jeudi 19 mai 2022

DIALOGUE DE LA FOI ET DE L'INCROYANCE (SADE et alii)

Par le marquis Donatien de SADE (1740 - 1814)


Portrait par Charles Amédée Philippe van Loo, 1760, quand Sade avait 19 ans.

Dialogue entre un Prêtre et un Moribond 
écrit vers 1782?
suivi de

Paraphrase de l'Ode à Priape de Piron

Dialogue entre un Prêtre et un Moribond  :

Les huit premières notes (1 à 8) et les liens sont de moi Cl. C. ; la dernière note est de Sade.


Le prêtre : Arrivé à cet instant fatal, où le voile de l'illusion ne se déchire que pour laisser à l'homme séduit le tableau cruel de ses erreurs et de ses vices, ne vous repentez-vous point, mon enfant, des désordres multipliés où vous ont emporté la faiblesse et la fragilité humaine ? 

Le moribond : Oui, mon ami, je me repens.

Le prêtre : Eh bien, profitez de ces remords heureux pour obtenir du ciel, dans le court intervalle qui vous reste, l'absolution générale de vos fautes, et songez que ce n'est que par la médiation du très saint sacrement (1) de la pénitence qu'il vous sera possible de l'obtenir de l'éternel.

1. Expression très représentative du style ecclésiastique ; un sacrement ne peut être un simple sacrement, ni même saint ; il doit être très saint.

Le moribond : Je ne t'entends pas plus que tu ne m'as compris.
Le prêtre : Eh quoi !
Le moribond : Je t'ai dit que je me repentais. 
Le prêtre : Je l'ai entendu.
Le moribond : Oui, mais sans le comprendre.
Le prêtre : Quelle interprétation ?...

Le moribond : La voici... Créé par la nature avec des goûts très vifs, avec des passions très fortes; uniquement placé dans ce monde pour m'y livrer et pour les satisfaire, et ces effets de ma création n'étant que des nécessités relatives aux premières vues de la nature ou, si tu l'aimes mieux, que des dérivations essentielles à ses projets sur moi, tous en raison des ses lois, je ne me repens que de n'avoir pas assez reconnu sa toute-puissance, et mes uniques remords ne portent que sur le médiocre usage que j'ai fait des facultés (criminelles selon toi, toutes simples selon moi) qu'elle m'avait données pour la servir ; je lui ai quelquefois résisté, je m'en repens. Aveuglé par l'absurdité de tes systèmes, j'ai combattu par eux toute la violence des désirs, que j'avais reçus par une inspiration bien plus divine, et je m'en repens, je n'ai moissonné que des fleurs quand je pouvais faire une ample récolte de fruits... Voilà les justes motifs de mes regrets, estime-moi assez pour ne m'en pas supposer d'autres.

Le prêtre : Où vous entraînent vos erreurs, où vous conduisent vos sophismes ! Vous prêtez à la chose créée toute la puissance du créateur, et ces malheureux penchants vous ont égaré - vous ne voyez pas qu'ils ne sont que des effets de cette nature corrompue, à laquelle vous attribuez la toute-puissance.

Le moribond : Ami - il me paraît que ta dialectique est aussi fausse que ton esprit. Je voudrais que tu raisonnasses plus juste, ou que tu ne me laissasses mourir en paix. Qu'entends-tu par créateur, et qu'entends-tu par nature corrompue ?

Le prêtre : Le créateur est le maître de l'univers, c'est lui qui a tout fait, tout créé, et qui conserve tout par un simple effet de sa toute-puissance (2).

2. La toute-puissance ne peut exister, selon Aristote, Horace et Sénèque le Jeune.
En effet, « la seule chose que Dieu n’a pas, le pouvoir de défaire ce qui s’est fait » (Éthique à Nicomaque, VI, ii, 6) ;
« Dieu ne peut pas faire que ce qui a eu lieu ne se soit pas produit » (Odes, III, xxix, 43) ;
« le souverain créateur du monde a pu dicter les destinées, il y est soumis, il obéit incessamment, il a commandé une seule fois » (De la Providence, V, 8).
Cette impossibilité d'une toute-puissance du Dieu, qui nuisait gravement au concept, fut niée, mais sans arguments convaincants, par Jérôme (vers 347 / 420) puis par Pierre Damien (vers 1007 / 1072).


Le moribond : Voilà un grand homme assurément. Eh bien, dis-moi pourquoi cet homme-là qui est si puissant a pourtant fait selon toi une nature si corrompue.

Le prêtre : Quel mérite eussent eu les hommes, si Dieu ne leur eût pas laissé leur libre arbitre, et quel mérite eussent-ils à en jouir s'il n'y eût sur la Terre la possibilité de faire le bien et celle d'éviter le mal ?

Le moribond : Ainsi ton dieu a voulu faire tout de travers pour tenter, ou pour éprouver sa créature ; il ne la connaissait donc pas, il ne se doutait donc pas du résultat ?

Le prêtre : Il la connaissait sans doute, mais encore un coup il voulait lui laisser le mérite du choix.

Le moribond : À quoi bon, dès qu'il savait le parti qu'elle prendrait et qu'il ne tenait qu'à lui, puisque tu le dis tout-puissant, qu'il ne tenait qu'à lui, dis-je, de lui faire prendre le bon.

Le prêtre : Qui peut comprendre les vues immenses et infinies de Dieu sur l'homme et qui peut comprendre tout ce que nous voyons ?

Le moribond : Celui qui simplifie les choses, mon ami, celui surtout qui ne multiplie pas les causes (3), pour mieux embrouiller les effets. Qu'as-tu besoin d'une seconde difficulté, quand tu ne peux pas expliquer la première, et dès qu'il est possible que la nature toute seule ait fait ce que tu attribues à ton dieu, pourquoi veux-tu lui aller chercher un maître ? La cause de ce que tu ne comprends pas (4), est peut-être la chose du monde la plus simple. Perfectionne ta physique et tu comprendras mieux la nature, épure ta raison, bannis tes préjugés et tu n'auras plus besoin de ton dieu.

3. C'est le principe du rasoir d'Okham, ne pas multiplier les essences sans nécessité.
4. Rapprocher de : « Comment voulez-vous que j’admette pour cause de ce que je ne comprends pas, quelque chose que je comprends encore moins ? » (Sade, Philosophie dans le boudoir, troisième dialogue, Paris, Gallimard, 1998, édition Jean Deprun).
Et aussi : « Ceux qui veulent nous persuader de l’existence de leur abominable Dieu, osent effrontément nous dire, que parce que nous ne pouvons assigner la véritable cause des effets, il faut que nous admettions nécessairement la cause universelle. Peut-on faire un raisonnement plus imbécile, comme s’il ne valait pas mieux convenir de son ignorance, que d’admettre une absurdité ; ou comme si l’admission de cette absurdité devenait une preuve de son existence. » (Sade, Histoire de Juliette, 1ère partie, Paris, Gallimard, 1998, édition Michel Delon).

Le prêtre : Malheureux ! je ne te croyais que socinien - j'avais des armes pour te combattre, mais je vois bien que tu es athée, et dès que ton cœur se refuse à l'immensité des preuves authentiques que nous recevons chaque jour de l'existence du créateur - je n'ai plus rien à te dire. On ne rend point la lumière à un aveugle.

Le moribond : Mon ami, conviens d'un fait, c'est que celui des deux qui l'est le plus, doit assurément être plutôt celui qui se met un bandeau que celui qui se l'arrache. Tu édifies, tu inventes, tu multiplies, moi je détruis (5), je simplifie. Tu ajoutes erreurs sur erreurs, moi je les combats toutes. Lequel de nous deux est aveugle ?

5. Cf Nietzsche, Fragment posthume, U I 2b, fin 1870 - avril 1871 : 7[17] : « La pensée philosophique ne peut pas construire, mais seulement détruire. » Ainsi qu'Alfred de Vigny : « La philosophie de Voltaire […] fut très belle, non parce qu’elle révéla ce qui est, mais parce qu’elle montra ce qui n’est pas. » (Journal d’un poète, 1830).

Le prêtre : Vous ne croyez donc point en Dieu ?

Le moribond : Non. Et cela pour une raison bien simple, c'est qu'il est parfaitement impossible de croire ce qu'on ne comprend pas. Entre la compréhension et la foi, il doit exister des rapports immédiats ; la compréhension n'agit point, la foi est morte, et ceux qui, dans tel cas prétendraient en avoir, en imposent. Je te défie toi-même de croire au dieu que tu me prêches  parce que tu ne saurais me le démontrer, parce qu'il n'est pas en toi de me le définir, que par conséquent tu ne le comprends pas - que dès que tu ne le comprends pas, tu ne peux plus m'en fournir aucun argument raisonnable et qu'en un mot tout ce qui est au-dessus des bornes de l'esprit humain, est ou chimère (6) ou inutilité; que ton dieu ne pouvant être l'une ou l'autre de ces choses, dans le premier cas je serais un fou d'y croire, un imbécile dans le second.

6. « Qu’est-ce qui peut nous représenter l’idée de Dieu qui est évidemment une idée sans objet, une telle idée, leur ajouterez-vous, n’est-elle pas aussi impossible que des effets sans cause? Une idée sans prototype, est-elle autre chose qu’une chimère ? » (Sade, Philosophie dans le boudoir, cinquième dialogue).

Mon ami, prouve-moi l'inertie de la matière, et je t'accorderai le créateur, prouve-moi que la nature ne se suffit pas à elle-même, et je te permettrai de lui supposer un maître; jusque-là n'attends rien de moi, je ne me rends qu'à l'évidence, et je ne la reçois que de mes sens; où ils s'arrêtent ma foi reste sans force. Je crois le soleil parce que je le vois, je le conçois comme le centre de réunion de toute la matière inflammable de la nature, sa marche périodique me plaît sans m'étonner. C'est une opération de physique, peut-être aussi simple que celle de l'électricité, mais qu'il ne nous est pas permis de comprendre. Qu'ai-je besoin d'aller plus loin, lorsque tu m'auras échafaudé ton dieu au-dessus de cela, en serais-je plus avancé, et ne me faudra-t-il pas encore autant d'effort pour comprendre l'ouvrier que pour définir l'ouvrage ?
Par conséquent, tu ne m'as rendu aucun service par l 'édification de ta chimère, tu as troublé mon esprit, mais tu ne l'as pas éclairé et je ne te dois que de la haine au lieu de reconnaissance. Ton dieu est une machine que tu as fabriquée pour servir tes passions, et tu l'as fait mouvoir à leur gré, mais dès qu'elle gêne les miennes trouve bon que je l'aie culbutée, et dans l'instant où mon âme faible a besoin de calme et de philosophie, ne viens pas l'épouvanter de tes sophismes, qui l'effraieraient sans la convaincre, qui l'irriteraient sans la rendre meilleure; elle est, mon ami, cette âme, ce qu'il a plu à la nature qu'elle soit, c'est-à-dire le résultat des organes qu'elle s'est plu de me former en raison de ses vues et de ses besoins; et comme elle a un égal besoin de vices et de vertus, quand il lui a plu de me porter aux premiers, elle m'en a inspiré les désirs, et je m'y suis livré tout de même. Ne cherche que ses lois pour unique cause à notre inconséquence humaine, et ne cherche à ses lois d'autres principes que ses volontés et ses besoins.

