Traité préparatif à l’Apologie pour Hérodote, livre I, chapitre 10 " Qu'il est vraisemblable qu'outre les vices repris par les prêcheurs du siècle prochain au nôtre, il y en avait d'autres ", Genève 1566, Lyon 1592.
« On fait aussi plusieurs contes de Cordeliers et de Jacobins surpris en menant avec eux leurs putains habillées en novices : de fait ça a été une subtile invention de se faire permettre de mener des novices, pour sous ce titre avoir toujours ou un bardache, ou une garce. »
Ibid., chapitre 21 " De la lubricité et paillardise des gens d'église ". Si non caste, tamen caute : si non chastement, du moins avec prudence.

Chez Rabelais, on trouve la variante bredache :

« Ho, bougre, bredache de tous les diables incubes, succubes et tout quand il y a. »
Quart Livre, chapitre XX, 1e édition partielle, 1548.

Lopez de Gomara, Histoire général des Indes occidentales, livre III, chapitre 14 :
Plusieurs éditions de la traduction par Martin Fumée dans le dernier tiers du XVIe siècle.


En 1575, le mot figurait dans une curieuse justification de la polygamie brésilienne comme moyen de prévenir l’homosexualité masculine :

« Jamais les hommes n’habitent avec elles pendant qu’elles sont grosses, ni après l’enfantement, et jusqu’à ce que l’enfant soit nourri et chemine tout seul ou ait un an pour le moins : d’autant qu’ils disent avoir affaire avec leurs filles lorsqu’elles sont encore au ventre de la mère et en ce faisant ils paillardent : et si c’est un mâle ils le font bardache ou bougeron, qu’ils nomment en leur langage Tevir : ce qui est fort détestable et abominable, seulement de le penser. Voilà la cause principale pour laquelle ils ont plusieurs femmes. »
André Thevet, Cosmographie universelle, tome 2, folio 933.

Bougeron est ici opposé à bardache comme l’agent au patient, ce que l’on trouvera aussi chez Brantôme :
« Jamais nul bougre ni bardache ne fut brave, vaillant et généreux que le grand Jules César. »
Les Dames galantes, 1er discours.

Dans l’ouvrage anonyme Le Cabinet du Roi de France (La Rochelle, 1581-1582) attribué à un certain Nicolas Froumenteau, on rencontre un curieux dénombrement des ecclésiastiques violant la règle de chasteté ; ainsi sur 478 chanoines de l’archevêché de Lyon, 78 sont trouvés sodomites et 39 bardaches ; des vicaires « ont quelques bardaches, mais cela est fort secret » (livre premier, " Vicaires ", page 28). Un dénombrement analogue est cité, mais comme venant de l'Angleterre, par Henri Estienne (1528-1598) dans l'édition de 1592 de son Apologie pour Hérodote, au chapitre 21.
« Dix-neuf sodomites sont remarqués de ce nombre, et quatorze bardaches, tous dénommés en la liste. » Le Cabinet du Roi de France, livre premier, " Vicaires officiaux et autres ".


Le théologien franciscain Jean Benedicti fit une petite étude de la question :
« La glose expose le mot de saint Paul molles en disant pathiques. Et me semble que sont bardaches, le bordel desquels détruisit le roi Josias [II Rois, XXIII, 7]. Il démolit, dit l’Écriture, les maison des efféminés, ainsi les appelle notre version commune. Les hébreux les appellent Kadeschim, les Ethniques les nommaient cinaedos, c’est-à-dire cinèdes. Tel fut Ganymède, duquel s’énamoura Jupiter, si les poètes disent vrai. Tel fut Jules César étant encore garçon, aimé du roi de Nicomédie. »
La Somme des péchés, 1601.

Le libertinage passa sur les textes.


Dictionnaire français de Pierre Richelet, 1680 et 1706 :
édition de 1680

édition de 1706

Vers composés en 1681 ou 1685 et attribués au musicien Lully :
« La vieille Cortain se fâche
Que Brunet soit mon mignon ;
Elle est une vieille vache,
Il est un joli bardache ;
Elle a le con lâche et profond,
Il a le cul petit et rond. »
BnF, manuscrit français 12688, page 284 (recueil Clairambault, tome 3)

Pierre Jurieu : « C'est une iniquité que d'attirer le bien des familles pour enrichir ce qu'on appelle l'Eglise, et pour fonder des revenus prodigieux, dont on abuse pour nourrir des chiens, des chevaux, des concubines, des bardaches, et pour soutenir des maisons somptueuses comme celles des souverains.
Préjugés légitimes contre le Papisme, Amsterdam : Henry Desbordes, 1685, première partie, chapitre IV, page 87.
« Les évêques de Rome étaient sodomites, bardaches, athées, ivrognes, simoniaques, en un mot c'étaient des démons. » 
Préjugés légitimes ... première partie, chapitre VIII, page 135.

Gilles Ménage, 
Dictionnaire étymologique ..., 1694.


« Il [Louis-Joseph de Vendôme] était sodomite. Mais il eût été à souhaiter qu’au lieu de bougre, l’auteur eût pu mettre bardache, car le grand plaisir de ce duc était de se faire enculer, et il se servait pour cela de valets et de paysans, faute de plus gentils ouvriers. On dit même que les paysans des environs de sa belle maison d’Anet [Eure et Loir] se tenaient avec soin sur son chemin lorsqu’il allait à la chasse, parce qu’il les écartait souvent dans les bois pour se faire foutre et leur donnait à chacun une pistole pour le prix de leur travail»
Recueil Maurepas, année 1695, BnF, manuscrit français 12623, tome 8, page 229. Commentaire du dernier vers d’une épigramme, « C’est le meilleur bougre du monde. » 


Antoine Furetière, Dictionnaire universel..., 1701 (rien en 1690)


...
« Le souverain même des Dieux [Jupiter],
Roi de la bougrerie
Par son bardache dans les Cieux [Ganymède]
Fit verser l’ambroisie. »

Pierre Bayle : « Pour ses autres sœurs, il les prostitua à ses bardaches, et les punit ensuite sous prétexte de conspiration et d'adultère. » Article " Caligula ", Dictionnaire historique et critique, tome 2, 1738.

« On n’y trouve [au café d’Alexandre] que des raccrocheuses, des bougres et des bardaches. Il se passe dans ce café des infamies, des horreurs qu’il est inutile de nommer ; les titres de ceux qui l’habitent les font assez deviner. »
Mayeur de Saint-Paul, Le Désœuvré, ou L’Espion du Boulevard du Temple, 1781, chapitre VI.

« Antinoüs, ainsi nommé parce qu'à l'exemple du bardache d'Hadrien, il joignait au plus beau vit du monde le cul le plus voluptueux, ce qui est très rare, était porteur d'un outil de huit pouces de tour sur douze de long. »
Marquis de Sade, Les Cent vingt journées de Sodome, Introduction.

BARDACHE. Subst. masc. Terme obscène. Jeune homme dont les Pédérastes abusent. "
Dictionnaire de l'Académie française, 5e édition, 1798. Définition inspirée de celle de Richelet.

