lundi 16 septembre 2024

DICTIONNAIRE NIETZSCHE 2017

Collection Bouquins chez Robert Laffont (32 €) paru en mars 2017 ; ouvrage dirigé par Dorian Astor. Environ 400 entrées classées alphabétiquement, 992 pages.


Face à un ouvrage d'une telle ambition, la première réaction est forcément positive ; ce n'est que progressivement que l'on en décèle les failles. Loin d'avoir un instrument qui nous présente et explique Nietzsche (ce qu'on attendrait d'un Dictionnaire), nous sommes confrontés à un Bouquin comportant, à côté d'articles pédagogiques ou documentés, des exercices de style assez hermétiques, dont un exemple typique à gauche
(de plus, l'Essai d'autocritique y est signalé comme un écrit de 1886, sans indication de ce qu'il s'agit d'un ajout à La Naissance de la tragédie de 1872).


 Forme
La typographie par colonnes est pénible à lire, surtout quand il y a dans le texte abondance de courtes citations et de références (abrégées mais parfois longues : VMSEM, UIVH, PETG). De même la rubrique " Bibl. " sans retour à l'alinéa. Mais au moins y a-t-il un titre courant en haut des pages, ce qui manque au Dictionnaire Nietzsche de Cécile Denat et Patrick Wotling (Paris : Ellipes, 2013).

Les références des Fragments posthumes sont parfois incomplètes, par exemple col. 349b : M I 1, mais sans le complément 18 (de 18[1] à 18[62]) ou parfois absentes.

Une erreur parmi d'autres : c. 435a : c'est Généalogie de la morale III, § 8, et non II.

On peut regretter qu'ils n'y ait pas au moins quelques photos, que l'on trouvera sur la notice Nietzsche du wikipedia allemand.


Fond
Peu d'entrées s'adressent véritablement aux débutants. C'est un Dictionnaire qui n'explique pas vraiment Nietzsche de façon abordable, par exemple en insistant sur sa conception de l'histoire de la philosophie, mais requiert lui-même souvent des explications, voire un Dictionnaire du Dictionnaire Nietzsche... Comme l'écrivit un critique du Monde, lui même philosophe, " Ce dictionnaire veut tout : exposer les points de départ, aider à lire, expliquer les conflits d’interprétations, s’adresser aux débutants, aux amateurs éclairés, aux spécialistes… Il s’applique à traiter des concepts de Nietzsche, des auteurs qu’il interprète, des amis qu’il fréquente tout autant que des manières dont on l’a compris ou non. Voilà qui fait beaucoup. Le résultat est utile, évidemment. Passionnant parfois, inégal toujours. " Roger-Pol Droit, lemonde.fr, 23 mars 17.

Critique de Frédéric Pagès dans le Canard enchaîné :



Le souci pédagogique est davantage présent dans le plus sommaire Dictionnaire Nietzsche des philosophes Cécile Dénat et Patrick Wotling (Paris : Ellipses, février 2013, mars 2020, 308 pages), ainsi que dans les entrées dues à ces deux auteurs du DN 2017 ; en voici la liste :

Cécile Dénat : altruisme, aristocratique, atomisme, Considérations inactuelles I - David Strauss, Considérations inactuelles II - De l'utilité... de l'histoire..., Considérations inactuelles III - Schopenhauer, éducation, Grecs, Héraclite, histoire-historicisme-historiens, nature, pitié, Platon, scepticisme, Socrate, Sur l'avenir de nos établissements d'enseignement, Thucydide.

Patrick Wotling : bouddhisme, culpabilité, culture, devenir, élevage, éternel retour, généalogie, hiérarchie, inactuel, nihilisme, pulsion, surhumain, type-typologie, un-unité, valeur, volonté de puissance.

Entrées du Dictionnaire Nietzsche de 2013-2020

Affect, affect du commandement, Altruisme, Amor fati, Apollinien, Apparence (Schein), Aristocratique, noble (vornehm), Art (Kunst)
Bon Européen, Europe
Cause, causalité (Ursache, Ursächlichkeit), Chose (Ding), Civilisation, Concept (Begriff), Connaissance (Erkenntnis), Corps (Leib), Culture
Dionysiaque
Égoïsme (Selbstsucht, Egoismus), Élevage/dressage (Züchtung/Zähmung), Esprit libre (freier Geist), Éternel retour (ewige Wiederkehr), Être (Sein), Explication, expliquer (Erklärung, erklären)
Force (Kraft)
Gai savoir (fröhliche Wissenschaft, gaya scienza, gai saber), gaieté d’esprit (Heiterkeit), Généalogie
Hérédité (Vererbung), Hiérarchie (Rangordnung), Histoire, histoire naturelle (Geschichte, Historie ; Naturgeschichte)
Inconditionné, absolu (unbedingt, absolut), Instinct, pulsion (Trieb), Interprétation (Auslegung, Interpretation)
Législateur, législation (Gesetzgeber, Gesetzgebung)
Matière (Materie, Stoff), Morale
Nihilisme
Pathos, affect, sentiment de la distance Gefühl der Distanz), Philologie, Philosophe, Pitié, compassion (Mitleid), Plaisir/déplaisir, souffrance (Lust/Unlust, Leiden)
Renversement de toutes les valeurs (Umwerthung aller Werthe), Ressentiment
Sens historique (historischer Sinn), Soulèvement d’esclaves (Sklavenaufstand), Spiritualisation (Vergeistigung), Surhumain (Übermensch)
Type, typologie (Typus, Typenlehre)
Valeur, évaluation (Werth, Werthschätzung), Vérité (Wahrheit), Vie (Leben), Volonté (Wille), Volonté de puissance (Wille zur Macht)

* * * * *
" Les revues ", La Société nouvelle..., octobre 1909.


Remarques diverses :

Les renvois de concepts à des entrées sont vraiment faits pour des débiles : chasteté renvoyée à sexualité, Messine à Idylles de Messine, etc.

L'entrée " Épicure " (Keith Ansell-Pearson) n'indique pas que c'est très tôt, lors de ses travaux sur Diogène Laërce (à partir de 1867), que Nietzsche découvrit les Lettres et Maximes capitales d'Épicure.

Entrée " Athéisme " : l'insensé est attribué à saint Anselme par Philippe Choulet ; or c'est déjà dans l'Ancien Testament (Psaumes, XIV, 1).

Entrée " Femme ", Éric Blondel traduit : " On ouvre un livre écrit par une femme et on soupire : 'Encore une cuisinière ratée !' ". Plus précisément : « On ouvre un livre de femme : — et bientôt on soupire "encore une cuisinière égarée !" » Fragments posthumes, 1885, 41[5] [August–September 1885 : " Man schlägt ein weibliches Buch auf: — und bald seufzt man „wieder eine verunglückte Köchin ! “ "]. Le bientôt (Bald) a son importance car il signifie un temps de lecture, excluant un rejet a priori par préjugé misogyne.

L'entrée " Gide " (Jean-Louis Backès) ignore le recours de cet auteur à Nietzsche pour Corydon... Cas particulier de l'incompréhensible "oubli" du thème de l'homosexualité (voir plus loin " Knabenliebe ").

Dans l'entrée " Fragments posthumes " : " traces de nombreuses lectures, en particulier françaises (de [Victor] Brochard à [Émile] Gebhart, de Lagarde à Brunetière et à [Charles] Féré). "

On trouve dans Les Sceptiques grecs de Brochard ces traces de sa lecture de Nietzsche :

Page 48

Page 87

Page 254
Page 260 : " L'ordre [des tropes] adopté par Diogène, d'après un sceptique plus récent, Saturninus ou Théodosius (1), est, à certains égards plus satisfaisant. "
1. Ce serait certainement Théodosius, si on adoptait la correction de Nietzsche indiquée ci-dessus, p. 254 "
Page 318 

Page 327 : Saturninus, contemporain de Diogène Laërce


D'où, dans Ecce Homo, 1908 [1888], [2] " Pourquoi je suis si avisé ", § 3 : « Une remarquable étude de Victor Brochard [1848-1907], Les Sceptiques grecs [Paris, 1887], qui, entre autres, exploite intelligemment mes Laertiana. [...] ».

L'entrée " Hésiode " (Jean-Louis Backès) ne fait pas mention des cours donnés par Nietzsche sur Les Travaux et les Jours d'Hésiode en hiver 1869 à Bâle. Ni de la fameuse note sur la hiérarchie des esprits (hiérarchie qui fait défaut à l'actuelle correction politique qui donne dans l'égalitarisme radical...) selon les " trois possibilités hésiodiques ", typologie relevée, après bien d'autres, par Nietzsche (drei Hesiodischen Möglichkeiten, Fragments posthumes, 1871-1872). Cf ma page
Fac simile :
Les Travaux et les jours, vers 293-297.

Traduction de Nietzsche :
Der ist fürwahr der rechte Mann
Der selber sich berathen kann.
Auch der soll unser Lob empfahn,
Der zwar sich nicht berathen kann,
Doch gerne guten Rat nimmt an.
Doch wer sich nicht berathen kann,
Auch fremden Rath nicht gern nimmt an,
O weh! Das ist ein schlechter Mann!
Verloren hat er und verthan!

Voir Fragments posthumes, P I 16b 14[11], printemps 1871 - début 1872 ;
Mp XII 2,  18[3] et 18[4], fin 1871 - printemps 1872.


Dans l'entrée " Leibniz ", col. 536a,
" un philosophe marié est une farce " ; cela traduit
Ein verheiratheter Philosoph gehört in die Komödie, das ist mein Satz
soit plutôt : " Un philosophe marié relève de la comédie, c'est ma thèse ".

L'entrée " Schopenhauer " présente cet auteur comme la seule source d'information de Nietzsche en matière d'histoire de la philosophie, oubliant sa rencontre précoce avec les Vies et doctrines... de Diogène Laërce... ; d'où l'absence scandaleuse d'une entrée consacrée au grand Diogène Laërce. Par ailleurs, qualifier la philosophie du sinistre Hegel de " monument de la pensée " relève de la seule et fort lourde subjectivité d'Éric Blondel.


UN BIAIS IDÉOLOGIQUE.
Je me demande bien ce qui permet à Juliette Chiche (" Croyance ") de conclure que selon Nietzsche, " l'incroyance est une croyance (GS, § 347) ", cc.199b-200a. Faudrait-il nuancer l'athéisme de Nietzsche ?

L'entrée " Islam " (502b-503b) ne prend pas en compte ces trois passages qui prouvent que Nietzsche n'était pas béat devant cette religion :
" Le mahométisme a à son tour appris du Christ : l'utilisation de l'au-delà comme instrument de punition. " (Fragments posthumes W II 5, printemps 1888, 14[204]) 
« Quel est tout ce que, plus tard, Mahomet prit au christianisme ? L'invention de Paul, son moyen de la tyrannie des prêtres, de la formation de troupeaux : la croyance en l'immortalité — cela s'appelle la doctrine du " Jugement ". » (Antéchrist § 42) 
« Le " saint mensonge " est commun à Confucius, aux lois de Manou, à Mahomet, à l'Église chrétienne – : il ne manque pas chez Platon. " la vérité est là " : partout où l'on entend ça, cela signifie que le prêtre ment ... » (Antéchrist § 55)

Knabenliebe 

Les entrées "Amour" et "Sexualité" passent complètement sous silence les réflexions de Nietzsche sur l'amour grec (amour des garçons), ce qui n'est pas sans rapport avec l'absence d'une entrée " Diogène Laërce ", auteur fort bavard sur la question dans sa mise en relation des vies et des doctrines.

