samedi 5 novembre 2022

À VRAI LIRE - RENDRE JUSTICE À ANDRÉ GIDE



La rumeur selon laquelle André Gide aurait truqué une part de son Journal , lancée par Henri Guillemin en 1954, fut ranimée en 1985 par ces lignes fielleuses d'Éric Marty, depuis docteur es lettres et co-éditeur de la nouvelle édition du Journal en collection " Bibliothèque de la Pléiade " :

« Il est aujourd'hui patent que Gide, dans une certaine mesure, a truqué la part de son Journal touchant la période 1939-1942, et qu'il a gommé certaines phrases que les libérateurs et les résistants auraient sans doute peu appréciées.  » Ceci dans L'Écriture du jour. Le "Journal" d'André Gide, Paris: Le Seuil, 1985, page 55. Cet ouvrage avait néanmoins reçu le Grand prix de la critique ...

Cet article de blog est donc issu de ma stupéfaction de lire ces lignes sur un auteur que j'avais fréquenté avec bonheur pendant plusieurs décennies.

A / " Patent " ? Pas si sûr. Il s'agit ici d'une fusée à trois étages. Dès la Libération, André Gide fut accusé de sympathie pour la Collaboration. Comme ce n'est pas le détail de l'histoire qui m'importe le plus, mais la méthodologie des uns et des autres, voyons-la d'abord à travers les réactions de la journaliste correspondante de guerre Claudine Chonez que j'avais eu le plaisir de rencontrer chez elle, à Paris, peu avant sa mort ; elle écrivait en juillet 1944 :
« André Gide vient d'être l'objet, à l'Assemblée consultative [provisoire d'Alger], d'une furieuse attaque de M. Giovoni [...] Par malheur, M. [Arthur] Giovoni (1) ajoute tranquillement : "Je n'ai pas lu son manuscrit". Mon Dieu, quand on ne parle de rien moins que de couper la tête aux gens, on pourrait peut-être se donner la peine de "lire le manuscrit". M. Giovoni ignorait-il, avant que M. [Henri] Bonnet (2) ne le lui ait fort justement indiqué, l'existence du "contexte", susceptible de modifier, voire de retourner complètement le sens d'une citation   (3 — le contexte toujours négligé par la mauvaise foi, toujours cher à ceux qui font effort vers la très difficile probité intellectuelle ? » (4)
Pierre Assouline commenta ainsi les accusations portées contre André Gide lors de la Libération :

« Bientôt la rumeur se dissipe. Gide n'est pas inquiété outre mesure quand on comprend qu'il s'agit avant tout d'une ancienne vindicte communiste ; c'est particulièrement clair à la lecture de quelques lignes fielleuses d'Aragon à son endroit dans Les Lettres françaises : il ne lui a décidément pas pardonné son Retour de l' URSS ... L'épuration n'est qu'un prétexte. » (L'Épuration des intellectuels, Paris : éditions Complexe, 1985, page 38 ; Pierre Assouline est par ailleurs l'auteur de Musique de Gide et de Où sont les héritiers de Gide ?). L'article de Louis Aragon, « Retour d'André Gide » dans Les Lettres françaises du 25 novembre 1944 protestait contre la publication du texte de Gide « Tunis » dans ces mêmes Lettres françaises six mois plus tôt.

   Assez tardivement, une deuxième et violente charge fut menée par un article du normalien (Ulm 1924, agrégé de lettres, et non d'histoire, en 1927) Henri Guillemin (né en 1903 à Macon, Saône-et-Loire -décédé le 4 mai 1992 à Neufchâtel, Suisse) : « À propos du Journal de Gide », paru en janvier 1954 dans le Journal de Genève (« A propos du Journal de Gide », 9 janvier 1954, page 3). Cet article ayant été repris sans changement notable dans le pamphlet de Guillemin bien témérairement intitulé À vrai dire (Paris : Gallimard, 1956), c'est à ce dernier texte que je réponds ici.

   Guillemin se disait profondément choqué par sa découverte : « Quelle déconvenue, et quelle tristesse ! Quelle gêne, aussi, dorénavant, pour l'historien crédule qui s'imaginait jusqu'alors, lisant les pages intimes de Gide, pouvoir suivre, sans erreur, pas à pas, le déroulement de sa pensée ! Tout se trouve remis en question. » (À vrai dire, page 212.) " Découverte " qui se révélera être la pure fabrication mentale d'un esprit malade, d'un écrivain français donneur de leçons de Résistance, mais ... résidant en Suisse pendant l'Occupation …


Henri Guillemin ©TSR

B / 1° Page 211 de cet À vrai dire, Henri Guillemin accuse André Gide d'omission volontaire pour n'avoir pas signalé en préambule de l'édition du Journal 1939-1942 (Paris : Gallimard, 1946) la publication antérieure dans la N.R.F. Or, il se trouve qu'à la date du 25 novembre 1940 Gide écrivait : « J'aurais dû pour le moins dater ces Feuillets, extraits de mon Journal » ; voir page 99 de l'édition de 1946 du Journal (soit tome II, page 63 de l'ancienne édition dans la collection " Bibliothèque de La Pléiade " ; c'est cette édition que je cite). De plus, à la date du 8 janvier 1941, page 103 de cette édition de 1946 (tome II, page 64 de La Pléiade), Gide mentionnait encore : « Ma collaboration à la revue, les Feuillets que j'y donnai, le projet même de sa reprise, tout cela remonte à ce temps d'accablement qui suivit d'abord la défaite. »

Ce reproche infondé de Guillemin est relayé par cette pauvre fille de Jocelyn van Tuyl (André Gide and the Second World War, Albany: State University of New York Press, 2006) ; en note 43 (à " to take the full measure of Gide’s self-censorship ", page 116) du chapitre V " Repositionings Pages de Journal and Thésée ", elle écrit, page 214 : " The first extensive [sic] comparison of alterations to Gide’s wartime Journal can be found in a 1956 essay by Henri Guillemin. Guillemin calls attention to the Journal 1939–1942’s preamble, which lists previous publications of material from the wartime diary. Although Gide mentions the New York and Algiers editions of Pages de Journal and the serialization in L’Arche, Guillemin points out, he fails to mention the publication of early diary excerpts in Drieu La Rochelle’s collaborationist N.R.F. (J 39–42 :7 ; Guillemin 211) ". Cinquante ans plus tard, il y a donc encore, outre-Atlantique, une "chercheuse" qui fait confiance à Guillemin ...

Guillemin déclare, ibid., page 211, que les cent premières pages du volume Journal 1939-1942 avaient paru dans la N.R.F. de Drieu La Rochelle ; pour en juger, il faut faire l'effort de se reporter au numéro 322 de la N.R.F., daté du 1er décembre 1940, et au numéro 324 du 1er février 1941. Or, il n'y a dans ces deux numéros que 20 (vingt) pages et demie de Gide : pages 76 à 86 dans le numéro 322, pages 342 à 351 dans le numéro 324. Je savais que les littéraires étaient généralement nuls en maths, mais une telle incompétence arithmétique, cela laisse sans voix.

Guillemin écrit, page 212 : « le texte du Journal, tel que Gide l'avait publié dans cette N.R.F. soumise » ; or, ces vingt pages et demie sont intitulées « Feuillets », puis « Feuillets II », et absolument pas « Journal ».

Guillemin reproche encore, page 212 de cet impudent À vrai dire : « modifier les dates est déjà plus coupable [que les arrangements de style] » ; au moins cette modification avait-elle été indiquée immédiatement par Gide : « J'aurais dû pour le moins dater et laisser dans leur ordre chronologique ces Feuillets, extraits de mon Journal », écrivait-il à la fin du deuxième article dans la N.R.F., page 350.

   Tout s'explique : d'une part ces Feuillets n'étaient que des extraits, donc fragmentés, du Journal. D'autre part, et c'est le plus important, les modifications que Guillemin (dont le "travail" s'apparente à celui d'un faussaire) situait peu avant 1946, soit après la défaite nazie, dataient en fait de 1940 et étaient consubstantielles  à la publication d'extraits du Journal sous forme de Feuillets. Le texte de 1946 est bien, lui, conforme au texte original, et on comprend maintenant pourquoi André Gide n'avait pas cru nécessaire de signaler dans le préambule de 1946 (l'autre préambule ...) une publication antérieure aussi fragmentaire.

   Je dois dire que le lecteur assidu de Gide que j'étais eut un choc lorsqu' Emmanuel Le Roy Ladurie, dans une communication personnelle, traita cet écrivain de "vieux faussaire" ; Le Roy Ladurie parlait encore sur la foi des travaux de Guillemin et de leurs échos. Mais s'il y a quelqu'un dont le "travail" s'apparente de près à celui d'un faussaire, c'est bien Guillemin, et pas André Gide !


Pages 212-213, Guillemin continue de commenter ce qu'il déclare relever dans la N.R.F. : « Il écrivait avec dégoût [30 octobre 1939] : "Les journaux déjà contiennent assez d'aboiements patriotiques. Déjà trop nombreux sont ceux qui soufflent dans le sens du vent." Cette dernière phrase, en 1946, il préfère décidément nous la dérober. » Or, on peut lire, page 15 de l'édition 1946 (soit tome II, page 12 dans La Pléiade) :
« La lecture des journaux me consterne. La guerre incline tous les esprits. Chacun souffle dans le sens du vent. »
Quant à la première phrase, elle est introuvable dans les articles N.R.F. où Guillemin prétend la relever, mais elle figure dans l'édition de 1946, page 13 (soit tome II, page 11 dans La Pléiade) ; elle n'a donc pas été davantage « dérobée ». Il paraît raisonnable de penser que Guillemin, bricolant à partir de ses mauvaises notes de lecture, a inversé les datations, ou,"si Marty veut", les citations, ce qui revient au même.

