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mardi 3 janvier 2023

DFHM : Race d'ep à rouspan en passant par race maudite, regayifier, rivancher en prose, rivette et rocambole


Extrait de mon Dictionnaire français de l'homosexualité masculine.

Guy Hocquenghem en 1978. © Getty - Laurent MAOUS.


RACE D'EP, RASDEP

Verlan pour pédéraste, rapporté ou inventé par l’écrivain Guy Hocquenghem (1946-1988).

RACE MAUDITE, MALÉDICTION

MARCEL PROUST : « Race maudite puisque ce qui est pour elle l'idéal de la beauté et l'aliment du désir est aussi l'objet de la honte et la peur du châtiment, et qu'elle est obligée de vivre jusque sur les bancs du tribunal où elle vient comme accusée et devant le Christ, dans le mensonge et dans le parjure, puisque son désir serait en quelque sorte, si elle savait le comprendre, inadmissible, puisque n'aimant que l'homme qui n'a rien d'une femme, l'homme qui n'est pas "homosexuel", ce n'est que de celui-là qu'elle peut assouvir un désir qu'elle ne devrait pas pouvoir éprouver pour lui, qu'il ne devrait pas pouvoir éprouver pour elle, si le besoin d'amour n'était pas un grand trompeur et ne lui faisait pas de la plus infâme "tante" l'apparence d'un homme, d'un vrai homme comme les autres, qui par miracle se serait pris d'amour ou de condescendance pour lui, puisque comme les criminels elle est obligée de cacher son secret à ceux qu'elle aime le plus, craignant la douleur de sa famille, le mépris de ses amis, le châtiment de son pays ; race maudite, persécutée comme Israël et comme lui ayant fini, dans l'opprobre commun d'une abjection imméritée, par prendre des caractères communs, l'air d'une race, ayant tous certains traits caractéristiques, des traits physiques qui souvent répugnent, qui quelquefois sont beaux, des cœurs de femme aimants et délicats, mais aussi une nature de femme soupçonneuse et perverse, coquette et rapporteuse, des facilités de femme à briller à tout, une incapacité de femme à exceller en rien ; exclus de la famille, avec qui ils ne peuvent être en entière confidence, de la patrie, aux yeux de qui ils sont des criminels non découverts, de leurs semblables eux-mêmes, à qui ils inspirent le dégoût de retrouver en eux-mêmes l'avertissement que ce qu'ils croient un amour naturel est une folie maladive, et aussi cette féminité qui leur déplaît, mais pourtant cœurs aimants, exclus de l'amitié parce que leurs amis pourraient soupçonner autre chose que de l'amitié quand ils n'éprouvent que de la pure amitié pour eux, et ne les comprendraient pas s'ils leur avouaient quand ils éprouvent autre chose, objet tantôt d'un dégoût qui les incrimine dans ce qu'ils ont de plus pur, tantôt d'une curiosité qui cherche à les expliquer et les comprend tout de travers, élaborant à leur endroit une psychologie de fantassin qui, même en se croyant impartiale est encore tendancieuse et admet a priori, comme ces juges pour qui un Juif était naturellement un traître, qu'un homosexuel est facilement un assassin ; comme Israël encore recherchant ce qui n'est pas eux, ce qui ne serait pas d'eux, mais éprouvant pourtant les uns pour les autres, sous l'apparence des médisances, des rivalités, des mépris du moins homosexuel pour le plus homosexuel comme du plus déjudaïsé pour le petit Juif, une solidarité profonde, dans une sorte de franc-maçonnerie qui est plus vaste que celle des Juifs parce que ce qu'on en connaît n'est rien et qu'elle s'étend à l'infini et qui est autrement puissante que la franc-maçonnerie véritable parce qu'elle repose sur une conformité de nature, sur une identité de goût, de besoins, pour ainsi dire de savoir et de commerce, en voiture dans le voyou qui lui ouvre la portière, ou plus douloureusement parfois dans le fiancé de sa fille et quelquefois avec une ironie amère dans le médecin par qui il veut faire soigner son vice, dans l'homme du monde qui lui met une boule noire au cercle, dans le prêtre à qui il se confesse, dans le magistrat civil ou militaire chargé de l'interroger, dans le souverain qui le fait poursuivre, radotant sans cesse avec une satisfaction constante (ou irritante) que Caton était homosexuel, comme les Juifs que Jésus-Christ était Juif, sans comprendre qu'il n'y avait pas d'homosexuels à l'époque où l'usage et le bon ton étaient de vivre avec un jeune homme comme aujourd'hui d'entretenir une danseuse, où Socrate, l'homme le plus moral qui fût jamais, fit sur deux jeunes garçons assis l'un près de l'autre des plaisanteries toutes naturelles comme on fait sur un cousin et sa cousine qui ont l'air amoureux l'un de l'autre et qui sont plus révélatrices d'un état social que des théories qui pourraient ne lui être que personnelles, de même qu'il n'y avait pas de Juifs avant la crucifixion de Jésus-Christ, si bien que pour originel qu'il soit, le péché a son origine historique dans la non-conformité survivant à la réputation ; mais prouvant alors par sa résistance à la prédication, à l'exemple, au mépris, aux châtiments de la loi, une disposition que le reste des hommes sait si forte et si innée qu'elle leur répugne davantage que des crimes qui nécessitent une lésion de la moralité, car ces crimes peuvent être momentanés et chacun peut comprendre l'acte d'un voleur, d'un assassin mais non d'un homosexuel ; partie donc réprouvée de l'humanité mais membre pourtant essentiel, invisible, innombrable de la famille humaine, soupçonné là où il n'est pas, étalé, insolent, impuni là où on ne le sait pas, partout, dans le peuple, dans l'armée, dans le temple ; au théâtre, au bagne, sur le trône, se déchirant et se soutenant, ne voulant pas se connaître mais se reconnaissant, et devinant un semblable dont surtout il ne veut pas s'avouer de lui-même - encore moins être su des autres - qu'il est le semblable, vivant dans l'intimité de ceux que la vue de son crime, si un scandale se produisait, rendrait, comme la vue du sang, féroce comme des fauves, mais habitué comme le dompteur en les voyant pacifiques avec lui dans le monde à jouer avec eux, à parler homosexualité, à provoquer leurs grognements si bien qu'on ne parle jamais tant homosexualité que devant l'homosexuel, jusqu'au jour infaillible où tôt ou tard il sera dévoré, comme le poète reçu dans tous les salons de Londres, poursuivi lui et ses œuvres, lui ne pouvant trouver un lit où reposer, elles une salle où être jouées, et après l'expiation et la mort, voyant s'élever sa statue au-dessus de sa tombe, obligé de travestir ses sentiments, de changer tous ses mots, de mettre au féminin ses phrases, de donner à ses propres yeux des excuses à ses amitiés, à ses colères, plus gêné par la nécessité intérieure et l'ordre impérieux de son vice de ne pas se croire en proie à un vice que par la nécessité sociale de ne pas laisser voir ses goûts ; race qui met son orgueil à ne pas être une race, à ne pas différer du reste de l'humanité, pour que son désir ne lui apparaisse pas comme une maladie, leur réalisation même comme une impossibilité, ses plaisirs comme une illusion, ses caractéristiques comme une tare, de sorte que les pages les premières, je peux le dire, depuis qu'il y a des hommes et qui écrivent, qu'on lui ait consacrées dans un esprit de justice pour ses mérites moraux et intellectuels, qui ne sont pas comme on dit enlaidis en elle, de pitié pour son infortune innée et pour ses malheurs injustes, seront celles qu'elle écoutera avec le plus de colère et qu'elle lira avec le sentiment le plus pénible, car si au fond de presque tous les Juifs il y a un antisémite qu'on flatte plus en lui trouvant tous les défauts mais en le considérant comme un chrétien, au fond de tout homosexuel, il y a un anti-homosexuel à qui on ne peut pas faire de plus grande insulte que de lui reconnaître les talents, les vertus, l'intelligence, le cœur, et en somme comme à tout caractère humain, le droit à l'amour sous la forme où la nature nous a permis de le concevoir, si cependant pour rester dans la vérité on est obligé de confesser que cette forme est étrange, que ces hommes ne sont pas pareils aux autres.
Marcel Proust, Contre Sainte-Beuve suivi de Nouveaux mélanges , Paris : Gallimard, 1954 (1908-1909).

Julien GREEN : « Nous [avec le père Marie-Alain Couturier] avons étendu cette discussion [sur les fautes charnelles] à l'homosexualité que j'avais appelé une sorte de malédiction, car on ne voyait pas, disais-je, comment un homme possédé par cet instinct peut légitimement se libérer, puisque le mariage ne lui est pas possible. Le père Couturier a protesté contre ce terme de malédiction. " S'ils souffrent plus que d'autres, soyez sûrs que Dieu les aime davantage " (c'est-à-dire que leur souffrance les rend plus chers à Dieu). " Mais pourquoi la chose existe-t-elle ? " demandai-je. Il n'a pas pu me répondre. »
Toute ma vie Journal intégral ** 1940-1945, 25 octobre 1943, Paris : Bouquins éditions, 2021.