Précautions et avertissements, peut-être compréhensibles pour une émission télévisée en prime time, surprennent chez des spécialistes, tels l'helléniste normalien Robert Flacelière (1904-1982) se préparant ainsi, en 1960, à traiter de la pédérastie grecque : « Si déplaisant que soit le sujet, il est impossible de le passer sous silence. » (L'amour en Grèce, Paris : Hachette, 1960). Avant lui, Pierre-Henri Larcher, annotateur d'Hérodote, écrivant en 1786 : « En voilà assez, et peut-être beaucoup trop, sur cette matière ».
Mais rien d'impossible dans ce Dictionnaire... Nietzsche utilisait notamment les termes Eros (27 occurrences, Knabenliebe (3 occurrences)  et Päderast* (12) ; on trouvera mes notes de lecture sur ses réflexions sur ma page

https://laconnaissanceouverteetsesennemis.blogspot.fr/2009/11/knabenliebe-petrone-dans-les-oeuvres-de.html

Dorian Astor eut la gentillesse de me dire : " Il eût été dommage de faire le travail deux fois "...

Entrées dues au germaniste qui dirigea l'ouvrage : Dorian Astor :
Andreas-Salomé, Bülow, Byron, Deussen, Föster, Fritsch, Fuchs, Gersdorff, Heine, Hölderlin, Köselitz [Gast], Lipiner, Liszt, Mushacke, Naumburg, Nietzsche-Carl, Röcken, Romundt, Salis, Schiller, Sils-Maria, Stein, Tribschen, Turin, Wagner-Cosima, Wagner-Richard.

De Philippe Choulet, professeur honoraire :
Allemand, antisémitisme, athéisme, barbarie, classicisme, conscience morale, corps, créateur-création, critique, dette, disciple, droit, État, être, folie, Gai Savoir, génie, guerre, hasard, héros-héroïsme, idéal-idéalisme, illusion, immoraliste, inconscient, incorporation, individu, innocence, Jésus, jeu, judaïsme, législateur, Lumières, Machiavel, martyr-martyre, matérialisme, mémoire et oubli, mensonge, Moïse, monde, Napoléon, nécessité, négation, raison, santé et maladie, science, socialisme, soi, système, Terre, travail, tyran-tyrannie, Vérité et mensonge au sens extra-moral.

De Fabrice de Salies, spécialiste en métaphysiques et ontologies modernes et contemporaines :
Alimentation, Bataille, Bergson, Bismarck, Blanchot, climat, Frédéric II (Hohenzollern) de Prusse, Hegel, Heidegger, Heinze, hindouisme, islam, journalisme, Lagarde, Leibniz, mode, Montaigne, nazisme, Paul de Tarse, peuple, Podach, réaction-réactionnaire, Rome-romain, sacrifice, saint-sainteté, Scheler, Schlechta, Strauss, Strinberg.

D'Éric Blondel, professeur émérite :
L'Antéchrist, Beethoven, Circé, Crépuscule des Idoles, cynisme, Ecce Homo, femme, Fink, Granier, Kaufmann, Luther, Mann, mariage, moralistes français, Mozart, musique, prêtre, psychanalyse, religion, Schopenhauer, sexualité, structuralisme.

De Jean-Louis Backès, professeur émérite :
Archiloque, Aristophane, autobiographies, chaos, Dostoïevski, Ermanaric, Gide, Hésiode, Homère, Œdipe, Pindare, Théognis, 

D'Emmanuel Salanskis, auteur d'un livre sur Nietzsche :
Animal, aryen, fort et faible, Galton, grande politique, Haeckel, hérédité, Roux, sélection, souffrance.

De Juliette Chiche, qui enseigne la philosophie au lycée :
Amitié, amor fati, amour, croyance, dégoût, masque, mépris, pudeur, ressentiment, solitude, vengeance.

De Maria Cristina Fornari, co-éditrice de la Nietzsches persönliche Bibliothek :
Anglais, bibliothèque de Nietzsche, correspondance, darwinisme, démocratie, édition - histoire éditoriale, fragments posthumes, Hobbes, Hume, Mill, positivisme, Spencer, troupeau, utilitarisme.

De Guillaume Métayer, traducteur des poèmes de Nietzsche et de Sandor Petöfi :
Danse, esprit libre, Galiani, Halévy, Idylles de Messine, Lukàcs, Petöfi, poésie, Voltaire.


J'aurais aimé trouver ces entrées :

Antiquité (Alterthum) : 230 occurrences.
Aristote : 154 occurrences pourtant ; mais il y a une entrée sur le roi goth Ermanaric (3 occurrences)...
Conviction (Überzeugung) : 105 occurrences)
Passages les plus notables :
Humain, trop humain, IX " L'homme seul avec lui-même ", § 483 Ennemis de la vérité. Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges. [Feinde der Wahrheit. — Ueberzeugungen sind gefährlichere Feinde der Wahrheit, als Lügen.]
§ 629 De la conviction et de la justice. : on croit au fond que personne ne modifie ses opinions tant qu’elles lui sont profitables, ou du moins qu’elles ne lui font pas tort. Mais s’il en est ainsi, c’est mauvais signe pour la valeur intellectuelle de toutes les convictions.
§ 630 : Conviction = croyance d’être, sur un point quelconque de la connaissance, en possession de la vérité absolue.
L’homme à convictions n’est pas l’homme de la pensée scientifique.
Ce n’est pas la lutte des opinions qui a mis tant de violence dans l’histoire, mais la lutte des croyances dans les opinions [der Kampf des Glaubens an die Meinungen], c'est-à-dire des convictions.
§ 637 : Des passions émanent les opinions ; la paresse d’esprit les fige en convictions.
Le concept de conviction est  cependant abordé par Paolo d'Iorio à l'entrée " Humain, trop humain I et II ", cc. 470b-471b.


Diogène Laërce (47 occurrences, plus 63 pour Épicure via DL) l'absence de cette entrée est un défaut  de ce Dictionnaire. L'aperçu remarquable de l'histoire de la philosophie grecque qu'offrent les Vies de Diogène Laërce s'accorde bien avec le goût de Nietzsche pour les vues d'ensemble et les évolutions sur de longues périodes, sans parler de son insistance à lier, après son cher Montaigne, vie et philosophie, liaison qui est pour lui une forme de probité. Selon Nietzsche,
" Il est en fait le portier (ou veilleur) de nuit de l'histoire de la philosophie grecque : personne ne peut entrer sans que Diogène lui ait donné la clé. "

Nachgelassene Aufzeichnungen Frühjahr 1868 - Herbst 1869
Bearbeitet von Katherina Glau
Walter de Gruyter • Berlin • New York 2003

Esquisse de ce que pourrait contenir une telle entrée :
* De Fontibus Diogenis Laertii (Sur les sources de Diogène Laërce) ; partie I: Rheinisches Museum 23, automne 1868, pages 632-653 ; partie II : RhM 24, mars 1869, pages 181-228 ; soit 78 pages.
* " [Hermann] Usener et moi envisageons un corpus sur l'histoire de la philosophie dans lequel je traiterai de [Diogène] Laërce et lui de Stobée, pseudo-Plutarque, etc. "
[Usener nämlich und ich beabsichtigen ein philosophie-historisches corpus, an dem ich mit Laertius, er mit Stobaeus, Pseudoplutarch usw. participire.]
Lettre à Erwin Rohde, Bâle, 16 juin 1869.
* Analecta Laertiana , RhM 25, mars 1870, pp. 217-231 ; soit 14 pages.
* Projet de thèse (mai 1870) abandonné : Beitrage zur Quellenkunde und Kritik des Laertius Diogenes (Contribution à  l'étude et la critique des sources de Diogène Laërce)
Il semble n'exister aucune traduction anglaise ou française de ces 92 pages.
Jonathan Barnes, " Nietzsche and Diogenes Laertius [I-XII] ", Nietzsche-Studien, volume 15, n° 1, 1986, pages 16-40.
On peut imaginer la surprise de Nietzsche découvrant dans les Essais l'importance du même Diogène Laërce pour Montaigne !!


Friedrich Nietzsche, Les Philosophes préplatoniciens.

Edition critique établie d'après les manuscrits et présentée par Paolo D'Iorio et Francesco Frontorotta, traduction par N. Ferrans, Paris : Éditions de l'Éclat, 1994.

Chronologia philosophorum, Par Francesco Fronterotta.

3. Valeur historique des sources.
3.3. Diogène Laërce

" Les études achevées et publiées par Nietzsche sur les sources de Diogène Laërce sont au nombre de trois :

La première, écrite sur les encouragements de [Friedrich W.] Ritschl à l'occasion d'un prix universitaire à Leipzig, fut rédigée très rapidement entre la fin de l'année 1866 et l'été 1867, puis publiée dans [...] les Analecta et les Beiträge, qui peuvent être considérés comme une série d'appendices au premier écrit, furent publiées en 1870. (note 10 renvoyant à J. Barnes, 1986).
Dans le De fontibus, Nietzsche mène une recherche soignée sur les sources de Diogène Laërce et sur les modalités selon lesquelles il s'inspire de ses modèles et les utilise, et par conséquent sur la nature de l'œuvre de Diogène Laërce dans son ensemble. Il conclut que l'auteur devait s'être servi, dans son travail, surtout de deux sources qui se détachent des autres par la quantité de citations qui en sont tirées : Dioclès de Magnésie, qui a vécu au Ier siècle avant J.C. ou à la fin du Ier Siècle après J.C., auteur de quelques Vies de philosophes (cité environ 29 fois) et Favorinus d'Arles, qui a vécu au IIe siècle après J.C. et auteur d'une Histoire variée et des Mémorables (cité environ 50 fois).
Mais très tôt, Nietzsche parvient à la conclusion que, des deux sources, Dioclès a la plus grande importance, au point qu'il affirme que " Laetius est Dioclis épitomé " (page 131, 7). C'est-à-dire que l'écrit de Diogène Laërce ne serait rien d'autre qu'un résumé des Vies des philosophes de Dioclès. Cette conclusion s'appuie sur plusieurs arguments.
En premier lieu, l'intégralité de la vie de Démocrite présentée par Diogène Laërce (IX, 34-39), à l'exception des cinq premières lignes, dépendrait exclusivement de Dioclès et c'est encore Dioclès qui serait la source principale des informations sur les Stoïciens au livre VII des Vies de Diogène Laërce et su l'épicurisme au livre X. En second lieu, dans la majeure partie des cas, l'utilisation des sources par Diogène Laërce correspondrait à celle de Dioclès, vis-à-vis de ses propres sources, comme dans le cas de Démétrus de Magnésie et de ses Homonymes, que, selon Nietzsche, Diogène Laërce ne connaissait qu'à travers la médiation de Dioclès. Enfin, la préface des Vies de Diogène Laërce serait tirée directement et intégralement de Dioclès.
En substance, Nietzsche pensait que Diogène Laërce était un poète, et qu'il se serait servi des Vies de Dioclès pour transmettre une sélection de ses épigrammes à la postérité. Il n'est pas possible, ici, de développer entièrement l'argumentation de Nietzsche ni de tenter d'en faire un contrôle exhaustif. On peut néanmoins proposer quelques observations générales.
En réalité, bien que Nietzsche s'efforce de démontrer le contraire, Dioclès semble bien n'être qu'une des sources des Vies de Diogène Laërce. En effet, à l'exception des renseignements sur les Stoïciens du livre VII, 48-83, aucun autre témoignage ne peut lui être attribué avec certitude ; par ailleurs, même la tentative pour reconstituer le rapport entre Dioclès et ses sources (afin de démontrer que les Vies de Laërce ne recourent à d'autres sources qu'à travers Dioclès, source principale), semble absolument sans espoir et aucun des arguments de Nietzsche n'est probant (en particulier, il n'y a aucune raison pour soutenir que les Vies de Diogène Laëce ne connaissaient Démétrius de Magnésie qu'à travers la médiation de Dioclès) ; enfin, même si l'on retenait l'hypothèse interprétative de Nietzsche dans son ensemble, seulement un peu plus de la moitié des Vies de Diogène Laërce pourrait être estimée dépendante de Dioclès.