Le prêtre : Ainsi donc tout est nécessaire dans le monde.
Le moribond : Assurément.
Le prêtre : Mais si tout est nécessaire - tout est donc réglé.
Le moribond : Qui te dit le contraire ?

Le prêtre : Et qui peut régler tout comme il l'est si ce n'est une main toute-puissante et toute sage ?

Le moribond: N'est-il pas nécessaire que la poudre s'enflamme quand on y met le feu ?
Le prêtre: Oui.
Le moribond : Et quelle sagesse trouves-tu à cela ?
Le prêtre : Aucune.

Le moribond : Il est donc possible qu'il y ait des choses nécessaires sans sagesse et possible par conséquent que tout dérive d'une cause première, sans qu'il y ait ni raison ni sagesse dans cette première cause.

Le prêtre : Où voulez-vous en venir? 

Le moribond : À te prouver que tout peut être ce qu'il est et ce que tu vois, sans qu'aucune cause sage et raisonnable le conduise, et que des effets naturels doivent avoir des causes naturelles, sans qu'il soit besoin de leur en supposer d'antinaturelles, telle que le serait ton dieu qui lui-même, ainsi que je te l'ai déjà dit, aurait besoin d'explication, sans en fournir aucune; et que, par conséquent dès que ton dieu n'est bon à rien, il est parfaitement inutile; qu'il y a grande apparence que ce qui est inutile est nul et que tout ce qui est nul est néant; ainsi, pour me convaincre que ton dieu est une chimère, je n'ai besoin d'aucun autre raisonnement que celui qui me fournit la certitude de son inutilité.

Le prêtre : Sur ce pied-là, il me paraît peu nécessaire de vous parler de religion.

Le moribond : Pourquoi pas, rien ne m'amuse comme la preuve de l'excès où les hommes ont pu porter sur ce point-là le fanatisme et l'imbécillité ; ce sont des espèces d'écarts si prodigieux, que le tableau selon moi, quoique horrible, en est toujours intéressant. Réponds avec franchise et surtout bannis l'égoïsme. Si j'étais assez faible que de me laisser surprendre à tes ridicules systèmes sur l'existence fabuleuse de l'être qui me rend la religion nécessaire, sous quelle forme me conseillerais-tu de lui offrir un culte ? Voudrais-tu que j'adoptasse les rêveries de Confucius, plutôt que les absurdités de Brahma, adorerais-je le grand serpent des nègres, l'astre des Péruviens ou le dieu des armées de Moïse, à laquelle des sectes de Mahomet voudrais-tu que je me rendisse, ou quelle hérésie de chrétiens serait selon toi préférable ? Prends garde à ta réponse.

Le prêtre : Peut-elle être douteuse. 
Le moribond : La voilà donc égoïste. 
Le prêtre : Non, c'est t'aimer autant que moi que de te conseiller ce que je crois. 
Le moribond : Et c'est nous aimer bien peu tous deux que d'écouter de pareilles erreurs. 
Le prêtre : Et qui peut s'aveugler sur les miracles de notre divin rédempteur ?
Le moribond : Celui qui ne voit en lui que le plus ordinaire de tous les fourbes et le plus plat de tous les imposteurs

Le prêtre : Ô dieux, vous l'entendez et vous ne tonnez pas !

Le moribond : Non, mon ami, tout est en paix, parce que ton dieu, soit impuissance, soit raison, soit tout ce que tu voudras enfin, dans un être que je n'admets un moment que par condescendance pour toi, ou si tu l'aimes mieux pour me prêter à tes petites vues, parce que ce dieu, dis-je, s'il existe comme tu as la folie de le croire, ne peut pas pour nous convaincre avoir pris des moyens aussi ridicules que ceux que ton Jésus suppose.

Le prêtre : Eh quoi, les prophéties, les miracles, les martyrs (7), tout cela ne sont pas des preuves ?

7. Cf Nietzsche, Antéchrist, § 53 : « Il est si peu vrai que des martyrs prouvent quoi que ce soit quant à la vérité d’une cause, que je suis tenté de nier qu’aucun martyr n’ait jamais rien eu à voir avec la vérité. Le ton sur lequel un martyr jette à la face du monde ce qu’il « tient pour vrai » exprime déjà un niveau si bas de probité intellectuelle, une telle indifférence bornée pour le problème de la vérité, qu’il n’est jamais nécessaire de réfuter un martyr. » Et André Gide : « N’a jamais rien prouvé le sang des martyrs. Il n’est pas religion si folle qui n’ait eu les siens et qui n’ait suscité des convictions ardentes. C’est au nom de la foi que l’on meurt ; et c’est au nom de la foi que l’on tue. L’appétit de savoir naît du doute. Cesse de croire et instruis-toi. » Nouvelles nourritures (IV).


Le moribond : Comment veux-tu en bonne logique que je puisse recevoir comme preuve tout ce qui en a besoin soi-même ? Pour que la prophétie devînt preuve, il faudrait d'abord que j'eusse la certitude complète qu'elle a été faite; or cela étant consigné dans l'histoire, ne peut plus avoir pour moi d'autre force que tous les autres faits historiques, dont les trois quarts sont fort douteux; si à cela j'ajoute encore l'apparence plus que vraisemblable qu'ils ne me sont transmis que par des historiens intéressés, je serai comme tu vois plus qu'en droit d'en douter. Qui m'assurera d'ailleurs que cette prophétie n'a pas été l'effet de la combinaison de la plus simple politique comme celle qui voit un règne heureux sous un roi juste, ou de la gelée dans l'hiver; et si tout cela est, comment veux-tu que la prophétie ayant un tel besoin d'être prouvée puisse elle-même devenir une preuve ?
A l'égard de tes miracles, ils ne m'en imposent pas davantage. Tous les fourbes en ont fait, et tous les sots en ont cru ; pour me persuader de la vérité d'un miracle, il faudrait que je fusse bien sûr que l'événement que vous appelez tel fût absolument contraire aux lois de la nature, car il n'y a que ce qui est hors d'elle qui puisse passer pour miracle, et qui la connaît assez pour oser affirmer que tel est précisément celui où elle est enfreinte ? Il ne faut que deux choses pour accréditer un prétendu miracle, un bateleur et des femmelettes; va, ne cherche jamais d'autre origine aux tiens, tous les nouveaux sectateurs en ont fait, et ce qui est plus singulier, tous ont trouvé des imbéciles qui les ont crus. Ton Jésus n'a rien fait de plus singulier qu'Apollonius de Tyane, et personne pourtant ne s'avise de prendre celui-ci pour un dieu; quant à tes martyrs, ce sont bien assurément les plus débiles de tous tes arguments. Il ne faut que de l'enthousiasme et de la résistance pour en faire, et tant que la cause opposée m'en offrira autant que la tienne, je ne serai jamais suffisamment autorisé à en croire une meilleure que l'autre, mais très porté en revanche à les supposer toutes les deux pitoyables. 
Ah! mon ami, s'il était vrai que le dieu que tu prêches existât, aurait-il besoin de miracles, de martyrs et de prophéties pour établir son empire, et si, comme tu le dis, le cœur de l'homme était son ouvrage, ne serait-ce pas là le sanctuaire qu'il aurait choisi pour sa loi? Cette loi égale, puisqu'elle émanerait d'un dieu juste, s'y trouverait d'une manière irrésistible également gravée dans tous, et d'un bout de l'univers à l'autre, tous les hommes se ressemblant par cet organe délicat et sensible se ressembleraient également par l'hommage qu'ils rendraient au dieu de qui ils le tiendraient, tous n'auraient qu'une façon de l'aimer, tous n'auraient qu'une façon de l'adorer ou de le servir et il leur deviendrait aussi impossible de méconnaître ce dieu que de résister au penchant de son culte. Que vois-je au lieu de cela dans l'univers, autant de dieux que de pays, autant de manières de servir ces dieux que de différentes têtes ou de différentes imaginations, et cette multiplicité d'opinions dans laquelle il m'est physiquement impossible de choisir serait selon toi l'ouvrage d'un dieu juste ?
Va, prédicant tu l'outrages ton dieu en me le présentant de la sorte, laisse-moi le nier tout à fait, car s'il existe, alors je l'outrage bien moins par mon incrédulité que toi par tes blasphèmes. Reviens à la raison, prédicant, ton Jésus ne vaut pas mieux que Mahomet, Mahomet pas mieux que Moïse, et tous trois pas mieux que Confucius qui pourtant dicta quelques bons principes pendant que les trois autres déraisonnaient ; mais en général tous ces gens-là ne sont que des imposteurs (8), dont le philosophe s'est moqué, que la canaille a crus et que la justice aurait dû faire pendre.

8. Cf « Ce n’est plus ni aux genoux d’un être imaginaire ni à ceux d’un vil imposteur qu’un républicain doit fléchir ; ses uniques dieux doivent être maintenant le courage et la liberté. » (Français, encore un effort si vous voulez être républicains, Les mœurs).

Le prêtre : Hélas, elle ne l'a que trop fait pour l'un des quatre.

Le moribond : C'est celui qui le méritait le mieux. Il était séditieux, turbulent, calomniateur, fourbe, libertin, grossier farceur et méchant dangereux, possédait l'art d'en imposer au peuple et devenait par conséquent punissable dans un royaume en l'état où se trouvait alors celui de Jérusalem. Il a donc été très sage de s'en défaire et c'est peut-être le seul cas où mes maximes, extrêmement douces et tolérantes d'ailleurs, puissent admettre la sévérité de Thémis; j'excuse toutes les erreurs, excepté celles qui peuvent devenir dangereuses dans le gouvernement où l'on vit; les rois et leurs majestés sont les seules choses qui m'en imposent, les seules que je respecte, et qui n'aime pas son pays et son roi n'est pas digne de vivre.

Le prêtre : Mais enfin, vous admettez bien quelque chose après cette vie, il est impossible que votre esprit ne se soit pas quelquefois plu à percer l'épaisseur des ténèbres du sort qui nous attend, et quel système peut l'avoir mieux satisfait que celui d'une multitude de peines pour celui qui vit mal et d'une éternité de récompenses pour celui qui vit bien ?

Le moribond : Quel, mon ami ? celui du néant ; jamais il ne m'a effrayé, et je n'y voit rien que de consolant et de simple; tous les autres sont l'ouvrage de l'orgueil, celui-là seul l'est de la raison. D'ailleurs il n'est ni affreux ni absolu, ce néant. N'ai-je pas sous mes yeux l'exemple des générations et régénérations perpétuelles de la nature? Rien ne périt, mon ami, rien ne se détruit dans le monde; aujourd'hui homme, demain ver, après-demain mouche, n'est-ce pas toujours exister ? Et pourquoi veux-tu que je sois récompensé de vertus auxquelles je n'ai nul mérite, ou puni de crimes dont je n'ai pas été le maître; peux-tu accorder la bonté de ton prétendu dieu avec ce système et peut-il avoir voulu me créer pour se donner le plaisir de me punir, et cela seulement en conséquence d'un choix dont il ne me laisse pas le maître ?