RAGOÛT D'Italie / RAGOÛT DE DELÀ LES MONTS

" Ce jeune monsieur n'aimait pas les femmes : M. de Vendôme a toujours depuis été accusé du ragoût d'Italie. On en a fait une chanson autrefois :
« Monsieur de Vendôme
Va prendre Sodome. » "
Tallemant des Réaux, Historiettes, " Mademoiselle Paulet ", tome I (Gallimard, collection Bibliothèque de la Pléiade), page 474.



« On a un peu accusé M. de Schomberg [maréchal de France] d’aimer les ragoûts de delà les monts »
Tallemant des Réaux, Historiettes, " Le Page, ses deux femmes et sa fille ".


RAILLER, RAILLERIE

"Nicolas de Clémanges à Gerson : je passe sous silence les paillardises et les adultères, desquels ceux qui s'abstiennent ont accoutumé d'être l'objet des railleries et de la moquerie des autres ; on les appelle châtrés, ou l'on dit qu'ils sont sodomites."
Pierre Jurieu (1637-1713), Préjugés légitimes contre le papisme, Amsterdam, 1685 ; tome 1, chapitre XXVII, page 332.


« Je crois bien que le prince Max n'a pas l'humeur italienne, car ordinairement ce n'est pas le vice des bons et honnêtes allemands ; mais ici à la Cour je ne pense pas qu'on puisse trouver une demie douzaine de personnes qui n'en soient pas entachés. Quand Mr de Turenne sera donc de nouveau ici, il trouvera beaucoup d'amis aussi facilement qu'en Morée ; peut-être qu'il a consolé son oncle, le cardinal, de cette manière, dans son exil, car monsieur le cardinal ne déteste pas du tout la vie et avait toujours de bien beaux pages ; aussi il entendait bien raillerie sur ce sujet : j'ai vu une fois le duc de Villeroy lui amener un de ses pages, pour le lui montrer. C'était un garçon parfaitement beau, et ils riaient beaucoup là-dessus. »
Madame, princesse Palatine, lettre à Sophie de Hanovre, 27 septembre 1690.

"Les Français sont encore les inventeurs d'une autre manière d'exercer leur raillerie, en laquelle ils excellent sur toutes les autres nations, c'est en ces chansons plaisantes et malignes qui courent fréquemment, et dont les auteurs sont d'ordinaire inconnus ; elles ne sont jamais produites par les poètes de profession, ce sont des gens de la Cour, de la ville, ou des troupes qui, étant en débauche et plus échauffées par le vin que par l'amour du prochain, les font d'ordinaire à table et le verre à la main ; ce sont aussi quelquefois des dames peu charitables qui font contre d'autres dames, ou contre des hommes qui leur auront déplu, de ces chansons ingénieuses et plaisantes, dont le venin est d'autant plus dangereux, qu'étant animé par l'harmonie du chant et de la poésie, il s'insinue agréablement en flattant l'oreille des auditeurs et la malignité qui règne parmi les hommes, et que ces sortes de chansons s'apprennent avec beaucoup de facilité, et ne s'oublient pas si facilement. On y voit quelquefois des contre-vérités finement trouvées sur les défauts, et sur les bruits médisants qui ont couru des personnes dont elles parlent, quelquefois on y caractérise malicieusement ceux qu'on y fait parler, en leur faisant dire des choses qui conviennent à leurs faiblesses et à leur ignorance, ou à leurs autres défauts."
François de Callières (1645-1717), diplomate et académicien, Des bons mots et des bons contes …, 1692, discours sixième, " De la raillerie et des railleurs de notre temps ".

« Le prince de Ligne est bien heureux de ne pas vivre en Hollande, où il paraît qu’on n’entend pas raillerie aussi bien qu’ici. »
Jean Bouhier, lettre à Mathieu Marais, 7 août 1730.

Bouhier dit par là qu’en Hollande, où il venait d’y avoir plusieurs exécutions d’homosexuels, on était bien moins tolérant qu’en France.

Dans Spicilège, Montesquieu parle d’un passage d’Aristophane [Assemblée des femmes, 109-114] comme d’une « raillerie sur Alcibiade ».

 « Vraiment, cela devient insupportable, surtout avec ce sérieux et cette fade sentimentalité. De ce biais, c’est ridicule. Qu’on ne parle pas des Anciens ! Les mœurs ont changé. Le progrès se fait par la différenciation, comme l’a dit [Herbert] Spencer. D’ailleurs, Aristophane et les autres comiques ou satiriques ne se privaient point de railler, ni nos pères non plus, avec leur verdeur gauloise. Et puis, en voilà assez, et la mesure est comble ["elle commence seulement à se remplir craintivement", commentera André Gide]. »
Paul Souday, Le Temps, 4 février 1926.

Le concept d’homophobie a aujourd’hui partiellement remplacé et complètement dénaturé celui de raillerie.


RAMASSER DES ÉPINGLES, RAMASSER DES MARRONS/RAMASSEUR DE MARRONS

« Ramasser des épingles : Se livrer à la pédérastie passive. »
Hector France

Au XVIIIe siècle, il y avait des marronniers dans le jardin des Tuileries à Paris.

« Je suis ramasseur de marrons »
Décret en faveur des putains …, vers 1790.

Alfred Delvau :
Dictionnaire érotique moderne..., 1864.


« Dans le peuple on dit : – Il va ramasser des marrons dans l’allée des Veuves [aujourd’hui avenue Montaigne]. L’allusion est claire. (Argot du peuple). »
Charles Virmaître, Dictionnaire d’argot fin-de-siècle,
Paris : A. Charles, 1894, dans la définition de passif.


RAPPROCHEMENT DE SEXES SEMBLABLES

"Ce militaire [...] nous fit voir un coq qui, après avoir terrassé son adversaire, cherchait à le sodomiser, et insistant quelquefois jusqu'à l'éjaculation, quand l'ennemi battu était acculé de manière à ne pouvoir fuir. L'observateur prétendait avoir vu assez souvent les chiens se livrer au rapprochement de sexes semblables, et cela jusqu'à intromission ; il pensait que les mêmes influences climatologiques produisaient et ces accouplements chez les animaux et la sodomie chez l'homme."
Dr F. Jacquot, médecin de l'armée d'Afrique, " Des aberrations de l'appétit génésique ", Gazette Médicale de Paris, 28 juillet 1849.


REGAYIFIER

« On murmure que le Red Light souhaiterait « regayifier » son after du dimanche matin (ah, ah, je rigole), et que Laurent Garnier voudrait à nouveau jouer régulièrement pour les gays, comme à ses débuts. »
Yannick Barbe, Tétu, février 2004.

RÉGULIER

Robert de Saint Jean : « Il [l'écrivain François Mauriac] choisit définitivement vers la trentaine la voie régulière. »
Passé pas mort, III " En revenant de la revue " Paris : Grasset, 1983.

RENCULER

« 15. Il encule le prêtre tout en disant sa messe, et quand celui-ci a consacré, le fouteur se retire un moment ; le prêtre se fourre l’hostie dans le cul, et on le rencule quand par là-dessus. »
Marquis de Sade, Les Cent vingt journées de Sodome, 3e partie [1785], Paris : Gallimard, 1990, édition Michel Delon.

RETOURNER (SE)

« C’est à ce maître si connu [de Villette], si zélé pour les sectateurs de Gomorrhe, que je dois mes notions sur la fouterie à visage retourné, c’est un de mes passe-temps délicieux. »
Compère Mathieu, Suite des Pantins des Boulevards, 1791.

« Dans un autre coin, ce sont des blagues sur Oscar Wilde, au milieu desquelles j’entends Léon Daudet jeter dans un rire :"oh ! celui-là, sa mère, quand elle le regardait dans son berceau, a dû penser : ‘en voilà un qui saura se retourner !’ ". »
Edmond de Goncourt, Journal. Mémoires de la vie littéraire de 1851 à 1896, Paris : Fasquelle/Flammarion, 1956, 25 avril 1895.

RÉTROACTIF

« L’Univers sait que l’équivoque marquis de Villette est le Président perpétuel du formidable district des citoyens rétroactifs, partant zélé partisan de la Constitution, où tout est sens devant derrière. »
Andréa de Nerciat, Les Aphrodites, 1793, 1ère partie, troisième fragment, « À bon chat : bon rat ». Voir DEVANT/DERRIÈRE.



Alfred Delvau :
Dictionnaire érotique moderne..., 1864, Supplément.

RITE

« Ceux-là que sacre le haut rite »
Paul Verlaine, Parallèlement, "Ces passions …", 1889. Première publication du poème dans La Cravache parisienne, 2 février 1889, sous le titre Parallèlement.

RIVANCHER EN PROSE

« rivancher en prose : sodomiser, dans l’argot des voleurs. »
Pierre Leclair, Histoire des brigands, chauffeurs et assassins d’Orgères, Chartres, an VIII (1799).

L’explication est dans le sens de cul qu’avaient prose et proye ; cf emproseur. Selon Alfred Delvau, rivancher vient du verbe italien rivangare, retourner la terre avec une bêche.