4. L'analyse philologique des sources
Alors que dans les études sur Diogène Laërce, Sotion et Apollodore sont considérés par Nietzsche comme deux sources parmi d'autres, sans que leur soit donné un relief particulier, dans les Leçons sur les philosophes préplatoniciens et dans les Diadoché des philosophes, la position de Sotion et d'Apollodore devient au contraire emblématique.
[...]
De cette chronologie, Nietzsche se sert à des fins philosophiques et interprétatives bien précises. C'est seulement à condition de supposer un apprentissage de Parménide auprès d'Anaximandre qu'on peut, à son avis, expliquer l'ambivalence du poème parménidien et l'incompatibilité entre ses deux parties : l'une inaugurant la philosophie de l'être et du non-être, l'autre d'origine physico-cosmologique. Selon Nietzsche, il n'y a aucun rapport entre les deux : Parménide aurait conçu et professé deux philosophies différentes. "


Eros et les dérivés en erot- (64 occurrences). Mais il y a, comme j'ai dit, une entrée sur le roi goth Ermanaric (3)...

Essai d'autocritique : Ce texte ajouté en août 1886 au début de La Naissance de la tragédie à partir de l'esprit de la musique (janvier 1872) aurait mérité une entrée, ainsi qu'une mention dans la chronologie.

Gustave Flaubert : 33 occurrences. Flaubert servit de médiateur entre Nietzsche et la pensée de Sade.

Victor Hugo : (26 occurrences).

Maladie : la question de la nature du mal dont souffrit Nietzsche à partir de 1875 n'est pas abordée.

Pathos : 167 occurrences.

Portofino : (11 occurrences).

Renaissance : (123) occurrences)

vendredi 16 août 2024

L'AMOUR GREC CHEZ LES SÉNÈQUE



Retour : 
Ces petits Grecs...

 

Lucius Annaeus Seneca, Epistolae morales ad Lucilium,
BnF/Gallica, manuscrit latin 8658 A.


SÉNÈQUE LE PÈRE [dit aussi LE RHÉTEUR] (vers -60/39), écrivain latin d'origine espagnole (de l'actuelle Cordoue), père de Sénèque le Jeune et grand-père de Lucain,

Controverses et Déclamations, Loeb Classical Library (LCL) ; traduction Henri Bornecque, Garnier, 1932. Texte latin sur Perseus :
I Préface, 8 : " La passion malsaine de chanter et de danser remplit l'âme de nos efféminés ; s'onduler les cheveux, rendre sa voix assez ténue pour égaler la caresse des voix féminines, rivaliser avec les femmes pour la mollesse des attitudes, s'étudier à des recherches très obscènes, voilà l'idéal de nos adolescents ; amollis et énervés dès leur naissance, ils le restent volontiers, toujours prêts à attaquer la pudeur des autres et ne s'occupant pas de la leur. " [cantandi saltandique obscena studia effeminatos tenent, et capillum frangere et ad muliebres blanditias extenuare uocem, mollitia corporis certare cum feminis et immundissimis se expolire munditiis nostrorum adolescentium specimen est. Cité par Michel Foucault].
VII, iv, 7-8 : Calvus : il [Pompée] gratte sa tête avec un doigt ; que cherche-t-il ? un mec [dicit de Pompeio :
digito caput uno
Scalpit. quid credas hunc sibi uelle ?
virum].

Controverses choisies [Excerpta Controversiae], IV, 10 : Hatérius : l'impudicité est un crime pour l'homme libre, une nécessité pour l'esclave et un devoir pour l'affranchi. Les serviables ou complaisantsofficiosi. [Memini illum cum libertinum reum defenderet, cui obiciebatur quod patroni concubinus fuisset, dixisse: inpudicitia in ingenuo crimen est, in seruo necessitas, in liberto officium. Res in iocos abiit: ‘non facis mihi officium’ et ‘multum ille huic in officiis uersatur.’ ex eo inpudici et obsceni aliquamdiu officiosi uocitati sunt.] ;


SÉNÈQUE LE JEUNE (-4/65), homme d'État, précepteur de Néron et philosophe stoïcien, fils du précédent,

Dialogues, CUF (Budé), LCL. Texte latin sur Perseus :
Des bienfaits, II, 21, 1 : un homme impur dont le corps est prostitué et la bouche infâme [Illud magis venire in aliquam disputationem potest, quid faciendum sit captivo, cui redemptionis pretium homo prostituti corporis et infamis ore promittit.].
De la brièveté de la vie, XII, 2 : tu l'appelles oisif celui qui dans la palestre (les vices dont nous souffrons ne sont même pas romains !) s'assied pour regarder les rixes de garçons [Illum tu otiosum vocas qui Corinthia, paucorum furore pretiosa, anxia suptilitate concinnat et maiorem dierum partem in aeruginosis lamellis consumit? Qui in ceromate (nam, pro facinus ! ne Romanis quidem vitiis laboramus) spectator puerorum rixantium sedet ?].
Consolation à Marcia, traduction sur Remacle.org :
XVII, 4 : le tyran Denys recrutera mâles et femelles pour assouvir son désir ; ce sera peu que de prendre part à deux accouplements en même temps. [Probablement une extrapolation].

De la providence, traduction (revue) Pierre Miscevic, Paris : GF Flammarion 2003 :
III, 13 : Combien il [Socrate] est plus enviable que ces hommes qui se font servir à boire dans des coupes ornées de pierreries et à qui un exolète ayant appris à tout souffrir, soit castré soit de sexe douteux, verse de la neige dans un vase d'or pour l'y faire fondre ! [Quanto magis huic invidendum est quam illis quibus gemma ministratur, quibus exoletus omnia pati doctus exsectae virilitatis aut dubiae suspensam auro nivem diluit !]
IV, 9 : Fuyez les délices, fuyez le plaisir de la mollesse. [Fugite delicias, fugite enervantem felicitatem].
V, 3 : Eh bien ? N'est-il pas injuste de voir des braves prendre les armes, passer des nuits à veiller dans un camp, rester debout devant un retranchement, avec des bandages sur leurs blessures, pendant qu'en ville, bien à  l'abri, vivent des eunuques et des individus qui font profession d'impudicité ? [Quid porro ? Non est iniquum fortes viros arma sumere et in castris pernoctare et pro vallo obligatis stare vulneribus, interim in urbe securos esse percisos et professos impudicitiam ?].

De la Constance du sage, traduction (revue) Pierre Miscevic, Paris : GF Flammarion 2003 :
XVIII, 3 : Chéréa, lui, était tribun militaire ; mais sa voix n'était pas aussi assurée que son bras : il parlait d'une manière efféminée, qui prêtait aux soupçons, si l'on n'avait su de quoi il était capable. Quand il venait chercher le mot d'ordre, Gaïus [Caligula] lui répondait tantôt Venus, tantôt Priape, trouvant toujours un nouveau trait pour se moquer de la mollesse de ce soldat, et cela quand lui-même se présentait vêtu de soie transparente, en sandales, couvert d'or. [Chaereae contra, tribuno militum, sermo non pro manu erat, languidus sono et, ni facta nosses, suspectior. Huic Gaius signum petenti modo Veneris, modo Priapi dabat aliter atque aliter exprobrans armato mollitiam; haec ipse perlucidus, crepidatus, auratus.]

Lettres à Lucilius [Ad Lucilium Epistulae Moralescorrespondance parfois crue fictive], CUF, LCL ; traduction d'extraits par Pierre Miscevic/Pocket/1990, avec dossier. Texte latin sur Perseus :
XXXV, 1 : celui qui aime n'est pas toujours un ami ;
XLVII, 7 : un autre esclave, qui sert le vin, doit se parer comme une femme, s'évertue à démentir son âge [...] glabre, il se rase ou s'épile [...] dans la chambre, c'est un jules, dans la salle à manger, c'est un garçon [Alius vini minister in muliebrem modum ornatus cum aetate luctatur ; non potest effugere pueritiam, retrahitur, iamque militari habitu glaber retritis pilis aut penitus evulsis tota nocte pervigilat, quam inter ebrietatem domini ac libidinem dividit et in cubiculo vir, in convivio puer est.] ;
XLIX, 12 : double pudicité, celle qui est abstinence du corps d'un autre, et celle qui ménage le sien [cité par C. A. Williams] ;
LII, 12 : l'impudique est dénoncé par sa démarche, un mouvement de la main, parfois une simple répartie, le fait de ramener un doigt à sa tête, une façon de couler le regard ;
LXVI, 53 : me faire masser par des esclaves prêts à se prostituer [exolètes], me faire pétrir les doigts par un homme travesti en courtisane [muliercula] ;
XCV, 21, 24 : bataillons de garçons [puerorum] qui au bout du festin passent dans la chambre ; troupes d'exolètes à la peau douce ;
XCVII, 2 : stupre exigé des adolescents nobles [allusion au procès de Clodius en -61 ; cf Cicéron] ; XCIX, 13 : impudicités mutuelles de certains hommes ;
CI, 15 : des hommes livrent volontairement leurs fils [liberos] au stupre ;
CXIV, 3 : si un homme est efféminé, on peut reconnaître sa mollesse à sa démarche [Si ille effeminatus est, in ipso incessu adparere mollitiam];
CXIV, 4 : on sait comment Mécène marchait, combien il était délicat [Quomodo Maecenas vixerit notius est, quam ut narrari nunc debeat, quomodo ambulaverit, quam delicatus fuerit, quam cupierit videri, quam vitia sua latere noluerit.] ;
CXIV, 6 : " Lui qui, au plus fort du fracas des guerres civiles, quand la ville inquiète était en armes, s'avançait en public escorté de deux eunuques, qui étaient encore plus virils que lui. Lui qui épousa mille femmes, bien qu'il n'en posséda qu'une (1). [Hunc esse, cui tunc maxime civilibus bellis strepentibus et sollicita urbe et armata comitatus hic fuerit in publico spadones duo, magis tamen viri quam ipse ? Hunc esse, qui uxorem milliens duxi, cum unam habuerit ?
1. Note de Pierre Miscevic : " Térentia avec qui il entretenait des relations orageuses. Mais Mécène semble avoir été davantage porté sur les garçons. "]

CXXIII, 10 : pas de petit amant [puer] pour exciter la jalousie de ta maîtresse [amica] (2) ;
15-16 : Selon les Stoïciens : " seul le sage sait être un amateur ; cherchons jusqu'à quel âge les jeunes [juvenes] doivent être aimés " [cité par Montaigne, Essais, II, xii] ; ceci est une concession aux mœurs de la Grèce. [Hoc enim iactant: solum sapientem et doctum esse amatorem. " Solus sapit ad hanc artem; aeque conbibendi et convivendi sapiens est peritissimus. Quaeramus, ad quam usque aetatem iuvenes amandi sint." Haec Graecae consuetudini data sint,]
2. Note de Pierre Miscevic : " On voit que l'homosexualité est chose courante et évidente à l'époque de Sénèque et particulièrement dans le milieu qui fut le sien. On pense aussi bien sûr aux héros du roman de Pétrone ".