Le prêtre : Vous l'êtes.

Le moribond : Oui, selon tes préjugés; mais la raison les détruit et le système de la liberté de l'homme ne fut jamais inventé que pour fabriquer celui de la grâce qui devenait si favorable à vos rêveries. Quel est l'homme au monde qui, voyant l'échafaud à côté du crime, le commettrait s'il était libre de ne pas le commettre? Nous sommes entraînés par une force irrésistible, et jamais un instant les maîtres de pouvoir nous déterminer pour autre chose que pour le côté vers lequel nous sommes inclinés. Il n'y a pas une seule vertu qui ne soit nécessaire à la nature et réversiblement, pas un seul crime dont elle n'ait besoin, et c'est dans le parfait équilibre qu'elle maintient des uns et des autres, que consiste toute sa science, mais pouvons-nous être coupables du côté dans lequel elle nous jette? Pas plus que ne l'est la guêpe qui vient darder son aiguillon dans ta peau.

Le prêtre : Ainsi donc, le plus grand de tous les crimes ne doit nous inspirer aucune frayeur ?

Le moribond : Ce n'est pas là ce que je dis, il suffit que la loi le condamne, et que le glaive de la justice le punisse, pour qu'il doive nous inspirer de l'éloignement ou de la terreur, mais, dès qu'il est malheureusement commis, il faut savoir prendre son parti, et ne pas se livrer au stérile remords; son effet est vain, puisqu'il n'a pas pu nous en préserver, nul, puisqu'il ne le répare pas; il est donc absurde de s'y livrer et plus absurde encore de craindre d'en être puni dans l'autre monde si nous sommes assez heureux que d'avoir échappé de l'être en celui-ci. À Dieu ne plaise que je veuille par là encourager au crime, il faut assurément l'éviter tant qu'on le peut, mais c'est par raison qu'il faut savoir le fuir, et non par de fausses craintes qui n'aboutissent à rien et dont l'effet est sitôt détruit dans une âme un peu ferme. La raison - mon ami, oui, la raison toute seule doit nous avertir que de nuire à nos semblables ne peut jamais nous rendre heureux, et que notre cœur, que de contribuer à leur félicité, est la plus grande pour nous que la nature nous ait accordé sur la terre; toute la morale humaine est renfermée dans ce seul mot: rendre les autres aussi heureux que l'on désire de l'être soi-même et ne leur jamais faire plus de mal que nous n'en voudrions recevoir. 
Voilà, mon ami, voilà les seuls principes que nous devions suivre et il n'y a besoin ni de religion, ni de dieu pour goûter et admettre ceux-là, il n'est besoin que d'un bon cœur. Mais je sens que je m'affaiblis, prédicant, quitte tes préjugés, sois homme, sois humain, sans crainte et sans espérance; laisse là tes dieux et tes religions; tout cela n'est bon qu'à mettre le fer à la main des hommes, et le seul nom de toutes ces horreurs a plus fait verser de sang sur la terre, que toutes les autres guerres et les autres fléaux à la fois. Renonce à l'idée d'un autre monde, il n'y en a point, mais ne renonce pas au plaisir d'être heureux et d'en faire en celui-ci. Voilà la seule façon que la nature t'offre de doubler ton existence ou de l'étendre. Mon ami, la volupté fut toujours le plus cher de mes biens, je l'ai encensée toute ma vie, et j'ai voulu la terminer dans ses bras : ma fin approche, six femmes plus belles que le jour sont dans ce cabinet voisin, je les réservais pour ce moment-ci, prends-en ta part, tâche d'oublier sur leurs seins à mon exemple tous les vains sophismes de la superstition, et toutes les imbéciles erreurs de l'hypocrisie.

NOTE de Sade

Le moribond sonna, les femmes entrèrent et le prédicant devint dans leurs bras un homme corrompu par la nature, pour n'avoir pas su expliquer ce que c'était que la nature corrompue.

* * * * *

APPENDICE : Paraphrase (ou parodie) de l'Ode à Priape de Piron, dans la quatrième partie de l'Histoire de Juliette.

Avec quatre notes de Sade.

Foutre des Saints et de la Vierge,
    Foutre des Anges et de Dieu !
    Sur eux tous je branle ma verge,
    Lorsque je veux la mettre en feu...
    C'est toi que j'invoque à mon aide,
    Toi qui dans les culs, d'un trait raide,
    Lanças le foutre à gros bouillons !
    Du Chaufour, soutiens mon haleine,
    Et pour un instant, à ma veine
    Prête l'ardeur de tes couillons
 (1).

    Que tout bande, que tout s'embrase ;
    Accourez, putains et gitons :
    Pour exciter ma vive extase,
    Montrez-moi vos culs frais et ronds,
    Offrez vos fesses arrondies,
    Vos cuisses fermes et bondies,
    Vos engins roides et charnus,
    Vos anus tout remplis de crottes ;
    Mais, surtout, déguisez les mottes :
    Je n'aime à foutre que des culs.

    Fixez-vous, charmantes images,
    Reproduisez-vous sous mes yeux ;
    Soyez l'objet de mes hommages,
    Mes législateurs et mes Dieux !
    Qu'à Giton l'on élève un temple
    Où jour et nuit l'on vous contemple,
    En adoptant vos douces mœurs.
    La merde y servira d'offrandes,
    Les gringuenaudes de guirlandes,
    Les vits de sacrificateurs.

    Homme, baleine, dromadaire,
    Tout, jusqu'à l'infâme Jésus,
    Dans les cieux, sous l'eau, sur la terre,
    Tout nous dit que l'on fout des culs ;
    Raisonnable ou non, tout s'en mêle,
    En tous lieux le cul nous appelle,
    Le cul met tous les vits en rut,
    Le cul, du bonheur est la voie,
    Dans le cul gît toute la joie,
    Mais hors du cul, point de salut.

    Dévots, que l'enfer vous retienne :
    Pour vous seuls sont faites ses lois ;
    Mais leur faible et frivole chaîne
    N'a sur nos esprits aucun poids.
    Aux rives du Jourdain paisible,
    Du fils de Dieu la voix horrible
    Tâche en vain de parler au cœur :
    Un cul paraît (2), passe-t-il outre ?
    Non, je vois bander mon jean-foutre.
    Et Dieu n'est plus qu'un enculeur.

    Au giron de la sainte Église,
    Sur l'autel même où Dieu se fait,
    Tous les matins je sodomise
    D'un garçon le cul rondelet.
    Mes chers amis, que l'on se trompe
    Si de la catholique pompe
    On peut me soupçonner jaloux.
    Abbés, prélats, vivez au large :
    Quand j'encule et que je décharge,
    J ai bien plus de plaisirs que vous.

    D'enculeurs l'histoire fourmille,
    On en rencontre à tout moment.
    Borgia, de sa propre fille,
    Lime à plaisir le cul charmant ;
    Dieu le Père encule Marie ;
    Le Saint-Esprit fout Zacharie :
    Ils ne foutent tous qu'à l'envers.
    Et c'est sur un trône de fesses
    Qu'avec ses superbes promesses,
    Dieu se moque de l'univers.

    Saint Xavier aussi, ce grand sage
    Dont on vante l'esprit divin,
    Saint Xavier vomit peste et rage
    Contre le sexe féminin.
    Mais le grave et charmant apôtre
    S'en dédommagea comme un autre.
    Interprétons mieux ses leçons :
    Si, de colère, un con l'irrite,
    C'est que le cul d'un jésuite
    Vaut à ses yeux cent mille cons.

    Près de là, voyez saint Antoine
    Dans le cul de son cher pourceau,
    En dictant les règles du moine (3),
    Introduire un vit assez beau.
    A nul danger il ne succombe ;
    L'éclair brille, la foudre tombe,
    Son vit est toujours droit et long.

    Et le coquin, dans Dieu le Père
    Mettrait, je crois, sa verge altière
    Venant de foutre son cochon.

    Cependant Jésus dans l'Olympe,
    Sodomisant son cher papa,
    Veut que saint Eustache le grimpe,
    En baisant le cul d'Agrippa (4).
    Et le jean-foutre, à Madeleine,
    Pendant ce temps, donne la peine
    De lui chatouiller les couillons.
    Amis, jouons les mêmes farces :
    N'ayant pas de saintes pour garces,
    Enculons au moins des gitons.

    Ô Lucifer ! toi que j'adore,
    Toi qui fais briller mon esprit,
    Si chez toi l'on foutait encore,
    Dans ton cul je mettrais mon vit.
    Mais puisque, par un sort barbare,
    L'on ne bande plus au Ténare,
    Je veux y voler dans un cul.
    Là, mon plus grand tourment, sans doute,
    Sera de voir qu'un démon foute,
    Et que mon cul n'est point foutu.

    Accable-moi donc d'infortunes,
    Foutu Dieu qui me fais horreur ;
    Ce n'est qu'à des âmes communes
    A qui tu peux foutre malheur :
    Pour moi je nargue ton audace.
    Que dans un cul je foutimasse,
    Je me ris de ton vain effort ;
    J'en fais autant des lois de l'homme :
    Le vrai sectateur de Sodome
    Se fout et des Dieux et du sort.


1. Tout le monde a connu ce héros de la bougrerie, publiquement brûlé en place de Grève [en 1726] par le jugement des putains qui menaient tout alors dans Paris.
2. Celui de Jean-Baptiste, bardache aimé du fils de Marie [de Nazareth].
3. Il est généralement regardé comme le patriarche des moines et l'instituteur de leurs règles.
4. Dernier roi des Juifs.