RIVETTE

À la fin du XVIIIe siècle, ce mot est apparu avec un sens voisin de bardache ; on le rencontre dans l’écrit anonyme Vie privée et publique du ci-derrière marquis de Villette (1792) :

« Bougre en même temps et rivette
Le ci-devant marquis Villette
Pour les femmes et pour le con
Sent la plus vive aversion.
Sans être natif de Sodome,
À la femme il préfère l’homme,
Quand il est jeune, et neuf surtout,
Pourquoi pas ? Chacun a son goût. »

L’origine de ce sens est à chercher du côté de river, ou rivancher (action du coït selon Vidocq, 1837) ; cf rivancher en prose. L’équivalent anglais de river, soit to screw, a conservé son sens sexuel.

Vidocq a mis pour rivette : « Jeune sodomite. Les voleurs de province donne ce nom aux filles publiques. » (Les Voleurs, tome 2, page 65, 1837).

Chez Francisque Michel, il n’y a que le sens provincial « fille de joie, jeune débauchée. »

Selon le policier très kantien Canler, les rivettes formaient une des catégories de tantes :

« La quatrième catégorie se compose des rivettes. ceux-ci n’ont rien qui puisse les faire distinguer des autres hommes, et il faut à l’observateur, pour les deviner, la plus grande attention jointe à la plus grande habitude. On en rencontre à tous les degrés de l’échelle sociale. Pour satisfaire leur penchant, ces individus s’adressent de préférence à la jeunesse. Aussi les chanteurs s’attachent-ils plus particulièrement aux rivettes, qu’ils exploitent presque toujours avec succès. »
Louis Canler, Mémoires de Canler, ancien chef du service de sûreté, 1862.

Pour Moreau-Christophe, au contraire, les chanteurs se servaient de « l’appeau trompeur d’un succube, ou jeune rivette, rendu à leurs intérêts – un Jésus, comme ils l’appellent blasphématoirement. » (Variétés de coquins, 1865). Cet auteur opposait rivette à riveur ou incube.

« Rivette : De la famille des enculés. Homme qui vous déboutonne, vous prend de force et vous suce la pine. »
J. Ch[ou]x, Le Petit Citateur, 1881.

"Ceux qui ne recherchent qu'une satisfaction personnelle pour leur passion antiphysique, et qui payent les services qu'on leur rend, forment la première catégorie [de pédérastes]. Ce sont, à proprement parler, les vrais pédérastes ; on les désignent ordinairement sous le nom d'amateurs. On leur donne aussi le nom de rivettes."
François Carlier, Les Deux prostitutions. 1860-70, Paris : E. Dentu, 1887.

Virmaitre, Dictionnaire..., 1894.


RIVEUR

Moreau-Christophe a opposé rivette à riveur ou incube (Variétés de coquins, 1865).

ROCAMBOLE

Alfred Delvau :
Dictionnaire érotique moderne..., 1864, Supplément.
Les Aphrodites (1793), œuvre du romancier Andréa de Nerciat (1739-1800).

ROND

« Je vois que le grand d’Assoucy
Est aujourd’hui mal réussi,

Car hélas qu’aurait-il pu faire
Avec son luth et ses chansons
Auprès de vos vilains gitons
Et des déesses de Cythère ?

Le pauvre homme alors confondu
Eût quitté le rond pour l’ovale
Et se fût à la fin rendu
Hérétique en terre papale. »
Voltaire, lettre à  Jacques-François de Sade [oncle du marquis], 29 août 1733.

« Accourez, bougres, bardaches, bardachins et bardachinets, comtemplez et voyez si la mobilité de mon rond ne met pas en défaut la mobilité du vôtre. »
Les Enfants de Sodome à l’Assemblée natinale, 1790, discours de la Tabouret.

ROUSPAN(T), ROUSPANTEUR

Rouspan(t) viendrait de l’italien ruspanti, nom donné aux gitons du dernier grand-duc de Toscane.

« ROUSPANT. — Ils font chanter les pédérastes qu’ils soutiennent. Ce sont les "macs" de ces monstres. »
François Vidocq, Les Voleurs, tome 2, page 72, 1837.

Alfred Delvau :
Dictionnaire érotique moderne..., 1864.

« Rouspant. Proxénète pour le troisième sexe et ses admirateurs. »
Lucien Rigaud, Dictionnaire du jargon parisien - L'argot ancien et l'argot moderne, Paris : Paul Ollendorff, 1878.

« ROUSPANT : Homme qui fournit des sujets aux tantes. C'est le procureur des pédérastes (Argot des souteneurs). »
Charles Virmaître, Dictionnaire d'argot fin-de-siècle, Paris : A. Charles, 1894. Noter là encore
la surdétermination, deux termes du lexique en renfort pour en définir un troisième.

« Rouspan : complice de pédéraste qui arrive au moment psychologique et se fait passer pour agent des mœurs, pour faire chanter le client. »
Hector France. Dictionnaire de la langue verte : archaïsmes, néologismes, locutions étrangères, patois, Paris : Librairie du Progrès, 1907. Réédition par Nigel Gauvin en 1990.



Lettre S

mardi 25 octobre 2022

DFHM : Tafiole à truqueur en passant par tante, tapette, tour des mignons et troisième sexe

Page de mon Dictionnaire français de l'homosexualité masculine.


Lettre S
Lettres U et V

Table du DFHM


TAFIOLE, TAFFIOLE

" T'as raison Doctor avec son pseudo de TAFIOLE il faut se méfier de notre petit cul. "
le gros
Forum de MX2K.com, 23/09/2002

" dirty_sanchez
MP 27 juillet 2003
ya que des tafioles ici ces alex qui me la dit bon allez aurevoir @+++ "
Forum de jeuvideo.com
  
« Tafiole nom féminin. 1. Homosexuel passif : « Regarde moi cette tafiole avec son débardeur rouge et son pantalon en sky ! » Syn. tapette, [tarlouse], tarlouze. - 2. Homme lâche, couard. Syn. tarlouze. »

« -- Nous allons créer une loi contre l'homophobie
Sûr qu'on est d'accord avec toi
Mais c'est pas nous qu'on fait la loi
On ne peut plus rien dire
-- Mais alors une vraie loi, pas une loi de taffiole... euhh... enfin de... »
Didier Bourdon, On peuplu rien dire, 2005.

« Jeudi prochain, France 2 diffusera un Complément d’enquête consacré à la députée LFI (et très proche de Jean-Luc Mélenchon) Sophia Chikirou [née en Haute-Savoie de parents kabyles], dont les premiers extraits teasés sont accablants. On découvre des messages internes au Média, la web-télé proche du mouvement mélenchoniste et un temps dirigé par Chikirou, dans laquelle cette dernière ironise sur le malaise d’un salarié parti aux urgences ou l’arrêt maladie d’une autre. Après la diffusion de la fake news d’un mort à la fac de Tolbiac, certains journalistes du Média demandent un communiqué rectificatif. Réaction de Chikirou : « Ils le font, le signent et se le mettent dans le cul profond. Cette bande de tafioles de merde. » » (Libération, 29 septembre 2023).

TANTE

Dans l’argot des prisons du début XIXe siècle, la tante a d’abord été la femme du concierge de la prison (le concierge étant l’oncle) ; c’est le seul sens signalé par Ansiaume en 1821 ; le sens homosexuel apparaît en 1834 :

« Le célibat fit naître les Templiers et les Jésuites ; le Code pénal a donné naissance à une nouvelle race d'hommes, aux tantes de La Force [ancienne prison de Paris, dans le Marais] ; car c'est ainsi que l'on nomme ces monstruosités. »
François Vincent Raspail (1794-1878), Le Réformateur, 11 décembre 1834.

Le Vocabulaire argot-français du même auteur donne (en 1835) cette définition :
« Tante : Homme qui a les goûts des femmes, la femme des prisons d’hommes. » (Vocabulaire publié dans le n° 346 du Réformateur, le 20 septembre 1835).

Définition reprise mot pour mot par Eugène-François Vidocq (1837), qui la fait suivre de ce long commentaire :





Vidocq, Les voleurs..., tome 2, 1837.

« Tante : Sodomiste pour son compte ».
Anonyme [Pierre Joigneaux ?], L’Intérieur des prisons, 1846.

" pour son compte " peut s’entendre homosexuel par goût ou par nature, contrairement à ceux qui ne pratiquent l’amour masculin que faute de mieux, ou par intérêt financier. L’année suivante le mot figura dans la dernière partie de Splendeurs et misères des courtisanes de Balzac :

« – Je ne mène pas là Votre Seigneurie, dit-il, car c’est le quartier des tantes
– Hao ! fit lord Durham, et qu’est-ce ?
– C’est le troisième sexe, milord. »
[…]
« oh ! j’y suis, dit Fil-de-soie, il a un plan ! il veut revoir sa tante qu’on doit exécuter bientôt. »

Ambroise Tardieu ne semble avoir reconnu en 1857 que le sens de prostitué :

« Nous verrons plus tard dans quelle classe se recrutent ceux qui sont descendus assez bas pour faire un métier de leur corps et se livrer aux souillures des passions antinaturelles que le plus souvent ils ne partagent pas. Car les jeunes garçons que flétrit le nom de tantes, sont souvent attachés à des femmes chez lesquelles ils attirent et reçoivent habituellement les pédérastes. »
Étude médico-légale 

« Enfants, on les appelle mômes ou gosselins, adolescents ce sont des cousines, plus âgés, ce sont des tantes. »
Lorédan Larchey, « Dictionnaire des excentricités du langage », Revue anecdotique des excentricités contemporaines, n° 5, septembre 1859. Entrée reprise telle quelle dans Les Excentricités du langage français, 1861, sauf la correction " à feu lord ".