Honoré de Balzac utilisa le mot comme insulte dans Le Chef d’œuvre inconnu, 1831, chapitre II :
" Tu ne vois rien, manant ! maheustre ! bélître ! bardache ! Pourquoi donc es-tu monté ici ? "

Gustave Flaubert avait eu pour lui une affection particulière :
« J’étais né pour être empereur de Cochinchine, pour fumer dans des pipes de 36 toises, pour avoir 6 mille femmes et 1 400 bardaches. »
Lettre à Ernest Chevalier, 14 novembre 1840.
« Nous avons été indignement floués de 300 piastres (75 francs) pour voir danser les bardaches […] Quant à la pédérastie, brosse. Ces messieurs ont des amants de cœur, je ne sais quoi. On les réserve pour les pachas. Bref il nous a été impossible d’en tâter. Ce que je ne regrette nullement, car leur danse m’a profondément dégoûté d’eux. »
Lettre à Louis Bouilhet, 19 décembre 1850.

Alfred Delvau annonça l’évolution vers le sens général d’homosexuel masculin en mettant :
« BARDACHE. Pédéraste actif ou passif, au choix – des autres. »
Dictionnaire érotique moderne, 1864.

On peut supposer que Flaubert n’était pas sérieux lorsqu’il écrivait :
« Le philosophe Baudry a publié le premier volume de sa Linguistique, qui doit lui ouvrir les portes de l’Institut. Je dîne chez ce brave homme mardi prochain avec Littré, Renan et Maury. Quelle réunion de bardaches ! »
Lettre à Jules Duplan, 14 mars 1868.

Cette nouvelle connotation, rappelant l’évolution de bougre, n’était pas envisagée par Littré, qui donna en 1863 cette définition pas du tout originale « Terme obscène signifiant mignon, giton. »

" La vocation du théâtre est, à mes yeux, la plus basse des misères de ce monde abject et la sodomie passive est, je crois, un peu moins infâme. Le bardache, même vénal, est du moins, forcé de restreindre, chaque fois, son stupre à la cohabitation d'un seul et peut garder encore, -- au fond de son ignominie effroyable, -- la liberté d'un certain choix. Le comédien s'abandonne, sans choix, à la multitude, et son industrie n'est pas moins ignoble, puisque c'est son corps qui est l'instrument. "
Léon Bloy (1846-1917), Le Désespéré (1886), chapitre IV.

« Les voici bien, les jeunes blondins qu’ils adorent, les bardaches modernes, les uns se maquillant comme des femmes, d’autres portant des bagues et des bracelets ou signalant leur passage par une trace de parfum ! Ces greluchons appartiennent au troisième sexe. Ignominieux renversement des lois naturelles qui fait revivre à travers notre société les hontes de l’antique Pentapole [Sodome, Gomorrhe et trois autres villes] ou les plus impures débauches de la décadence romaine. »
FrédéricLoliée, Les Immoraux. Études physiologiques, livre 2, VI, Paris : A. Savine, 1891.

L'amitié entre Maurice Barchèche et Robert Brasillac avait suscité les railleries d'élèves de l'École normale supérieure, qui les surnommèrent " Bardache " et " Brasilèche " (selon Mickaël Studnicki, Droites nationalistes et homosexualités en France, Paris : Sorbonne Université Presses, 2025, chapitre IV, page 206, note 9..

On rencontre encore parfois le mot, par exemple dans le polar historique d’Alice Yvernat :

« Par expérience, il savait que les bardaches n’avaient pas pour la plupart d’entre eux un aspect très différent de n’importe quel honnête homme croisé dans la rue, mais il ne pouvait s’empêcher de se poser la question. Comment apparaissait-il aux yeux de ces gens-là ? »
Les Billets indiscrets, chapitre 5, Paris : L’Embarcadère, 2005.

BARDACHER, BARDACHISER

« De boire, de manger, de jouer, de dormir, de paillarder, de bardachiser, de se jouer de la sorcellerie, on n’en touche ici rien, qui sont néanmoins sept item, qu'on ne peut ôter de la caboche des moines. »
Anonyme [Nicolas Froumenteau], Le Cabinet du Roi de France, La Rochelle, 1581, livre premier, page 166.

L’auteur protestant de cet ouvrage, adepte de l'ordre moral, recommandait le mariage des prêtres comme moyen efficace de supprimer les relations masculines :
« Vous préviendrez par ce moyen chaque an 30 000 ou 40 000 incestes en l’Église anglicane, et la sodomie ; car 25 000 ou 30 000 personnes qui ont accoutumé d’y bardacher se déporteront de leur sodomie afin de se marier. » Le Cabinet du Roi de France, La Rochelle, 1581, livre second " La grande bénédiction et prospérité, qui adviendra en France, si une fois la polygamie est supprimée " page 379.

Bardachiser figurait dans le dictionnaire français-anglais de R. Cotgrave, avec cette définition : « To commit sodomy, to bugger, to ingle ».

BARDACHERIE

"Il ne serait point question de fouterie naturelle. On n'y occuperait ses forces et son temps qu'à soulager les ardeurs de la bougrerie, de la pédérastie et de la bardacherie."
Bordel apostolique institué par Pie VI pape en faveur du clergé de France, « Supplique », 1790.

Au passage, notez la belle expression "soulager les ardeurs", aux antipodes de ce que nous offre la sociologie gauchiste avec ses "pratiques sexuelles".

BARDACHIN, BARDACHINET

« Accourez, bougres, bardaches, bardachins et bardachinets, contemplez et voyez si la mobilité de mon rond ne met pas en défaut la mobilité du vôtre. »
Anonyme, Les Enfants de Sodome à l’Assemblée nationale, 1790, discours de la Tabouret.

BAREBACK, BAREBACKER

« Le " bareback " est le culte des rapports non protégés, le " no capote ". II signifie littéralement " chevauchée à cru ". Pour les " barebackers ", les capotes empêcheraient de bander. Elles seraient un indice de la honte de soi et de haine du sexe. »
Régine Deforges, Libération, 16 avril 2003.

BAT-CONTRE

Alfred Delvau : « BAT-CONTRE. Pédéraste, dans l'argot des voleurs, qui est aussi celui des filles. »
Dictionnaire érotique moderne, 1864. Peut-être un rapport avec le conte de La Fontaine Le Bât.

BATHILLE,  BATHYLLE

  Nom d’un aimé dans les vers d’Anacréon (VIe siècle avant J. C.) et de ses imitateurs ; selon Pierre Bayle, cet amour a toujours passé pour « une franche pédérastie ». Juvénal en fit un nom de danseur dans sa VIe satire (vers 63), et Agrippa d’Aubigné en dériva un terme générique :

« Caresser un Bathille, en son lit l’héberger,
N’ayant muet témoin de ses noires ordures
Que les impures nuits et les couches impures. »
Tragiques, II, « Princes ». Publié en 1616.