Guillemin écrit, page 213 : « Nous lisons [page 13 de l'édition 1946, soit tome II, page 11 en ancienne Pléiade] « ce qu'il feint d'avoir écrit en 1939 : "Plus je me sens Français, plus je répugne à laisser s'incliner ma pensée..." » Or cette phrase figure bel et bien dans le premier article de la N.R.F. de 1940, page 76.

Il y a eu effectivement, mais ceci est vrai tout au long du Journal, de 1889 à 1949, et donc pas seulement lors de la période de l'Occupation, des passages réécrits ou retranchés pour des raisons diverses : souci de discrétion vis-à-vis de tiers, arrangements de style, évitement de redites, considérations de pertinence, etc. ; André Gide ne s'en était jamais caché ; Guillemin nota la modification suivante :
- Gallimard, 1946, pages 99-100 et La Pléiade, tome II, page 63 : « le sentiment patriotique [...] s'assure et s'affermit dans la résistance [souligné par Guillemin] comme tout amour combattu. Et cette lutte de l'esprit contre la force, de l'esprit que la force ne peut soumettre, est en passe de devenir admirable. »
- N.R.F., 1er février 1941, page 351 : « Comme tous les amours combattus, celui de la patrie se fortifie dans la gêne et le martèlement le durcit. Il n'est pas jusqu'à cette solidarité dont le sens et la conscience allaient s'évanouissant dans un éparpillement égoïste, qui ne se reforme et ne s'informe presque soudainement en présence de l'épreuve commune. »
Et Guillemin d'exulter, page 213 de son À vrai dire : « Habilement, tout est changé, et le mot qui compte, glissé là avec un soin furtif, vous donne tout à coup un air "résistant" à ce qui n'avait, dans la N.R.F. "allemande" de 1941 à laquelle collaborait André Gide, ni cette allure, certes, ni cette intention. »

Guillemin, fielleux,  n'oublie pas de glisser le mot qui tue, "collaborait" ; surtout, il confond résistance et Résistance ; pourtant, lorsque André Gide pensait, en automne 1940, à « la lutte de l'esprit contre la force », il est difficile d'imaginer qu'il évoquait la Résistance, plutôt qu'une résistance toute spirituelle. Le 19 septembre 1938, repensant à la guerre de 1914-1918, il imaginait : « si la France, au lieu d'opposer la force à la force, n'avait opposé à l'Allemagne qu'une résistance spirituelle où elle se fût montrée invincible ? ». Pour comprendre Gide, il faut l'avoir relu, peine que Guillemin s'était visiblement épargnée.

Plus loin, à la date du 6 juillet 1942, c'est la Foi qui est décrite comme une « façon de résistance », une façon que Gide n'approuvait pas.


C / Depuis, troisième étage de cette fusée, Bertrand Poirot-Delpech (1929-2006), journaliste au quotidien Le Monde et académicien (élu en 1985 au Fauteuil 39), mit en cause ce passage du Journal :
« Si demain, comme il est à craindre, la liberté de penser, ou du moins d'expression de cette pensée, nous est refusée, je tâcherai de me persuader que l'art, que la pensée même, y perdront moins que dans une liberté excessive. » (25 ou 26 juillet 1940, page 46 du tome II (ancienne édition) en collection "Bibliothèque de la Pléiade", soit page 348 du n° 324 de la N.R.F. du 1er février 1941).
Ce qui devint, dans le consternant article " La lecture : c'est Juin 40 " (1996) de Bertrand Poirot-Delpech :
« Question aveuglement des clercs, les années 40 se sont surpassées. Les premiers numéros de la NRF occupée voient Drieu disserter sur les coteaux modérés de la campagne française, Chardonne offrir son meilleur cognac aux envahisseurs, et Gide escompter que les esprits gagneront à perdre de leur excessive liberté ...» (Le Monde, 2 octobre 1996).
L'aveuglement, c'est celui du seul journaliste, autre faussaire, intentionnel ou inconscient. Une fois de plus, la déformation précède et alimente l'indignation. Car dans le texte d'André Gide, il s’agissait, non d’escompter un gain, au contraire de déplorer ce que la pensée perd dans une excessive liberté ; pas davantage d’approuver une perte de liberté. Mais ça, c'est la lecture " méthode Guillemin ", ce Guillemin dont Bertand Poirot-Delpech, son compère en fieffées falsifications, alla jusqu’à dire, dans la nécrologie qu’il lui consacra, que "à ce point d'érudition et de réflexion personnelle, l'histoire et la biographie deviennent des arts à part entière" …

   Le fond de cette affaire, c'est que Henri Guillemin voulut croire et faire croire que les vingt pages et demie de "Feuillets" de la N.R.F., maigre contribution d'André Gide à la « N.R.F. allemande » constituaient le texte authentique et complet du Journal pour cette période, et que les versions publiées postérieurement étaient retouchées. En réalité, à quelques variantes près, sans grande importance ici, ce sont les éditions de 1946 puis dans la collection Bibliothèque de La Pléiade qui reproduisent les cahiers manuscrits conservés à la Bibliothèque littéraire Jacques Doucet ; et, au contraire, ce sont les "Feuillets" en N.R.F. qui furent réarrangés, précisément pour leur publication sous la dénomination de "Feuillets", à partir de fragments extraits du Journal. Dès lors, il devient évidemment impossible, et absurde, de considérer les différences entre les arrangements de 1940 et le texte complet publié en 1946 comme un maquillage après-coup d'attitudes pétainistes.


D /   Plusieurs auteurs relayèrent pourtant Guillemin avec un bel enthousiasme, selon la règle désormais classique de la correction politique : " la déformation sert l'indignation "). S'applique parfaitement à Guillemin et à ses complices cette formule du dialogue des « représentants de commerce du Peuple » de Jacques Prévert : « – Qu’est-ce que cela peut faire que je lutte pour la mauvaise cause puisque je suis de bonne foi ? – Et qu’est-ce que cela peut faire que je sois de mauvaise foi puisque c’est pour la bonne cause ? » (Spectacle (1949), "Représentation").

   Dès 1955, l'inspecteur d'académie Max Marchand (1911-1962) :
« Guillemin compare les cent premières pages du Journal 1939-1942 publiées sous l'Occupation, à Paris, dans la N.R.F. de Drieu La Rochelle et les mêmes pages publiées chez Gallimard en 1946. Le texte est devenu moins "pétainiste", comment dirais-je, plus "résistant". Ainsi, il avait la coquetterie de se présenter sous le meilleur jour. » (L'Irremplaçable mari, Oran (Algérie): Laurent Fouque, 1955, page 195)
   Puis l'écrivain Jean Follain (1903-1971) :
« mensonges patents du Journal ? [...] Dans la dernière partie du Journal notamment, comme l'a montré Guillemin [sic ...] , il y a eu des reprises de Gide sur son texte dans lesquelles les faits eux-mêmes ont été dénaturés. » (Entretiens sur André Gide, Mouton, 1967, page 198).
   On notera l'adjectif "patent", repris par Éric Marty. Cela donne raison à Sainte-Beuve pour sa remarque : « Les hommes, en général, n'aiment pas la vérité, et les littérateurs moins que les autres » (Notes et pensées, cciv, 1868), et à Frédéric Nietzsche qui fit une du même genre :
« Il [Schopenhauer] est honnête, même comme écrivain. Et si peu d'écrivains le sont qu'à vrai dire on devrait se méfier de tous les hommes qui écrivent. Je ne connais qu'un seul écrivain que, sous le rapport de l'honnêteté [Ehrlichkeit], je place aussi haut, sinon plus, que Schopenhauer : c'est Montaigne. » (Considérations inactuelles III, "Schopenhauer éducateur", § 2).

E /   Cette affinité guillemine pour le faux, entre indignation et déformations, on la retrouve à l'œuvre, bien plus tard, dans la correction politique. Trois exemples parmi beaucoup d'autres : Bernard-Henri Lévy, Lionel Paoli et Jérôme Hourdeaux donnant entre guillemets des expressions attribuées à Renaud Camus, Pascal Sevran et Christian Vanneste, mais qui ne se trouvent pas dans leurs écrits, pour mieux en appeler à l'indignation. Quand ils croient défendre la bonne cause, certains se soucient peu d'être de bonne foi, Prévert l'avait noté dans son dialogue des « représentants de commerce du Peuple » : « – Qu’est-ce que cela peut faire que je lutte pour la mauvaise cause puisque je suis de bonne foi ? – Et qu’est-ce que cela peut faire que je sois de mauvaise foi puisque c’est pour la bonne cause ? » (Spectacle (1949), Représentation).
Ainsi peut-on considérer Henri Guillemin comme un des pères du politiquement correct.