« Les antiphysitiques, que l'on nomme ordinairement tantes, se divisent en quatre catégories entièrement distinctes les unes des autres par les habitudes, le costume et le caractère .
Ce sont :
1° Les persilleuses ;
2° Les honteuses ;
3° Les travailleuses ;
4° Les rivettes.
[...]
En résumé, semblable au caméléon qui change, non de forme, mais de couleur, la tante est tantôt appelée tapette, tantôt serinette ; elle est désignée par les marins sous le nom de corvette, mais elle reste toujours un objet d’opprobre.
[...]
Lacenaire, qu'on s'est plu à représenter comme une tante, était à peine sorti de la prison de Poissy qu'il s'empressa d'avoir une maîtresse.
[...]
Pour compléter le tableau des mœurs honteuses que je viens de signaler, j'ajouterai que de 1834 à 1840, un nommé C***, portant le sobriquet de mère des tantes, tint une maison garnie rue de Grenelle-Saint-Honoré ; c'était le réceptacle de ce qu'il y avait de plus immonde dans la capitale ; une sorte de maison de tolérance en partie double, au choix des amateurs. »
Louis Canler, Mémoires de Canler, ancien chef du service de sûreté, chapitre XXXIII " Les antiphysitiques et les chanteurs ", Paris : J Hetzel, 1862.

Alfred Delvau :
« TANTE. Fils d'Hermès et d'Aphrodite, d'après M. de Chompré, — qui n'avait pas lu la brochure du Dr Tardieu :
" Ceux qu'on appelle des tantes, c'est-à-dire ceux qui se prostituent aux véritables pédérastes. » (Dictionnaire érotique moderne..., 1864.
Deux ans plus tard, le mot était devenu synonyme de tapette dans l’argot des faubouriens
(Dictionnaire de la langue verte, 2e édition, 1866), et, comme par Honoré de Balzac, associé à la notion de troisième sexe.

Louis Rigaud :
« Tante. Homme-femme que Balzac a appelé le troisième sexe, et Vidocq la femme des prisons d'hommes. »
dans 

« TANTE : Pédéraste, homme à double face qui retourne volontiers la tête du côté du mur (Argot du peuple). N[ouveau]. »
Charles Virmaître, Dictionnaire d'argot fin-de-siècle, Paris : A. Charles, 1894.

« Le pédéraste trouve quand il en trouve un autre une sorte de prédestination que ne trouve pas l’amoureux. Mais voudrait une non tante mais vite croit demi tante une tante qui lui plaît. Il voudrait et croit trouver des non tantes, car emplissant son désir bizarre de tout le désir naturel, croit avoir un désir naturel dont il peut retrouver l’échange hors de la pédérastie. »
Marcel Proust, Carnet, 1908, f° 12.

« Balzac, avec une audace que je voudrais bien pouvoir imiter, emploie le seul terme qui me conviendrait « Oh! j’y suis dit Fil de soie, il a un plan! il veut revoir sa tante qu’on doit exécuter bientôt. Pour donner une vague idée du personnage que les reclus, les argousins et les surveillants appellent tante, il suffira de rapporter ce mot magnifique du directeur d’une des maisons centrales au feu Lord Durham qui visita toutes les prisons pendant son séjour à Paris… Le directeur désigna du doigt un local en faisant un geste de dégoût : „Je ne mène pas ici Votre Seigneurie, dit-il, car c’est le quartier des tantes… – Hao, fit Lord Durham, et qu’est-ce ? – C’est le troisième sexe, Milord.” » (Balzac, Splendeur et misère des courtisanes [IV " La dernière incarnation de Vautrin].). Ce terme conviendrait particulièrement, dans tout mon ouvrage, où les personnages auxquels il s’appliquerait, étant presque tous vieux, et presque tous mondains, ils seraient dans les réunions mondaines où ils papotent, magnifiquement habillés et ridiculisés. Les tantes ! on voit leur solennité et toute leur toilette rien que dans ce mot qui porte jupes, on voit dans une réunion mondaine leur aigrette et leur ramage de volatiles d’un genre différent. « Mais le lecteur français veut être respecté » et n’étant pas Balzac je suis obligé de me contenter d’inverti. Homosexuel est trop germanique et pédant, n’ayant guère paru en France – sauf erreur – et traduit sans doute des journaux berlinois, qu’après le procès Eulenbourg [1907-1909]. D’ailleurs il y a une nuance. Les homosexuels mettent leur point d’honneur à n’être pas des invertis. D’après la théorie, toute fragmentaire du reste, que j’ébauche ici, il n’y aurait pas en réalité d’homosexuels. Si masculine que puisse être l’apparence de la tante, son goût de virilité proviendrait d’une féminité foncière, fût-elle dissimulée. Un homosexuel ce serait ce que prétend être, ce que de bonne foi imagine être, un inverti.  »
Marcel Proust, " Esquisses IV " (cahier 49), À la recherche du temps perdu, tome III, Paris : Gallimard, 1988, édition d'Antoine Compagnon.

Francis Carco : « Des fois, quand il apprend qu'une femme a trompé son homme avec une tante, c'est lui qui s'trouve comme cocu et qui veut se venger. »
Jésus-la-Caille, 1ère partie, IV, Paris : Mercure de France, 1914.

« Tante : sorte particulière d'inverti, pédéraste […] Tante : pédéraste. »
Henri Bauche, 1920, 1946.

« Un pédéraste, une "tante", une "tapette", font partie du vocabulaire comique et de celui de l’indignation, tout comme "boche" pendant la guerre. De telles associations sont révélatrices : elles signifient que quelle que soit la valeur du jugement porté, cette valeur n’aura jamais l’occasion d’être appréciée, puisque le mot lui-même, l’appellation, entraîne automatiquement la sentence. »
Ramon Fernandez, André Gide, Paris : Correa, 1931.

Tante en étant arrivé à désigner l’homosexuel en général, le besoin d’une summa divisio entre actifs et passifs fut ressenti par Jean Genet qui forgea les composés tante-fille et tante-gars dans son roman Notre-Dame des Fleurs (1944).

Julien Green : « Hier promenade délicieuse sur les quais avec D.P. [Robert de Saint Jean] Un charmant mulâtre à visage de jeune fille. Serré la main à Jean Robert sur le pas de sa petite librairie. Il y a vingt ans, c'était le garçon le plus gracieux qu'on pût têver. Aujourd'hui, une grande tante ridée. Pauvre garçon. »
Toute ma vie Journal intégral 1946-1950, 19 mars 1950, Paris : Éditions Bouquins, 2021.

« Pour les hétérosexuels, tout pédéraste, [André] Gide ou le petit gigolo de Pigalle [quartier chaud de Paris], étant une tante, il a bien fallu que les homosexuels trouvent un mot pour définir cette forme particulière d’inversion qui s’accompagne d’un travestissement symbolique ou effectif. La "folle" est au pédéraste ce que le juif âpre et cynique est à "l’israëlite" : une revendication de sa caricature. Et le pédéraste convenable fréquente aussi peu la "folle" que le juif bourgeois le "pollak" ».
Roger Stéphane [R. Worms], Parce que c’était lui, Paris : La Table Ronde, 1953 [Texte repris en 1989 dans Tout est bien].

Dans son séminaire Le Transfert (1960), le psychanalyste Jacques Lacan décrivait ce que rapporte Platon dans Le Banquet comme « une assemblée de vieilles tantes ». On le lui a beaucoup reproché.

« Si ma tante en avait on l’appellerait mon oncle, et si mon oncle en était on l’appellerait ma tante. »
Pierre Dac [André Isaac], Les Pensées, Paris : Éditions de Saint-Germain des Prés, 1972. Souvent cité de manière incomplète. L'origine de la première partie se trouve chez Charles Virmaitre : " SI MA TANTE ÉTAIT UN HOMME. Cette expression est employée communément dans le peuple pour exprimer l'absence de la virilité de la femme : Si ma tante en avait elle serait colonel dans la garde nationale (Argot du peuple). " (Dictionnaire d'argot fin-de-siècle, 1894).


TANTOUSE, TANTOUZE, TANTOUSARD

Tantouze  relevé dès 1899 par le jeune apache et détenu lyonnais condamné à mort Nouguier.

Pierre Devaux : « Du vent, tout : les guincheurs, les gouines sapées comme des mecs et les jolies tantouses qui faisaient des touches avec des caves. »
Jésus-la-Caille traduit en langue verte, , première partie, IV, Paris : Éditions de la Nouvelle revue critique, 1939.