Questions naturelles, CUF, LCL :
I, xvi, 1 : obscénité d'Hostius Quadra ; 2 : ses désirs allaient aux hommes comme aux femmes ; il avait des miroirs grossissants pour agrandir les membres des hommes auxquels il se livrait, et voir tous les mouvements du complice qui était derrière lui ; il jouissait de la grandeur trompeuse du membre lui-même [cité par Montaigne, Essais, II, xii] ; 3 : Hostius courait les bains publics pour choisir des hommes ; il était spectateur de ses infamies [flagitiorum, nefanda] ; 4 : comme il ne pouvait apercevoir toutes choses quand il avait la tête dans les parties secrètes de ses compagnons de débauche, c'est par réflexion qu'il s'en offrait le spectacle ; 5 : il pouvait voir les hommes auxquels il se livrait de toutes manières ; parfois il était partagé entre un mâle et une femme ; 7 : marem exerceo " j'exerce sur un mâle ".
VII, xxxi : " Ce qui nous reste d'extérieur mâle, nous l'effaçons sous le luisant de nos corps épilés. Nous avons vaincu les femmes en toilette; les couleurs que portent les courtisanes, que les dames romaines ont dû s'interdire, nous, Romains, nous les avons prises. On va d'une molle et languissante allure, d'un pas indécis : ce n'est plus en homme que l'on marche, c'est en femmelette. Des bagues ornent nos doigts; chaque phalange a sa pierre précieuse. Tous les jours nous imaginons de nouveaux moyens de dégrader notre sexe ou de le travestir, ne pouvant le dépouiller : l'un livre au fer ce qui le fait, homme ; la plus vile bande du cirque devient le refuge de cet autre, loué pour mourir, armé pour l'infamie. Même ruiné, il pourra fournir à sa frénésie : il a bien choisi. " (traduction J Baillard, 1861).



samedi 10 août 2024

A / LES RELIGIONS suivi de B / NOTE SUR L'OBSCURANTISME RELIGIEUX



A / LES RELIGIONS



Voir d'abord : "DIEU", LA FOI suivi de SUR FIDES ET RATIO , j'ai préféré séparer l'approche théorique (philosophique) de la foi de l'approche historique (politique) des religions ; Michel Onfray eut tort de ne pas pratiquer ainsi dans son Traité... car cela l'affaiblit.

"DIEU", LA RELIGION, DANS L'ŒUVRE DE FRÉDÉRIC NIETZSCHE

N.B. L'islam fait l'objet d'un article séparé : MAUVAISES (ET BONNES) RÉPUTATIONS DE L'ISLAM et d'articles en lien sur cette page, notamment sur les versets violents du Coran.


Égalitarismes narcissique, puis transitif, imposés en amour :

Narcissique : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même (1). » (Lévitique, XIX, 18). À rapprocher de : « Pythagore a dit le premier : Mon ami est un autre moi-même [Porphyre, Vie de Pythagore]. N’est-ce pas dire : aime ton prochain comme toi-même ? » (Alfred de Vigny, Journal d’un poète, 20 décembre 1835).
1. Repris en Luc, X, 27 : Diliges [...] proximum tuum sicut teipsum comme réponse à Jésus ; et en Matthieu, XXII, 39 : Diliges proximum tuum sicut teipsum (parole du seigneur).

Transitif : « Mandatum novum do vobis, ut diligatis invicem; sicut dilexi vos, ut et vos diligatis invicem Je vous donne un commandement nouveau : vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés. »
(Évangile [bonne nouvelle] selon Jean, XIII, 34)

Il doit bien exister des analyses sur la signification de cette évolution.


Avertissements aimables... :

« Mon Ange ira devant toi, et t’amènera vers l’Amoréen, et le Héthien, et le Phérézien, et le Cananéen, le Hévien, et le Jébusien, et je les exterminerai. » (Exode, XXIII, 23). Cité par Michel Onfray dans son Traité d'athéologie (2005).

« Et quiconque ne chercherait pas le Seigneur, le Dieu d'Israël, devait être mis à mort, petit ou grand, homme ou femme. » (II Chroniques, XV, 13).

« Ne croyez pas que je sois venu mettre la paix sur la Terre ; je ne suis pas venu mettre la paix, mais le glaive. » (Évangile selon Matthieu, X, 34)

« Mon règne n’est pas de ce monde. » (Évangile selon Jean, XVIII, 36)

« Contrains-les d'entrer. [Compelle intrare », (Évangile selon Luc, XIV, 23)

« Nous ne devons même pas être curieux de ce qu’il enseigne, puisqu’il enseigne hors de l’Église du Christ. » Cyprien de Carthage (IIIe siècle), Lettres, xxiv, 1. [traduction française ancienne et approximative].



Cinq allégories de la montagne :

« Si vous aviez de la foi gros comme une graine de sanve, vous diriez à cette montagne: Va de là à là, et elle irait. ». (Évangile selon Matthieu, XVII, 20).

« Foi céleste ! foi consolatrice ! tu fais plus que de transporter des montagnes; tu soulèves les poids accablants qui pèsent sur le cœur de l'homme ! ». (Chateaubriand, Génie du christianisme, Ière partie, livre II, chapitre ii).

« La foi ne déplace pas les montagnes, mais place les montagnes là où il n’y en a pas. ». Frédéric Nietzsche, L’Antéchrist, § 51. [voir aussi Opinions et sentences mêlées, § 225)

« La Foi soulève des montagnes ; oui : des montagnes d’absurdité. » André Gide, Feuillets d’automne, 1947. (Dans le Journal).

« Les convictions des athées et des laïcs peuvent déplacer encore plus de montagnes que la foi des croyants. »
Riss, " Crève, Charlie ! Vis, Charlie ! ", Charlie Hebdo, 6 janvier 2016.

Mystères du dogme des premiers chrétiens :

« Le fils de Dieu est mort; il faut y croire, puisque c’est absurde. Enseveli, il est ressuscité; c’est certain, puisque c’est impossible. ». Tertullien, vers 160 / vers 230, La Chair du Christ, V, 4. [Souvent déformé en Credo quia absurdum, je crois parce que c’est absurde", et attribué à Augustin.]

* * * * *

§ I / Catéchisme de 1992

§ II / Un des maux de tous les siècles

§ III / Lumières sur les religions

§ IV / Critiques post-modernes


§ I / Catéchisme de 1992 :

On verra mieux avec ces extraits en quoi consiste en principe la foi catholique ; après, les croyants en prennent et en laissent, évidemment.


LISTE DES SIGLES
« 1, 1, 2, 3, II. Inspiration et vérité de la Sainte Écriture

" 105 Dieu est l’Auteur de l’Écriture Sainte." La vérité divinement révélée, que contiennent et présentent les livres de la Sainte Écriture, y a été consignée sous l’inspiration de l’Esprit Saint ". [C'est là qu'on a besoin d'une foi infinie...]

" Notre Sainte Mère l’Église, de par sa foi apostolique, juge sacrés et canoniques tous les livres tant de l’Ancien que du Nouveau Testament, avec toutes leurs parties, puisque [sic : belle "logique" circulaire], rédigés sous l’inspiration de l’Esprit Saint, ils ont Dieu pour auteur et qu’ils ont été transmis comme tels à l’Église elle-même " (Dei Verbum 11).

[DEI VERBUM, 1965, CHAPITRE III : 

L’inspiration de la Sainte Écriture et son interprétation
11. Inspiration et vérité de la Sainte Écriture
Les réalités divinement révélées, que contiennent et présentent les livres de la Sainte Écriture, y ont été consignées sous l’inspiration de l’Esprit Saint. Notre sainte Mère l’Église, de par la foi apostolique, tient pour sacrés et canoniques tous les livres tant de l’Ancien que du Nouveau Testament, avec toutes leurs parties, puisque, rédigés sous l’inspiration de l’Esprit Saint (cf. Jn 20, 31 ; 2 Tm 3, 16 ; 2 P 1, 19-21 ; 3, 15-16), ils ont Dieu pour auteur et qu’ils ont été transmis comme tels à l’Église elle-même [Concile Vatican I, Const. dogm. De fide cath. chap. 2, Sur la Révélation : Denziger 1787 (3006). – Comm. biblique, décret 18 juin 1915 : Denzinger 2180 (3629) ; EB 420 (Enchir. Bibl.). – Sacrée Congrégation du Saint Office, Épître du 22 décembre 1923 : EB 499.]

106 Dieu a inspiré les auteurs humains des livres sacrés. " En vue de composer ces livres sacrés, Dieu a choisi des hommes auxquels il eut recours dans le plein usage de leurs facultés et de leurs moyens, pour que, lui-même agissant en eux et par eux, ils missent par écrit, en vrais auteurs, tout ce qui était conforme à son désir, et cela seulement " (Dei Verbum 11).

107 Les livres inspirés enseignent la vérité. " Dès lors, puisque toutes les assertions des auteurs inspirés ou hagiographes doivent être tenues pour assertions de l’Esprit Saint, il faut déclarer que les livres de l’Écriture enseignent fermement, fidèlement et sans erreur la vérité que Dieu a voulu voir consignée pour notre salut dans les Lettres sacrées " (Dei Verbum 11).

108 Cependant, la foi chrétienne n’est pas une " religion du Livre ". Le christianisme est la religion de la " Parole " de Dieu, " non d’un verbe écrit et muet, mais du Verbe incarné et vivant " (S. Bernard, hom. miss. 4, 11 : Opera, ed. J. Leclercq-H. Rochais, v. 4 [Romae 1966] p. 57). Pour qu’elles ne restent pas lettre morte, il faut que le Christ, Parole éternelle du Dieu vivant, par l’Esprit Saint nous " ouvre l’esprit à l’intelligence des Écritures " (Luc 24, 45). "

« 1, 1, 2, 3, III. L’Esprit Saint, interprète de l’Écriture
Les sens de l’Écriture

115 Selon une ancienne tradition, on peut distinguer deux sens de l’Écriture : le sens littéral et le sens spirituel, ce dernier étant subdivisé en sens allégorique, moral et anagogique. La concordance profonde des quatre sens assure toute sa richesse à la lecture vivante de l’Écriture dans l’Église :

116 Le sens littéral. C’est le sens signifié par les paroles de l’Écriture et découvert par l’exégèse qui suit les règles de la juste interprétation " Tous les sens de la Sainte Ecriture trouvent leur appui dans le sens littéral " (S. Thomas d’Aquin, Somme th. 1, 1, 10, ad 1).