* * * * *

Voir aussi mes pages

A / LES RELIGIONS suivi de B / NOTE SUR L'OBSCURANTISME RELIGIEUX

"DIEU", LA FOI suivi de (§ X) SUR « FIDES ET RATIO »








jeudi 7 avril 2022

DES CHRÉTIENS FACE À L'ISLAM




Arrivée des croisés à Constantinople : Louis VII le Jeune et Conrad, empereur d'Allemagne, entrent dans
la ville, suivis d'un important cortège de seigneurs et de chevaliers. 
Grandes Chroniques de France, enluminées par Jean Fouquet, Tours, vers 1455-1460
Paris, BnF, département des Manuscrits, Français 6465, fol. 202


PIERRE LE VÉNÉRABLE, THOMAS d'AQUIN, BOSSUET, JURIEU, CHATEAUBRIAND, CHARLES DE FOUCAULD, PAUL VI, JEAN PAUL II, FRANÇOIS, RÉMI BRAGUE


1150 environ : Pierre le Vénérable (vers 1093 - 1156), abbé de Cluny :

« Qu’on donne à l’erreur mahométane le nom honteux d’hérésie ou celui, infâme, de paganisme, il faut agir contre elle, c’est-à-dire écrire. Mais les Latins et surtout les modernes, l’antique culture périssant, suivant le mot des Juifs qui admiraient jadis les apôtres polyglottes, ne savent pas d’autre langue que celle de leur pays natal. Aussi n’ont-ils pu ni reconnaître l’énormité de cette erreur ni lui barrer la route. Aussi mon cœur s’est enflammé et un feu m’a brûlé dans ma méditation. Je me suis indigné de voir les Latins ignorer la cause d’une telle perdition et leur ignorance leur ôter le pouvoir d’y résister ; car personne ne répondait, car personne ne savait. Je suis donc allé trouver des spécialistes de la langue arabe qui a permis à ce poison mortel d’infester plus de la moitié du globe. Je les ai persuadés à force de prières et d’argent de traduire d’arabe en latin l’histoire et la doctrine de ce malheureux et sa loi même qu’on appelle Coran. Et pour que la fidélité de la traduction soit entière et qu’aucune erreur ne vienne fausser la plénitude de notre compréhension, aux traducteurs chrétiens j’en ai adjoint un Sarrasin. Voici les noms des chrétiens : Robert de ChesterHerman le DalmatePierre de Tolède ; le Sarrasin s’appelait Mohammed. Cette équipe après avoir fouillé à fond les bibliothèques de ce peuple barbare en a tiré un gros livre qu’ils ont publié pour les lecteurs latins. Ce travail a été fait l’année où je suis allé en Espagne et où j’ai eu une entrevue avec le seigneur Alphonse, empereur victorieux des Espagnes, c’est-à-dire en l’année du Seigneur 1141. » (cité par Jacques le Goff, Les Intellectuels au Moyen Âge, " Le temps qui court ", Paris : Le Seuil, 1957 ; merci à Jean-Baptiste de Morizur).


1265 : THOMAS d'AQUIN (1224 ou 25 / 1274), Somme contre les Gentils.

Livre I, chapitre 2 : " Réfuter toutes les erreurs est difficile, pour deux raisons. La première, c'est que les affirmations sacrilèges de chacun de ceux qui sont tombés dans l'erreur ne nous sont pas tellement connues que nous puissions en tirer des arguments pour les confondre. C'était pourtant ainsi que faisaient les anciens docteurs pour détruire les erreurs des païens, dont ils pouvaient connaître les positions, soit parce qu'eux-mêmes avaient été païens, soit, du moins, parce qu'ils vivaient au milieu des païens et qu'ils étaient renseignés sur leurs doctrines. - La seconde raison, c'est que certains d'entre eux, comme les Mahométans et les païens, ne s'accordent pas avec nous pour reconnaître l'autorité de l'Écriture, grâce à laquelle on pourrait les convaincre, alors qu'à l'encontre des Juifs, nous pouvons disputer sur le terrain de l'Ancien Testament, et qu'à l'encontre des Hérétiques, nous pouvons disputer sur le terrain du Nouveau Testament Mahométans et Païens n'admettent ni l'un ni l'autre. Force est alors de recourir à la raison naturelle à laquelle tous sont obligés de donner leur adhésion. Mais la raison naturelle est faillible dans les choses de Dieu. "

Livre I, chapitre 6 : " Dieu, même de nos jours, ne cesse de confirmer notre foi par les miracles de ses saints. Les fondateurs de sectes ont procédé de manière inverse. C'est le cas évidemment de Mahomet qui a séduit les peuples par des promesses de voluptés charnelles au désir desquelles pousse la concupiscence de la chair. Lâchant la bride à la volupté, il a donné des commandements conformes à ses promesses, auxquels les hommes charnels peuvent obéir facilement. En fait de vérités, il n'en a avancé que de faciles à saisir par n'importe quel esprit médiocrement ouvert. Par contre, il a entremêlé les vérités de son enseignement de beaucoup de fables et de doctrines des plus fausses. Il n'a pas apporté de preuves surnaturelles, les seules à témoigner comme il convient en faveur de l'inspiration divine, quand une œuvre visible qui ne peut être que l'œuvre de Dieu prouve que le docteur de vérité est invisiblement inspiré. Il a prétendu au contraire qu'il était envoyé dans la puissance des armes, preuves qui ne font point défaut aux brigands et aux tyrans. D'ailleurs, ceux qui dès le début crurent en lui ne furent point des sages instruits des sciences divines et humaines, mais des hommes sauvages, habitants des déserts, complètement ignorants de toute science de Dieu, dont le grand nombre l'aida, par la violence des armes, à imposer sa loi à d'autres peuples. "


1665 : Jacques-Bénigne Bossuet (1627-1704) :

Par Hyacinthe Rigaud, 1698.

« Cet objet lugubre d'un chrétien captif dans les prisons des mahométans, me jette dans une profonde considération des grands et épouvantables progrès de cette religion monstrueuse. O Dieu, que le genre humain est crédule aux imposture de Satan! O que l'esprit de séduction et d'erreur a d'ascendant sur notre raison! Que nous portons en nous-mêmes, au fond de nos cœurs, une étrange opposition à la vérité, dans nos aveuglements, dans nos ignorances, dans nos préoccupations opiniâtres. Voyez comme l'ennemi du genre humain n'a rien oublié pour nous perdre, et pour nous faire embrasser des erreurs damnables. Avant la venue du Sauveur, il se faisait adorer par toute la Terre sous les noms de ces fameuses idoles devant lesquelles tremblaient tous les peuples; il travaillait de toute sa force à étouffer le nom du vrai Dieu. Jésus-Christ et ses martyrs l'ont fait retentir si haut depuis le levant jusqu'au couchant, qu'il n'y a plus moyen de l'éteindre ni de l'obscurcir. Les peuples qui ne le connaissaient pas, y sont attirés en foule par la croix de Jésus-Christ; et voici que cet ancien imposteur, qui dès l'origine du monde est en possession de tromper les hommes, ne pouvant plus abolir le saint nom de Dieu, frémissant contre Jésus-Christ qui l'a fait connaître à tout l'univers, tourne toute sa furie contre lui et contre son Évangile : et trouvant encore le nom de Jésus trop bien établi dans le monde par tant de martyrs et tant de miracles, il lui déclare la guerre en faisant semblant de le révérer, et il inspire à Mahomet, en l'appelant un prophète, de faire passer sa doctrine pour une imposture; et cette religion monstrueuse, qui se dément elle-même, a pour toute raison son ignorance, pour toute persuasion sa violence et sa tyrannie, pour tout miracle ses armes, armes redoutables et victorieuses, qui font trembler tout le monde, et rétablissent par force l'empire de Satan dans tout l'univers.  »
Panégyrique de saint Pierre Nolasque.


1683 JURIEU (1637-1713)

Pierre Jurieu, par Étienne Desrochers

" Il n'y a point du tout de comparaison entre la cruauté des Sarrasins contre les chrétiens, et celle du papisme contre les vrais fidèles. En peu d'années de guerre contre les Vaudois, ou même dans les seuls massacres de la Saint-Barthélémi, on a répandu plus de sang pour cause de religion, que les Sarrasins n'en ont répandu dans toutes leurs persécutions contre les chrétiens. Il est bon qu'on soit désabusé de ce préjugé, que le mahométisme est une secte cruelle, qui s'est établie en donnant le choix de la mort ou de l'abjuration du christianisme ; cela n'est point, et la conduite des Sarrasins a été une débonnaireté évangélique, en comparaison de celle du papisme, qui a surpassé la cruauté des cannibales. Ce n'est donc pas la cruauté des mahométans qui a perdu le christianisme de l'orient et du midi, c'est leur avarice. Ils faisaient acheter bien cher aux chrétiens la liberté de conscience, ils imposaient sur eux de gros tributs. " (Pierre Jurieu, Apologie [...] pour la Réformation, 1683).


1797 : François-René de CHATEAUBRIAND (1768-1848) :

« Peut-on supposer que quelque imposteur, quelque nouveau Mahomet, sorti d’Orient, s’avance la flamme et le fer à la main, et vienne forcer les Chrétiens à fléchir le genou devant son idole ? La poudre à canon nous a mis à l’abri de ce malheur*. »
* Non pas si les gouvernements chrétiens ont la folie de discipliner les sectateurs du Coran. Ce serait un crime de lèse-civilisation que notre postérité, enchaînée peut-être, reprocherait avec des larmes de sang à quelques misérables hommes d’État de notre siècle. Ces prétendus politiques auraient appelé au secours de leurs petits systèmes les soldats fanatiques de Mahomet, et leur auraient donné les moyens de vaincre en permettant qu’on leur enseignât l’art militaire. Or, la discipline militaire n’est pas la civilisation ; avec des renégats chrétiens pour officiers, les brutes du Coran peuvent apprendre à vaincre dans les règles les soldats chrétiens.
Le monde mahométan barbare a été au moment de subjuguer le monde chrétien barbare ; sans la vaillance de Charles Martel nous porterions aujourd’hui le turban : le monde mahométan discipliné pourrait mettre dans le même péril le monde chrétien discipliné. (nouvelle édition 1826). » Cf SAINT-FOIX (1698-1776) : « Abdérame, lieutenant du calife de Damas, après avoir conquis l'Espagne, franchit les Pyrénées, s'avança jusqu'à Tours à la tête de quatre cent mille Sarrasins. Charles-Martel, par son activité, sa prudence et sa valeur, remporta la victoire la plus complète sur cette formidable armée, le 22 juillet 732 ; à peine, disent la plupart des historiens, en échappa-t-il vingt-cinq mille. Si ce vaillant homme n'avait pas arrêté cet impétueux torrent, on verrait peut-être aujourd'hui autant de turbans en France qu'en Asie ; quelle obligation ne lui avons-nous donc point ! » Essais historiques sur Paris et sur les Français, 1754-1757.
Essai sur les révolutions, 1797, IIe partie, chapitre LV " Quelle sera la religion qui remplacera le christianisme ".

1811 : « L’esprit du mahométisme est la persécution et la conquête : l’Évangile au contraire ne prêche que la tolérance et la paix […] Où en serions-nous si nos pères n’eussent repoussé la force par la force ? Que l’on contemple la Grèce et l’on apprendra ce que devient un peuple sous le joug des Musulmans. Ceux qui s’applaudissent tant aujourd’hui du progrès des Lumières auraient-ils donc voulu voir régner parmi nous une religion qui a brûlé la bibliothèque d’Alexandrie, qui se fait un mérite de fouler aux pieds les hommes et de mépriser souverainement les lettres et les arts ? Les croisades, en affaiblissant les hordes mahométanes au centre même de l’Asie, nous ont empêchés de devenir la proie des Turcs et des Arabes. »
Itinéraire de Paris à Jérusalem.

1821 : Joseph de MAISTRE :
Les Soirées de Saint-Pétersbourg, dixième entretien.