« On dirait de lui : " Fleurier, vous savez bien, ce grand blond qui aime les hommes ? " Et les gens répondraient : "Ah ! oui. La grande tantouse ? Très bien, je sais qui c’est." »
Jean-Paul Sartre, L’Enfance d’un chef, dans Le Mur, Paris : Gallimard, 1939.

« Savez vous quel député a dit, à la buvette de l'Assemblée après le premier échec de la proposition de loi sur le PACS, cette jolie phrase : " Fallait pas rêver, on allait quand même pas se démener et monter à Paris rien que pour le mariage des tantouzes " ? Monsieur Henri EMMANUELLI [1945-2017], député (socialiste) des Landes ... clâsse, non ? »
Lu sur le site web du Nouvel Obs le 9 octobre 2002.

TAPETTE, TAPETTERIE

« M. Hiltbrunner, directeur [de 1953 à 1857] du Théâtre des Délassements [comiques] : " Mes acteurs […] sont tous maquereaux ou tapettes. " »
Edmond et Jules de Goncourt, Journal. Mémoires de la vie littéraire de 1851 à 1896, Paris : Fasquelle/Flammarion, 1956, année 1854.

Terme signalé par Lorédan Larchey dans son article de septembre 1859 comme synonyme de tante :
Repris au quasi identique dans Les Excentricités du langage français, Paris : Aux bureaux de la Revue anecdotique, 1861 :




« En résumé, semblable au caméléon qui change, non de forme, mais de couleur, la tante est tantôt appelée tapette, tantôt serinette ; elle est désignée par les marins sous le nom de corvette, mais elle reste toujours un objet d’opprobre. »
Louis Canler, Mémoires, 1862.

Alfred Delvau, Dictionnaire érotique moderne..., 1864 :

« Un petit bonhomme gras et douteux, éphébique et féminin, avec sa tête d’Alsacienne, les cheveux blonds, en baguettes, tombant droit de la raie du milieu de sa tête, en redingote allemande de séminariste, dans l’ouverture de laquelle se flétrit un peu de lilas blanc, – tapette étrange et inquiétante. »
Edmond et Jules de Goncourt, Journal. Mémoires de la vie littéraire de 1851 à 1896, Paris : Fasquelle/Flammarion, 1956, 4 mai 1865.

En 1866, Alfred Delvau donnait cette autre définition : « Individu faisant partie du troisième sexe »
et considérait le terme comme synonyme de tante.

Lucien Rigaud :
Dictionnaire du jargon parisien — L'argot ancien et l'argot moderne,
Paris : Paul Ollendorff, 1878.

« Lorsqu’ils se trouvent plusieurs réunis dans l’intimité, c’est un caquetage assourdissant entremêlé d’éclats de voix aigres qui pourrait faire douter de leur raison. C’est cet amour immodéré du verbiage qui leur a valu le surnom de tapettes. »
Félix Carlier, chef de la brigade des mœurs à la Préfecture de police de Paris entre 1850 et 1870, La Prostitution antiphysique, 1887.

Virmaitre : « TAPETTE : Pédéraste passif, il se fait taper dans le tas (Argot du peuple). N[ouveau]. » (Dictionnaire..., 1894.

« Le Complaisant, la Tapette, la Fille, car ce n’est que de cette manière qu’ils s’appellent entre eux – ces singularités vivantes – naissent généralement en tout semblables à des créatures féminines. »
Arthur W., 1874, dans Henri Legludic, Notes et observations de médecine légale, I Attentats aux mœurs, Paris : Masson, 1895.

« Il [un personnage envisageant de s’épiler] risquait d’avoir l’air d’une tapette, et non d’un petit garçon. »
Alfred Jarry, Les Jours et les nuits, 1897.

« Les hétéros nous condamnent impitoyablement, nous sommes des lopes, des tantes, des tapettes, on nous abaisse plus bas que le dernier des crapuleux …, eux sont jugés et condamnés, nous, nous sommes méprisés. »
Inversions, n° 4, mars 1925.

Julien Green sur Jean Weber : « Plus vieux, un peu flétri, un peu plus tapette, mais si désirable dans son costume de soie bleue et ses cheveux jaunes »
Journal intégral 1919-1940, 20 septembre 1928, Paris : Robert Laffont, 2019.

Julien Green : « [Oscar-Paul Gilbert] me parle beaucoup du  grand bal du Magic City qui réunit trois à quatre cents tapettes et autant de curieux, chaque mardi gras. Effroyables salauderies, paraît-il, entre 1 heure et 1 heure et demis du matin. [Jean] Desbordes et Le Masle doivent triompher dans ce genre de fête. »
Journal intégral 1919-1940, 11 février 1929, Paris : Robert Laffont, 2019.
« [Jean Desbordes] me vante la rue de Lappe et ses scandaleux marins dont les pantalons, dit-il, ont trop de poches sur le devant, ce qui, dans la marine, représenterait le comble de la tapetterie. »
25 mars 1929.
« Gide a aussi raconté que le jeune Berge s'est fait prendre dans le Tiergarten à Berlin, dan une posture sans équivoque, et naturellement ave une tapette qu'il avait levée, sans doute dans la Schule Allee. Mais le  schupo l'a laissé partir après lui avoir demandé ses papiers. »
24 septembre 1929.
« [Christian] Dior est un jeune homme doux et rose, l'air assez tapette quoiqu'il soit marié ; extrêmement correct et réservé, il n'est guère beau et paraît d'intelligence assez modeste, mais il a la sensibilité d'une dame, à fleur de peau, et son amour de la peinture est sincère, me semble-t-il.
[...]
Sur la plate-forme d'un l'autobus, trois jeunes gens ravissants, beaucoup trop pour me plaire tout à fait, parlaient du Bœuf. Ils étaient vêtus d'imperméables noirs et portaient des cols très bas destinés à montrer leurs cous : nu-tête, comme toute tapette qui se respecte. »
29 décembre 1930.

« Un pédéraste, une "tante", une "tapette", font partie du vocabulaire comique et de celui de l’indignation, tout comme "boche" pendant la guerre. De telles associations sont révélatrices : elles signifient que quelle que soit la valeur du jugement porté, cette valeur n’aura jamais l’occasion d’être appréciée, puisque le mot lui-même, l’appellation, entraîne automatiquement la sentence. »
Ramon Fernandez, André Gide, 1931. (Comme c’est le cas aujourd’hui, par une curieuse ironie de l’histoire, des termes homophobe ou islamophobe).

« Trois jours auparavant, c’était un môme dans le genre mièvre, ça peut plaire ; mais maintenant il avait l’air d’une vieille tapette, et je pensais qu’il ne redeviendrait plus jamais jeune, même si on le relâchait. »
Jean-Paul Sartre, Le Mur, « Le mur », 1939.

« Sonneraient-elles plus fort les divines trompettes
Si comme tout un chacun j’étais un peu tapette »
Georges Brassens, Les Trompettes de la renommée, 1962.

« On dit que je suis misogyne. Mais tous les hommes le sont. Sauf les tapettes. »
David Douillet, L’Âme du conquérant, 1998.

« Pour pas mal de jeunes clubbeurs de moins de 25 ans, être vieux signifie, en langage tapette, avoir plus de 40 ans. »
Night and day, Agenda de Têtu, juillet-août 2004.

TARLOUSE, TARLOUZE, TARLOUZELAND

« Qu’on soit tarlouze ou hétéro
C’est final’ment le même topo
Seul l’amour guérit tous les maux
Je te le souhaite et au plus tôt. »
Renaud/Séchan, Petit pédé (2002).
        


" LA JUGE : Le 19 octobre 2015, conversation téléphonique numéro 29, vous semblez très inquiet de votre mise en cause et vous qualifiez M. Valbuena de « tarlouze ». Vous mettez en place une stratégie pour répondre aux rumeurs dans la presse. Pourquoi une telle crainte alors que vous êtes particulièrement exposé à la presse ?

Karim Benzema. : Je n’étais pas inquiet, mais énervé plutôt. Je n’étais que énervé. C’est ceux qui s’occupent de ma communication qui ont trouvé cette phrase. Maintenant, j’ai une famille, je deviens fou quand on invente des histoires. Si j’avais été entendu, pas de problème, mais là je n’avais même pas été entendu et, dans la presse, on me dit que je fais partie d’un chantage. Forcément, je suis énervé. Je me suis dit qu’il [Valbuena] était allé me dénoncer à la police, alors que j’étais allé le voir. Après, « tarlouze », on peut le dire à tout le monde, à ses amis, à ses potes. Pour moi, pour la nouvelle génération, c’est amical. Ce n’est pas une question d’être inquiet ou je ne sais pas quoi, c’est juste énervé. Encore une fois, je suis dans la presse, encore une fois on parle de moi. C’est pour cela que j’ai employé ce mot-là. " (" Affaire de la « sextape » : ce que Benzema a dit [le 5/11] à la justice ", LE MONDE.fr, 2 décembre 2015.