   S'il y avait eu plus à reprocher à Gide en 1940 qu'un délit d'opinion, peut-on imaginer que Gide et le gérant de L'Arche n'aient pas été poursuivis à la Libération, que Jean-Paul Sartre ait écrit en 1951 l'éloge qu'il en fit ? que Bernard Frank (1929-2006) ait, dans La Panoplie littéraire (Paris : Julliard, 1958), conclu à la « bonne foi » et à la « grandeur » de Gide ?

André Gide, photo Gisèle Freund, 1939

   Seul à défendre directement André Gide, dès l'hiver 1954, à la parution de l'article du Journal de Genève, son ancien adversaire dans de nombreuses polémiques, l'écrivain d'Action française Henri Massis, à qui apparut rapidement une grande partie des fautes de Guillemin signalées plus haut. Laissons-lui cette forte conclusion méthodologique :

Henri Massis

« Comparer des textes ne suffit pas ; encore faut-il savoir les lire, et quant aux faits, ils sont beaucoup plus complexes que M. Guillemin l'imagine. » (« Coups de bec et bruits de plumes. André Gide et Henri Guillemin », Bulletin des lettres, n° 155, 15 février 1954) .

Cette critique de Guillemin par François Mauriac était sans doute une indirecte défense de Gide, toute à l'honneur de Mauriac :
« En 1956, une violente polémique oppose Guillemin, qui vient de publier Monsieur de Vigny homme d’ordre et poète, et son aîné et grand ami Mauriac, outré par le mal qu’il ose dire de l’auteur de « La maison du berger ». Mauriac publie dans Le Figaro littéraire du 24 mars 1956 un article contre Guillemin intitulé « Le bonheur d’être oublié ». [Bonheur d’être oublié, parce qu’au moins aucun Guillemin ne vient dire du mal de vous sur votre tombe : on devine Mauriac terrifié de ce qu’on pourra dire de lui quand il sera mort.] L’attaque contre H. G. est violente : chez lui « l’antipathie préexiste […] et guide le chasseur vers le document dont sa haine a besoin. Il est moins soucieux de nous faire connaître l’œuvre dont il s’occupe que de nous donner les raisons de l’amour ou de la haine qu’un auteur lui inspire ». (Patrick Berthier : Guillemin/Hugo, 2007 , Pour conclure, 2.).
   Ce triste Guillemin prolongea son délire d'interprétation par quelques dernières piques, d'abord dans sa défense de Rousseau contre Voltaire, en préface à l'édition des Rêveries du promeneur solitaire des éditions Rencontre (Lausanne, mars 1963) :
« Quant à Gide, son célèbre Journal était si bien à notre intention que ce champion de la sincérité falsifiait à plaisir et son texte et ses dates pour embellir le mémorial qu'il nous vendait de son vivant. » (page 25).
  Puis dans son article " Benjamin l'imposteur ", Le Nouvel Observateur, 18 octobre 1967 :
« La personne de [Benjamin] Constant ? Ne pas se fier, pour l'entrevoir, à ses fameux " Journaux intimes ", encore qu'ils disent, et malgré lui, assez long sur l'individu. La "sincérité" de Constant, qui jetait dans des transports d'admiration le bon [Charles] Du Bos, la sincérité de Constant est du même type que celle de Gide. » (page 42 ; merci à Thomas Rabin pour cette référence ; Guillemin était l'auteur de Benjamin Constant, muscadin, Paris : Gallimard, 1958).
Enfin dans la Tribune de Genève, nous apprend Paul Morand dans son Journal inutile, en 1969 :



F / Mais quid de l'attitude d'Henri Guillemin lui-même pendant l'Occupation ? Elle réserve une belle surprise. Dans l'éloge funèbre de Guillemin, le journaliste Bertrand Poirot-Delpech, écrivait :
" Henri Guillemin avait enseigné au Caire et à Bordeaux avant d'être obligé de quitter la France pour la Suisse sous l'Occupation. Il avait été conseiller culturel à l'ambassade de France à Berne de 1945 à 1962 avant de poursuivre sa carrière universitaire à Genève. " (Le Monde, 5 mai 1992).
   Obligé !? On lit dans le Journal inutile de Paul Morand, tome 1, pages 747-48, à la date du 19 juillet 1972 : " Guillemin [..] payé comme attaché culturel de l'ambassade de France à Berne (et pour cela venant jusqu'à la Libération, chaque 31 du mois, toucher l'argent de Vichy ". Il me semble y avoir là au moins matière à investigation ...

   Dans la lettre qu'il m'adressa et data du 24 VII 1987, Henri Guillemin considérait l'ébauche du présent article comme une " mise au point utile " et ajoutait : " je suis sans doute allé un peu vite [...] il reste que Gide a écrit des lignes impardonnables dans la NRF pro-allemande ".

   L'animosité de Guillemin s'expliquerait-elle par le fait qu'il n'est désigné que par les initiales H.G. dans le tome 1, page 1181 de l'ancienne édition en collection " Bibliothèque de la Pléiade " du Journal, où André Gide commentait le " Témoignage d'un mort " publié par Guillemin dans la revue Esprit, n° 12, décembre 1932 ?

1939-1941, Alger, 1944

G / Une polémique du même type, mettant une nouvelle fois en cause la bonne foi d'André Gide, qui aurait procédé à des omissions et arrangements contestables, a été ouverte sur le groupe facebook du site e-gide.blogspot.fr par Vincent Jaffeux (qui par ailleurs défend partiellement Guillemin), autour de l'ouvrage Pages de Journal - 1939-1941 publié en 1944 à Alger par Edmond Charlot (achevé d'imprimé le 30 septembre 1944).



    André Gide indique, dans un texte liminaire daté Rabat 3 septembre 1943 (donc bien avant les attaques communistes),
« Ces pages du Journal que je tenais, fort irrégulièrement du reste, au cours des sombres mois qui suivirent notre défaite, je ne me reconnais le droit d'y rien changer. », mais Gide écrivit, le 17 octobre 1944 à Roger Martin du Gard : « Mes Pages de Journal ont paru hier à Alger, petit volume tout mince et réduit car de violentes attaques communistes m'ont incité à en faire tomber toutes les pages qui pouvaient alimenter leurs accusations. » 
On peut parfaitement comprendre que un an et des attaques communistes plus tard — attaques communistes qui dans le Gard ont failli coûter la vie à mon grand-oncle Paganelli, préfet nommé par de Gaulle —, Gide ait, alors que la guerre n'était pas terminée, opté pour la prudence.

NOTES

1. Dès novembre 1943, Arthur Giovoni (1909-1996) devint membre de l'Assemblée consultative provisoire (Alger, 3 novembre 1943 / 25 juillet 1944) ; par la suite il fut député communiste de Corse de 1945 à 1955. 

2. Henri Bonnet, commissaire à l'Information du 7 juin 1943 au 10 septembre 1944 à l'Assemblée consultative provisoire. Selon L'Empire colonial sous Vichy, page 210 (Paris : Odile Jacob, 2004, sous la direction de Jacques Cantier et Eric Jennings), Henri Bonnet était franc-maçon.

3. Combien approuvèrent la suspension pour un an de l'enseignant lyonnais Bernard Notin sans avoir jamais jeté un œil sur son texte ? s'indignèrent contre Robert Faurisson, « qui nie l'existence des camps de concentration » ? ; alors que l'argumentation de Faurisson, quelle que soit sa valeur historique par ailleurs, s'appuyait sur des éléments topographiques et chimiques relatifs à ces camps. Ou, plus récemment, s'insurgaient contre Renaud Camus, qui aurait écrit « trop de Juifs à la radio », ce qui ne se trouve pas sous sa plume, ou contre Pascal Sevran (c'est le journaliste Lionel Paoli qui imagina puis lui attribua l'expression " la bite des Noirs "). 

4. Claudine Jaque [pseudonyme de Claudine Chonez, 1912-1995], « Faut-il fusiller GIDE ? », La Quatrième République, 22 juillet 1944 ; coupure de presse endommagée aimablement communiquée par Claudine Chonez ; article reproduit, je le découvris en été 2012, par le site Gidiana.



mardi 25 octobre 2022

DFHM : Tafiole à truqueur en passant par tante, tapette, tour des mignons et troisième sexe

Page de mon Dictionnaire français de l'homosexualité masculine.


Lettre S
Lettres U et V

Table du DFHM


TAFIOLE, TAFFIOLE

" T'as raison Doctor avec son pseudo de TAFIOLE il faut se méfier de notre petit cul. "
le gros
Forum de MX2K.com, 23/09/2002

" dirty_sanchez
MP 27 juillet 2003
ya que des tafioles ici ces alex qui me la dit bon allez aurevoir @+++ "
Forum de jeuvideo.com
  
« Tafiole nom féminin. 1. Homosexuel passif : « Regarde moi cette tafiole avec son débardeur rouge et son pantalon en sky ! » Syn. tapette, [tarlouse], tarlouze. - 2. Homme lâche, couard. Syn. tarlouze. »

« -- Nous allons créer une loi contre l'homophobie
Sûr qu'on est d'accord avec toi
Mais c'est pas nous qu'on fait la loi
On ne peut plus rien dire
-- Mais alors une vraie loi, pas une loi de taffiole... euhh... enfin de... »
Didier Bourdon, On peuplu rien dire, 2005.