117 Le sens spirituel. Grâce à l’unité du dessein de Dieu, non seulement le texte de l’Écriture, mais aussi les réalités et les événements dont il parle peuvent être des signes.

1. Le sens allégorique. Nous pouvons acquérir une compréhension plus profonde des événements en reconnaissant leur signification dans le Christ ; ainsi, la traversée de la Mer Rouge est un signe de la victoire du Christ, et ainsi du Baptême (cf. 1 Cor 10, 2).

2. Le sens moral. Les événements rapportés dans l’Écriture peuvent nous conduire à un agir juste. Elles ont été écrites " pour notre instruction " (1 Cor 10, 11 ; cf. He 3 – 4, 11).

3. Le sens anagogique. Nous pouvons voir des réalités et des événements dans leur signification éternelle, nous conduisant (en grec : anagoge) vers notre Patrie. Ainsi, l’Église sur terre est signe de la Jérusalem céleste (cf. Apocalypse, 21, 1 – 22, 5).

118 Un distique médiéval résume la signification des quatre sens :

[Littera gesta docet, quid credas allegoria,
Moralis quid agas, quo tendas anagogia
.]
Le sens littéral enseigne les événements, l’allégorie ce qu’il faut croire,
le sens moral ce qu’il faut faire, l’anagogie vers quoi il faut tendre.
(Augustin de Dacie [mort en 1282], Rotulus pugillaris, I : éd. A. Walz, Angelicum 6 [1929] 256). »

« 1, 1, 2, 3, IV. Le Canon des Écritures

120 C’est la Tradition apostolique qui a fait discerner à l’Église quels écrits devaient être comptés dans la liste des Livres Saints (cf. Dei Verbum 8, 3). Cette liste intégrale est appelée " Canon " des Écritures. Elle comporte pour l’Ancien Testament 46 (45, si l’on compte Jr et Lm ensemble) écrits et 27 pour le Nouveau (cf. DS [Denzinger-Schönmetzer, Enchiridion Symbolorum, definitionum et declarationum de rebus fidei et morum] 179 ; 1334-1336 ; 1501-1504) :

Genèse, Exode, Lévitique, Nombres, Deutéronome, Josué, Juges, Ruth, les deux livres de Samuel, les deux livres des Rois, les deux livres des Chroniques, Esdras et Néhémie, Tobie, Judith, Esther, les deux livres des Maccabées, Job, les Psaumes, les Proverbes, l’Ecclésiaste, le Cantique des Cantiques, la Sagesse, l’Ecclésiastique, Isaïe, Jérémie, les Lamentations, Baruch, Ezéchiel, Daniel, Osée, Joël, Amos, Abdias, Jonas, Michée, Nahum, Habaquq, Sophonie, Agée, Zacharie, Malachie pour l’Ancien Testament ; [...]

" 121 L’Ancien Testament est une partie inamissible [qui ne peut être perdue] de l’Écriture Sainte. Ses livres sont divinement inspirés et conservent une valeur permanente (cf. Dei Verbum 14) car l’Ancienne Alliance n’a jamais été révoquée. ".

[DEI VERBUM, 1965, CHAPITRE IV : L’Ancien Testament
14.
Dieu, projetant et préparant en la sollicitude de son amour extrême le salut de tout le genre humain, se choisit, selon une disposition particulière, un peuple auquel confier les promesses. En effet, une fois conclue l’Alliance avec Abraham (cf. Genèse XV, 18) et, par Moïse, avec le peuple d’Israël (cf. Exode XXIV, 8), Dieu se révéla, en paroles et en actions, au peuple de son choix, comme l’unique Dieu véritable et vivant ; de ce fait, Israël fit l’expérience des « voies » de Dieu avec les hommes, et, Dieu lui-même parlant par les prophètes, il en acquit une intelligence de jour en jour plus profonde et plus claire, et en porta un témoignage grandissant parmi les nations (cf. Ps 21, 28-29 ; 95, 1-3 ; Is 2, 1- 4 ; Jr 3, 17). L’économie du salut, annoncée d’avance, racontée et expliquée par les auteurs sacrés, apparaît donc dans les livres de l’Ancien Testament comme la vraie Parole de Dieu ; c’est pourquoi ces livres divinement inspirés conservent une valeur impérissable : « Car tout ce qui a été écrit l’a été pour notre instruction, afin que par la patience et la consolation venant des Écritures, nous possédions l’espérance » (Rm 15, 4).]

« 2, 2, 1, 3, V. Le sacrifice sacramentel : action de grâce, mémorial, présence
La présence du Christ par la puissance de sa Parole et de l’Esprit Saint

Catéchisme : " 1374 Le mode de présence du Christ sous les espèces eucharistiques est unique. Il élève l’Eucharistie au-dessus de tous les sacrements et en fait " comme la perfection de la vie spirituelle et la fin à laquelle tendent tous les sacrements " (S. Thomas d’Aquin, Somme théologique III, 73, 3). Dans le très saint sacrement de l’Eucharistie sont " contenus vraiment, réellement et substantiellement le Corps et le Sang conjointement avec l’âme et la divinité de notre Seigneur Jésus-Christ, et, par conséquent, le Christ tout entier " (Concile de Trente [1545-1563] : Denzinger-Schönmetzer, Enchiridion Symbolorum et Definitionum (1854), 1651). " Cette présence, on la nomme ‘réelle’, non à titre exclusif, comme si les autres présences n’étaient pas ‘réelles’, mais par excellence parce qu’elle est substantielle, et que par elle le Christ, Dieu et homme, se rend présent tout entier " (Mysterium Fidei, 1965, 39 [In Epist. 2 ad Timoth. homil. 2, 4; Patrologie Grecque 62, 612]). " (Catéchisme de l'Église Catholique, 1992 ; j'ai un peu éclairci les abréviations...).


§ II / Un des maux de tous les siècles :

« Tant est grand le pouvoir qu’a la religion d’inciter au mal. ». Lucrèce (Titus Lucretius Carus, vers -99 / vers -55), De la nature des choses [De rerum natura, I, 101 : " tantum religio potuit suadere malorum "]
D'Argenson : " Un ami du nonce m'assure qu'il ne tient qu'à l'archevêque de Paris d'avoir le chapeau de cardinal en quittant son archevêché que le Roi donnerait au cardinal de La Rochefoucauld ; mais il barguigne et paraît refuser. Friponnerie, hypocrisie perpétuelle que cette allégation de conscience! Il en usa de même pour avoir l'archevêché de Paris. Il est certain, non seulement qu'il acceptera, mais que toute cette grande constance n'avait pour but que cet objet du chapeau rouge. Quantum religio potest suadere malorum ! " Journal, volume IX, page 117, 24 octobre 1755.
« Notre religion est faite pour extirper les vices ; elle les couvre, les nourrit, les incite. ». Montaigne, Essais, II, xii, page 444 de l'édition Villey/PUF/Quadrige.

« La croyance d’un Dieu fait et doit faire presque autant de fanatiques que de croyants. Partout où l’on admet un Dieu, il y a un culte ; partout où il y a un culte, l’ordre naturel des devoirs moraux est renversé, et la morale corrompue. Tôt ou tard, il vient un moment où la notion qui a empêché de voler un écu fait égorger cent mille hommes. Belle compensation ! ». Denis Diderot, lettre à Sophie Volland, 6 octobre 1765.

« Si forte est la violence de dogmes religieux tôt inculqués, qu’elle peut étouffer la conscience morale et finalement toute pitié et toute humanité. »
Arthur Schopenhauer, Sur la religion, Paralipomena et parerga, volume II, chapitre XV, § 174.

Opinion dissidente :

Ignacio Ramonet : « Quelles que soient les raisons conjoncturelles de la nouvelle offensive des grandes religions, il ne faut pas oublier que celles-ci — hindouisme, bouddhisme, judaïsme, christianisme, islam — constituent, avec leur expérience millénaire, de formidables architectures intellectuelles, capables de proposer, à chaque individu, toute une philosophie de la vie. Elles répondent aux aspirations spirituelles des êtres humains, à la nécessité de croire en des valeurs élevées, et à leurs angoisses fondamentales devant la peur, la souffrance et la mort. Elles disent le vrai, le beau, le bien et le juste, et fournissent ainsi, à chacun, une grille, une morale, pour interpréter le monde. » " Géopolitique des religions ", Le Monde diplomatique, novembre-décembre 199, dossier " L'offensive des religions ".


§ III / Lumières sur les religions :



§ III / a) MONTESQUIEU :

« Tu me demandes s'il y a des Juifs en France ? Sache que, partout où il y a de l'argent, il y a des Juifs. Tu me demandes ce qu'ils y font ? Précisément ce qu'ils font en Perse : rien ne ressemble plus à un Juif d'Asie qu'un Juif européen.
Ils font paraître chez les Chrétiens, comme parmi nous, une obstination invincible pour leur religion, qui va jusqu'à la folie.
La religion juive est un vieux tronc qui a produit deux branches qui ont couvert toute la Terre : je veux dire le Mahométisme et le Christianisme ; ou plutôt c'est une mère qui a engendré deux filles, qui l'ont accablée de mille plaies : car, en fait de religions, les plus proches sont les plus grandes ennemies. [...] Les Juifs se regardent donc comme la source de toute sainteté et l'origine de toute religion. Ils nous regardent, au contraire, comme des hérétiques, qui ont changé la Loi, ou plutôt comme des Juifs rebelles. ». Lettres persanes (1721), lettre LX.

ROUSSEAU :

« Le christianisme ne prêche que servitude et dépendance. Son esprit est trop favorable à la tyrannie pour qu’elle n’en profite pas toujours. Les vrais chrétiens sont faits pour être esclaves; ils le savent et ne s’en émeuvent guère. ». Jean-Jacques Rousseau, Du Contrat social, 1762, IV, 8.

« Bayle a très bien prouvé que le fanatisme est plus pernicieux que l'athéisme, et cela est incontestable ; mais ce qu'il n'a eu garde de dire, et qui n'est pas moins vrai, c'est que le fanatisme, quoique sanguinaire et cruel, est pourtant une passion grande et forte, qui élève le cœur de l'homme, qui lui fait mépriser la mort, qui lui donne un ressort prodigieux, et qu'il ne faut que mieux diriger pour en tirer les plus sublimes vertus: au lieu que l'irréligion, et en général l'esprit raisonneur et philosophique, attache à la vie, effémine, avilit les âmes, concentre toutes les passions dans la bassesse de l'intérêt particulier dans l'abjection du moi humain, et sape ainsi à petit bruit les vrais fondements de toute société ; car ce que les intérêts particuliers ont de commun est si peu de chose, qu'il ne balancera jamais ce qu'ils ont d'opposé.
Si l'athéisme ne fait pas verser le sang des hommes, c'est moins par amour pour la paix que par indifférence pour le bien : comme que tout aille, peu importe au prétendu sage, pourvu qu'il reste en repos dans son cabinet. Ses principes ne font pas tuer les hommes, mais ils les empêchent de naître, en détruisant les mœurs qui les multiplient, en les détachant de leur espèce, en réduisant toutes leurs affections à un secret égoïsme, aussi funeste à la population qu'à la vertu. L'indifférence philosophique ressemble à la tranquillité de l'État sous le despotisme ; c'est la tranquillité de la mort : elle est plus destructive que la guerre même. »
Émile, ou De l'Éducation, 1762, livre IV.