1828 François-René de CHATEAUBRIAND (1768-1848) « Considérée sous le double rapport des intérêts généraux de la société et de nos intérêts particuliers, la guerre de la Russie contre la Porte [l'empire turc] ne doit nous donner aucun ombrage. En principe de grande civilisation, l'espèce humaine ne peut que gagner à la destruction de l'empire ottoman : mieux vaut mille fois pour les peuples la domination de la Croix à Constantinople que celle du Croissant. Tous les éléments de la morale et de la société politique sont au fond du christianisme, tous les germes de la destruction sociale sont dans la religion de Mahomet. On dit que le sultan actuel a fait des pas vers la civilisation : est-ce parce qu'il a essayé, à l'aide de quelques renégats français, de quelques officiers anglais et autrichiens, de soumettre ses hordes fanatiques à des exercices réguliers ? Et depuis quand l'apprentissage machinal des armes est-il la civilisation ? C'est une faute énorme, c'est presqu'un crime d'avoir initié les Turcs dans la science de notre tactique : il faut baptiser les soldats qu'on discipline, à moins qu'on ne veuille élever à dessein des destructeurs de la société.  »
Lettre à M. le comte de La Ferronnays, Rome, 30 novembre 1828, Mémoire, seconde partie.


1916 : Charles de FOUCAULD :

« Des musulmans peuvent-ils être vraiment français ? Exceptionnellement, oui. D'une manière générale, non. Plusieurs dogmes fondamentaux musulmans s'y opposent ; avec certains il y a des accommodements ; avec l'un, celui du « Medhi », il n'y en a pas : tout musulman, (je ne parle pas des libre-penseurs qui ont perdu la foi), croit qu'à l'approche du jugement dernier le Medhi surviendra, déclarera la guerre sainte, et établira l'islam par toute la terre, après avoir exterminé ou subjugué tous les non musulmans. Dans cette foi, le musulman regarde l'islam comme sa vraie patrie et les peuples non musulmans comme destinés à être tôt ou tard subjugués par lui musulman ou ses descendants ; s'il est soumis à une nation non musulmane, c'est une épreuve passagère ; sa foi l'assure qu'il en sortira et triomphera à son tour de ceux auxquels il est maintenant assujetti ; la sagesse l' engage à subir avec calme son épreuve; " l'oiseau pris au piège qui se débat perd ses plumes et se casse les ailes ; s'il se tient tranquille, il se trouve intact le jour de la libération ", disent-ils. » Lettre du Père Charles de Foucauld adressée le 29 juillet 1916 à René Bazin (1853-1932), de l'Académie française, président de la Corporation des publicistes chrétiens, parue dans le Bulletin du Bureau catholique de presse, n° 5, octobre 1917.


1964 Pape PAUL VI : " Le dessein de salut enveloppe également ceux qui reconnaissent le Créateur, en tout premier lieu les musulmans qui, professant avoir la foi d’Abraham, adorent avec nous le Dieu unique, miséricordieux, futur juge des hommes au dernier jour. " (Lumen Gentium, 16, Concile Vatican II, 1964).


1965 DÉCLARATION SUR LES RELATIONS DE L'ÉGLISE AVEC LES RELIGIONS NON CHRÉTIENNES, "NOSTRA AETATE", 28 octobre 1965 :

« 3. La religion musulmane

L’Église regarde aussi avec estime les musulmans, qui adorent le Dieu unique, vivant et subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel et de la terre [Saint Grégoire VII, Épître III, 21 ad Anzir (El-Nâsir), regem Mauritaniae, éd. E. Caspar in mgh, Ep. sel. II, 1920, I, p. 288, 11-15 ; Migne éd.,  Patrologia Latina 148, colonne 451 A], qui a parlé aux hommes. Ils cherchent à se soumettre de toute leur âme aux décrets de Dieu, même s’ils sont cachés, comme s’est soumis à Dieu Abraham, auquel la foi islamique se réfère volontiers. Bien qu’ils ne reconnaissent pas Jésus comme Dieu, ils le vénèrent comme prophète ; ils honorent sa Mère virginale, Marie, et parfois même l’invoquent avec piété. De plus, ils attendent le jour du jugement, où Dieu rétribuera tous les hommes après les avoir ressuscités. Aussi ont-ils en estime la vie morale et rendent-ils un culte à Dieu, surtout par la prière, l’aumône et le jeûne. »


1979 Pape Jean-Paul II

" Musulmans et Chrétiens, nous sommes dépositaires d’inestimables trésors spirituels, parmi lesquels nous reconnaissons des éléments qui nous sont communs, même vécus selon nos propres traditions : l’adoration du Dieu miséricordieux, la référence au patriarche Abraham, la prière, l’aumône, le jeûne… éléments qui, vécus d’une manière sincère, peuvent transformer la vie et donner une base sûre à la dignité et à la fraternité des hommes. Reconnaître et développer cette communauté spirituelle – à travers le dialogue interreligieux – nous aide aussi à promouvoir et à défendre dans la société les valeurs morales, la paix et la liberté (cf. Jean-Paul II, Discours à la communauté catholique d’Ankara, 29 novembre 1979). "
2014-11-29 Radio Vatican

1987 Jacques ELLUL
Ce que je crois, Paris : Grasset, 1987


1999 : Pape Jean-Paul II :
" 1. En approfondissant le thème du dialogue interreligieux, nous réfléchissons aujourd'hui sur le dialogue avec les musulmans, qui « adorent avec nous le Dieu unique, miséricordieux » (Lumen Gentium, n. 16; cf. CEC; n. 841). L'Église les considère avec estime, convaincue que leur foi en Dieu transcendant concourt à la construction d'une nouvelle famille humaine, fondée sur les plus hautes aspirations du cœur de l'homme.
Les musulmans eux-aussi, comme les juifs et les chrétiens, considèrent la figure d'Abraham comme un modèle de soumission inconditionnée aux décrets de Dieu (Nostra Aetate, n. 3). A l'exemple d'Abraham, les fidèles s'efforcent de reconnaître dans leur vie la place qui revient à Dieu, origine, maître, guide et fin ultime de tous les êtres (Conseil pontifical pour le Dialogue interreligieux, Message aux musulmans pour la fin du Ramadan, 1417/1497). Cette disponibilité et ouverture humaine à la volonté de Dieu se traduit par une attitude de prière, qui exprime la situation existentielle de chaque personne devant le Créateur. 
Dans le sillage de la soumission d'Abraham à la volonté divine se trouve sa descendante, la Vierge Marie, Mère de Jésus qui, en particulier dans la piété populaire, est également invoquée avec dévotion par les musulmans. " (Audience générale, 5 mai 1999, " Le dialogue avec l'Islam " ).


2013 : Pape François : " Nous chrétiens, nous devrions accueillir avec affection et respect les immigrés de l’Islam qui arrivent dans nos pays, de la même manière que nous espérons et nous demandons être accueillis et respectés dans les pays de tradition islamique. Je prie et implore humblement ces pays pour qu’ils donnent la liberté aux chrétiens de célébrer leur culte et de vivre leur foi, prenant en compte la liberté dont les croyants de l’Islam jouissent dans les pays occidentaux ! Face aux épisodes de fondamentalisme violent qui nous inquiètent, l’affection envers les vrais croyants de l’Islam doit nous porter à éviter d’odieuses généralisations, parce que le véritable Islam et une adéquate interprétation du Coran s’opposent à toute violence. " (Evangelii Gaudium, § 253)


2016 Rémi BRAGUE

Rémi Brague, Le Figaro, 20 juillet 2016


Pour répondre à l'objection : " Dans la Bible aussi il y a de la violence ".

Dans quelques Psaumes (LVIII ; CVIII, 14 ; CIX ; etc.), l'auteur (le roi David) en appelle à Dieu pour qu'il punisse ses ennemis. Mais dans le Coran, c'est Dieu qui est supposé enjoindre directement aux musulmans d'être violents envers les mécréants. C'est complètement différent !

Quelques autres exemples de violence divine dans l'Ancien Testament :

NOMBRES XV, 35 Le Seigneur dit à Moïse : Cet homme [qui ramassait du bois le jour du sabbat] sera puni de mort, toute l'assemblée le lapidera hors du camp.
36 Toute l'assemblée le fit sortir du camp et le lapida, et il mourut, comme le Seigneur l'avait ordonné à Moïse. [35 Dixitque Dominus ad Moysen: “ Morte moriatur homo iste ; obruat eum lapidibus omnis turba extra castra ”. 
36 Cumque eduxissent eum foras, obruerunt lapidibus ; et mortuus est, sicut praeceperat Dominus.]
XVIII, 7 Toi [Aaron, grand prêtre], et tes fils avec toi, vous observerez les fonctions de votre sacerdoce pour tout ce qui concerne l'autel et pour ce qui est en dedans du voile: ce sera votre service. Je vous accorde en don l'exercice du sacerdoce. L'étranger qui approchera sera mis à mort. [7 Tu autem et filii tui custodite sacerdotium vestrum et omnia, quae ad cultum altaris pertinent et intra velum sunt, administrabitis. Ministerium do vobis sacerdotium in donum; si quis externus accesserit, occidetur.]

JOSUÉ VI-VIII : Massacres de Jéricho et d'Haï. Mais on ne trouve pas ce qu'avait cru y lire Michel Onfray : " la 'guerre sainte' selon l'expression terrifiante et hypermoderne du livre de Josué (VI,21)" (Traité d'athéologie, 4e partie, II, § 2 " L'invention juive de la guerre sainte ").
XI, 20 Car c'était l'intention du Seigneur qu'ils s'obstinassent à faire la guerre contre Israël, afin qu'Israël les dévouât par interdit, sans qu'il y eût pour eux de miséricorde, et qu'il les détruisît, comme le Seigneur l'avait ordonné à Moïse. [20 Domini enim sententia fuerat, ut indurarentur corda eorum, et pugnarent contra Israel et caderent et non mererentur ullam clementiam ac perirent, sicut praeceperat Dominus Moysi.]

I SAMUEL XV, 3 : " Va maintenant, et frappe Amalek, et vous détruirez entièrement tout ce qui est à lui, et tu ne l’épargneras pas, mais tu feras mourir les hommes et les femmes, les enfants et ceux qui tètent, les bœufs et les moutons, les chameaux et les ânes. " [3 Nunc igitur vade et demolire Amalec et percute anathemate universa eius; non parcas ei, sed interfice a viro usque ad mulierem et parvulum atque lactantem, bovem et ovem, camelum et asinum.]

II CHRONIQUES, XV, 13 Et quiconque ne chercherait pas le Seigneur, le Dieu d'Israël, devait être mis à mort, petit ou grand, homme ou femme[13 si quis autem non quaesierit Dominum, Deum Israel, moriatur a minimo usque ad maximum, a viro usque ad mulierem.].

ÉZÉCHIEL, XXXIII, 13-16 (traduction Le Maistre de Saci) : 
13 Si après que j’aurai dit au juste qu’il vivra très-certainement, il met sa confiance dans sa propre justice, et commet l’iniquité ; toutes ses œuvres justes seront mises en oubli, et il mourra lui-même dans l’iniquité qu’il aura commise.
14 Si après que j’aurai dit à l’impie, Vous mourrez très-certainement ; il fait pénitence de son péché, et il agit selon la droiture et la justice ;
15 si cet impie rend le gage qu’on lui avait confié ; s’il restitue le bien qu’il avait ravi ; s’il marche dans la voie des commandements de la vie ; et s’il ne fait rien d’injuste, il vivra très-assurément, et ne mourra point.
16 Tous les péchés qu’il avait commis ne lui seront point imputés ; il a fait ce qui était droit et juste, et ainsi il vivra très-certainement.