« Jeudi prochain, France 2 diffusera un Complément d’enquête consacré à la députée LFI (et très proche de Jean-Luc Mélenchon) Sophia Chikirou [née en Haute-Savoie de parents kabyles], dont les premiers extraits teasés sont accablants. On découvre des messages internes au Média, la web-télé proche du mouvement mélenchoniste et un temps dirigé par Chikirou, dans laquelle cette dernière ironise sur le malaise d’un salarié parti aux urgences ou l’arrêt maladie d’une autre. Après la diffusion de la fake news d’un mort à la fac de Tolbiac, certains journalistes du Média demandent un communiqué rectificatif. Réaction de Chikirou : « Ils le font, le signent et se le mettent dans le cul profond. Cette bande de tafioles de merde. » » (Libération, 29 septembre 2023).

TANTE

Dans l’argot des prisons du début XIXe siècle, la tante a d’abord été la femme du concierge de la prison (le concierge étant l’oncle) ; c’est le seul sens signalé par Ansiaume en 1821 ; le sens homosexuel apparaît en 1834 :

« Le célibat fit naître les Templiers et les Jésuites ; le Code pénal a donné naissance à une nouvelle race d'hommes, aux tantes de La Force [ancienne prison de Paris, dans le Marais] ; car c'est ainsi que l'on nomme ces monstruosités. »
François Vincent Raspail (1794-1878), Le Réformateur, 11 décembre 1834.

Le Vocabulaire argot-français du même auteur donne (en 1835) cette définition :
« Tante : Homme qui a les goûts des femmes, la femme des prisons d’hommes. » (Vocabulaire publié dans le n° 346 du Réformateur, le 20 septembre 1835).

Définition reprise mot pour mot par Eugène-François Vidocq (1837), qui la fait suivre de ce long commentaire :





Vidocq, Les voleurs..., tome 2, 1837.

« Tante : Sodomiste pour son compte ».
Anonyme [Pierre Joigneaux ?], L’Intérieur des prisons, 1846.

" pour son compte " peut s’entendre homosexuel par goût ou par nature, contrairement à ceux qui ne pratiquent l’amour masculin que faute de mieux, ou par intérêt financier. L’année suivante le mot figura dans la dernière partie de Splendeurs et misères des courtisanes de Balzac :

« – Je ne mène pas là Votre Seigneurie, dit-il, car c’est le quartier des tantes
– Hao ! fit lord Durham, et qu’est-ce ?
– C’est le troisième sexe, milord. »
[…]
« oh ! j’y suis, dit Fil-de-soie, il a un plan ! il veut revoir sa tante qu’on doit exécuter bientôt. »

Ambroise Tardieu ne semble avoir reconnu en 1857 que le sens de prostitué :

« Nous verrons plus tard dans quelle classe se recrutent ceux qui sont descendus assez bas pour faire un métier de leur corps et se livrer aux souillures des passions antinaturelles que le plus souvent ils ne partagent pas. Car les jeunes garçons que flétrit le nom de tantes, sont souvent attachés à des femmes chez lesquelles ils attirent et reçoivent habituellement les pédérastes. »
Étude médico-légale 

« Enfants, on les appelle mômes ou gosselins, adolescents ce sont des cousines, plus âgés, ce sont des tantes. »
Lorédan Larchey, « Dictionnaire des excentricités du langage », Revue anecdotique des excentricités contemporaines, n° 5, septembre 1859. Entrée reprise telle quelle dans Les Excentricités du langage français, 1861, sauf la correction " à feu lord ".

« Les antiphysitiques, que l'on nomme ordinairement tantes, se divisent en quatre catégories entièrement distinctes les unes des autres par les habitudes, le costume et le caractère .
Ce sont :
1° Les persilleuses ;
2° Les honteuses ;
3° Les travailleuses ;
4° Les rivettes.
[...]
En résumé, semblable au caméléon qui change, non de forme, mais de couleur, la tante est tantôt appelée tapette, tantôt serinette ; elle est désignée par les marins sous le nom de corvette, mais elle reste toujours un objet d’opprobre.
[...]
Lacenaire, qu'on s'est plu à représenter comme une tante, était à peine sorti de la prison de Poissy qu'il s'empressa d'avoir une maîtresse.
[...]
Pour compléter le tableau des mœurs honteuses que je viens de signaler, j'ajouterai que de 1834 à 1840, un nommé C***, portant le sobriquet de mère des tantes, tint une maison garnie rue de Grenelle-Saint-Honoré ; c'était le réceptacle de ce qu'il y avait de plus immonde dans la capitale ; une sorte de maison de tolérance en partie double, au choix des amateurs. »
Louis Canler, Mémoires de Canler, ancien chef du service de sûreté, chapitre XXXIII " Les antiphysitiques et les chanteurs ", Paris : J Hetzel, 1862.

Alfred Delvau :
« TANTE. Fils d'Hermès et d'Aphrodite, d'après M. de Chompré, — qui n'avait pas lu la brochure du Dr Tardieu :
" Ceux qu'on appelle des tantes, c'est-à-dire ceux qui se prostituent aux véritables pédérastes. » (Dictionnaire érotique moderne..., 1864.
Deux ans plus tard, le mot était devenu synonyme de tapette dans l’argot des faubouriens
(Dictionnaire de la langue verte, 2e édition, 1866), et, comme par Honoré de Balzac, associé à la notion de troisième sexe.

Louis Rigaud :
« Tante. Homme-femme que Balzac a appelé le troisième sexe, et Vidocq la femme des prisons d'hommes. »
dans 

« TANTE : Pédéraste, homme à double face qui retourne volontiers la tête du côté du mur (Argot du peuple). N[ouveau]. »
Charles Virmaître, Dictionnaire d'argot fin-de-siècle, Paris : A. Charles, 1894.

« Le pédéraste trouve quand il en trouve un autre une sorte de prédestination que ne trouve pas l’amoureux. Mais voudrait une non tante mais vite croit demi tante une tante qui lui plaît. Il voudrait et croit trouver des non tantes, car emplissant son désir bizarre de tout le désir naturel, croit avoir un désir naturel dont il peut retrouver l’échange hors de la pédérastie. »
Marcel Proust, Carnet, 1908, f° 12.

« Balzac, avec une audace que je voudrais bien pouvoir imiter, emploie le seul terme qui me conviendrait « Oh! j’y suis dit Fil de soie, il a un plan! il veut revoir sa tante qu’on doit exécuter bientôt. Pour donner une vague idée du personnage que les reclus, les argousins et les surveillants appellent tante, il suffira de rapporter ce mot magnifique du directeur d’une des maisons centrales au feu Lord Durham qui visita toutes les prisons pendant son séjour à Paris… Le directeur désigna du doigt un local en faisant un geste de dégoût : „Je ne mène pas ici Votre Seigneurie, dit-il, car c’est le quartier des tantes… – Hao, fit Lord Durham, et qu’est-ce ? – C’est le troisième sexe, Milord.” » (Balzac, Splendeur et misère des courtisanes [IV " La dernière incarnation de Vautrin].). Ce terme conviendrait particulièrement, dans tout mon ouvrage, où les personnages auxquels il s’appliquerait, étant presque tous vieux, et presque tous mondains, ils seraient dans les réunions mondaines où ils papotent, magnifiquement habillés et ridiculisés. Les tantes ! on voit leur solennité et toute leur toilette rien que dans ce mot qui porte jupes, on voit dans une réunion mondaine leur aigrette et leur ramage de volatiles d’un genre différent. « Mais le lecteur français veut être respecté » et n’étant pas Balzac je suis obligé de me contenter d’inverti. Homosexuel est trop germanique et pédant, n’ayant guère paru en France – sauf erreur – et traduit sans doute des journaux berlinois, qu’après le procès Eulenbourg [1907-1909]. D’ailleurs il y a une nuance. Les homosexuels mettent leur point d’honneur à n’être pas des invertis. D’après la théorie, toute fragmentaire du reste, que j’ébauche ici, il n’y aurait pas en réalité d’homosexuels. Si masculine que puisse être l’apparence de la tante, son goût de virilité proviendrait d’une féminité foncière, fût-elle dissimulée. Un homosexuel ce serait ce que prétend être, ce que de bonne foi imagine être, un inverti.  »
Marcel Proust, " Esquisses IV " (cahier 49), À la recherche du temps perdu, tome III, Paris : Gallimard, 1988, édition d'Antoine Compagnon.

Francis Carco : « Des fois, quand il apprend qu'une femme a trompé son homme avec une tante, c'est lui qui s'trouve comme cocu et qui veut se venger. »
Jésus-la-Caille, 1ère partie, IV, Paris : Mercure de France, 1914.

« Tante : sorte particulière d'inverti, pédéraste […] Tante : pédéraste. »
Henri Bauche, 1920, 1946.

« Un pédéraste, une "tante", une "tapette", font partie du vocabulaire comique et de celui de l’indignation, tout comme "boche" pendant la guerre. De telles associations sont révélatrices : elles signifient que quelle que soit la valeur du jugement porté, cette valeur n’aura jamais l’occasion d’être appréciée, puisque le mot lui-même, l’appellation, entraîne automatiquement la sentence. »
Ramon Fernandez, André Gide, Paris : Correa, 1931.

Tante en étant arrivé à désigner l’homosexuel en général, le besoin d’une summa divisio entre actifs et passifs fut ressenti par Jean Genet qui forgea les composés tante-fille et tante-gars dans son roman Notre-Dame des Fleurs (1944).