Le souvenir d’Anacréon fut réveillé par ces vers de Mérard de Saint-Just :

« Monsieur Richfort, Anglais très entiché
D’un goût impropre, épris du beau Bathylle,
Des beaux garçons le plus beau de la ville,
Pour cent louis a conclu le marché ;
Il le désire, et des mains le dévore ;
Et s’il n’est pas complètement encore
Heureux amant, on peut lire en ses yeux
Qu’avec son ange il voudrait être aux cieux. »
La Courtisane d’Athènes. Poésies diverses, 1801.

Le mot revit le jour en 1909, année pendant laquelle l’homosexualité fut en France un sujet fort discuté dans de nombreuses publications :

« En notre troisième République, Bathylle règne à Paris comme il régnait à Rome. Sous l’œil tolérant de notre police, des bars select, affectés au nouveau culte, reçoivent, chaque soir, un public de malades, de pervertis, de snobs, de provinciaux, et d’étrangers, anglo-saxons pour la plupart, avides, sans doute, d’exercer en ces lieux l’apostolat méthodiste qui sommeille dans tout cœur britannique. »
Wamba, « L’hérésie sentimentale », Fantasio - Magazine gai, n° 67, 1er mai 1909 ; sont mentionnés l’Alvin’s Bar et le Maxence Bar ; vers 1900 d’autres signalaient le Scarabée, rue de Dunkerque.

BEAU, subs.

« Aristote dit, appartenir aux beaux, le droit de commander [cf Diogène Laërce, Vies..., V, § 19] : et quand il en est, de qui la beauté approche celle des images des Dieux, que la vénération leur est pareillement due. À celui qui lui demandait, pourquoi plus long temps, et plus souvent, on hantait les beaux : Cette demande, fait-il, n'appartient à être faite, que par un aveugle. La plupart et les plus grands Philosophes, payèrent leur écolage, et acquirent la sagesse, par l'entremise et faveur de leur beauté. »
Montaigne, Essais, III, xii, 1058.

« Le quartier général de ces messieurs à culotte se tient place du Carrousel, entre les deux guichets du côté de la rivière, de huit à neuf heures du soir. Les beaux, les patients, sont en ligne, dans l'attitude d'un homme qui satisfait un besoin. Les amateurs inspectent. Enveloppé dans mon manteau, j'ai parcouru cette ligne de chiens et de cochons! C'est là le dernier degré de la dépravation humaine. »
Fournier-Verneuil, Paris, Tableau moral et philosophique, 1826.

« Catalogue critique et descriptif de 43 gitons, par un Genevois turquisant. Fazyl Bey. Le Livre des beaux. Traduit du turc avec une introduction et des notes par un pacha à trois queues. Paris, Bibliothèque internationale d'édition, 1909. » (Extrait du catalogue de la vente Erotica de 2007 chez Bergé et associés).
« Le Livre des Beaux contient 43 courts chapitres consacrés chacun à la description d'un giton. Le « pacha à trois queues » à qui est attribuée cette traduction annotée pourrait bien être Edmond Fazy, qui était Suisse et non Levantin comme Fazyl Bey, mais qui connaissait le turc et qui semble avoir accordé un intérêt particulier aux homosexuels » (Pascal Pia, pages 818-819)."

[Georges Hérelle] : « Il [Phanoclès] avait composé un poème intitulé "Eρωτες ή Καλοί", " Les amours ou les Beaux ", où il chantait des légendes religieuses et héroïques relatives à l’amour des garçons. […] Phanoclès avait intitulé Καλοί le poème où il célébrait les plus illustres des "Beaux" d’autrefois.»
Histoire de l’amour grec, 1930, sous le pseudonyme de L. R. de Pogey-Castries.

Sur les petits-maîtres et les beaux, voir le 
chapitre « Le Théâtre des Beaux »,  dans Pierre Saint-Amand, Suite libertine. Vies du XVIIIe siècle, pages 115-128, Paris : Classiques Garnier, 2021.


BERGER, BERGER PASSIONNÉ

« Le berger passionné Corydon »
Rabelais, Quart Livre [1552], chap. 28.

« Un berger de Virgile ou un élève de Platon »
Marcel Proust, Sodome et Gomorrhe II, chapitre II. (1922).

André Gide désigna par le mot de « berger » d’abord le personnage de Théocrite et de Virgile, puis son ouvrage Corydon. Il connaissait sans aucun doute le poème de Christopher Marlowe « The Passionate Shepherd to his Love ».

BI, adj. inv. Et subs.

Abréviation de bisexuel.

« Dans ces temps-là tout le monde était peu ou prou bi : pendant que Monsieur s’intéressait à la puberté de quelque giton, Madame jouait les grandes goudous sacrées, entre filles. »
Dominique Durand, « Le courrier de Jeanne Lacane », Le Canard enchaîné, 13 avril 1983.

« Aujourd’hui, le mouvement bi américain est riche de groupes bi mixtes et non mixtes, de groupes de support et d’autres de discussion, de groupes « black », juifs, étudiants, de parents et d’épouses de bisexuels. Bref, il existe plus de 350 organisations bi. Leur diversité témoigne de leur vitalité et de leur raison d’être. »

« Le Conseil est la principale instance décisionnaire de l'Interassociative lesbienne, gaie, bi et trans. Son rôle est de discuter et de décider des grandes orientations de l'association. C'est aussi un lieu public de rencontre et d'échanges pour ses membres, et un lieu de mise en commun de moyens et d'élaboration de stratégies collectives. »

« Ce 28 juin prochain [2003], de toute façon, on remet ça, pour la 2è édition de la Marche des fiertés lesbiennes, gaies, bi et trans. politique et revendicative. Face à des pouvoirs publics qui nous ignorent, cette marche le sera comme jamais, avec un mot d'ordre clair et exigeant : "Homophobie, lesbophobie, transphobie : agissons !". Elle sera tout à la fois pop, rock, techno, house, ou bal musette : loin d'être uniforme, elle cultivera comme toujours la diversité musicale, culturelle, générationnelle. Hétéros, bi et homos de tout genre s'y cotoieront derrière cet unique mot d'ordre et ces multiples ambiances. »

Un habitué d’un club échangiste auvergnat se définit comme « bi léger ».

Encore abrégé en B dans LGBT et Inter-LGBT.

BIBI

Selon Alfred Delvau, « BIBI. Mignon ; Jouvenceau qui sert aux plaisirs libertins des vieillards, – le giton du Satyricon, le Ganmède de Jupiter, l’officiosus des bains publics, à Rome.  » La 2e édition ajoute : « – ou mignon de dame. »
Dictionnaire érotique moderne, 1964.

BICHON

« BICHON. Jeune homme qui sert aux plaisirs d'un homme mûr. C'est le giton moderne. »
Alfred Delvau, Dictionnaire érotique moderne..., 1864.
« Bichon : Petit jeune homme qui joue le rôle de Théodore Calvi auprès de n’importe quels Vautrin. »
Alfred Delvau, Dictionnaire de la langue verte, Paris : E. Dentu, 1866.