TASSE

« La grande masse des invertis dédaigne souverainement ceux qui papillonnent ainsi de tasse en tasse […] Tasse : en argot pédérastique désigne un urinoir. »
Michel DuCoglay, Chez les mauvais garçons. Choses vues, 1937.

Pierre Devaux : « Il avait pas assez de cran pour maudire les macs qui défendaient le biseness et le prestige de leurs gagneuses contre la gigolaille et les truqueurs des tasses. »
Jésus-la-Caille traduit en langue verte, 1ère partie, II, Paris : Éditions de la Nouvelle revue critique, 1939.

TATA

Signalé en 1881 par Émile Chautard.

« TATA : Dans le monde des ''équivoques'', une ''tata'', c'est le 'passif'' »
Charles Virmaître, Dictionnaire d'argot fin-de-siècle, Paris : A. Charles, 1894.

« Tata : pédéraste passif, pédéraste. »
Henri Bauche, 1920.

« Ta ta ta, ta la ta ta, prout prout !
Ta ta ta, ta la ta ta, prout prout !
Ta ta ta, ta la ta ta, prout prout !
Ta ta ta, ta la ta ta, prout prout ! »
Refrain de la chanson de Fernandel « On dit qu’il en est. » (1968)

TATALAND

Le chanteur Dave, à la télé, vers l’an 2000, pour désigner le milieu homo de la capitale.

TBM

Dans les petites annonces de rencontre, signifie très bien monté.

TENDRE SA ROSETTE
Dictionnaire érotique..., 1864 et 2e édition.
La précision « par un homme » est pléonastique...

TERRE JAUNE

« Les pédérastes sont les chevaliers du trou à la terre jaune (Argot du peuple). »
Charles Virmaître, Supplément..., Paris : A. Charles, 1895.

" Voyage en terre jaune avec le garçon " (deuxième colonne)


Terre-jaune : sf. pédérastie. Faire dans la terre jaune. "
Henri Bauche, Le Langage populaire, Payot, 1920.

Terre jaune : Faire dans la terre jaune, se livrer à la pédérastie.
Henri Bauche, op. cit., éd.1928.

« Pour le rond, pour le dix et pour la terre jaune,
Une chiée à la dent, mais j'ai l'estomme en vrac
À les imaginer, deux par deux, cul à trac
La dossière et le zob à la mode d'Ancône.

Tel empapahouta chez nous demande aumône
Aux louchébems ou aux sergots ou même aux macs,
Tels autres sont mordus pour des girons, des jacks
Pour un télégraphiste, enfin pour un beau môme,

Les frères mirontons n'en demandent pas tant,
La ficelle, elle seule, émeut leur palpitant,
Par discipline ils se font donc dorer la rose.

Passe encor de se faire emmancher par un dur
Ou d'aller au petit d'un mignon, d'un pas mûr,
Mais pour l'Oberleutnant se défoncer le prose ! »
Cancale [Robert Desnos], « Frères mirontons », " À la caille ", Messages, n° 11, 1944 ; repris dans Poésie 45, n° 26-27, août-septembre 1945.

Terre jaune (amateur de) : Pédéraste.
Exemple. - Si tous les amateurs de terre jaune connus et inconnus à Paris se tenaient le petit doigt, on aurait vite rempli la place de la Concorde! "
Pierre Perret, Le Petit Perret illustré par l'exemple, J. Cl. Lattès, 1982.

« Voyage en terre jaune. »
France-Inter, 29 avril 1999.

TERRIEN

ROBERT DE SAINT JEAN (1901-1987) : « Le sentiment de faire partie sexuellement d'une minorité alors sévèrement condamnée par la foule aiguillonnait son esprit. Il [Lucien Daudet] côtoyait dans la société beaucoup d'hommes qui éprouvaient les même inclinations que lui tout en les cachant soigneusement, et l'hypocrisie le révoltait. Il n'employait pas les mots  " hétérosexuel", ou " homosexuel ", termes un peu bien savantasses à son gré, et avait inventé une autre classification : les " terriens " pour désigner ceux, innombrables, qui sont attirés par les femmes et pour les autres il disait les " planétaires ". Des " terriens " devenus par la curiosité d'un moment " planétaires " en catimini, il affirmait : " Ce sont ceux-là qui condamnent en public l'amour des garçons avec le plus de violence... [...] — Pourquoi, demandait-il, cette soudaine irruption de l'homosexualité — de la " planète ", disait-il — dans les livres de nombreux écrivains après 1918 ? Pourquoi cette nappe souterraine affleurait-elle en mille sources ? Cette inclination a existé pendant tous les siècles non seulement chez les Grecs, dont on parle toujours à tort et à travers, mais dans les mœurs, au XIIe siècle par exemple. Toutefois l'expression en a été presque totalement interdite par une morale régnante tyrannique. Pourquoi après l'armistice (et déjà un peu avant 1914) a-t-on vu cette avalanche de confession, les unes voilées, les autres franches. [...] Lucien acheva lui-même un roman, la Planète, qu'il me fit lire en manuscrit et dont le personnage principal était un étudiant en médecine. L'œuvre fut annoncée " À paraître " dans son dernier livre imprimé. Qu'est devenu ce texte ? Détruit par souci de respectabilité — c'est une supposition — de la blanche main des héritiers ? » Passé pas mort, III " En revenant de la revue [Revue hebdomadaire] ", Paris : Grasset, 1983, page 228-229.

TINTEUR

« TINTEUR. Jeune sodomite. »
François Vidocq, Les Voleurs..., tome 2, page 167, 1837.

« TINTEUR. Pédéraste passif. »
Alfred Delvau, Dictionnaire érotique moderne..., 1864.

TIRER PAR DERRIÈRE

« N’ayant plus les moyens d’avoir des femmes, nous nous trouvons réduits à la malheureuse nécessité de nous amuser entre nous et de tirer par derrière, n’ayant point l’argent nécessaire pour tirer par devant, c’est-à-dire pour bourrer, pour enfiler des cons. »
Le Bordel apostolique institué par Pie VI pape en faveur du clergé de France, « Supplique », 1790 [BnF Enf 602].

TOUR DES MIGNONS

« La duchesse de La Ferté a dit qu’on remarquait dans l’histoire que la galanterie des rois roulait, l’un après l’autre, sur les hommes et sur les femmes, qu’Henri II et Charles IX aimaient les femmes, et Henri III les mignons ; Henri IV aimait les femmes. Louis XIII les hommes, Louis XIV les femmes et qu’à présent le tour des mignons était revenu. »
Mathieu Marais, Journal et Mémoires, août 1722.

« Le propre jour que le maréchal de Villeroy est venu à Versailles, on a découvert que le jeune duc de La Trémouille, premier gentilhomme du Roi, lui servait plus que de gentilhomme, et avait fait de son maître son Ganymède. Ce secret amour est bientôt devenu public, et l’on a envoyé le duc à l’Académie avec son gouverneur pour apprendre à régler ses mœurs. Le Roi a dit que c’était bien fait. Voilà donc le tour des mignons et l’usage de la Cour de Henri III. »
Id., ibid., 27 juin 1724.
               
TOURNER LE DOS

« Monsieur de Vendôme
Assiège Sodome
De blainville et Courtenvaux
Lui livrèrent un bel assaut ;
Sont-ce pas de braves hommes
De tourner ainsi le dos ?
Recueil Maurepas, BnF, mss fr 12616, vers 1632, tome 1, p. 421.

« Sans aller à la guerre, il [Nicolas Vauquelin] sait faire tourner le dos aux hommes, et […] a appris il y a longtemps l'art de dompter et de subjuguer. Je sais cet horrible secret d'un jeune gentilhomme de mes amis, quo non formosior alter, et sur la  pudicité duquel ce frère a eu de très dangereux desseins, lorsqu'ils étaient ensemble à l'Académie ou au collège. »
Lettre de Guez de Balzac à Jean Chapelain, 3 octobre 1644 (Lettres, Paris : Imprimerie Nationale, 1873)  

TRANSGENRE, TRANS-GENRE

« À partir de 2006, le système fiscal néerlandais sera remis à plat, et c'est le service des impôts (Belastingdienst) qui centralise tous les systèmes d'aide, avec l'aide des employeurs: ceux-ci sont chargés d'envoyer, une seule fois, les informations qu'ils détiennent sur leur employés. La nouveauté, c'est que la catégorie du genre s'étend : l'employeur a le choix entre «homme», «femme», «incertain» et «inconnu». Il s'agit d'une révolution assez importante qui satisfera les transgenres résidant aux Pays-Bas. Le CBS, le bureau central des statistiques, pourra désormais savoir combien de personnes n'entrent pas dans les catégories « homme » ou « femme », dont le nombre était jusqu'alors estimé de façon approximative. »
Laurent Chambon, http://www.tetu.com , 1er septembre 2005

« La notion de genre, introduite en France par des folles à la fin du XXe siècle (glorieuse période des drag-queens) et revitalisée par le queer américain prend un chemin traditionnellement féministe où les questions homosexuelles et particulièrement masculines sont de nouveau mises sous le boisseau. Après avoir beaucoup participé à la popularisation de cette première mouture, Patrick Cardon, pour éviter tout malentendu et pour échapper définitivement aux nouvelles tentatives de réification, propose d’utiliser le terme et la notion universelle de trans-genre qui recouvrirait celles déconstructivistes de queer, de postcolonial, et d’études culturelles afin de donner intelligemment leurs places à TOUTES les diversités en dehors de tout binarisme et dans une prévision d’hybridité annoncée. […] J’utiliserai la graphie « transgenre » lorsqu’il s’agira de transgenre sexuel [???] et celle de « trans-genre » lorsqu’il s’agira de la notion plus large que j’essaie de défendre ici.» Patrick Cardon, 2009.