Ces derniers passages semblent les seuls comparables aux dizaines de versets du Coran envisageant violence extrême envers les mécréants.

Quant aux Évangiles et aux Épîtres des chrétiens, s'ils contiennent quelques passages "énergiques" (le glaive, égorgez), difficile d'y trouver une incitation quelconque à la violence de masse :
« Je ne suis pas venu apporter la paix sur la Terre, mais le glaive. » (Matthieu, X, 34).
« Fais entrer les gens de force [compelle intrare], afin que ma maison se remplisse. » (Luc, XIV, 23).
« Quant à mes ennemis , ceux qui n'ont pas voulu que je règne sur eux , amenez les ici , et égorgez-les tous devant moi ! [adducite huc et interficite ante me!» (Luc, XIX, 27)
Soulignons aussi l'énorme mauvaise foi de nombreuses personnes de gauche ou bobos écolos qui ressassent qu'il ne faut pas stigmatiser, ou que " Coran et Ancien testament " c'est pareil, tout en ignorant ce texte du Coran, et pire, en refusant de le lire ! (même des profs de philosophie sont capables de ça !)



mardi 5 avril 2022

DFHM : Neutre à normal via Nicomède et non-conformiste, et Œillet à outing via ordinaire et oscariste



NEUTRE

« En une autre pièce, je voyais ce même homme étendu tout nu sur une table, et plusieurs à l’entour de lui qui avaient diverses sortes de serrements, et faisaient tout ce qui était possible pour le faire devenir femme : mais à ce que j’en pouvais juger par la suite de l’histoire il demeurait du genre neutre. […] Tout le langage, et tous les termes des Hermaphrodites sont de même que ceux que les Grammairiens appellent du genre commun, et tiennent autant du mâle que de la femelle. »
Anonyme, L’Ile des Hermaphrodites, 1605.

Ce genre neutre qui existait dans la langue latine (comme en allemand et en russe) fut le prétexte de bien des plaisanteries ; mais on avait pu également rattacher l’amour masculin au genre masculin (cf MASCULIN).

Cyrano de Bergerac reprocha à un impuissant :

« Vous n’êtes ni masculin, ni féminin, mais neutre »
Le Pédant joué, I, 1.


« Si la multiplication subite des moines qui ont envahi l’espace chrétien ne préparait pas aux merveilles de la procréation des êtres neutres, on ne croirait pas à la possibilité de leur existence : un controversiste prétend que les jésuites ont répandu des missionnaires dans le monde, pour fortifier leurs prosélytes et faire de nouvelles conversions. On promet une couronne civique à chaque femme qui aura reçu l’abjuration d’un membre de cette secte ; elle est recommandée surtout aux femmes aimables, qui doivent vaincre leur répugnance pour être utiles à l’humanité. »
Théveneau de Morande, Le Philosophe cynique, 1771 [Ce texte se trouve dans un volume intitulé Le Gazetier cuirassé].

« Combien de gens qui se croient les coryphées de leur sexe, seront surpris de se reconnaître dans les portraits que je ferai du sexe neutre, je veux dire de celui qui n’a ni les vertus du vôtre, ni les aimables qualités du mien [c’est une femme qui parle]. Ce qui me flatte le plus dans mon projet, c’est qu’il est neuf et original. » Jacques Vincent Delacroix, Peinture des mœurs du siècle (1777), « Conjecture pour un troisième sexe », tome I, pages 340-343.


" Enlevons la mention « sexe » de l’état-civil "
Le Monde.fr | 06.11.2015 à 15h45

En France, on peut désormais porter la mention « sexe neutre » sur son état civil [jugement du tribunal de grande instance (TGI) de Tours du 20 août 2015, mais le parquet a fait appel]. En admettant une troisième catégorie, l’état-civil se trouve assoupli, dans le même temps qu’il se prête à une forme d’essentialisation de ce sexe qu’on ne tardera pas à appeler « troisième ». L’apparition de cette catégorie naturalise en effet la différence : comme il y a des hommes et des femmes, il y a aussi, dans notre espèce, des « neutres ».

Mais la formule est ambiguë. D’une part, elle évoque une terminologie d’ordinaire appliquée aux abeilles et aux fourmis chez qui les ouvrières sont « neutres », c’est-à-dire stériles. Or, il n’est en rien nécessaire que la qualité de « neutre » chez les humains emporte avec elle la stérilité. D’autre part, et l’historienne Laure Murat l’a montré, la formule « troisième sexe » se prête à une double lecture : si elle conforte les identités désireuses d’échapper à l’alternative entre féminin et masculin, elle stigmatise aussi des anatomies et sexualités qui se trouvent par là étiquetées et marginalisées.


Stigmatisation Ainsi, si le marquage du sexe « neutre » rend dicibles des existences qui étaient niées par le schéma du sexe binaire, il risque fort de devenir une catégorie fourre-tout, qui rassemblera des individus divers en les rendant repérables à leurs concitoyens. Surtout, la décision du TGI de Tours, bien loin de détacher l’état-civil de l’anatomie, renforce ce lien : en assouplissant le sexe d’état-civil (non pas deux, mais trois catégories), il s’agit de le rendre plus exact et d’arrimer plus solidement l’état-civil aux parties génitales. Selon le mot de Benjamin Pitcho et Mila Petkova, les avocats du plaignant, il s’agissait de « mettre en accord le droit avec la nature » ou « transcrire dans le droit la réalité biologique ».

Mais quelle réalité ce sexe « neutre » recouvre-t-il ? Autant une anatomie « mâle » ou « femelle » se laisse décrire selon une forme « typique », autant il n’y a pas de représentation « type » de ce que peut être le « sexe neutre ». La catégorie juridique « neutre » vient donc plutôt décrire un sexe indéterminé et indéterminable, inassignable à aucun des deux pôles typiques mâle et femelle. Plutôt que de sexe « neutre », il faudrait parler de sexe « neutralisé ». Mais en ce cas, pourquoi la catégorie « sexe » serait-elle neutralisée pour certains individus et maintenue pour les autres ? Si le sexe est une catégorie caduque et dont l’état-civil peut se passer, c’est l’ensemble de la population que cette mesure doit concerner. L’État n’a que faire de l’anatomie génitale des personnes : sexus nullus pour tous !
Thierry Hoquet, philosophe, Université de Lyon, auteur de Sexus Nullus ou l’égalité (éditions iXe, 176 p., 17 €) ; Frank Cézilly, biologiste, Université de Bourgogne, auteur de De mâle en père : à la recherche de l’instinct paternel (Buchet Chastel, 2014).
http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/11/06/abolissons-la-categorie-du-sexe-pour-tous_4804687_3232.html#UvL5ZVKo567ybSt1.99


Benjamin Pierret : « Agenre : Se dit d'une personne qui ne s'identifie pas à un genre en particulier. Elle n'est pas nécessairement mal à l'aise dans le corps dans lequel elle est née, mais ne cherche pas à se définir comme un homme ou une femme. Tagath, dans un texte explicatif publié sur le site Asexualité-s, se définit comme suit : "Je ne suis ni un homme, ni une femme, ni entre les deux." On parle également de "genre neutre". Tandis que la non-binaire peut se trouver n'importe où sur la ligne horizontale évoquée précédemment, la personne agenre ne se situe même pas sur ce spectre. 
De genre fluide : Lorsque le genre peut varier de masculin à féminin. C'est le cas d'Anna, qui s'est confiée au Quatre heures dans un article consacré au genre fluide, explique les fluctuations de son identité de genre : "J’ai des périodes, très rares, où je suis clairement une fille et des périodes où je suis plus ou moins un garçon. Mais le plus souvent, je suis de genre neutre." »
Paris : Le Seuil, 2021


NICOMÈDE

« Tels on a vu Thibouville et Villars,
Imitateurs du premier des Césars,
Tout enflammés du feu qui les possède,
Tête baissée attendre un Nicomède ;
Et seconder, par de fréquents écarts,
Les vaillants coups de leurs laquais picards. »
Voltaire, La Pucelle, variante du chant XXI.

NON-CONFORMISME, NON-CONFORMISTE, NON-CONFORMITÉ

Ces termes proviennent du vocabulaire religieux anglais, dans lequel ils exprimaient la non-appartenance à l’Église anglicane. À la fin du XVIIe siècle, le linguiste Gilles Ménage leur donna un sens sexuel. La comparaison de l’orientation sexuelle à l'adhésion à une religion était aussi présente dans l’expression « hérétique en fait d’amour », ainsi que dans les connotations des termes culte, ordre, rite ou secte. Cela faisait de l’homosexualité un élément de la personnalité, comme nous dirions en vocabulaire juridique contemporain.

« Marc Antoine] Muret fut ensuite à Rome, où il fut fait citoyen romain : ce qui donna occasion à Bèze de faire contre lui une épigramme où il  dit que Muret, pour le crime de non-conformité, fut chassé de France, et ensuite de Venise, et que pour ce même crime il fut fait à Rome citoyen romain. […] Les Allemands n’accusaient Monseigneur de La Case que d’avoir fait le Capitolo del Forno, mais un transfuge qui était parmi eux prétendait que l’amour des non-conformistes était loué dans ce poème. »
Gilles Ménage, L’Anti-Baillet, 1688, tome I, page 319 et tome II, page 104.

« Non-conformité : Quelques-uns appellent en badinant l’amour des garçons le péché de non-conformité. Mr Ménage s’est servi de cette expression pour parler plus honnêtement de cette débauche. »

« Il [le pape Jules II] avait aimé le vin et les femmes ; et on l’accuse même d’avoir été non-conformiste. […] On me passera ce mot, quand on saura que le péché contre nature s’appelle le péché de non-conformité. Mr Ménage s'est servi de cette expression dans l'Anti-Baillet. »
Pierre Bayle, Dictionnaire Historique et Critique, 1730, pages 872-873, article « Jules II  «  et note M à cet article.

« Non-conformiste : On dit dans un sens obscène qu’en amour les Italiens sont non-conformistes. »
Dictionnaire Universel des pères jésuites de Trévoux (1704). L’édition de 1771 tenait compte des changements survenus, mettant alors : « Non-conformiste en amour signifie celui qui pratique l’amour antiphysique. Voyez sodomiste. » Ce qui fit dire à l'écrivain Alfred Jarry, en 1902 : « Les pères de Trévoux ont élucubré onctueusement cette formule : le non-conformisme en amour. »

La comparaison de l'orientation sexuelle à une religion, suggérée ici, l'était aussi par l'expression « hérétique en fait d'amour », et par les termes confrérie, culte, ordre, rite ou secte, rencontrés à diverses époques. En 1724, l'avocat Mathieu Marais, décidément bavard sur les amours de même sexe, écrivait au magistrat Bouhier :

« Si vous achetez Sauval [H. Sauval, Amours des Rois de France sous plusieurs races], il faut avoir l’addition. Il n’a pas manqué de parler du maréchal de Rais parmi les non-conformistes. Et il dit que, sous le règne de Philippe de Valois [en 1333], deux clercs accusèrent Durant, procureur, d’avoir fait avec eux le péché pour lequel le maréchal de Rais fut brûlé. »
Mathieu Marais, lettre au président Bouhier, 11 mars 1725.