Donné comme équivalent de pédéraste par Georges Delesalle dans son Dictionnaire Argot-Français et Français-Argot, Paris : Paul Ollendorff, 1896.

BIJOU

« Jeune homme débauché tenant la place entre le petit Jésus et le maître chanteur. »
Gustave Macé, Mes lundis en prison, Paris : G. Charpentier, 1889.

BILBOQUET

« Homme qui est le jouet des autres. »
Alfred Delvau, Dictionnaire de la langue verte, 2e édition, Paris : E. Dentu, 1866.


BIPHOBIE

Terme d'origine anglo-saxonne.

" Article pour faire un état des lieux sommaire de la biphobie avec un top 10 des anecdotes biphobes "
La Biphobie ! Et si on en parlait (2016).

BIQUE ET BOUC

Bique-et-bouc Créatures des deux genres, — dans l'argot du peuple, ordinairement plus brutal pour ces créatures-là.
Alfred Delvau, Dictionnaire de la langue verte, 2e édition, Paris : E. Dentu, 1866.

« BIQUE ET BOUC : Voir Être (en) »
Lorédan Larchey, 1881.

Bique et bouc sont donnés comme équivalent de pédérastes par Georges Delesalle dans son Dictionnaire Argot-Français et Français-Argot, Paris : Paul Ollendorff, 1896.

Homosexuel à la fois actif et passif, d’après François Caradec et le Grand Robert 1985.

BIS(S)EXUALITÉ

Ce mot ainsi que bisexuel ont d’abord été appliqués par les botanistes aux plantes hermaphrodites, en opposition à unisexualité et unisexuel. Charles Fourier a transposé cette double paire d’opposés dans le domaine de la sexualité humaine.

« Les hommes qui ont séduit, corrompu, souillé les âmes et les vies de leurs semblables plus jeunes sont d’habitude des pervertis. Ils n’ont pas toujours été unisexuels. Ils ont plus de prise. Ils sont plus vicieux. L’unisexuel qui s’essaye à la bissexualité devient aussi corrompu que l’homme sexuel normal qui s’essaye à l’unisexualité : ils ont tous les vices, ceux qui leur reviennent et les autres. »
Marc-André Raffalovich, « Quelques observations sur l’inversion », Archives d’Anthropologie Criminelle, n° 50, 15 mars 1894.

BISEXUEL

« En amour, il y a ultragamie entre deux femmes saphiennes. Ce lien sort des attributions de l’amour qui comprennent les unions bisexuelles. Dans ce cas, les deux ressorts de l’amour engrènent dans la passion d’amitié ou affection unisexuelle. »
Charles Fourier, Œuvres complètes, Anthropos, 1967, tome IV, page 367.

« L’orgie bisexuelle, genre très beau et très précieux en harmonie, mais inadmissible en civilisation où l’on en voit à peine quelques lueurs à la suite de festins et sans habitudes maintenues.
Charles Fourier, Œuvres complètes, Anthropos, 1967, tome VII, page 58.

Ces termes ont été repris par P.-J. Proudhon qui opposait à l’érotisme homoïousien l’amour androgyne ou bi-sexuel :

« Cet érotisme homoïousien, quelque spiritualiste qu’en soit le principe, n’en demeure pas moins un délit contre le droit mutuel des sexes, et ce mensonge à la destinée, après de si beaux commencements, méritait d’avoir une fin épouvantable. Un des interlocuteurs de Plutarque, celui qui défend la cause de l’amour androgyne ou bisexuel, fait à son adversaire, qui protestait au nom des sectateurs du parfait amour contre les accusations dont on les chargeait, l’objection suivante : Vous prétendez que votre amour est pur de tout rapprochement des corps, et que l’union n’existe qu’entre les âmes ; mais comment peut-il y avoir amour là où il n’y a pas possession ? [Dialogue sur l’amour] »
Proudhon, Amour et mariage, XXVI, 1858.

La trace de ce terme se perd ensuite ; on ne le retrouve, dans un sens différent, qu’après l’introduction d’homosexuel et d’uraniste, dans la période " fin de siècle " de réflexions médicale et sociologique sur la question.

« Le docteur [Magnus] Hirschfeld a naturellement expédié des questionnaires aux étudiants, aux ouvriers. D’après quelques uranistes de toute confiance, M. Hirschfeld compte, à Berlin, sur 56 000, en Allemagne sur 1 200 000. Et les "bisexuels" sont deux fois aussi nombreux. Hambourg abrite 5 000 unisexuels. »
« Les groupes uranistes … », 1904.

« M. Hirschfeld, qui est actuellement probablement le meilleur connaisseur de l’homosexualité du monde entier, n’a certes pas exagéré en disant que Berlin a plus de 50 000 homo et bisexuels parmi les hommes. »
« Le monde homosexuel de Paris », Archives d’Anthropologie Criminelle, n° 135, 15 mars 1905.

L’attention portée à la catégorie des bisexuels, désormais ceux qui sont susceptibles d’aimer plus ou moins également les deux sexes, fut renforcée par la publication en 1910 de l’ouvrage du Dr Saint-Paul L’Homosexualité et les types homosexuels ; une critique en figurait dans Le Malthusien de février 1911 :

« Les types homosexuels (invertis-nés, paidophiles, occasionnels, bisexuels) sont fixés et déterminés de main de maître. »

En tant que disposition constitutionnelle ou « puissance des contraires » (Jacques Corraze, 1969), le concept de bisexualité dérive de celui d’hermaphrodisme moral.

BITUMINIE

Genèse XIV, 10 : "la vallée de Siddim [Sodome] était pleine de puits de bitume"
cf Béroalde de Verville, Le Moyen de Parvenir, édition de 1984, p. 182, en note : bituminie = sodomie.

Dictionnaire française de Pierre Richelet, 1706 :


BLEU

Dans les expressions « ballets bleus » (par opposition à « ballets roses »), « zone bleue », « garçon bleu » (de l’anglais « blue boy »).
Voir aussi l’opuscule de Jacques-ouis. Delpal, Ultra-Guide Paris bleu tendre, 1972.



En russe, голубой signifie à la fois « bleu ciel » et « homosexuel » (Meilach, 1982 ; Le Guévellou, 2002). Le terme se prête au calembour : голу- boy.

BLONDIN, BLONDINET

« Les voici bien, les jeunes blondins qu’ils adorent, les bardaches modernes, les uns se maquillant comme des femmes, d’autres portant des bagues et des bracelets ou signalant leur passage par une trace de parfum ! Ces greluchons appartiennent au troisième sexe. »
Frédéric Loliée, Les Immoraux. Études physiologiques, Livre 2, VI, 1891.

« T’imaginais tout de même pas qu’il allait sacrifier sa carrière pour tes petites fesses de blondinet ? »
Brian Kinney à Justin Taylor, Queer as Folk, version française.

BORD

Synonyme récent d'orientation sexuelle. Dans cette connotation, succède à côté.