Julien Green : « Hier promenade délicieuse sur les quais avec D.P. [Robert de Saint Jean] Un charmant mulâtre à visage de jeune fille. Serré la main à Jean Robert sur le pas de sa petite librairie. Il y a vingt ans, c'était le garçon le plus gracieux qu'on pût têver. Aujourd'hui, une grande tante ridée. Pauvre garçon. »
Toute ma vie Journal intégral 1946-1950, 19 mars 1950, Paris : Éditions Bouquins, 2021.

« Pour les hétérosexuels, tout pédéraste, [André] Gide ou le petit gigolo de Pigalle [quartier chaud de Paris], étant une tante, il a bien fallu que les homosexuels trouvent un mot pour définir cette forme particulière d’inversion qui s’accompagne d’un travestissement symbolique ou effectif. La "folle" est au pédéraste ce que le juif âpre et cynique est à "l’israëlite" : une revendication de sa caricature. Et le pédéraste convenable fréquente aussi peu la "folle" que le juif bourgeois le "pollak" ».
Roger Stéphane [R. Worms], Parce que c’était lui, Paris : La Table Ronde, 1953 [Texte repris en 1989 dans Tout est bien].

Dans son séminaire Le Transfert (1960), le psychanalyste Jacques Lacan décrivait ce que rapporte Platon dans Le Banquet comme « une assemblée de vieilles tantes ». On le lui a beaucoup reproché.

« Si ma tante en avait on l’appellerait mon oncle, et si mon oncle en était on l’appellerait ma tante. »
Pierre Dac [André Isaac], Les Pensées, Paris : Éditions de Saint-Germain des Prés, 1972. Souvent cité de manière incomplète. L'origine de la première partie se trouve chez Charles Virmaitre : " SI MA TANTE ÉTAIT UN HOMME. Cette expression est employée communément dans le peuple pour exprimer l'absence de la virilité de la femme : Si ma tante en avait elle serait colonel dans la garde nationale (Argot du peuple). " (Dictionnaire d'argot fin-de-siècle, 1894).


TANTOUSE, TANTOUZE, TANTOUSARD

Tantouze  relevé dès 1899 par le jeune apache et détenu lyonnais condamné à mort Nouguier.

Pierre Devaux : « Du vent, tout : les guincheurs, les gouines sapées comme des mecs et les jolies tantouses qui faisaient des touches avec des caves. »
Jésus-la-Caille traduit en langue verte, , première partie, IV, Paris : Éditions de la Nouvelle revue critique, 1939.

« On dirait de lui : " Fleurier, vous savez bien, ce grand blond qui aime les hommes ? " Et les gens répondraient : "Ah ! oui. La grande tantouse ? Très bien, je sais qui c’est." »
Jean-Paul Sartre, L’Enfance d’un chef, dans Le Mur, Paris : Gallimard, 1939.

« Savez vous quel député a dit, à la buvette de l'Assemblée après le premier échec de la proposition de loi sur le PACS, cette jolie phrase : " Fallait pas rêver, on allait quand même pas se démener et monter à Paris rien que pour le mariage des tantouzes " ? Monsieur Henri EMMANUELLI [1945-2017], député (socialiste) des Landes ... clâsse, non ? »
Lu sur le site web du Nouvel Obs le 9 octobre 2002.

TAPETTE, TAPETTERIE

« M. Hiltbrunner, directeur [de 1953 à 1857] du Théâtre des Délassements [comiques] : " Mes acteurs […] sont tous maquereaux ou tapettes. " »
Edmond et Jules de Goncourt, Journal. Mémoires de la vie littéraire de 1851 à 1896, Paris : Fasquelle/Flammarion, 1956, année 1854.

Terme signalé par Lorédan Larchey dans son article de septembre 1859 comme synonyme de tante :
Repris au quasi identique dans Les Excentricités du langage français, Paris : Aux bureaux de la Revue anecdotique, 1861 :




« En résumé, semblable au caméléon qui change, non de forme, mais de couleur, la tante est tantôt appelée tapette, tantôt serinette ; elle est désignée par les marins sous le nom de corvette, mais elle reste toujours un objet d’opprobre. »
Louis Canler, Mémoires, 1862.

Alfred Delvau, Dictionnaire érotique moderne..., 1864 :

« Un petit bonhomme gras et douteux, éphébique et féminin, avec sa tête d’Alsacienne, les cheveux blonds, en baguettes, tombant droit de la raie du milieu de sa tête, en redingote allemande de séminariste, dans l’ouverture de laquelle se flétrit un peu de lilas blanc, – tapette étrange et inquiétante. »
Edmond et Jules de Goncourt, Journal. Mémoires de la vie littéraire de 1851 à 1896, Paris : Fasquelle/Flammarion, 1956, 4 mai 1865.

En 1866, Alfred Delvau donnait cette autre définition : « Individu faisant partie du troisième sexe »
et considérait le terme comme synonyme de tante.

Lucien Rigaud :
Dictionnaire du jargon parisien — L'argot ancien et l'argot moderne,
Paris : Paul Ollendorff, 1878.

« Lorsqu’ils se trouvent plusieurs réunis dans l’intimité, c’est un caquetage assourdissant entremêlé d’éclats de voix aigres qui pourrait faire douter de leur raison. C’est cet amour immodéré du verbiage qui leur a valu le surnom de tapettes. »
Félix Carlier, chef de la brigade des mœurs à la Préfecture de police de Paris entre 1850 et 1870, La Prostitution antiphysique, 1887.

Virmaitre : « TAPETTE : Pédéraste passif, il se fait taper dans le tas (Argot du peuple). N[ouveau]. » (Dictionnaire..., 1894.

« Le Complaisant, la Tapette, la Fille, car ce n’est que de cette manière qu’ils s’appellent entre eux – ces singularités vivantes – naissent généralement en tout semblables à des créatures féminines. »
Arthur W., 1874, dans Henri Legludic, Notes et observations de médecine légale, I Attentats aux mœurs, Paris : Masson, 1895.

« Il [un personnage envisageant de s’épiler] risquait d’avoir l’air d’une tapette, et non d’un petit garçon. »
Alfred Jarry, Les Jours et les nuits, 1897.

« Les hétéros nous condamnent impitoyablement, nous sommes des lopes, des tantes, des tapettes, on nous abaisse plus bas que le dernier des crapuleux …, eux sont jugés et condamnés, nous, nous sommes méprisés. »
Inversions, n° 4, mars 1925.

Julien Green sur Jean Weber : « Plus vieux, un peu flétri, un peu plus tapette, mais si désirable dans son costume de soie bleue et ses cheveux jaunes »
Journal intégral 1919-1940, 20 septembre 1928, Paris : Robert Laffont, 2019.

Julien Green : « [Oscar-Paul Gilbert] me parle beaucoup du  grand bal du Magic City qui réunit trois à quatre cents tapettes et autant de curieux, chaque mardi gras. Effroyables salauderies, paraît-il, entre 1 heure et 1 heure et demis du matin. [Jean] Desbordes et Le Masle doivent triompher dans ce genre de fête. »
Journal intégral 1919-1940, 11 février 1929, Paris : Robert Laffont, 2019.
« [Jean Desbordes] me vante la rue de Lappe et ses scandaleux marins dont les pantalons, dit-il, ont trop de poches sur le devant, ce qui, dans la marine, représenterait le comble de la tapetterie. »
25 mars 1929.
« Gide a aussi raconté que le jeune Berge s'est fait prendre dans le Tiergarten à Berlin, dan une posture sans équivoque, et naturellement ave une tapette qu'il avait levée, sans doute dans la Schule Allee. Mais le  schupo l'a laissé partir après lui avoir demandé ses papiers. »
24 septembre 1929.
« [Christian] Dior est un jeune homme doux et rose, l'air assez tapette quoiqu'il soit marié ; extrêmement correct et réservé, il n'est guère beau et paraît d'intelligence assez modeste, mais il a la sensibilité d'une dame, à fleur de peau, et son amour de la peinture est sincère, me semble-t-il.
[...]
Sur la plate-forme d'un l'autobus, trois jeunes gens ravissants, beaucoup trop pour me plaire tout à fait, parlaient du Bœuf. Ils étaient vêtus d'imperméables noirs et portaient des cols très bas destinés à montrer leurs cous : nu-tête, comme toute tapette qui se respecte. »
29 décembre 1930.

« Un pédéraste, une "tante", une "tapette", font partie du vocabulaire comique et de celui de l’indignation, tout comme "boche" pendant la guerre. De telles associations sont révélatrices : elles signifient que quelle que soit la valeur du jugement porté, cette valeur n’aura jamais l’occasion d’être appréciée, puisque le mot lui-même, l’appellation, entraîne automatiquement la sentence. »
Ramon Fernandez, André Gide, 1931. (Comme c’est le cas aujourd’hui, par une curieuse ironie de l’histoire, des termes homophobe ou islamophobe).

« Trois jours auparavant, c’était un môme dans le genre mièvre, ça peut plaire ; mais maintenant il avait l’air d’une vieille tapette, et je pensais qu’il ne redeviendrait plus jamais jeune, même si on le relâchait. »
Jean-Paul Sartre, Le Mur, « Le mur », 1939.

« Sonneraient-elles plus fort les divines trompettes
Si comme tout un chacun j’étais un peu tapette »
Georges Brassens, Les Trompettes de la renommée, 1962.