§ III / b) VOLTAIRE

Questions sur l'Encyclopédie, 1771 :

III / b) 1 :

« Je pense avec vous [d'Holbach, auteur du Système de la nature, 1770] que le fanatisme est un monstre mille fois plus dangereux que l'athéisme philosophique. Spinoza n'a pas commis une seule mauvaise action : Chastel et Ravaillac, tous deux dévots, assassinèrent Henri IV. »
"Dieu, dieux", section VI.

« Ce qui distingue les Juifs des autres nations, c’est que leurs oracles sont les seuls véritables: il ne nous est pas permis d’en douter. Ces oracles, qu’ils n’entendent que dans le sens littéral, leur ont prédit cent fois qu’ils seraient les maîtres du monde: cependant ils n’ont jamais possédé qu’un petit coin de terre pendant quelques années; ils n’ont pas aujourd’hui un village en propre.Ils doivent donc croire, et ils croient en effet qu’un jour leurs prédictions s’accompliront, et qu’ils auront l’empire de la Terre.
Ils sont le dernier de tous les peuples parmi les musulmans et les chrétiens, et ils se croient le premier. Cet orgueil dans leur abaissement est justifié par une raison sans réplique; c’est qu’ils sont réellement les pères des chrétiens et des musulmans. Les religions chrétienne et musulmane reconnaissent la juive pour leur mère; et, par une contradiction singulière, elles ont à la fois pour cette mère du respect et de l’horreur. »
"Juifs", section I.

« On entend aujourd'hui par fanatisme une folie religieuse, sombre et cruelle. C'est une maladie de l'esprit qui se gagne comme la petite vérole. Les livres la communiquent beaucoup moins que les assemblées et les discours. On s'échauffe rarement en lisant : car alors on peut avoir le sens rassi. Mais quand un homme ardent et d'une imagination forte parle à des imaginations faibles, ses yeux sont en feu, et ce feu se communique ; ses tons, ses gestes, ébranlent tous les nerfs des auditeurs. Il crie : " Dieu vous regarde, sacrifiez ce qui n'est qu'humain ; combattez les combats du Seigneur : " et on va combattre.
Le fanatisme est à la superstition ce que le transport est à la fièvre, ce que la rage est à la colère.
[...]
Les lois sont encore très impuissantes contre ces accès de rage : c'est comme si vous lisiez un arrêt du conseil à un frénétique. Ces gens-là sont persuadés que l'esprit saint qui les pénètre est au-dessus des lois, que leur enthousiasme est la seule loi qu'ils doivent entendre.
Que répondre à un homme qui vous dit qu'il aime mieux obéir à Dieu qu'aux hommes, et qui en conséquence est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ? »
"Fanatisme", section II.


III / b) 2 : « [...] Dès que les Européens eurent franchi le cap de Bonne-Espérance, la propagande se flatta de subjuguer tous les peuples voisins des mers orientales, et de les convertir. On ne fit plus le commerce d’Asie que l’épée à la main ; et chaque nation de notre Occident fit partir tour à tour des marchands, des soldats et des prêtres.

 Gravons dans nos cervelles turbulentes ces mémorables paroles de l’empereur Young-tching, quand il chassa tous les missionnaires jésuites et autres de son empire ; qu’elles soient écrites sur les portes de tous nos couvents : “ Que diriez-vous si nous allions, sous le prétexte de trafiquer dans vos contrées, dire à vos peuples que votre religion ne vaut rien, et qu’il faut absolument embrasser la nôtre ? ”

C'est là cependant ce que l'Église latine a fait par toute la Terre. Il en coûta cher au Japon ; il fut sur le point d’être enseveli dans les flots de son sang, comme le Mexique et le Pérou.

Il y avait dans les îles du Japon douze religions qui vivaient ensemble très paisiblement. Des missionnaires arrivèrent de Portugal ; ils demandèrent à faire la treizième ; on leur répondit qu'ils seraient les très bien venus, et qu'on n'en saurait trop avoir.

Voilà bientôt des moines établis au Japon avec le titre d'évêques. À peine leur religion fut-elle admise pour la treizième qu'elle voulut être la seule. [...] Bientôt la religion chrétienne fut proscrite. Les missionnaires s'humilièrent, demandèrent pardon, obtinrent grâce, et en abusèrent.

Enfin, en 1637, les Hollandais ayant pris un vaisseau espagnol qui faisait voile du Japon à Lisbonne, ils trouvèrent dans ce vaisseau des lettres d'un nommé Moro, consul d'Espagne à Nagazaki. Ces lettres contenaient le plan d'une conspiration des chrétiens du Japon pour s'emparer du pays. On y spécifiait le nombre des vaisseaux qui devaient venir d'Europe et d'Asie appuyer cette entreprise.

Les Hollandais ne manquèrent pas de remettre les lettres au gouvernement. On saisit Moro ; il fut obligé de reconnaître son écriture, et condamné juridiquement à être brûlé.

Tous les néophytes des jésuites et des dominicains prirent alors les armes, au nombre de trente mille. Il y eut une guerre civile affreuse. Ces Chrétiens furent tous exterminés.

Les Hollandais, pour prix de leur service, obtinrent seuls, comme on sait, la liberté de commercer au Japon, à condition qu'ils n'y feraient jamais aucun acte de christianisme ; et depuis ce temps ils ont été fidèles à leur promesse.

Qu’il me soit permis de demander à ces missionnaires quelle était leur rage, après avoir servi à la destruction de tant de peuples en Amérique, d’en aller faire autant aux extrémités de l’Orient, pour la plus grande gloire de Dieu ?

S'il était possible qu'il y eût des diables déchaînés de l'enfer pour venir ravager la Terre, s'y prendraient-ils autrement ? Est-ce donc là le commentaire du contrains-les d'entrer ? [Compelle intrare, Luc, XIV, 23] est-ce ainsi que la douceur chrétienne se manifeste ? est-ce là le chemin de la vie éternelle ?

Lecteurs, joignez cette aventure à tant d'autres, réfléchissez et jugez. »
"Japon".



III / b) 3 :

Marquis de SADE : « Ce n’est plus ni aux genoux d’un être imaginaire, ni à ceux d’un vil imposteur, qu’un républicain doit fléchir; ses uniques dieux doivent être maintenant le courage et la liberté. Rome disparut dès que le christianisme s’y prêcha; et la France est perdue s’il s’y révère encore. »
La Philosophie dans le boudoir, V, "Français, encore un effort si vous voulez être républicain", " La religion ", Paris: Gallimard, 1998, édition Jean Deprun, collection " Bibliothèque de la Pléiade ".




§ IV / Critiques post-modernes :

« La croyance prolongée en une entité divine manifestement absente provoquait en eux [les saints] des phénomènes d’abrutissement incompatibles à long terme avec le maintien d’une civilisation technologique. »
Michel Houellebecq, La Possibilité d’une île, DANIEL 24,6, Paris: Fayard, 2005.

Dans le Traité d'athéologie de Michel Onfray, il est plutôt question de politique que d'athéisme stricto sensu. Onfray va même, horresco referens, jusqu'à écrire (Quatrième partie "Théocratie", II "Au service de la pulsion de mort", § 1 "Les indignations sélectives") que : « Si tous ces représentants de leur Dieu unique sur Terre optaient pour la paix, l'amour, la tolérance : d'abord on l'aurait su et vu, ensuite, et alors, on aurait pu soutenir les religions dans leur principe [sic], puis se contenter de condamner l'usage qu'en font les mauvais, les méchants. »

Et 2e partie, « Monothéismes », I « Tyrannies et servitude des arrière-mondes », 3 La kyrielle des interdits. « Les religions monothéistes ne vivent que de prescriptions et d'invitations : faire et ne pas faire, dire et ne pas dire, penser et ne pas penser, agir et ne pas agir. Interdit et autorisé, licite et illicite, d'accord et pas d'accord, les textes religieux abondent en codifications existentielles, alimentaires, comportementales, rituelles, et autres ...[…] Les Évangiles n'interdisent ni le vin ni le porc, ni aucuns aliments, pas plus qu'ils n'obligent à porter des vêtements particuliers. L'appartenance à la communauté chrétienne suppose l'adhésion au message évangélique, pas aux détails de prescription maniaque. Il ne viendrait pas à l'idée d'un chrétien d'interdire le sacerdoce à un individu contrefait, aveugle, boiteux, défiguré, difforme, bossu, malingre comme Yahvé demande à Moïse d'y veiller pour quiconque envisage le culte comme profession  Lévitique (XXI, 16) . En revanche, Paul conserve la manie du licite et de l'illicite sur le terrain sexuel. […] Juifs et musulmans obligent à penser Dieu dans chaque seconde de la vie quotidienne. Du réveil au coucher, en passant par les heures de prière, ce qu'il faut ou non manger, la manière de se vêtir, aucun comportement, même le plus insignifiant a priori, n'est libre d'interprétation. Pas de jugement personnel ou d'appréciation individuelle : obéissance et soumission. »

II « Autodafés de l'intelligence », § 2, « Le Livre contre les livres » :
« Les chrétiens donnent le ton avec Paul de Tarse qui appelle, dans les Actes des apôtres (XIX, 19), à brûler les manuscrits dangereux. » [En fait il n'appelle pas, il raconte seulement : Multi autem ex his, qui fuerant curiosa sectati, conferentes libros combusserunt coram omnibus; et computaverunt pretia illorum et invenerunt argenti quinquaginta milia.]
II, § 3, Haine de la science« Le refus des Lumières caractérise les religions monothéistes : elles chérissent les nuits mentales utiles pour entretenir leurs fables. »
II, § 5, Une ontologie boulangère. « L'Église des premières heures croit à ce miracle. Celles des dernières aussi. Le Catéchisme de l'Église catholique — version XXIe siècle ... — affirme toujours la présence réelle du Christ dans les espèces eucharistiques (article 1373 [sic pour 1374]). suivent, pour légitimer cette fable, des références au concile de Trente, à la Somme théologique de saint Thomas d'Aquin, aux Mystères de la Foi — étiqueté numéro 39 par l'Église — et autres textes de saint Jean Chrysostome — [...] L'Église de toujours croit à la présence réelle du corps et du sang du Christ dans le pain du boulanger et le nectar du viticulteur. »
Onfray n'a pas compris l'indication de la note 39 de la Lettre encyclique de Paul VI (Mysterium Fidei, 1965), y voyant une numérotation des mystères ... lol