« Chacun sa vie sexuelle, on sait que les homos existent pas besoin de nous le rabâcher. Aujourd'hui ils n'ont plus besoin de se battre pour prouver quoi que ce soit à l'autre bord. L'homosexualité est dans les mœurs maintenant plus la peine de nous en faire tout un cake ! »
Message Internet, mai 2008.

« Monsieur, vous êtes de quel bord ? »
Entendu le 11 avril 2010 à la discothèque " Le Pharaon " à Montluçon (Allier, Auvergne).

BOUGERON, BOUGERONNER, BOUGERONNERIE

En juin 1578, des Mémoires anonymes sur les troubles des Pays-Bas signalèrent plusieurs peines capitales
« le tout à cause de cet abominable péché de sodomie ou autrement appelé bougeronnerie. » Édition J. B. Blaes, 1860, tome 2, pages 297-298.

Bougeronnerie dérive de bougeron ; on proposa pour sodomites les qualificatifs suivants :
« Infâmes, exécrables, odieux, brutaux, vilains, abominables, vicieux, bougres ou bougerons, malheureux, détestables, gomorrhéens. »
M. de La Porte, Épithètes, 1580.
En 1575, le mot figurait dans une curieuse justification de la polygamie brésilienne comme moyen de prévenir l’homosexualité masculine :

« Jamais les hommes n’habitent avec elles pendant qu’elles sont grosses, ni après l’enfantement, et jusqu’à ce que l’enfant soit nourri et chemine tout seul ou ait un an pour le moins : d’autant qu’ils disent avoir affaire avec leurs filles lorsqu’elles sont encore au ventre de la mère et en ce faisant ils paillardent : et si c’est un mâle ils le font bardache ou bougeron, qu’ils nomment en leur langage Tevir : ce qui est fort détestable et abominable, seulement de le penser. Voilà la cause principale pour laquelle ils ont plusieurs femmes. »
André Thevet, Cosmographie universelle, tome 2, f° 933.

« N’est-ce pas une belle morale
De voir les hommes se baiser !
Tous les Gascons en font métier
Bougres putains et bougerons :
Au demeurant, bons compagnons. »
Pierre de L’Estoile, Journal, décembre 1581.

« Quand le pape veut paillarder, ou bougeronner quelque bardache en sa chambre, j'estime qu'il fait retirer son valet. »
Le Cabinet du Roi de France, 1581, page 249.

« Un autre prêtre de St Honoré, dans l’église même, bougeronne un jeune garçon ; et plusieurs autres actes exécrables, tant que le papier en rougit, se commettent à Paris en ce mois [août 1608] »
Pierre de L’Estoile, Journal.

« On menait au supplice deux garçons. Celui qui avait été le bougeron crut qu’il y allait de son honneur de passer pour ce qu’il était et déclara aux assistants que l’autre avait été le bardache. »
Tallemant des Réaux, Historiettes, II, 740.

Sur bougeronner, le Grand Vocabulaire Français donnait en 1768 : « vieux verbe français qui signifiait autrefois commettre le crime de sodomie. Le Complément du Dictionnaire de l'Académie française (1842) ajoute le participe passé :


BOUGRANT, BOUGRE, BOUGRÉ, BOUGRERIE

Selon le Thresor de la langue française (1606) du diplomate Jean Nicot, bougre correspond aux termes latins paedico, paederastes.

Bougre et bougrerie servaient au XIIe siècle à désigner les Bulgares (Villehardouin, Conquête de Constantinople, chapitres 97, 107, 108 et 116) ; ils se sont ensuite appliqués aux hérétiques et à leurs croyances, et enfin aux auteurs d’actes sexuels illicites et à ces actes. Pierre Jurieu attribue ce détournement de sens au Papisme.
... péché pour lequel Sodome fut brûlée. "
Préjugés légitimes contre le Papisme, 1685,
seconde partie, chapitre XXIV, page 303.

À la différence de sodomite, il n’y avait donc initialement aucune idée d’homosexualité qui puisse expliquer la transition de la dissidence religieuse à la dissidence sexuelle, sens dominant à notre époque moderne. Sur ce cheminement, on rencontre la bestialité et la sodomisation hétérosexuelle. Le sens homosexuel est manifeste dans cet exemple du XIVe siècle, à l’occasion du procès d’un certain Remion à Reims en 1372 :
« Remion ayant été accusé et pris pour péché de bougrerie et de sodomie ; [il] habita charnellement avec plusieurs hommes, il nomma Pierre de Cierges.
  Cierges nia tout, confessa seulement qu’il s’était approché d’une personne chaussée de hauts souliers de femme, croyant que c’en était une ; la femme se coucha sous lui volontairement ; lorsqu’il s’aperçut qu’il avait été trompé, il en éprouva si grande déplaisance qu’il s’en alla tout honteux et abominable.
  Remion fut condamné à être brûlé. »
Bibliothèque de l’Arsenal, Paris, Archives de la Bastille, mss. 10254.

Gilles Ménage, Dictionnaire étymologique,..., 1750 [1694].


Dans une autre affaire judiciaire, la violence remplaçait la ruse : la Chronique de Charles VII de Jean Chartier raconte, à l’année 1435, cette exécution :

« En ce même temps, advint en la ville de Bourges [Cher actuel] qu’un nommé Jacques Purgatoire, offensant Dieu et la Cour céleste, avait commis le détestable péché de sodomite, autrement dit bougrerie, et avait eu charnellement, par force, maîtrise et violence, copulation avec plusieurs personnes par le fondement. Pour quoi il fut emprisonné par les gens de justice, et après avoir été dûment examiné, et le crime par lui confessé, il fut prêché en lieu public. Et afin que cela tournât en exemple à tous, il fut condamné par justice à être brûlé au lieu en tel cas accoutumé ; pour faire cette exécution, on requit le bourreau de cette ville, qui fit son devoir en présence du peuple, ce qui fut un grand bien et un bel exemple à chacun. »

L’élément de violence, présent dans environ 50 % des procès connus du XIVe au XVIIIe siècle, dont la célèbre affaire Deschauffours en 1726, n’était alors pas considéré comme le plus grave ; c’était la bougrerie qui faisait horreur et offensait Dieu... À Toulouse en 1456, un certain Octo Castillan, argentier du Roi, fut accusé d’avoir commis
« le péché désordonné, ou bougrerie » (BnF, mss. français 5454) ; cet inculpé avait entrepris une grève de la faim et fut transféré à l’hôtel de l’Inquisition ; l’issue de l’affaire n’est pas connue.
Le texte dit aussi « touchant la sodomie dont il est accusé […] », ce qui manifeste la synonymie des deux termes dans l'esprit de l’auteur. Au début du XVIe siècle, le Journal d’un bourgeois de Paris sous le règne de François Ier révélait deux nouveaux procès :
« L’an 1533, fut brûlé à Blois, où était le Roi, un Italien de la ville d’Alexandrie, à cause qu’il était bougre et sodomite.
  1534. Au mois de janvier, fut amené de Lyon en la Cour du Parlement un marchand de Florence appelant de la justice laye de Lyon, de la mort, pour avoir été trouvé bougre et avoir commis ce péché  à une fille outre nature, et à un jeune fils, lesquels fils et fille s’en étaient plaints à la justice. Il avait été condamné à Lyon à être brûlé vif, dont il appela en Parlement […] finalement, par force d’argent, il n’en mourut point. » Édition Lalanne, 1854.