« On dit que je suis misogyne. Mais tous les hommes le sont. Sauf les tapettes. »
David Douillet, L’Âme du conquérant, 1998.

« Pour pas mal de jeunes clubbeurs de moins de 25 ans, être vieux signifie, en langage tapette, avoir plus de 40 ans. »
Night and day, Agenda de Têtu, juillet-août 2004.

TARLOUSE, TARLOUZE, TARLOUZELAND

« Qu’on soit tarlouze ou hétéro
C’est final’ment le même topo
Seul l’amour guérit tous les maux
Je te le souhaite et au plus tôt. »
Renaud/Séchan, Petit pédé (2002).
        


" LA JUGE : Le 19 octobre 2015, conversation téléphonique numéro 29, vous semblez très inquiet de votre mise en cause et vous qualifiez M. Valbuena de « tarlouze ». Vous mettez en place une stratégie pour répondre aux rumeurs dans la presse. Pourquoi une telle crainte alors que vous êtes particulièrement exposé à la presse ?

Karim Benzema. : Je n’étais pas inquiet, mais énervé plutôt. Je n’étais que énervé. C’est ceux qui s’occupent de ma communication qui ont trouvé cette phrase. Maintenant, j’ai une famille, je deviens fou quand on invente des histoires. Si j’avais été entendu, pas de problème, mais là je n’avais même pas été entendu et, dans la presse, on me dit que je fais partie d’un chantage. Forcément, je suis énervé. Je me suis dit qu’il [Valbuena] était allé me dénoncer à la police, alors que j’étais allé le voir. Après, « tarlouze », on peut le dire à tout le monde, à ses amis, à ses potes. Pour moi, pour la nouvelle génération, c’est amical. Ce n’est pas une question d’être inquiet ou je ne sais pas quoi, c’est juste énervé. Encore une fois, je suis dans la presse, encore une fois on parle de moi. C’est pour cela que j’ai employé ce mot-là. " (" Affaire de la « sextape » : ce que Benzema a dit [le 5/11] à la justice ", LE MONDE.fr, 2 décembre 2015.

TASSE

« La grande masse des invertis dédaigne souverainement ceux qui papillonnent ainsi de tasse en tasse […] Tasse : en argot pédérastique désigne un urinoir. »
Michel DuCoglay, Chez les mauvais garçons. Choses vues, 1937.

Pierre Devaux : « Il avait pas assez de cran pour maudire les macs qui défendaient le biseness et le prestige de leurs gagneuses contre la gigolaille et les truqueurs des tasses. »
Jésus-la-Caille traduit en langue verte, 1ère partie, II, Paris : Éditions de la Nouvelle revue critique, 1939.

TATA

Signalé en 1881 par Émile Chautard.

« TATA : Dans le monde des ''équivoques'', une ''tata'', c'est le 'passif'' »
Charles Virmaître, Dictionnaire d'argot fin-de-siècle, Paris : A. Charles, 1894.

« Tata : pédéraste passif, pédéraste. »
Henri Bauche, 1920.

« Ta ta ta, ta la ta ta, prout prout !
Ta ta ta, ta la ta ta, prout prout !
Ta ta ta, ta la ta ta, prout prout !
Ta ta ta, ta la ta ta, prout prout ! »
Refrain de la chanson de Fernandel « On dit qu’il en est. » (1968)

TATALAND

Le chanteur Dave, à la télé, vers l’an 2000, pour désigner le milieu homo de la capitale.

TBM

Dans les petites annonces de rencontre, signifie très bien monté.

TENDRE SA ROSETTE
Dictionnaire érotique..., 1864 et 2e édition.
La précision « par un homme » est pléonastique...

TERRE JAUNE

« Les pédérastes sont les chevaliers du trou à la terre jaune (Argot du peuple). »
Charles Virmaître, Supplément..., Paris : A. Charles, 1895.

" Voyage en terre jaune avec le garçon " (deuxième colonne)


Terre-jaune : sf. pédérastie. Faire dans la terre jaune. "
Henri Bauche, Le Langage populaire, Payot, 1920.

Terre jaune : Faire dans la terre jaune, se livrer à la pédérastie.
Henri Bauche, op. cit., éd.1928.

« Pour le rond, pour le dix et pour la terre jaune,
Une chiée à la dent, mais j'ai l'estomme en vrac
À les imaginer, deux par deux, cul à trac
La dossière et le zob à la mode d'Ancône.

Tel empapahouta chez nous demande aumône
Aux louchébems ou aux sergots ou même aux macs,
Tels autres sont mordus pour des girons, des jacks
Pour un télégraphiste, enfin pour un beau môme,

Les frères mirontons n'en demandent pas tant,
La ficelle, elle seule, émeut leur palpitant,
Par discipline ils se font donc dorer la rose.

Passe encor de se faire emmancher par un dur
Ou d'aller au petit d'un mignon, d'un pas mûr,
Mais pour l'Oberleutnant se défoncer le prose ! »
Cancale [Robert Desnos], « Frères mirontons », " À la caille ", Messages, n° 11, 1944 ; repris dans Poésie 45, n° 26-27, août-septembre 1945.

Terre jaune (amateur de) : Pédéraste.
Exemple. - Si tous les amateurs de terre jaune connus et inconnus à Paris se tenaient le petit doigt, on aurait vite rempli la place de la Concorde! "
Pierre Perret, Le Petit Perret illustré par l'exemple, J. Cl. Lattès, 1982.

« Voyage en terre jaune. »
France-Inter, 29 avril 1999.

TERRIEN

ROBERT DE SAINT JEAN (1901-1987) : « Le sentiment de faire partie sexuellement d'une minorité alors sévèrement condamnée par la foule aiguillonnait son esprit. Il [Lucien Daudet] côtoyait dans la société beaucoup d'hommes qui éprouvaient les même inclinations que lui tout en les cachant soigneusement, et l'hypocrisie le révoltait. Il n'employait pas les mots  " hétérosexuel", ou " homosexuel ", termes un peu bien savantasses à son gré, et avait inventé une autre classification : les " terriens " pour désigner ceux, innombrables, qui sont attirés par les femmes et pour les autres il disait les " planétaires ". Des " terriens " devenus par la curiosité d'un moment " planétaires " en catimini, il affirmait : " Ce sont ceux-là qui condamnent en public l'amour des garçons avec le plus de violence... [...] — Pourquoi, demandait-il, cette soudaine irruption de l'homosexualité — de la " planète ", disait-il — dans les livres de nombreux écrivains après 1918 ? Pourquoi cette nappe souterraine affleurait-elle en mille sources ? Cette inclination a existé pendant tous les siècles non seulement chez les Grecs, dont on parle toujours à tort et à travers, mais dans les mœurs, au XIIe siècle par exemple. Toutefois l'expression en a été presque totalement interdite par une morale régnante tyrannique. Pourquoi après l'armistice (et déjà un peu avant 1914) a-t-on vu cette avalanche de confession, les unes voilées, les autres franches. [...] Lucien acheva lui-même un roman, la Planète, qu'il me fit lire en manuscrit et dont le personnage principal était un étudiant en médecine. L'œuvre fut annoncée " À paraître " dans son dernier livre imprimé. Qu'est devenu ce texte ? Détruit par souci de respectabilité — c'est une supposition — de la blanche main des héritiers ? » Passé pas mort, III " En revenant de la revue [Revue hebdomadaire] ", Paris : Grasset, 1983, page 228-229.

TINTEUR

« TINTEUR. Jeune sodomite. »
François Vidocq, Les Voleurs..., tome 2, page 167, 1837.

« TINTEUR. Pédéraste passif. »
Alfred Delvau, Dictionnaire érotique moderne..., 1864.

TIRER PAR DERRIÈRE

« N’ayant plus les moyens d’avoir des femmes, nous nous trouvons réduits à la malheureuse nécessité de nous amuser entre nous et de tirer par derrière, n’ayant point l’argent nécessaire pour tirer par devant, c’est-à-dire pour bourrer, pour enfiler des cons. »
Le Bordel apostolique institué par Pie VI pape en faveur du clergé de France, « Supplique », 1790 [BnF Enf 602].

TOUR DES MIGNONS

« La duchesse de La Ferté a dit qu’on remarquait dans l’histoire que la galanterie des rois roulait, l’un après l’autre, sur les hommes et sur les femmes, qu’Henri II et Charles IX aimaient les femmes, et Henri III les mignons ; Henri IV aimait les femmes. Louis XIII les hommes, Louis XIV les femmes et qu’à présent le tour des mignons était revenu. »
Mathieu Marais, Journal et Mémoires, août 1722.

« Le propre jour que le maréchal de Villeroy est venu à Versailles, on a découvert que le jeune duc de La Trémouille, premier gentilhomme du Roi, lui servait plus que de gentilhomme, et avait fait de son maître son Ganymède. Ce secret amour est bientôt devenu public, et l’on a envoyé le duc à l’Académie avec son gouverneur pour apprendre à régler ses mœurs. Le Roi a dit que c’était bien fait. Voilà donc le tour des mignons et l’usage de la Cour de Henri III. »
Id., ibid., 27 juin 1724.
               