TRANSHOMOSEXUALITÉ

Forte attirance pour les homosexuels du sexe opposé (Jacques Corraze, L’Homosexualité, Paris ; PUF, 2000, collection " Que sais-je ? ").

TRAVELO, TRAVELOPHOBE, TRA(NS)VESTI,  TRA(NS)VESTISME

« Bien qu’il puisse y avoir parfois des associations avec l’homosexualité, les travestis ne sont pas à mettre, d’ordinaire, parmi les homosexuels. »
« Les ambiguïtés sexuelles », Cahiers Laënnec, n° 2, juin 1962.

« Les homosexuels "efféminés", les "hypervirils", les pédérastes, les travestis,  etc (pour ne parler que des comportements des homosexuels du sexe masculin), doivent pouvoir faire entendre leurs revendications propres, par et avec les moyens du groupe.
Cependant, les revendications communes seront toujours placées au premier plan. »
Manifeste programme pour la libération des homosexuels, Paris, 1975.

« Parmi les 504 transvestis de Prince et Bentler, 1972, il n’y avait que 1 % d’homosexuels. »
Jacques Corraze, L’Homosexualité, Paris ; PUF, 2000 (6e édition mise à jour).

« Travestisme : adoption, par certains sujets atteints d’inversion sexuelle, des vêtements et des habitudes sociales du sexe opposé. »
Petit Larousse, 1986.

« J'aime pas les travelophobes. »
Capitaine Marleau, " Brouillard en thalasso ", 2016.

TRICK

"Trick, c'est la rencontre qui n'a lieu qu'une fois : mieux qu'une drague, moins qu'un amour : une intensité, qui passe, sans regret."
Roland Barthes, Préface à Tricks, 1979.

« Il faut, pour qu'il y ait trick, que quelque chose se passe ; et précisément : du foutre, à parler sadien. »
Renaud Camus, Tricks, note liminaire, 1979.

« Le trick, s'il n'est pas consubstantiel de l'homosexualité, semble bien lui être, en revanche, dans une large mesure, spécifique, et s'y pratiquer, aujourd'hui encore, infiniment plus souvent que dans l'hétérosexualité. »
Renaud Camus, Tricks, note à la deuxième édition, 1982.

« On a plus d'exigence à l'égard d'un trick, qu'on ne reverra pas, que d'un éventuel objet d'amour, qui dès lors transcende les genres. »
Renaud Camus, Journal 1995, 2000.

TROISIÈME SEXE

On a parlé de sixième sens pour désigner, suivant les auteurs, soit le sens esthétique (Denis Diderot), soit le sens voluptueux ou génésique (Voltaire, Brillat-Savarin) ; cela a pu inspirer l’idée d’un sexe supplémentaire.
Le sens homosexuel de troisième sexe fut précédé par toute une série d’analogies grammaticales dans la description des écarts sexuels. Le théologien parisien Alain de Lille (1120-1202) reprochait à l’homme d’être à la fois sujet et attribut dans la relation homosexuelle, et de subvertir par là les lois de la grammaire. Le médecin de Philippe-Auguste, Gilles de Corbeil (c. 1140 – c. 1224), comparait le rapport homosexuel à un accord grammatical :

« Les métamorphoses que chanta jadis Ovide ne furent ni si complètes, ni si monstrueuses, ni si déplorables que celles qui, de nos jours, transforme les hommes en brutes et les rend semblables aux animaux sauvages, aux oiseaux et aux bêtes de somme. Encore est-il que les animaux les plus féroces l’emportent en ceci sur l’homme qu’ils s’accouplent et se reproduisent suivant les lois de leur sexe. La plupart des hommes, au contraire, par une aberration monstrueuse, prétendent imiter les grammairiens, qui font s’accorder entre eux les mots du même genre. Ils poursuivent, dans l’union des sexes semblables, la reproduction de l’espèce, alors que cette parité de genre ne peut conduire qu’à son anéantissement. C’est que l’accord des mots et l’union des êtres animés ne sont pas soumis aux mêmes lois. La nature, qui préside à la naissance de chaque individu, a voulu que les êtres de même espèce proviennent de l’accouplement de sexes opposés. La syntaxe, au contraire, obéissant à une règle uniforme, n’unit que des mots du même genre. Mais, chose stupéfiante, spectacle étonnant et prodigieux, des êtres dépourvus de raison obéissent à la raison et se soumettent aux lois de la nature, tandis que l’homme, oublieux de cette raison qui est son apanage, se livre comme une brute aux excès les plus violents et les plus criminels. »
Hiérapigra [Potion amère], II, traduit par Camille Vieillard, Gilles de Corbeil. Médecin de Philippe-Auguste et chanoine de Notre-Dame, Paris : Champion, 1908.

Même réflexion chez le propagandiste de la foi chrétienne Gautier de Coincy (1177-1236) :

« La grammaire hic à hic accouple
Mais Nature maudit le couple.
La mort perpétuelle engendre
Celui qui aime masculin genre
Plus que féminin ne fasse
Et Dieu de son livre l’efface. »
(traduit par Camille Vieillard)

Cette analogie grammaticale est réapparue au début du XVIIe siècle dans un ouvrage satirique et polémique :

« En une autre pièce, je voyais ce même homme étendu tout nu sur une table, et plusieurs à l’entour de lui qui avaient diverses sortes de serrements, et faisaient tout ce qui était possible pour le faire devenir femme : mais à ce que j’en pouvais juger par la suite de l’histoire il demeurait du genre neutre. »
L’Ile des Hermaphrodites, 1605.

Il y était précisé que :
« Tout le langage, et tous les termes des Hermaphrodites sont de même que ceux que les grammairiens appellent du genre commun, et tiennent autant du mâle que de la femelle. »
Cyrano de Bergerac reprocha à un impuissant :

« Vous n’êtes ni masculin, ni féminin, mais neutre »
Le Pédant joué, I, 1.

Ce genre neutre, qui existe en anglais, en latin, en allemand et en russe, fut le prétexte de bien des plaisanteries ; à l’occasion de la mort de l’archevêque d’Albi Séroni, on fit circuler ces vers irrespectueux :

« Pleurez, pleurez jeunes garçons
Un prélat si fort débonnaire
Qui retranchait de vos leçons
Deux des genres de la Grammaire ;
De même qu’en pays latin,
Il n’usait que du masculin. »
(BnF, mss fr. 12640, page 399, année 1685)

Humour que l’on retrouve en 1762, après la suppression des Jésuites :

« Vous ne savez pas le latin :
Ne criez pas au sacrilège
Si l’on ferme votre collège
Car vous mettez au masculin
Ce qu’on ne met qu’au féminin. »
(Chansonnier Clairambaut-Maurepas, année 1762 ; avec en prime un jeu de mot sur mettre)

Théveneau de Morande précisa, parlant des êtres neutres, l’analogie grammaticale :

« Si la multiplication subite des moines qui ont envahi l’empire chrétien ne préparait pas aux merveilles de la procréation des êtres neutres, on ne croirait pas à la possibilité de leur existence […] On promet une couronne civique à chaque femme qui aura reçu l’abjuration d’un membre de cette secte. »
Le Philosophe cynique, 1771

Il fut suivi peu après :

« Combien de gens qui se croient les coryphées de leur sexe, seront surpris de se reconnaître dans les portraits que je ferai du sexe neutre, je veux dire de celui qui n’a ni les vertus du vôtre, ni les aimables qualités du mien [c’est une femme qui parle]. Ce qui me flatte le plus dans mon projet, c’est qu’il est neuf et original. »
Jacques Vincent Delacroix, Peinture des mœurs du siècle (1777), « Conjecture pour un troisième sexe », tome I, pages 340-343.

Cet auteur parlait d’êtres « faibles et légers », utilisant les mêmes moyens de séduction que les femmes. Plus éloigné de l’homosexualité paraît le « troisième sexe à part » de Mlle de Maupin, à laquelle Théophile Gautier avait donné « le corps et l’âme d’une femme, l’esprit et la force d’un homme ». Frédéric Nietzsche cite, sous la rubrique « Troisième sexe », un maître de danse auquel les femmes petites paraissaient d’une autre sexe (Gai Savoir, II, § 75). 
En 1834, Balzac ouvrait son roman Le Père Goriot en présentant une auberge, « Pension bourgeoise des deux sexes et autres », un lieu où évolue le personnage homosexuel de Vautrin.