4e partie, « Théocratie »,
I, « Petite théorie du prélèvement », § 4, « Une logique du prélèvement » :
«  Hypothèse : le décalogue vaut comme invite locale, sectaire et communautaire. Sous-entendu « toi, juif, tu ne tueras pas de juifs ». Le commandement joue un rôle architectonique pour que vive et survive la communauté. En revanche, tuer les autres, les non-juifs, les goys — le mot signale deux mondes irréductibles — le forfait n'est pas vraiment tuer, du moins cela ne relève plus des dix commandements. L'impératif de ne pas enlever la vie cesse d'être catégorique et devient hypothétique. Il ne fonde pas l'universel, mais entretient le particulier. Yahvé parle à son peuple élu et n'a aucune considération pour les autres. La Torah invente l'inégalité éthique, ontologique et métaphysique des races. »
I, § 7, « Allah n'est pas doué pour la logique » :
« L'interdit juif de tuer et simultanément l'éloge de l'holocauste par les mêmes ; l'amour du prochain chrétien et, en même temps, la légitimation de la violence par la colère prétendument dictée par Dieu, voilà deux problèmes spécifiquement bibliques. Et il en va de même avec le troisième livre monothéiste, le Coran, lui aussi chargé de potentialités monstrueuses. »

II, « Au service de la pulsion de mort », § 1, « Les indignations sélectives » :
« Si les rabbins interdisaient qu'on puisse être juif et massacrer, coloniser, déporter des populations au nom de leur religion [...] Aujourd'hui, le grand rabbinat de Jérusalem fustige le terroriste palestinien bardé d'explosifs dans la rue de Jaffa, mais fait silence sur l'assassinat des habitants d'un quartier de Cisjordanie détruit par les missiles de Tsahal. [...] les plus hautes instances de l'islam mondial dénoncent les crimes du colonialisme, de l'humiliation et de l'exploitation que le monde occidental leur (a) fait subir, mais se réjouissent d'un djihad planétaire mené sous les auspices d'Al- Qaïda. Fascinations pour la mort des goys, des mécréants et des infidèles, — les trois [monothéismes] considérant d'ailleurs l'athée comme leur seul ennemi commun ! »

4e partie, « Théocratie », II, « Au service de la pulsion de mort », § 2, "L'invention juive de la guerre sainte" :
« À tout seigneur tout honneur. Les juifs inventent le monothéisme, ils inventent tout ce qui va avec. Le droit divin et son corrélat obligé : le peuple élu exhaussé, les autres peuples enfoncés, logique cohérente ; mais aussi, et surtout, la force divine nécessaire à l'appui de ce droit venu du Ciel : car le bras armé permet son efficacité sur terre. [...] Un Dieu unique, belliqueux, militaire, impitoyable, menant le combat sans merci, capable d'exterminer les ennemis sans état d'âme, galvanisant ses troupes, voilà Yahvé, dont le modèle relève — comme Mahomet — du chef de guerre tribal obtenant du galon cosmique.
[...] Peu importe ces Cananéens, Dieu a décidé de leur extermination : " je les exterminerai ", dit-il (Ex. XXIII, 23).
Pour conquérir la Palestine, Dieu utilise les grands moyens. En termes polémologiques contemporains, disons qu'il invente la guerre totale. Il ouvre la mer en deux — tant qu'à faire ... —, y noie une armée entière — pas de demi-mesure ! — arrête le soleil pour que les Hébreux aient le temps d'exterminer leurs ennemis amorites (Jos. X, 12-14) — amour du prochain, quand tu nous tiens ... —
[...] Humain tant qu'il ne s'agit pas de Cananéens, il peut proposer l'évitement du combat et offrir à la place l'esclavage, signe de bonté et d'amour. Aux Palestiniens, il promet la destruction totale - la guerre sainte selon l'expression terrifiante et hypermoderne (*) du livre de Josué (VI,21). [...] Dans les yeshivas, on travaille à la mémoire de ces passages auxquels ont ne change pas une virgule, pas plus qu'on ne touche à un cheveu de Yahvé. La Torah propose la première version occidentale des nombreux arts de la guerre publiés au fil des siècles... »
Michel Onfray, Traité d'athéologie - Physique de la métaphysique, Paris : Grasset, 2005. Réédité en 2006 en collection " Le Livre de Poche ", n° 30 637.
* Cette expression " terrifiante et hypermoderne " ne se trouve pas dans le livre de Josué. Voir cependant I Samuel, XV, 3, pour l'ordre d'extermination de la tribu d'Amalek.


DIEU EST MORT :

« Annoncez que le grand Pan est mort […] Thamus: le grand Pan est mort. »
Plutarque, Traité de la cessation des oracles, 419c.

« Dieu est un Dieu caché. »
Blaise Pascal, Pensées, édition de Léon Brunschviq (Br) 242.

« La nature est telle, qu’elle marque partout un Dieu perdu, et dans l’homme, et hors de l’homme, et une nature corrompue. »
Blaise Pascal, Pensées, Br 333. Des chrétiens ont dit depuis que tout est dans la nature, mais que, la nature étant déchue, tout n'y est pas selon Dieu.

« Le sentiment que Dieu lui-même est mort […]. »
Georg W. F. Hegel, Foi et savoir, Conclusion.



B / NOTE SUR L'OBSCURANTISME RELIGIEUX


B / 1 : OBSCURANTISME n. m. XIXe siècle. Dérivé d'obscurant, participe présent de l'ancien verbe obscurer, « plonger dans l'obscurité ».
"Attitude attribuée à ceux que l'on soupçonne d'hostilité au progrès, au libre exercice de la raison, à la diffusion de l'instruction et du savoir." (Dictionnaire de l'Académie française, 9e édition)


Dès le début du christianisme, le désir de connaissance est dévalorisé. « Sive scientia, destruetur. La science ? elle sera abolie. » trouve-t-on dans la 1ère Épître aux Corinthiens (XIII, 8).
Condorcet : " Le mépris des sciences humaines était un des premiers caractères du christianisme. Il avait à se venger des outrages de la philosophie ; il craignait cet esprit d’examen et de doute, cette confiance en sa propre raison, fléau de toutes les croyances religieuses. La lumière des sciences naturelles lui était même odieuse et suspecte ; car elles sont très dangereuses pour le succès des miracles ; et il n’y a point  de religion qui ne force ses sectateurs à dévorer quelques absurdités physiques. Ainsi le triomphe du christianisme fut le signal de l’entière décadence, et des sciences, et de la philosophie. " (Esquisse d'un tableau historique des progrès de l'esprit humain, Cinquième époque, 1795).


La valorisation de la confusion aux dépens de la connaissance se manifeste dans ce verset de Paul :
« Il n'y a plus ni juif ni Grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme. » (Épître aux Galates, III, 28) ; verset qui annonce les égarements de la théorie du genre : " Quand l'homophobie n'existera plus, l'étiquetage " homosexuel " ne voudra plus rien dire. " (Le philosophe médiatique Vincent Cespedes).

De Jésus rien n’est rapporté concernant la philosophie, mais pour Paul, c’est « ce vain leurre [inanis fallacia] qui s’inspire de la tradition humaine et des éléments du monde, mais non du Christ » (Épître aux Colossiens, II, 8). Plus tard, la philosophie sera considérée comme la servante (ancilla) de la théologie. « L’Église primitive, c’est bien connu, luttait contre les " intelligents ", en faveur des " pauvres en esprit " : comment aurait-on pu attendre d'elle une guerre intelligente contre la passion ? » (Frédéric Nietzsche, Crépuscule des Idoles, (5 "La morale, une anti-nature), § 1).

À noter cependant cette appréciation inattendue de Nietzsche :

« Le philosophe a à dire comme le Christ, " Ne jugez point ! " et la dernière différence entre les têtes philosophiques et les autres serait que les premiers veulent être justes, les derniers voulant être juges. » [Der Philosoph hat also zu sagen, wie Christus, „ richtet nicht ! “ und der letzte Unterschied zwischen den philosophischen Köpfen und den andern wäre der, dass die ersten gerecht sein wollen, die andern Richter sein wollen.] Opinions et sentences mêlées (1879), § 33.

Par la suite, le christianisme échappa bien mieux que les autres religions monothéistes à l'obscurantisme. L'injonction de Cyprien (IIIe siècle) , « Nous ne devons même pas être curieux de ce qu’il enseigne, puisqu’il enseigne hors de l’Église du Christ » (Lettres, xxiv, 1 ; traduction ancienne et approximative), ne fut guère suivie. Augustin, dans sa Cité de Dieu, recommandait de juger des choses mêmes (XIX, iii, 2). Le droit canon, inspiré du droit romain, influença le droit constitutionnel ; on connaît l'adage Quod omnes tangit ..., ce qui touche tous doit être approuvé par tous (cf Brian Tierney, Religion, Law and the Growth of Constitutional Thought, 1150-1650, Cambridge University Press, 1982).

Ce que l'on doit à la chrétienté (e. g. le droit canon, ébauche du droit constitutionnel) est entremêlé avec tout ce que l'on doit aux Romains et aux Grecs. Notre langue et notre littérature en témoignent, notamment le théâtre de Racine. La seule pièce d'inspiration chrétienne de Corneille (Polyeucte) était ratée. Il y a certes de grands auteurs français chrétiens, Pascal, Bossuet, Malebranche, Chateaubriand, Claudel, Bernanos, mais d'aussi grands auteurs non chrétiens, Rabelais, Montaigne, Molière, La Fontaine, Voltaire, Diderot, Stendhal, Hugo, Flaubert, Rimbaud, Gide, Camus, Sartre et alii.


§ B / 2 :

Il y a une dose certaine de rationalisme dans le christianisme, puisque c'est la seule religion qui avait ressenti " en interne " le besoin d'une preuve de l'existence du dieu, et chercha longtemps une telle preuve. Les deux autres religions monothéistes sont très obscurantistes, cela se manifeste par l'archaïsme figé et la lourdeur de leurs rites (dont l'abattage rituel des animaux) et interdits ; sans parler du dogme de la Terre promise au " peuple (élu) juif ", dogme qui produit les effets désastreux que l'on sait au Moyen-Orient.
L'importance accordée à l'enseignement, notamment avec la création des Universités, puis avec les Bénédictins, les Frères des écoles chrétiennes (Lasalliens), les Jésuites et les Oratoriens, à un enseignement qui ne se réduise pas à la lecture et mémorisation des textes sacrés (comme dans les sinistres écoles coraniques), et assez souvent de haut niveau scientifique, achève de faire du christianisme une religion relativement ouverte sur la culture et qui a su non seulement créer, mais aussi entretenir ces Universités (supprimées par la Révolution au profit des grandes écoles ; rétablies au cours du XIXe siècle). Voir Chateaubriand, Génie du christianisme, IVe partie " Culte ", livre VI " Services rendus à la société par le clergé et la religion chrétienne en général ", chapitre V " Éducation écoles, collèges, universités, Bénédictins et Jésuites " :
« Le Bénédictin qui savait tout, le Jésuite qui connaissait la science et le monde, l’Oratorien, le docteur de l’université, méritent peut-être moins notre reconnaissance que ces humbles Frères qui s’étaient consacrés à l’enseignement gratuit des pauvres. " Les clercs réguliers des écoles pieuses s’obligeaient à montrer, par charité, à lire, à écrire au petit peuple, en commençant par l’a, b, c, à compter, à calculer, et même à tenir les livres chez les marchands et dans les bureaux. Ils enseignent encore non seulement la rhétorique et les langues latine et grecque, mais, dans les villes, ils tiennent aussi des écoles de philosophie et de théologie scolastique et morale, de mathématiques, de fortifications et de géométrie… Lorsque les écoliers sortent de classe, ils vont par bandes chez leurs parents, où ils sont conduits par un religieux, de peur qu’ils ne s’amusent par les rues à jouer et à perdre leur temps. " [Hélyot, IV, 307]. »
S'est posé récemment la question politique des racines chrétiennes de notre civilisation, et de leur poids face à l'immense apport gréco-latin, du poids de Jésus face à Socrate dirait Nietzsche. L'égalité des droits est pré-chrétienne, tout comme la liberté de conscience (le penser par soi-même de la philosophie des Grecs) :
« Périclès : Parce que notre régime sert les intérêts de la masse des citoyens et pas seulement ceux d’une minorité, on lui donne le nom de démocratie [καὶ ὄνομα μὲν διὰ τὸ μὴ ἐς ὀλίγους ἀλλ᾽ ἐς πλείονας οἰκεῖν δημοκρατία κέκληται] […] Nous sommes tous égaux devant la loi [νόμους πρὸς τὰ ἴδια διάφορα πᾶσι τὸ ἴσον] […] nous nous gouvernons dans un esprit de liberté [ἐλευθέρως δὲ τά τε πρὸς τὸ κοινὸν πολιτεύομεν καὶ ἐς τὴν πρὸς ἀλλήλους] […] nous obéissons aux lois. » (Thucydide, vers -460 / -400, La Guerre du Péloponnèse, II, xxxvii, 1-3).
Hannah Arendt, dans What is Freedom ? (Between Past and Future, IV), attribuait à tort la priorité de la découverte du conflit intérieur entre la raison et la volonté à Paul de Tarse (Romains, VII, 15) alors que la connaissance de ce conflit est attestée chez les Grecs anciens (Euripide, Médée, 1077-1080) et les Latins (Ovide, Métamorphoses, VII, 20).