TOURNER LE DOS

« Monsieur de Vendôme
Assiège Sodome
De blainville et Courtenvaux
Lui livrèrent un bel assaut ;
Sont-ce pas de braves hommes
De tourner ainsi le dos ?
Recueil Maurepas, BnF, mss fr 12616, vers 1632, tome 1, p. 421.

« Sans aller à la guerre, il [Nicolas Vauquelin] sait faire tourner le dos aux hommes, et […] a appris il y a longtemps l'art de dompter et de subjuguer. Je sais cet horrible secret d'un jeune gentilhomme de mes amis, quo non formosior alter, et sur la  pudicité duquel ce frère a eu de très dangereux desseins, lorsqu'ils étaient ensemble à l'Académie ou au collège. »
Lettre de Guez de Balzac à Jean Chapelain, 3 octobre 1644 (Lettres, Paris : Imprimerie Nationale, 1873)  

TRANSGENRE, TRANS-GENRE

« À partir de 2006, le système fiscal néerlandais sera remis à plat, et c'est le service des impôts (Belastingdienst) qui centralise tous les systèmes d'aide, avec l'aide des employeurs: ceux-ci sont chargés d'envoyer, une seule fois, les informations qu'ils détiennent sur leur employés. La nouveauté, c'est que la catégorie du genre s'étend : l'employeur a le choix entre «homme», «femme», «incertain» et «inconnu». Il s'agit d'une révolution assez importante qui satisfera les transgenres résidant aux Pays-Bas. Le CBS, le bureau central des statistiques, pourra désormais savoir combien de personnes n'entrent pas dans les catégories « homme » ou « femme », dont le nombre était jusqu'alors estimé de façon approximative. »
Laurent Chambon, http://www.tetu.com , 1er septembre 2005

« La notion de genre, introduite en France par des folles à la fin du XXe siècle (glorieuse période des drag-queens) et revitalisée par le queer américain prend un chemin traditionnellement féministe où les questions homosexuelles et particulièrement masculines sont de nouveau mises sous le boisseau. Après avoir beaucoup participé à la popularisation de cette première mouture, Patrick Cardon, pour éviter tout malentendu et pour échapper définitivement aux nouvelles tentatives de réification, propose d’utiliser le terme et la notion universelle de trans-genre qui recouvrirait celles déconstructivistes de queer, de postcolonial, et d’études culturelles afin de donner intelligemment leurs places à TOUTES les diversités en dehors de tout binarisme et dans une prévision d’hybridité annoncée. […] J’utiliserai la graphie « transgenre » lorsqu’il s’agira de transgenre sexuel [???] et celle de « trans-genre » lorsqu’il s’agira de la notion plus large que j’essaie de défendre ici.» Patrick Cardon, 2009.

TRANSHOMOSEXUALITÉ

Forte attirance pour les homosexuels du sexe opposé (Jacques Corraze, L’Homosexualité, Paris ; PUF, 2000, collection " Que sais-je ? ").

TRAVELO, TRAVELOPHOBE, TRA(NS)VESTI,  TRA(NS)VESTISME

« Bien qu’il puisse y avoir parfois des associations avec l’homosexualité, les travestis ne sont pas à mettre, d’ordinaire, parmi les homosexuels. »
« Les ambiguïtés sexuelles », Cahiers Laënnec, n° 2, juin 1962.

« Les homosexuels "efféminés", les "hypervirils", les pédérastes, les travestis,  etc (pour ne parler que des comportements des homosexuels du sexe masculin), doivent pouvoir faire entendre leurs revendications propres, par et avec les moyens du groupe.
Cependant, les revendications communes seront toujours placées au premier plan. »
Manifeste programme pour la libération des homosexuels, Paris, 1975.

« Parmi les 504 transvestis de Prince et Bentler, 1972, il n’y avait que 1 % d’homosexuels. »
Jacques Corraze, L’Homosexualité, Paris ; PUF, 2000 (6e édition mise à jour).

« Travestisme : adoption, par certains sujets atteints d’inversion sexuelle, des vêtements et des habitudes sociales du sexe opposé. »
Petit Larousse, 1986.

« J'aime pas les travelophobes. »
Capitaine Marleau, " Brouillard en thalasso ", 2016.

TRICK

"Trick, c'est la rencontre qui n'a lieu qu'une fois : mieux qu'une drague, moins qu'un amour : une intensité, qui passe, sans regret."
Roland Barthes, Préface à Tricks, 1979.

« Il faut, pour qu'il y ait trick, que quelque chose se passe ; et précisément : du foutre, à parler sadien. »
Renaud Camus, Tricks, note liminaire, 1979.

« Le trick, s'il n'est pas consubstantiel de l'homosexualité, semble bien lui être, en revanche, dans une large mesure, spécifique, et s'y pratiquer, aujourd'hui encore, infiniment plus souvent que dans l'hétérosexualité. »
Renaud Camus, Tricks, note à la deuxième édition, 1982.

« On a plus d'exigence à l'égard d'un trick, qu'on ne reverra pas, que d'un éventuel objet d'amour, qui dès lors transcende les genres. »
Renaud Camus, Journal 1995, 2000.

TROISIÈME SEXE

On a parlé de sixième sens pour désigner, suivant les auteurs, soit le sens esthétique (Denis Diderot), soit le sens voluptueux ou génésique (Voltaire, Brillat-Savarin) ; cela a pu inspirer l’idée d’un sexe supplémentaire.
Le sens homosexuel de troisième sexe fut précédé par toute une série d’analogies grammaticales dans la description des écarts sexuels. Le théologien parisien Alain de Lille (1120-1202) reprochait à l’homme d’être à la fois sujet et attribut dans la relation homosexuelle, et de subvertir par là les lois de la grammaire. Le médecin de Philippe-Auguste, Gilles de Corbeil (c. 1140 – c. 1224), comparait le rapport homosexuel à un accord grammatical :

« Les métamorphoses que chanta jadis Ovide ne furent ni si complètes, ni si monstrueuses, ni si déplorables que celles qui, de nos jours, transforme les hommes en brutes et les rend semblables aux animaux sauvages, aux oiseaux et aux bêtes de somme. Encore est-il que les animaux les plus féroces l’emportent en ceci sur l’homme qu’ils s’accouplent et se reproduisent suivant les lois de leur sexe. La plupart des hommes, au contraire, par une aberration monstrueuse, prétendent imiter les grammairiens, qui font s’accorder entre eux les mots du même genre. Ils poursuivent, dans l’union des sexes semblables, la reproduction de l’espèce, alors que cette parité de genre ne peut conduire qu’à son anéantissement. C’est que l’accord des mots et l’union des êtres animés ne sont pas soumis aux mêmes lois. La nature, qui préside à la naissance de chaque individu, a voulu que les êtres de même espèce proviennent de l’accouplement de sexes opposés. La syntaxe, au contraire, obéissant à une règle uniforme, n’unit que des mots du même genre. Mais, chose stupéfiante, spectacle étonnant et prodigieux, des êtres dépourvus de raison obéissent à la raison et se soumettent aux lois de la nature, tandis que l’homme, oublieux de cette raison qui est son apanage, se livre comme une brute aux excès les plus violents et les plus criminels. »
Hiérapigra [Potion amère], II, traduit par Camille Vieillard, Gilles de Corbeil. Médecin de Philippe-Auguste et chanoine de Notre-Dame, Paris : Champion, 1908.

Même réflexion chez le propagandiste de la foi chrétienne Gautier de Coincy (1177-1236) :

« La grammaire hic à hic accouple
Mais Nature maudit le couple.
La mort perpétuelle engendre
Celui qui aime masculin genre
Plus que féminin ne fasse
Et Dieu de son livre l’efface. »
(traduit par Camille Vieillard)

Cette analogie grammaticale est réapparue au début du XVIIe siècle dans un ouvrage satirique et polémique :

« En une autre pièce, je voyais ce même homme étendu tout nu sur une table, et plusieurs à l’entour de lui qui avaient diverses sortes de serrements, et faisaient tout ce qui était possible pour le faire devenir femme : mais à ce que j’en pouvais juger par la suite de l’histoire il demeurait du genre neutre. »
L’Ile des Hermaphrodites, 1605.

Il y était précisé que :
« Tout le langage, et tous les termes des Hermaphrodites sont de même que ceux que les grammairiens appellent du genre commun, et tiennent autant du mâle que de la femelle. »
Cyrano de Bergerac reprocha à un impuissant :

« Vous n’êtes ni masculin, ni féminin, mais neutre »
Le Pédant joué, I, 1.