« Je ne sais si vous avez entendu parler de la secte des Non-Conformistes qui s’est élevée en Hollande. Pour épargner le bois qui est cher en ce pays-là, on les mets deux à deux dans des sacs et on les jette à la mer ; il y en a déjà huit ou neuf cents d’expédiés. J’ai vu une lettre de [Jean-Baptiste] Rousseau sur cette punition, où il dit qu’il n’y aura bientôt plus en Hollande que des femmes et des grenouilles. »
Mathieu Marais, lettre au président Bouhier, 20 juillet 1730. Selon les Mémoires du maréchal de Richelieu, ces exécutions firent une forte impression sur l’esprit du roi Louis XV, alors âge de 20 ans. Les chiffres réels sont inférieurs : soixante exécutions et une centaine de bannissements pour les deux années 1730-1731.

Mathieu Marais ayant mentionné une loi de Vintimille sur ceux qui pèchent contre nature, il répondit ainsi à une demande de précision de la part du président Bouhier :

« Je ne connais la loi de Vintimille que par la copie qu’en a envoyée [Jean-Baptiste] Rousseau avec sa lettre. Il faudrait savoir de lui où il l’a prise, mais je n’ai et ne veux avoir de commerce avec lui. Je lui ferai écrire par M. de Lasseré, qui a reçu cette lettre de non-conformité. »
Lettre du 3 août 1730.

Le marquis René-Louis d’Argenson disait dans son Journal, au sujet d’un certain de Vilaines, influent dans le parti de la manchette :

« — Le devoir et l'honnêteté m'ont contraint, ce matin, à aller à une lieue de chez moi rendre une visite à M. le marquis de Vilaines, quelques maisons après la barrière de Vaugirard.
Vilaines m'était venu voir le premier, conduit par le sieur G., et il était question des affaires de Bachelier et de Hogguer. Il me fit un compliment léger, cavalier et éloquent, où ma réputation entrait honorablement pour texte. Ce personnage est par sa nature porté à l'intrigue, utile à ses amis, et le fond de cette vue est un goût naturel de se mêler d'intrigues de cour. Il est célèbre dans l"ordre de la Manchette. Ce désordre de jeunesse porte à l'amitié et conduit au cœur tendre pour ses amis, quoique le désordre y cesse avec les violentes arsées (sic) [érections] qui font le b...... [bougre.] Celui-ci se trouve grand ami du cardinal de Tencin, que les jésuites lui ont donné pour ami, et il le sert avec jugement, selon le temps. [...] Il [le cardinal de Tencin] se sert de gens tous désavouables, et tel est de Vilaines jouant un grand rôle dans le parti de la Manchette, ayant vu Courcillon, Deschauffours et même Chausson. Il est le maître de quelques jeunes gens, secrets sectateurs de cette non-conformité, il est bien reçu aux Jésuites et commande à quantité d’évêques ; il va dicter et recevoir des dictées de politique chez la de Tencin, sœur du cardinal, il a de l'esprit, ce qui paraît par une grande facilité à parler de toutes sortes de choses, depuis la politique jusqu'aux marionnettes. Il est homme du monde, il y a toujours été reçu sur cette universalité, et comme homme de bonne compagnie. Ainsi il joint à ses amis de parti quantité de vieux amis, de tous partis indifférents. Il a servi, il a des procès, il est garçon commode, enfin il est dévot, car tous ces pauvres bougres meurent le c. [cul] dans un bénitier. »


René-Louis d’Argenson, ami de Voltaire, Journal et mémoires, tome 3 de l'édition de Paris : Vve Jules Renouard, 1861, à la date du 29 mai 1740, pages 86, 87, 88-89.

« Si la Madeleine avait eu quelque aventure galante avec le Christ ; si, aux noces de Cana, le Christ entre deux vins, un peu non-conformiste, eût parcouru la gorge d’une des filles de noce et les fesses de saint Jean, incertain s’il resterait fidèle ou non à l’apôtre au menton ombragé d’un duvet léger : vous verriez ce qu’il en serait de nos peintres, de nos poètes et de nos statuaires. »
Denis Diderot, Essai sur la peinture, 1765, chapitre IV.

« […] un certain vice de non-conformité dont on l’accusait [Cambacérès]. Vice qui, du reste, est fort ancien en France. »
Antoine Aubriet, Vie de Cambacérès, 1824.

Note à l'édition Sanson 1826 des Académiciens de Saint-Évremond :
" On accusait fort Boisrobert du vice de non-conformité, témoin ces deux vers de Gilles Ménage, dans sa Requête des Dictionnaires [1649] :
Cet admirable patelin
Aimant le genre masculin. "
« Le chapitre des Bougres [Jean Duret, Traité des peines et amendes, 1572] n’est pas tendre pour ces Messieurs […]
Nous croyons avec bien d’autres que les non-conformistes doivent être conspués et non mis à mort. »
Auguste Du Roure, Analectabiblion, tome 2, 1837, page 20.

« Non-conformisme : […] Dans un autre sens, se dit de ceux qui ont des habitudes contre nature, qui ne se conforment pas aux lois de la nature. »
Littré, Dictionnaire …

Alfred Delvau : « NON-CONFORMISTE. Pédéraste, qui est pour le schisme en amour. » (Dictionnaire érotique..., 1864.
« NON-CONFORMISTE. Pédéraste, ce qui est le schisme en amour. » (Dictionnaire érotique, 2e édition).

« Prêtres et moines non-conformistes en amour », tel était le titre d’un ouvrage paru en 1902 aux Éditions de la Raison (collection Les Infâmes) et qui fit l’objet de ce commentaire d’Alfred Jarry :

« Environ cent cinquante cas de ce « non-conformisme » ecclésiastique ou monacal sont cités, avec une érudition qui défie toute critique, puisque les documents n’y manquent point, par M. Dubois-Desaulle. »
Revue Blanche, 15 décembre 1902.

Dans une lettre adressée à Ramon Fernandez en 1934, André Gide s’analysait ainsi :
« Je crois fort juste de dire (ainsi que vous l’avez fort bien fait) que la non-conformité sexuelle est, pour mon œuvre, la clé première ; mais je vous sais gré tout particulièrement d’indiquer déjà, par quel glissement, par quelle invitation, après ce monstre de la chair, premier sphinx sur ma route, et des mieux dévorants, mon esprit, mis en appétit de lutte, passa outre pour s’en prendre à tous les autres sphinx du conformisme, qu’il soupçonna dès lors d’être les frères et cousins du premier. » Le Grand Robert de 1985 ne mentionne pas le sens homosexuel de non-conformisme, mais offre un exemple qui le suggère : « Le non-conformisme de Gide. » 

« M. André Gide est pédéraste. Ce n'est pas le diffamer que de le dire, il s'en fait gloire. Il a écrit un petit livre (Corydon) pour s'en flatter et défendre l'uranie, et un gros bouquin (Si le grain ne meurt...) pour s'en confesser.
Je ne le lui reproche pas. Je m'en moque éperdument. Chacun prend son plaisir où il le trouve. Il me semble seulement aussi puéril d'avouer et de proclamer le goût qu'on a pour les jeunes gens qu'il me parait déplacé d'ouïr les confidences d'un érotomane déclarant n'aimer que les dames à gros derrière ou les jeunes filles aux seins inexistants.
Ce n'est pas du non-conformisme. C'est de l'exhibitionnisme... Une triste manie, sans plus.
Cependant, voici un article du réquisitoire d'André Gide contre l'U.R.S.S. (note au bas de la page 63) qu'il vient de publier et par lequel il accède pour la première fois, à soixante et un ans, aux gros tirages : " Que penser, au point de vue marxiste (sic) de celle (la loi) plus ancienne contre les homosexuels qui, les assimilant à des contre-révolutionnaires (car le non-conformisme est poursuivi jusque dans les questions sexuelles) les condamne à la déportation pour cinq ans, avec renouvellement de peine s'ils ne se trouvent pas amendés par l'exil ? "
On a le droit et peut-être le devoir de penser que ces dispositions sont bien rigoureuses. Mais on ne peut pas sous-estimer le poids dont elles ont pesé, au trébuchet de M. Gide, et la mesure dans laquelle elles ont aidé à sa déception.
Passons. Au sens propre du mot, M. André Gide est un pauvre bougre. »
" Un pauvre bougre : André Gide " Le Merle blanc siffle et persifle le samedi, N° 140, 5 décembre 1936, page 1.

« Quant à la loi dont André Gide ne sait "que penser au point de vue marxiste", qui condamne les homosexuels (car "le conformisme est poursuivi jusque dans les questions sexuelles") je me garderai bien de la juger. Je n’oublie pas que, dans les dures premières années de l’édification socialiste, il s’agit de nourrir, vêtir, loger, instruire "une immense majorité". Au surplus, j’aurais peur, si j’en discutais, d’être amené à confondre le non-conformisme et l’opposition à quelque pouvoir que ce soit, le conformisme et le soutien sans relâche à la Révolution vivante, – et, finalement, la Révolution et la pédérastie. »
André Wurmser (1899-1984), « L’URSS jugée par André Gide », Commune, janvier 1937.

NON-GAY, NON-HÉTÉROSEXUEL, NON-LGBT

Sur le modèle de « non-juif » ; le non-gay sera-t-il bientôt le goy de l’homosexualité ?

Existent déjà :

« Non-LGBT »
Robert Kozérawski (ancien président de Lusogay), Bandol (Var), 14 juillet 2003.

« Le mot holebi est pour homosexuel , lesbienne et bisexuel. Les holebis sont des gens avec un caractère non-hétérosexuel . Ce sont des hommes qui tombent pour des hommes, des femmes qui tombent pour des femmes ou des hommes et femmes qui tombent autant pour des hommes que pour des femmes. Le point de vue idéal de la société , homme - femme , fait souffrir les holebis. Des gens considèrent les holebis, encore en ce jour-ci, comme anormaux. Pourtant ce sont des gens normaux comme vous et nous. »
Amnesty international (Belgique), 3 avril 2006.

NORMAL, NORMALSEXUEL

« Ah ! les pauvres amours banales, animales,
Normales ! Gros goûts lourds ou frugales fringales,
Sans compter la sottise et des fécondités ! »
Paul Verlaine, Ces passions … [Parallèlement].

« Nous encaguions ces cons avec leur air bonasse,
Leurs normales amours et leur morale en toc, »
Paul Verlaine, Hombres, XI.