Selon le Grand Coutumier de Jacques d’Ableiges [1515], la punition de la bougrerie appartenait habituellement au juge royal, et non au prévôt du seigneur. Le crime consistait en un coït anal homo ou hétéro, ou en une relation avec un animal (bestialité) ; parfois on comprenait sous cette accusation une relation entre femmes, mais jamais – à la différence de sodomie ou péché contre nature – la masturbation. Le Recueil d’arrêts notables de Jean Papon spécifiait en 1565, au chapitre 22 :

« De luxure abominable.
§ 1. Bougrerie étant non accomplie est digne du feu avec l’animal.
§ 2. Femme luxuriant avec une autre femme doit mourir. Deux femmes se corrompant l’une l’autre ensemble sans mâle, sont punissables à la mort : et est ce délit bougrerie et contre nature. »

Bien curieusement, Jean Papon n’envisageait pas l’homosexualité masculine ; un paragraphe du chapitre 24, froidement intitulé « Bougres punis par combustion », n’était relatif qu’à des actes de bestialité. Il en était autrement dans un ouvrage un peu ultérieur, le Traité des peines et amendes de Jean Duret (1572), à l’article "Bougres" :

« Nous avons déclaré ci-dessus les peines propres aux adultères, et espérons ci-après traiter succinctement des concubinages, stupres, incestes, paillardises, et autres connexes, selon qu’il se trouvera plus à propos. Maintenant que l’occasion se présente, voyons en deux mots quelles punitions doivent endurer ceux qui s’adonnent à luxure contre nature. Le vulgaire les appellent bougres ; Moïse traitant de cet abominable péché ordonna que celui qui habiterait avec bêtes brutes, ou coucherait avec un autre homme ainsi qu’il pouvait le faire avec une femme, ayant transgressé, fût puni de mort (a). Les lois impériales, conformes à de si saintes ordonnances, lorsque l’homme prend la place de la femme, comme s’il espérait quelquefois enfanter – chose détestable à penser - , que Vénus se déguise, que l’amour est cherché là où il ne peut être trouvé, veulent que les droits s’arment, et s’élèvent pour punir de mort tels monstres infâmes à jamais (b). Autant en dit la disposition canonique : bien qu’irraisonnable, et ne relevant pas de la loi, la bête qui a commis ce péché doit être mise à mort avec l’homme ou la femme qu’elle a touché, pour éviter que demeurant en vie ainsi polluée et contaminée, le seul souvenir ne fût odieux aux hommes. Il est donc tout certain que le bougre doit mourir avec la bête, mais de quelle sorte de mort ? Les praticiens français récitent que la mort indéterminée par la loi a été appliquée au feu par un long usage, et la coutume, de sorte que l’animal premièrement étranglé, et l’homme vif quelquefois, sont mis dans le feu pour être réduits en cendres, même si le délit a été interrompu, et est demeuré sans accomplissement. Voilà brièvement les peines que méritent les luxurieux avec bêtes irraisonnables, et les hommes avec autres non différents de sexe. Voilà une troisième espèce de cet énorme péché qui court entre les femmes tant abominables, qu’elles suivent de chaleur d’autres femmes, autant ou plus que l’homme : sans mâles se corrompent ensemble l’une l’autre : s’il y a preuves suffisantes, elles n’échappent à moindre peine que la mort. »
a. Cf Lévitique, XVIII, 22-23 et XX, 13 et 15-16.
b. On a ici une traduction approximative de la loi romaine de Constant, adoptée en 342 et connue par ses premiers mots : Cum vir nubit in femina.

Duret s’inspirait visiblement de Papon, ou d'une source commune, mais ne le suivait pas entièrement.

L’entrée dans la langue littéraire se fit avec Rabelais :
« J’avertirai le Roi des énormes abus que sont forgés céans et par vos mains et menées, et que je sois ladre [lépreux] s’il ne vous fait tous vifs brûler comme bougres,  traîtres, hérétiques et séducteurs, ennemis de Dieu et vertus. »
Gargantua, chapitre XX, 1534.
« Fous fanatiques, aucuns ladres, aucuns bougres, autres ladres et bougres ensemble »
Quart Livre, Prologue de 1548.
« Ho, bougre, bredache de tous les diables incubes, succubes et tout quand il y a. »
Quart Livre, chapitre XX, 1e édition partielle, 1548.
Dans les Annales de Bourgogne publiées en 1566, Paradin de Cuyseaux rapporta, sans y souscrire complètement, les bruits qui couraient sur les Albigeois :
« Aucuns disaient qu’ils usaient de paillardises contre nature, et bougreries […] Aucuns disent que ces vices sont choses inventées, pour les rendre odieux. »

Estienne :
Henri Estienne, Apologie pour Hérodote, 1566-1592, chapitre 21.

Que les Albigeois aient été accusé de bougrerie fut confirmé par un juriste du XVIIIe siècle :
 « Le mot de bougrerie est appliqué par les uns aux Albigeois qui avaient suivi la même hérésie que les Bulgares ; et ils se fondent sur ce par l’intitulé du chapitre [des Établissements de Saint Louis], où il paraît que l’on n’a eu en vue que les mécréants et hérites, c’est-à-dire hérétiques. Les autres appliquent la première partie de ce chapitre au crime contre nature, parce qu’on a donné le même nom [bougres] à ceux qui s’en rendent coupables : d’ailleurs la manière dont ce chapitre est conçu paraît l’indiquer, puisqu’on y distingue deux espèces de crimes. »
C. C. de L’Averdy, Code pénal, ou Recueil des principales ordonnances, 1752. Voltaire discute ce point dans l’article « Amour nommé socratique » des Questions sur l’Encyclopédie.

Henri Estienne : " bougre sodomitique " (Apologie pour Hérodote, 1566-1592, livre I, chapitre 13).

Anonyme [Nicolas Froumenteau] : « Deux cents de ces curés sont bougres. » Le Cabinet du Roi de France, La Rochelle 1581, livre premier, " Curés ou pasteurs ".
Cabinet..., page 39. Via Gallica BnF.

De la même année 1581 :
« N’est-ce pas une belle morale
De voir les hommes se baiser !
Tous les Gascons en font métier
Bougres putains et bougerons :
Au demeurant, bons compagnons. »
Pierre de L’Estoile, Vers anonymes cités dans les Mémoires-Journaux, décembre 1581.