Outre les éléments positifs mentionnés plus haut (souci d'une preuve, enseignement), on retient la très forte inspiration chrétienne (volontaire ou obligatoire ?) en architecture, en peinture et en musique. En revanche, des concepts théologiques controversés tels que la Révélation, la Résurrection, l'Immaculée-Conception, le libre-arbitre (pour exonérer le dieu de l'existence du mal), les grâces efficace ou suffisante, ou encore l'infaillibilité pontificale (concile Vatican I, 1870), ne sont qu'à usage religieux interne, sans apport réel à notre civilisation européenne., et en aucun cas des " valeurs ". À la vertu théologale de charité, la civilisation oppose l'exigence de justice.

À noter les mésaventures souvent négligées du comte Georges-Louis de Buffon, le Galilée français, obligé de se rétracter :
« J’abandonne ce qui dans mon livre [Théorie de la Terre] regarde la formation de la Terre, et en général tout ce qui pourrait être contraire à la narration de Moïse [la Genèse], n’ayant présenté mon hypothèse sur la formation des planètes que comme une pure supposition philosophique. » Réponse du comte Georges-Louis de Buffon à MM. Les Députés et Syndic de la Faculté de Théologie, 12 mars 1751.
Je n'ignore pas non plus l'Index Librorum prohibitorum, dans lequel figurent notamment les Essais de Montaigne, pour sa grande liberté de langage et parce qu'à la fin de ces Essais il recommandait non son âme, mais sa vieillesse, non au dieu chrétien mais à Apollon, ce qui était fort !! Index aussi pour Rabelais ; mais justement, cet Index est, involontairement, le témoin de la vitalité intellectuelle du monde chrétien. Galilée fut certes condamné en 1633, mais il avait reçu précédemment le soutien d'un pape et de plusieurs ecclésiastiques. La condamnation de Buffon en 1751 trouva moins de défenseurs du condamné. Le christianisme chercha longtemps des preuves de cette existence divine : Anselme de Cantorbéry (Proslogion), Descartes (Méditations métaphysiques), Malebranche, Fénelon ; comme la preuve, dans un sens comme dans l'autre, est impossible (on le sait depuis Henri Oldenburg et David Hume), il y renonça, comme les athées ont renoncé à chercher une preuve logique de l'inexistence. Rien n'indiquait la persistance de la recherche d'une telle preuve dans l'encyclique Foi et raison, Fides et ratio, de Jean-Paul II (15 octobre 1998). Reste que actor incubit probatio, la charge de la preuve est mise sur celui qui affirme.


§ B / 3 Il y a évidemment de l'obscurantisme dans toutes les religions monothéistes, puisqu'elles ferment la question cosmologique de l'histoire de l'Univers, depuis 13,8 milliards d'années, par une réponse (création divine) qui n'en est pas une, et que les récits de Révélation dans la Genèse et des miracles de Jésus dans les Évangiles sont devenus invraisemblables pour les individus instruits d'aujourd'hui :
Elles sont toutes, comme par hasard, nées dans cette même petite zone géographique du Moyen-Orient, l'axe Nazareth-Jérusalem-Bethléem-Hébron-Médine-La Mecque, et dans des sociétés alors fortement ignorantes et obscurantistes ; on ne peut imaginer ni le mythique patriarche Abraham, ni les prophètes Moïse, Jésus ou Mahomet prêchant à Athènes ou à Rome face à Hérodote, Diogène de Sinope, Protagoras, Socrate, Aristote, Archimède, Lucrèce ou Cicéron. Quant à la promesse de vie éternelle, elle n'engage que ceux qui ont la foi... Sur ce plan, toutes les religions sont des ratages.

Ces croyances religieuses se maintiennent par ce que certains, après Ferdinand Brunetière, ont appelé un " besoin de croire " (chronique " Le Besoin de croire, conférence faite à Besançon au 8e Congrès de la jeunesse catholique ", Revue des Deux Mondes, LXVIIIe année, tome 150, 1er décembre 1898) qui n'est en fait qu'une demande d'explications, de connaissances, un désir de comprendre ; hélas, « Il est dans la nature des esprits non scientifiques de préférer n'importe quelle explication d'une chose à l'absence d'explication ; s'abstenir, ils ne veulent pas y penser. » (Nietzsche, Fragments posthumes, fin 1876 – été 1877
Y compris d'accepter des " explications " qui n'en sont pas.

Le recul qualitatif de l'instruction publique au tournant du XXIe siècle peut rendre compte d'un phénomène qualifiée « L’offensive des religions »  en novembre-décembre 1999 par  Le Monde diplomatique ; Ignacio Ramonet y évoque une " nécessité de croire en des valeurs élevées ". Le déclin du savoir n'enraye cependant pas encore en France le recul des religions (islam apporté par l'immigration excepté)

Lors de la naissance du christianisme, l'instruction, la culture et le savoir (mathématiques, sciences exactes, droit, histoire, arts, philosophie) avaient fortement progressé en Grèce et à Rome. C'est à sa rencontre précoce avec cette immense culture gréco-latine que la religion chrétienne doit de n'être pas totalement obscurantiste (on a vu plus haut son souci de prouver l'existence de son dieu) ; Brunetière évoque sans en dire la cause " dans le christianisme une vertu sociale et civilisatrice qui ne se retrouve dans aucune autre religion " ... Les œuvres des Pères de l'Église (éditées dans la collection Sources chrétiennes) présentent un grand intérêt, même pour les incroyants. La religion chrétienne eut la chance de se confronter, dès ses débuts, à la culture gréco-latine ; Philippe Nemo indique que ce sont en large part les nettes prises de position doctrinales d'Augustin dans le De Doctrina christiana qui permirent que l'essentiel de la culture de l'Antiquité soit passé à l'Europe chrétienne ; elle s'en imprégna au cours des siècles, alors que les autres religions n'eurent qu'un contact tardif et limité avec l'œuvre d'Aristote (Moïse Maïmonide pour les juifs, Averroès pour les musulmans, tous deux au XIIe siècle).

Alfred de Vigny notait : « Le Coran arrête toute science et toute culture ; le vrai mahométan ne lit rien, parce que tout ce qui n’est pas dans le Coran est mauvais et qu’il renferme tout. – Les arts lui sont interdits parce qu’il ne doit pas créer une image de l’homme. » (Journal d’un poète, 1838).
Selon Régis Debray, l'islam est : « Une religion qui a eu sa Renaissance d’abord et son Moyen-Âge ensuite. » (Intervention à "Culture et dépendances", France 3, 2 novembre 2005).

Nietzsche, Opinions et sentences mêlées (1879), § 95 :
« Amour. Le plus subtil artifice qui donne l'avantage au christianisme sur les autres religions tient en un mot : il parla d'amour. Il devint ainsi la religion lyrique (alors que dans ses deux autres créations le sémitisme a donné au monde des religions épiques et héroïques). Il y a dans le mot d'amour quelque chose de si ambigu, de si stimulant, qui parle si éloquemment au souvenir, à l'espérance, que même l'intelligence la plus basse et le cœur le plus froid sentent encore quelque chose de l'auréole de ce mot. Il fait que la femme la plus avisée et l'homme le plus vulgaire pensent là aux instants relativement les moins égoïstes de leur vie commune, même si Éros n'a pris chez eux qu'un envol à ras de terre ; et tous ceux-là, les innombrables, qui souffrent d'une absence d'amour, de la part de leurs parents, de leurs enfants ou de leurs bien-aimés, mais surtout les êtres d'une sexualité sublimée, ont trouvé dans le christianisme juste ce qu'il leur fallait. »
Toutes les religions ne se valent donc pas.

Archaïsme des rites et interdits du judéo-islamisme ; les religions chrétiennes n'ont ni la petite mutilation qu'est la circoncision, ni interdits alimentaires sur certains aliments (notamment la viande de porc), ni abattage rituel, ni séparation des sexes dans les lieux de cultes et dans les piscines, ni injonctions vestimentaires pour les femmes (voiles, burkas, burlinis) ou pour les hommes (kippa), ni rituels lourds, invalidants socialement, comme les prescriptions et interdictions du shabbat hebdomadaire des juifs (interdiction de se servir d'appareils électriques !!) avec interdiction d'écrire ou de se déplacer autrement qu'à pied lors de la fête de Pessah ; ou les cinq prières par jour, à heures fixes, et le mois lunaire de ramadan (jeûne du lever au coucher du soleil) des musulmans.

Le ramadan ne peut se comparer avec le carême chrétien qui consistait simplement à réduire son alimentation, sans jeûne total. L'exigence de médecins femmes pour les femmes dans les hôpitaux, de menus sans porc, le développement du marché de la viande halal (abattage rituel par un " sacrificateur agrée " sans étourdissement préalable de l'animal tourné vers La Mecque ...) de la finance halal, des Quick " tout halal " et, dernièrement, d'hôtels halal (sans chaines X ni minibars), de pharmacies sans croix verte, achèvent de faire de l'application de la charia un véritable séparatisme, comme l'avait bien vu Karl Marx dès 1854.

Toutefois il existe dans certaines églises chrétiennes récentes, évangélistes, avec la lecture littérale de la Bible et le rejet du darwinisme (créationnisme, intelligent design), une remontée de cet obscurantisme qui s'était renforcé au XIXe siècle en réaction aux progrès rapides des sciences exactes avec le Syllabus de Pie IX (1864).