« – Je ne mène pas là Votre Seigneurie, dit-il, car c’est le quartier des tantes …
– Hao ! fit lord Durham, et qu’est-ce ?
– C’est le troisième sexe, milord. »
Honoré de Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes, IV (1847). [En remplacement de " le dernier sexe " sur le septième jeu d'épreuves].

Alfred Delvau disait du troisième sexe en 1864 : « Celui auquel appartiennent les pédérastes et les gougnottes. »
Dictionnaire érotique moderne..., 1864.
Et deux ans plus tard : « Celui qui déshonore les deux autres. » Dictionnaire de la langue verte, 2e édition, 1866.
Gustave Flaubert : « Quelle idée avez-vous donc des femmes, ô vous qui êtes du troisième sexe ? » Lettre à George Sand, 19 septembre 1868.

C’est probablement à cette époque que l’expression drittes Geschlecht s’est répandue en Allemagne ; on la trouve en 1864 dans une brochure du magistrat K. H. Ulrichs (dont je parle ailleurs).

« Les voici bien, les jeunes blondins qu’ils adorent, les bardaches modernes, les uns se maquillant comme des femmes, d’autres portant des bagues et des bracelets ou signalant leur passage par une trace de parfum ! Ces greluchons appartiennent au troisième sexe. Ignominieux renversement des lois naturelles qui fait revivre à travers notre société les hontes de l’antique Pentapole ou les plus impures débauches de la décadence romaine. »
Frédéric Loliée, Les Immoraux. Études physiologiques, livre 2, VI, 1891.

« Les " individus du troisième sexe " dont parle Balzac. »
Dr Henri Legludic, Attentats aux mœurs, 1896.

Ernst von Wolzogen, roman intitulé Le troisième sexe , Paris : Calmann-Lévy, 1904 ; traduction de Das dritte Geschlecht, 1899.

Cette expression servit encore de titre à un chapitre du roman de Charles-Étienne Notre-Dame de Lesbos (1919), et à un essai de Willy-Gauthier en 1927 :


Cette théorie du troisième sexe, ancêtre de la théorie du genre, soutenue par Karl H. Ulrichs dans les années 1860, puis par Magnus Hirschfeld, concluait à l’innéité de l’homosexualité ; elle fut critiquée par le Dr Valentin Magnan en 1913 « une manière de voir originale, mais dont la clinique ne saurait s’accommoder »), par André Gide dans la préface de Corydon (écrite en 1922), aussi par Sigmund Freud dans Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci (1910, traduit en 1927). Sartre fut un autre opposant à la thèse de l'innéité.

« La symbolique des deux sexes a tellement de difficulté à être représentée dans la culture actuelle, empêtrée dans le subjectivisme et l’irrationnel, qu’elle se confond avec l’unisexe. Le discours homosexuel profite de ce flou pour se présenter comme le "troisième sexe". »
Tony Anatrella, « À propos d’une folie », Le Monde, 26 juin 1999.

« L'introduction de la notion de " troisième genre " [par Heinrich Marx en 1875] mérite cependant une mention particulière : plus exacte que celle de troisième sexe, trop liée à l'anatomie, elle rend mieux le sentiment d'appartenance aux caractères masculins ou féminins, ici seule en jeu. » (Laure Murat, La Loi du genre, chapitre III " Le monde à l'envers ", 2 " Karl Heinrich Ulrichs, ou le troisième sexe en théorie ", Paris: Fayard, 2006.


« En 1835, Théophile Gautier avait, on le sait, utilisé cette notion de « troisième sexe » avec l’histoire de Mademoiselle de Maupin, aventurière travestie en homme. Balzac aurait-il hésité à reprendre le terme ? C’est en effet seulement sur le septième jeu d’épreuves qu’il remplace par « troisième sexe » ce qu’il avait inscrit à l’origine : « le dernier sexe ». Car Balzac, ici, accrédite un tout autre sens que celui donné par Gautier. Le troisième sexe, c’est la tante efféminée, cette « femme des prisons d’hommes » selon Raspail. ». Laure Murat, « La tante, le policier et l'écrivain », Revue d'Histoire des Sciences Humaines n° 2/2007 (n° 17) , pages 47-59.

TROU D’HONNEUR

Traduction proposée pour glory hole.

Amusante, la question de Jacques Fersen, « pourquoi mêler l’honneur au derrière ? » à cause de l’ambiguïté du mot « honneur », synonyme de « sexe masculin » dans la langue du libertinage érudit. Ce n’était pas forcément involontaire de la part de Fersen (cf l’entrée HOMO).

Dans les vers de La Fontaine, un « enfant d’honneur » est un garçon dont on fait un usage plus grec que chrétien.

Un « bras d’honneur », un « doigt d’honneur [digitus infamus] », on connaît. On appelait jadis « lieux d’honneur » ou « cabarets d’honneur » les bordels.

TRUQUEUR

Selon Gaston Esnault, ce terme argotique était apparu vers 1880 avec le sens de : prostitué (pratiquant éventuellement le chantage), ou faux libertin soutirant de l’argent. À rapprocher de faire le truc (se livrer à la prostitution) et de truqueuse (fille de joie).

« Truqueur. Individu du troisième sexe qui vit de son … industrie. » Alfred Delvau, Dictionnaire de la langue verte, supplément, 1883.

« [Vers 1887-1888] beaucoup de "truqueurs", autrement dits "tapettes", faisaient la retape dans la grande salle d’attente de la gare St Lazare, aux environs de cette gare, et aussi à l’hôtel Drouot. […] Il y avait, ces années dernières, une catégorie de "truqueurs" élégants, qui est presque entièrement disparue aujourd’hui. Ils se promenaient ensemble sur les grands boulevards, fort bien mis, s’appelaient entre eux "ma chère", etc. On en fit une rafle à la suite de laquelle ils disparurent peu à peu. » Hérelle.

« Lui c’est un homme, ce n’est pas un de ces efféminés comme on en rencontre tant aujourd’hui, qui ont l’air de petits truqueurs et qui mèneront peut-être demain à l’échafaud leurs innocentes victimes. (Je ne savais pas le sens de cette expression d’argot : « truqueur »…). »
Marcel Proust, Le Côté de Guermantes, I.

Francis Carco : « Trois petits truqueurs Olga, Titine et Gueule d’amour. »
Jésus-la-Caille, 1ère partie, II, Paris : Mercure de France, 1914.

Julien Green : « Coût 60 francs. C'est un truqueur, mais il garde encore quelque naïveté. »
Journal intégral 1919-1940, 8 juin 1932, Paris : Robert Laffont, 2019.

Pierre Devaux : « Il avait pas assez de cran pour maudire les macs qui défendaient le biseness et le prestige de leurs gagneuses contre la gigolaille et les truqueurs des tasses. [...] Trois petits truqueurs Olga, Titine et Gueule d’amour. »
Jésus-la-Caille traduit en langue verte, 1ère partie, II, Paris : Éditions de la Nouvelle revue critique, 1939.

Julien Green : « J'abordais n'importe qui et donnais à chacun ma carte de visite sans aucun soupçon d'un danger possible. Ces audaces me passèrent assez vite, mais elles me valurent beaucoup d'aventures délicieuses. Également le joli truqueur de l'avenue Gabriel, en 1923. »
Toute ma vie Journal intégral 1946-1950, 5 décembre 1948, Paris : Éditions Bouquins, 2021.

« Parmi les ravages exercés par le tabou homosexuel, Kinsey mentionne la floraison des « truqueurs » qui, après avoir trouvé leur plaisir dans des rapports sexuels avec des invertis, les font chanter et, au besoin, les assassinent, pour ensuite échapper à tout châtiment légal sous le prétexte fallacieux qu’ils se sont protégés eux-mêmes contre des « avances sexuelles indécentes » […] La police française est indulgente aux truqueurs et maîtres-chanteurs, quand elle ne les prend pas à son service. »
Daniel Guérin, Kinsey et la sexualité, 1955.

Max Fernet, alors directeur de la police judiciaire, avait parlé de ces truqueurs « pour lesquels l’homosexualité de la victime constitue le motif déterminant de l’action » :
« Si les « truqueurs » sont parfois eux-mêmes homosexuels, il leur arrive cependant d’avoir, en dehors de leur « profession », une activité sexuelle parfaitement normale. Par contre, les victimes appartiennent toujours au monde des invertis.
Tantôt l’un des malfaiteurs se postera dans une vespasienne notoirement fréquentée par les homosexuels, servant d’ « appât » et au besoin provoquant la future victime. Si celle-ci, pensant avoir affaire à un « amateur », tente un geste qu’elle juge amical, le pseudo-éphèbe, appelant au secours, provoque l’intervention de ses complices qui se tenaient à proximité. Ceux-ci, sous prétexte de « porter secours », rossent l’inverti et lui dérobent son portefeuille. Tantôt le truqueur – qui agit seul – fait la connaissance d’un homosexuel qui l’emmène à son domicile, et fait main basse sur ce qu’il y trouve, après avoir molesté son « client ». »
« L’homosexualité et son influence sur la délinquance », Revue internationale de police criminelle, n° 124, janvier 1959.


En revanche, Cellard et Rey n’ont reconnu que le sens d'homosexuel prostitué.


Lettres U et V