Dans Les Origines de la langue française (1650), Gille Ménage commençait ainsi son fameux article sur bougre :
« Bougre : je suis de l’avis […] ». Tallemant des Réaux rapporta la plaisanterie faite à ce sujet :
« Ah ! lui dit Bautru, vous en êtes donc aussi, et vous l’imprimez ! tenez : il y a, bien moulé : Bougre je suis. »
Historiettes, « M. de Bautru ».
  Ce serait donc Guillaume Bautru (1588-1669), réputé pour avoir aimé les hommes, qui aurait forgé ou fait connaître l'expression en être, révélatrice d’une certaine notion d’identité homosexuelle

Dans de violentes attaques contre le cardinal Mazarin, le poète Paul Scarron (1610-1660) fit à partir de bougre d’étonnants exercices de style :

« Bougre, des Bougres le majeur,
Des Politiques le mineur ;
[...]
Sergent à verge de Sodome,
Exploitant partout le Royaume,
Bougre bougrant, bougre bougré,
Et bougre au suprême degré,
Bougre au poil, et bougre à la plume,
Bougre en grand et petit volume,
Bougre sodomisant l’État
Et bougre du plus haut carat,
Investissant le monde en poupe,
C’est-à-dire baisant en croupe.
Bougre à chèvres, bougre à garçons,
Bougre de toutes les façons,
Bougre venant en droite ligne,
D'Onan, masturbateur insigne,
Bougre Docteur in utroque,
Pipeur, Magicien quoque,
Homme aux femmes, et femme aux hommes,
Pour des poires, et pour des pommes. »
La Mazarinade, 1651 ; réédité en 1867
sous le titre La Pure vérité cachée.

Variante de date inconnue :
« 
Bougre, bouffon, baudet, badin,
Coquin, croquant, croqueur d’andouilles
Gavache, glorieux gredin,
Bougre, bouffon, baudet, badin,
Viedaze, vrai vilebrequin
De ceux au cul de qui tu fouilles,
Bougre, bouffon, baudet, badin,
Coquin, croquant, croqueur d’andouilles. »
Le Carême de Mazarin, dans 
Via Gallica BnF.


" En je ne sais quelle pièce au Pape, il [Dulot] lui disait :
            Jusqu'où s'étend votre empire bougrin.
Il était un peu bougre lui-même. "
Tallemant des Réaux, Historiettes [1657-1659], Dulot.

Libertinage érudit :
Gilles Ménage, Dictionnaire étymologique, 1694. Via Gallica BnF.

Montesquieu : « On se prépare à faire un feu de monsieur Chauffour, ancien commissaire des guerres, lequel tenait une maison où jamais femme n'entra mais bien, dit-on, des évêques et des ducs. Il demande d'être renvoyé par-devant un concile provincial, et cela en bonne jurisprudence, parce que le privilégié attire toujours le non-privilégié. On va faire une chambre ardente contre les bougres de province. »
Lettre à un destinataire inconnue, 6 mars 1726.
À Mandobar, avril 1726 : « Vous badinez sur la brûlure de Chaufours. Vous riez, parce que vous avez des amis dans les deux partis et que vous ne pouvez tomber que de vos pieds. »
Correspondance publiée par François Gébelin, Bordeaux : Société des bibliophiles, 1914.

« Il y a cinq ou six mois qu'on a mis à la Bastille un nommé Deschauffours qui était un particulier dans Paris, grand bougre de son métier, bel homme et bien fait. Cet homme connaissait beaucoup de monde dans le grand et dans le médiocre, car en général ce n'est pas l'amusement petit-bourgeois. C'était chez lui le rendez-vous général, les parties de débauche s'y faisaient ... M. l'abbé de La Fare, évêque de Laon, était dans cette compagnie ; il est enfermé au séminaire. M. le comte de Tavannes, cordon bleu, est, dit-on, pour le même sujet exilé. »
Edmond Jean François Barbier, avocat, Journal historique et anecdotique du règne de Louis XV, mai 1726, BnF, mss fr. 10286, f° 9.

« On me contait ces jours-ci en parlant du maréchal d’Huxelles qu’il avait toujours été fort entiché du péché philosophique, ce vice n’a pas laissé d’avoir de grands hommes pour amis, et qu’un jour ils étaient trois en partie de débauche, et que le troisième, qui n’était pas de ce goût-là, le fronda fort et ne voulait pas croire qu’il y eût des bougres. »
Barbier, Journal..., octobre 1726.

Recueil de pièces choisies..., 1735, page 42. Via Gallica BnF.

L’argumentation de L’Averdy citée plus haut répondait par avance à cette note de Voltaire dans le Prix de la justice et de l’humanité : « le mot bulgarie, qui ne signifie qu’hérésie, fut pris pour le péché contre nature. » Voltaire ne s’était pas interrogé sur le sens d’hérite et de mécréant, passant ainsi à côté du phénomène assez fréquent de l’imputation de mauvaises mœurs à des fins polémiques. Type de dénigrement fort pratiqué pendant la Révolution ; dans Les Enfants de Sodome à l’Assemblée Nationale, l’abbé Louis Esprit Viennet (dont le frère Jacques Joseph fut député à la Convention) était décrit comme « le plus zélé partisan de la bougrerie ».

« Il ne serait point question de la fouterie naturelle. On n'y occuperait ses forces et son temps qu'à soulager les ardeurs de la bougrerie, de la pédérastie et de la bardacherie. »
Bordel apostolique …, 1790.

Dans le Comité ecclésiastique (1790, autre ouvrage parodique), treize noms étaient cités, dont

« L'abbé Lemintier [Augustin-René-Louis Le Mintier], évêque de Tréguier, qui réunit tous les titres de bougrerie et de jeanfoutrerie. ».

Le Jean-foutre, c'était alors l'homme à femmes (sauf pour Sade).

« Bourdaloue, Lully, d’Alembert, La Harpe, Thomas, etc. sont des bougres. »
Les Enfants de Sodome à l’Assemblée Nationale, 1790.

Seule exception à la prédominance du sens homosexuel au XVIIIe siècle, les écrits du marquis de Sade, où bougre et sodomiste peuvent désigner celui qui sodomise une femme.

« Des soins divers, mais superflus,
De Fiévée (*) occupent la vie :
Comme bougre il tache les culs,
Comme écrivain, il les essuie. »
Michaud, Petite biographie des gens de lettres, 1826.
(*) Joseph Fiévée, 1767-1839, écrivain et agent secret.

Deux entrées du Complément du Dictionnaire de l'Académie française, 1842.
Via Gallica BnF.

Le sens homosexuel s’est perdu progressivement, bougre subsistant dans des interjections, parfois sous la forme atténuée bigre, ou avec les significations de joyeux luron, pauvre diable, brave homme.

Gustave Flaubert, grand lecteur de Sade, affectionnait des expressions telles que « cher vieux bougre », et l'adverbe « bougrement »..
« J'approche de la fin de ma petite bougrerie, laquelle n'est point commode ».
Correspondance, 1876.

« BOUGRE : Ce mot est à noter comme ayant perdu tout à fait la portée injurieuse qu’il avait autrefois. Il n’est plus aujourd’hui qu’un synonyme du mot garçon. »
Lorédan Larchey (1831-1902), Les Excentricités du langage français, Paris : Aux bureaux de la Revue anecdotique, 1861.