« Il y a entre l’attraction homosexuelle de l’homme normal et l’attraction homosexuelle de l’uraniste la différence qu’il y a entre la communion d’idées, l’amitié, l’affection même et le désir, la différence qu’il y a entre l’amour fraternel et l’amour conjugal. »
Dr J. Crocq, « La situation sociale de l’uraniste », Compte-rendu des travaux de la 5e session, Congrès international d’Anthopologie criminelle, Amsterdam, septembre 1901. Article reproduit dans le Journal de Neurologie, 1901, pp. 591-596, et dans le Bulletin de la Société de Médecine d’Anvers, août 1901, pp. 116-122.

« L’homme normal selon la société adulte n’est aux yeux des voyous qu’un "pédé". »
Jean Monod, Les Barjots – Essai d’ethnologie des bandes de jeunes, Paris : Julliard, 1968 ; voir II, 3, "Apprentis gangsters et pédés".

Normalsexuel, terme dû à Benkert, est opposé à homosexuel dans Le troisième sexe. Les homosexuels de Berlin (Hischfeld, 1908)

« L'homosexuel tend vers tous les êtres de son sexe ; l'être soumis à une amitié charnelle tend vers son ami, et vers son ami seul. Une passion hétérosexuelle peut très bien le remettre, à une occasion prochaine, dans la voie que nous appelons normale. »
Remy de Gourmont, " Dialogue des amateurs ", Mercure de France, 1er janvier 1908.

Marcel Proust : « Un Grec du temps de Socrate, un Romain du temps d'Auguste, pouvaient être ce que l'on sait tout en restant des hommes absolument normaux, et non des hommes-femmes comme on en voit aujourd'hui. »
Sodome et Gomorrhe II, chapitre II, 1922.

« L’homme normal selon la société adulte n’est aux yeux des voyous qu’un "pédé". »
Jean Monod, Les Barjots – Essai d’ethnologie des bandes de jeunes, 1968 ; voir II, 3, "Apprentis gangsters et pédés".


O

ŒILLET

Selon Alfred Delvau, boutonnière = « la nature de la femme, en opposition à l’anus, que MM. les pédérastes appellent l’œillet. » (Dictionnaire érotique, 2e édition).

ŒUVRE DES BAINS

Flaubert : « Tâche de ne pas trop t’emmerder, ne baise pas trop, ménage tes forces, une once de sperme perdu, c’est pire que dix livres de sang. À propos, tu me demandes si j’ai consommé l’œuvre des bains. Oui, sur un jeune gaillard gravé de la petite vérole et qui avait un énorme turban blanc. Ca m’a fait rire, voilà tout. Mais, je recommencerai. Pour qu’une expérience soit bien faite, il faut qu’elle soit réitérée ».
Lettre à Louis Bouilhet, 2 juin 1850.

ORDINAIRE

« En réfutant la faute de Mr. Saldenus j'aurais pu censurer encore avec plus de fondement l'Auteur du Turco-Papismus ; car il cite Agrippa comme ayant narré que ce Pape établit des lieux de prostitution tant pour l'impudicité sodomitique que pour l'impudicité ordinaire, et accorda la permission du péché contre nature à un Cardinal. »
Pierre Bayle, " Sixte IV ", Dictionnaire historique et critique, Basle : Jean Louis Brandmuller, 1738 [réédition de l'édition de 1730) , tome 4, page 226.

« Tant que nos besoins pécuniaires ou notre goût pour la fouterie ordinaire nous ont fait une nécessité de nous servir de couilles et de pines, nous avons porté une partie des désagréments sans nombre, des incommodités inséparables du métier de putains. »
Anonyme, La Liberté, ou Mlle Raucour, 1791.

« Quelques esprits délicats de nos jours, heurtés par le côté bassement matériel de l’amour, par le prosaïsme des rapports journaliers, frappés de l’incomplet des formes féminines, du manque d’esthétique de leur amitié toujours peu sûre, ont jugé que la passion ordinaire ne pouvait jamais atteindre à ce haut point de désintéressement où se joue l’amitié entre hommes. »
Paul Verlaine, réponse à l’enquête sur la crise de l’amour, La Vie parisienne, 26 septembre 1891.  

« Désaveu de cette fausse sainteté dont mon dédain de la tentation ordinaire me revêtait. »
André Gide, Journal, "Feuillets", 1918-1919.

ORDRE, ORDRE DE LA MANCHETTE

Vers sur Deschauffour faits après son exécution en 1726 :

« L’ordre de la manchette en lui perd son vrai père,
Aux gitons de Paris il tenait ordinaire.
Tout le monde le pleure, et l’église et l’épée. »
De B… [Bois] Jourdain, Mélanges historiques, satiriques et anecdotiques, 1807, tome 2, p. 337.

« Leurs discours ressemblent à leurs mœurs, ils ont un langage à part ; plein d’affèterie, ils s’appellent entre eux Frères, Gitons et Ganymèdes. Ces noms bizarres sont leurs noms d’amitié. Ils ont parmi eux un Ordre de Chevalerie dont on ignore l’origine et les prérogatives ; ils tiennent tous à si grand honneur de le porter, qu’il n’y a que les misérables qui ne l’aient pas, on l’appelle Ordre de La Manchette. »
[Beauchamp], Histoire du prince Apprius [Priapus], 1728. (les anagrammes ont été éclaircis)

Dans les Journal et Mémoires du marquis René-Louis d’Argenson, ami de Voltaire, il est question, à la date du 29 mai 1740, d’un certain de Vilaines, « célèbre dans l’ordre de la Manchette », « jouant un grand rôle dans le parti de la Manchette » (tome 3, page 87 de l’édition Renouard).

Une des expressions du marquis d’Argenson a été reprise dans l’un des écrits anonymes de la période révolutionnaire, et d’abord dans son titre, Les Enfants de Sodome à l’Assemblée Nationale, ou Députation de l’Ordre de la Manchette :

« Que peut aujourd’hui l’abbé Viennet [député à la Convention, père d’un écrivain célèbre] pour l’Ordre de la Manchette ? Rien sans doute ; mais l’ordre lui doit beaucoup de prosélytes : c’est lui qui, par le moyen de son théâtre bourgeois, a perverti Dumay, commis au Domaine ; Cotte, commis d’architecte ; Mandron le jeune, tapissier ; Michu, de la comédie italienne, lui doit son avancement dans l’Ordre. »
Les Enfants de Sodome à l’Assemblée Nationale, ou Députation de l’Ordre de la Manchette, 1790.

« ÊTRE DE LA MANCHETTE. Préférer le cul au con. – L’ordre de la manchette a précédé celui de la rosette … affaire de mode. » Alfred Delvau, Dictionnaire érotique, 2e édition.

ORIENTATION SEXUELLE

« Neuf associations homosexuelles et de lutte contre le sida ont été reçues ce midi par le cabinet de la ministre de l'emploi et de la solidarité pour évoquer la question des discriminations homosexuelles dans le domaine du travail. La ministre de l'emploi a annoncé que le Gouvernement présentera un amendement au projet de loi de modernisation sociale (en discussion dès la prochaine session parlementaire) afin d'élargir la notion de discrimination. L'article 122-45 du Code du travail sera ainsi complété et étendu à " l'orientation sexuelle ", terme retenu dans le Traité d'Amsterdam et la directive européenne sur la lutte contre les discriminations dans l'emploi qui devrait être adoptée sous Présidence française. »
Communiqué du Ministère de l’Emploi et de la Solidarité, Paris, le 22 juin 2000.

« La Lesbian & Gay Pride Île-de-France organise, dans le cadre du «Printemps des assoces», une conférence sur la discrimination liée à l'orientation sexuelle, le samedi 7 avril 2001, de 10h à 18h, au Palais du Luxembourg, dans la salle Clémenceau. »

 « Dans les cas prévus par la loi, les peines encourues pour un crime ou un délit sont aggravées lorsque l'infraction est commise à raison de l'orientation sexuelle de la victime.
   La circonstance aggravante définie au premier alinéa est constituée lorsque l'infraction est précédée, accompagnée ou suivie de propos, écrits, utilisation d'images ou d'objets ou actes de toute nature portant atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime ou d'un groupe de personnes dont fait partie la victime à raison de leur orientation sexuelle vraie ou supposée. »
Code pénal, article 132-77 [Lois des 18 mars 2003 et 9 mars 2004]

« Est interdite toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle. »
Traité constitutionnel de l’Union Européenne, 29 octobre 2004, article II-81.

Article 10 du Traité sur l'Union européenne, version consolidée (2016) :

« Dans la définition et la mise en œuvre de ses politiques et actions, l'Union cherche à combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle. »

ORTHOSEXIE, ORTHOSEXUALITÉ
« Par le mot « altersexuel », alternant avec « gai », je désignerai l'ensemble des « personnes dont la sexualité est autre qu'exclusivement hétérosexuelle », comme il sera expliqué. Les néologismes « altersexualité » et « altersexophobie » économiseront de longues périphrases. La nuance sera à peu près la même que celle qu'établissait dans les années 60 l'association Arcadie entre « homophile » et « homosexuel », ou celle qu'on pourrait rétablir entre « pédophile » et « pédosexuel » si l'on se souciait de propriété langagière pour ces êtres que la morale commune à tout humain vraiment humain ne peut que reléguer dans l'enfer de la vilenie. L'altersexualité est aussi bien une autre façon d'envisager la sexualité, qu'une sexualité résolument respectueuse d'autrui. Pour faire pendant, j'utiliserai le concept d'orthosexualité, décliné en orthosexie, orthosexuel, orthosexisme, orthosexocrate et orthosexocratie, dont les nuances apparaîtront en contexte sans qu'il soit besoin de téléprompteur ou d'obscurs éclaircissements. »
« Altersexualité et orthosexie », 10 juillet 2004, © Lionel LABOSSE.

OSCARISTE

Terme forgé à la suite des procès de l’écrivain irlandais Oscar Wilde, en 1895.

« Les oscaristes, […] une secte qui ne manquera pas de fondement. »
Ch. Formentin, Le Jour, 2 mai 1895.

OUT, OUTER

Out : à visage découvert. Voir coming out.

« Quand tous les pédés seront out. »
Zoo, 1999.

Outer : Révéler l’homosexualité d’une personnalité (Zoo, 1999).

OUTING

« Nous ne ferons pas cet outing. Nous en avons par ailleurs informé le député en question il y a quelques temps… Nous ne voulions pas pour autant que le débat que nous avions lancé s’arrête avant terme. C’est pourquoi nous avons attendu quelques jours avant de rendre cette décision publique. »
Philippe Mangeot, président d’Act Up-Paris , Têtu, n° 33, avril 1999.

Le député en question, porte-parole de l’UMP, puis ministre de la culture, était Renaud Donnedieu de Vabres (Le Figaro, 21 avril 2004, page 9).

« Délation, inquisition, pratique policière, terrorisme, totalitarisme, fascisme, etc. La presse n’aura pas manqué de vocabulaire pour dénoncer notre projet d’outing (révélation publique de l’homosexualité d’une personne) […] Pour considérer que l’outing peut nuire à celui qui en est l’objet, il faut considérer soit que l’homosexualité est infâme, soit que sa révélation est dangereuse. »
Act Up-Paris, « Votre vie privée contre la nôtre », Le Monde, 26 juin 1999.


Lettres P et Q