À deux années de distance, Alfred Delvau donna deux définitions différentes :
Dictionnaire érotique moderne, 1864 :
« Pédéraste, – en souvenir des hérétiques albigeois et bulgares qui, en leur qualité d’ennemis, étaient chargés d’une foule d’iniquités et de turpitudes par le peuple, alors ignorant, comme aujourd’hui. »
Dictionnaire de la langue verte, Paris : E. Dentu, 1866 : « Homme robuste, de bons poings et de grand cœur, – dans l’argot du peuple, qui ne donne pas à ce mot le sens obscène qu’il a eu pendant un long temps. »

Lucien Rigaud confirma la perte de portée injurieuse :
Le Jargon Parisien - L'argot ancien et l'argot moderne,
Paris : Paul Ollendorff, 1878.

La liberté de langage des années 1789-1792 avait permis aux contre-révolutionnaires de dessiner une sorte d'image homosexuelle de la Révolution. Le père Duchesne (alias Hébert) accumulait les « Bougre ! ». Mais le mot ne bénéficiait pas, comme pédéraste et les dérivés de Sodome, d'ancrage culturel profond. L'évolution a été différente en anglais, bugger et le verbe to bugger continuant d'être employés jusqu'à une époque très récente.

Julien Green : « [Thad] Lovett nous raconte les soirées [Robert] Bernstein, les dîners de tapettes hâtivement expédiés par le maître de maison qui permet à peine qu'on happe son dessert et veut qu'on passe au salon et que les bougreries commencent au plus tôt. »
Journal intégral, 14 mars 1934, Paris : Robert Laffont, 2019.

« M. André Gide est pédéraste. Ce n'est pas le diffamer que de le dire, il s'en fait gloire. Il a écrit un petit livre (Corydon) pour s'en flatter et défendre l'uranie, et un gros bouquin (Si le grain ne meurt...) pour s'en confesser.
Je ne le lui reproche pas. Je m'en moque éperdument. Chacun prend son plaisir où il le trouve. Il me semble seulement aussi puéril d'avouer et de proclamer le goût qu'on a pour les jeunes gens qu'il me parait déplacé d'ouïr les confidences d'un érotomane déclarant n'aimer que les dames à gros derrière ou les jeunes filles aux seins inexistants.
Ce n'est pas du non-conformisme. C'est de l'exhibitionnisme... Une triste manie, sans plus.
Cependant, voici un article du réquisitoire d'André Gide contre l'U.R.S.S. (note au bas de la page 63) qu'il vient de publier et par lequel il accède pour la première fois, à soixante et un ans, aux gros tirages : " Que penser, au point de vue marxiste (sic) de celle (la loi) plus ancienne contre les homosexuels qui, les assimilant à des contre-révolutionnaires (car le non-conformisme est poursuivi jusque dans les questions sexuelles) les condamne à la déportation pour cinq ans, avec renouvellement de peine s'ils ne se trouvent pas amendés par l'exil ? "
On a le droit et peut-être le devoir de penser que ces dispositions sont bien rigoureuses. Mais on ne peut pas sous-estimer le poids dont elles ont pesé, au trébuchet de M. Gide, et la mesure dans laquelle elles ont aidé à sa déception.
Passons. Au sens propre du mot, M. André Gide est un pauvre bougre. »
" Un pauvre bougre : André Gide " Le Merle blanc siffle et persifle le samedi, N° 140, 5 décembre 1936, page 1. Via Gallica BnF.


BOUGRIE

« L’inceste et la bougrie ordinaire
Ont mis hors du rang du vulgaire
Le canonisé Borromée. »
Agrippa d’Aubigné, Épigrammes.

BOUGRIN (adj. et subs.), BOUGRINIÈRE, BOUGRINO, BOUGRISQUE

Bougrin se rencontre deux fois chez Rabelais, et il y eut des reprises :

« Missaire Bougrino » (Pantagruel, 1532, XIV)

« Le pape Jules [Jules II], crieur de petits pâtés, mais il ne portait plus sa grande et bougrisque barbe » (Pantagruel, XX)

« En ce guéret, peu de bougrins sont nés,
Qu’on n’ait berné sus le moulin à tan. » (Gargantua, 1534, II)

« Gens soumis […] À Vénus, comme putains, maquerelles, marjolets, bougrins, bragars, napleux, […] » (Pantagrueline prognostication, V)

« Le saint champ du seigneur est plein de parasites,
Et l’autel précieux ne sert qu’aux sodomites ;
Bref, les temples à saints usages ordonnés
Par ces ganymèdes bougrins sont profanés. »
Henri Estienne, Apologie pour Hérodote, 1566-1592, chapitre 39, citant Baptiste Mantuan évoquant les vices des papes.

« Cette Maison est impudique :
Les pages s’y branlent la pique,
Les gardes foutent les exempts.
Pour achever la bougrinière,
On dit que très assurément,
Guitaut fout en cul la Rallière. »
Baron de Blot, Parnasse satyrique, 1623.

« En je ne sais quelle pièce au Pape, il [Dulot] lui disait :
            " Jusqu'où s'étend votre empire bougrin. "
Il était un peu bougre lui-même. »
Tallemant des Réaux, Historiettes, Dulot.

BOUJARONNER

Le Bordel des muses, 1661.

BOURGEOIS DE SODOME

Une des nombreuses expressions en " ... de Sodome ".

« Serait-ce celui dont on m’a parlé d’une si étrange sorte, et qui était bourgeois de Sodome longtemps avant d’être capitaine dans Loudun [Vienne actuelle] ? C'est-à-dire que, sans aller à la guerre, il [Nicolas Vauquelin] sait faire tourner le dos aux hommes, et qu'il a appris il y a longtemps l'art de dompter et de subjuguer. Je sais cet horrible secret d'un jeune gentilhomme de mes amis, quo non formosior alter, et sur la  pudicité duquel ce frère a eu de très dangereux desseins, lorsqu'ils étaient ensemble à l'Académie ou au collège ; mais peut-être que c'est le frère chaste qui est votre ami et non le frère pédéraste ; Dieu le veuille ainsi pour l'honneur de votre amitié. »
Lettre de Guez de Balzac à Jean Chapelain, 3 octobre 1644 (Lettres, Paris : Imprimerie Nationale, 1873)  

BRANLADE

« Il [Émile Zola] s’étend sur les salauderies qui ont lieu dans les collèges de province et qui ont un coin de brutalité que ne présentent pas les branlades mignardes des collèges parisiens. »
Edmond de Goncourt, Journal. Mémoires de la vie littéraire de 1851 à 1896, Paris : Fasquelle/Flammarion, 1956, à la date du 18 avril 1883.

BRODEUSE

« Individu appartenant au troisième sexe. Argot des voleurs. »
Alfred Delvau, Dictionnaire de la langue verte, 2e édition, 1866.

Donné comme équivalent de pédéraste par Georges Delesalle dans son Dictionnaire Argot-Français et Français-Argot, Paris : Paul Ollendorff, 1896.