Ce genre neutre, qui existe en anglais, en latin, en allemand et en russe, fut le prétexte de bien des plaisanteries ; à l’occasion de la mort de l’archevêque d’Albi Séroni, on fit circuler ces vers irrespectueux :

« Pleurez, pleurez jeunes garçons
Un prélat si fort débonnaire
Qui retranchait de vos leçons
Deux des genres de la Grammaire ;
De même qu’en pays latin,
Il n’usait que du masculin. »
(BnF, mss fr. 12640, page 399, année 1685)

Humour que l’on retrouve en 1762, après la suppression des Jésuites :

« Vous ne savez pas le latin :
Ne criez pas au sacrilège
Si l’on ferme votre collège
Car vous mettez au masculin
Ce qu’on ne met qu’au féminin. »
(Chansonnier Clairambaut-Maurepas, année 1762 ; avec en prime un jeu de mot sur mettre)

Théveneau de Morande précisa, parlant des êtres neutres, l’analogie grammaticale :

« Si la multiplication subite des moines qui ont envahi l’empire chrétien ne préparait pas aux merveilles de la procréation des êtres neutres, on ne croirait pas à la possibilité de leur existence […] On promet une couronne civique à chaque femme qui aura reçu l’abjuration d’un membre de cette secte. »
Le Philosophe cynique, 1771

Il fut suivi peu après :

« Combien de gens qui se croient les coryphées de leur sexe, seront surpris de se reconnaître dans les portraits que je ferai du sexe neutre, je veux dire de celui qui n’a ni les vertus du vôtre, ni les aimables qualités du mien [c’est une femme qui parle]. Ce qui me flatte le plus dans mon projet, c’est qu’il est neuf et original. »
Jacques Vincent Delacroix, Peinture des mœurs du siècle (1777), « Conjecture pour un troisième sexe », tome I, pages 340-343.

Cet auteur parlait d’êtres « faibles et légers », utilisant les mêmes moyens de séduction que les femmes. Plus éloigné de l’homosexualité paraît le « troisième sexe à part » de Mlle de Maupin, à laquelle Théophile Gautier avait donné « le corps et l’âme d’une femme, l’esprit et la force d’un homme ». Frédéric Nietzsche cite, sous la rubrique « Troisième sexe », un maître de danse auquel les femmes petites paraissaient d’une autre sexe (Gai Savoir, II, § 75). 
En 1834, Balzac ouvrait son roman Le Père Goriot en présentant une auberge, « Pension bourgeoise des deux sexes et autres », un lieu où évolue le personnage homosexuel de Vautrin.

« – Je ne mène pas là Votre Seigneurie, dit-il, car c’est le quartier des tantes …
– Hao ! fit lord Durham, et qu’est-ce ?
– C’est le troisième sexe, milord. »
Honoré de Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes, IV (1847). [En remplacement de " le dernier sexe " sur le septième jeu d'épreuves].

Alfred Delvau disait du troisième sexe en 1864 : « Celui auquel appartiennent les pédérastes et les gougnottes. »
Dictionnaire érotique moderne..., 1864.
Et deux ans plus tard : « Celui qui déshonore les deux autres. » Dictionnaire de la langue verte, 2e édition, 1866.
Gustave Flaubert : « Quelle idée avez-vous donc des femmes, ô vous qui êtes du troisième sexe ? » Lettre à George Sand, 19 septembre 1868.

C’est probablement à cette époque que l’expression drittes Geschlecht s’est répandue en Allemagne ; on la trouve en 1864 dans une brochure du magistrat K. H. Ulrichs (dont je parle ailleurs).

« Les voici bien, les jeunes blondins qu’ils adorent, les bardaches modernes, les uns se maquillant comme des femmes, d’autres portant des bagues et des bracelets ou signalant leur passage par une trace de parfum ! Ces greluchons appartiennent au troisième sexe. Ignominieux renversement des lois naturelles qui fait revivre à travers notre société les hontes de l’antique Pentapole ou les plus impures débauches de la décadence romaine. »
Frédéric Loliée, Les Immoraux. Études physiologiques, livre 2, VI, 1891.

« Les " individus du troisième sexe " dont parle Balzac. »
Dr Henri Legludic, Attentats aux mœurs, 1896.

Ernst von Wolzogen, roman intitulé Le troisième sexe , Paris : Calmann-Lévy, 1904 ; traduction de Das dritte Geschlecht, 1899.

Cette expression servit encore de titre à un chapitre du roman de Charles-Étienne Notre-Dame de Lesbos (1919), et à un essai de Willy-Gauthier en 1927 :


Cette théorie du troisième sexe, ancêtre de la théorie du genre, soutenue par Karl H. Ulrichs dans les années 1860, puis par Magnus Hirschfeld, concluait à l’innéité de l’homosexualité ; elle fut critiquée par le Dr Valentin Magnan en 1913 « une manière de voir originale, mais dont la clinique ne saurait s’accommoder »), par André Gide dans la préface de Corydon (écrite en 1922), aussi par Sigmund Freud dans Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci (1910, traduit en 1927). Sartre fut un autre opposant à la thèse de l'innéité.

« La symbolique des deux sexes a tellement de difficulté à être représentée dans la culture actuelle, empêtrée dans le subjectivisme et l’irrationnel, qu’elle se confond avec l’unisexe. Le discours homosexuel profite de ce flou pour se présenter comme le "troisième sexe". »
Tony Anatrella, « À propos d’une folie », Le Monde, 26 juin 1999.

« L'introduction de la notion de " troisième genre " [par Heinrich Marx en 1875] mérite cependant une mention particulière : plus exacte que celle de troisième sexe, trop liée à l'anatomie, elle rend mieux le sentiment d'appartenance aux caractères masculins ou féminins, ici seule en jeu. » (Laure Murat, La Loi du genre, chapitre III " Le monde à l'envers ", 2 " Karl Heinrich Ulrichs, ou le troisième sexe en théorie ", Paris: Fayard, 2006.


« En 1835, Théophile Gautier avait, on le sait, utilisé cette notion de « troisième sexe » avec l’histoire de Mademoiselle de Maupin, aventurière travestie en homme. Balzac aurait-il hésité à reprendre le terme ? C’est en effet seulement sur le septième jeu d’épreuves qu’il remplace par « troisième sexe » ce qu’il avait inscrit à l’origine : « le dernier sexe ». Car Balzac, ici, accrédite un tout autre sens que celui donné par Gautier. Le troisième sexe, c’est la tante efféminée, cette « femme des prisons d’hommes » selon Raspail. ». Laure Murat, « La tante, le policier et l'écrivain », Revue d'Histoire des Sciences Humaines n° 2/2007 (n° 17) , pages 47-59.

TROU D’HONNEUR

Traduction proposée pour glory hole.

Amusante, la question de Jacques Fersen, « pourquoi mêler l’honneur au derrière ? » à cause de l’ambiguïté du mot « honneur », synonyme de « sexe masculin » dans la langue du libertinage érudit. Ce n’était pas forcément involontaire de la part de Fersen (cf l’entrée HOMO).

Dans les vers de La Fontaine, un « enfant d’honneur » est un garçon dont on fait un usage plus grec que chrétien.

Un « bras d’honneur », un « doigt d’honneur [digitus infamus] », on connaît. On appelait jadis « lieux d’honneur » ou « cabarets d’honneur » les bordels.

TRUQUEUR

Selon Gaston Esnault, ce terme argotique était apparu vers 1880 avec le sens de : prostitué (pratiquant éventuellement le chantage), ou faux libertin soutirant de l’argent. À rapprocher de faire le truc (se livrer à la prostitution) et de truqueuse (fille de joie).

« Truqueur. Individu du troisième sexe qui vit de son … industrie. » Alfred Delvau, Dictionnaire de la langue verte, supplément, 1883.

« [Vers 1887-1888] beaucoup de "truqueurs", autrement dits "tapettes", faisaient la retape dans la grande salle d’attente de la gare St Lazare, aux environs de cette gare, et aussi à l’hôtel Drouot. […] Il y avait, ces années dernières, une catégorie de "truqueurs" élégants, qui est presque entièrement disparue aujourd’hui. Ils se promenaient ensemble sur les grands boulevards, fort bien mis, s’appelaient entre eux "ma chère", etc. On en fit une rafle à la suite de laquelle ils disparurent peu à peu. » Hérelle.

« Lui c’est un homme, ce n’est pas un de ces efféminés comme on en rencontre tant aujourd’hui, qui ont l’air de petits truqueurs et qui mèneront peut-être demain à l’échafaud leurs innocentes victimes. (Je ne savais pas le sens de cette expression d’argot : « truqueur »…). »
Marcel Proust, Le Côté de Guermantes, I.

Francis Carco : « Trois petits truqueurs Olga, Titine et Gueule d’amour. »
Jésus-la-Caille, 1ère partie, II, Paris : Mercure de France, 1914.

Julien Green : « Coût 60 francs. C'est un truqueur, mais il garde encore quelque naïveté. »
Journal intégral 1919-1940, 8 juin 1932, Paris : Robert Laffont, 2019.

Pierre Devaux : « Il avait pas assez de cran pour maudire les macs qui défendaient le biseness et le prestige de leurs gagneuses contre la gigolaille et les truqueurs des tasses. [...] Trois petits truqueurs Olga, Titine et Gueule d’amour. »
Jésus-la-Caille traduit en langue verte, 1ère partie, II, Paris : Éditions de la Nouvelle revue critique, 1939.

Julien Green : « J'abordais n'importe qui et donnais à chacun ma carte de visite sans aucun soupçon d'un danger possible. Ces audaces me passèrent assez vite, mais elles me valurent beaucoup d'aventures délicieuses. Également le joli truqueur de l'avenue Gabriel, en 1923. »
Toute ma vie Journal intégral 1946-1950, 5 décembre 1948, Paris : Éditions Bouquins, 2021.

« Parmi les ravages exercés par le tabou homosexuel, Kinsey mentionne la floraison des « truqueurs » qui, après avoir trouvé leur plaisir dans des rapports sexuels avec des invertis, les font chanter et, au besoin, les assassinent, pour ensuite échapper à tout châtiment légal sous le prétexte fallacieux qu’ils se sont protégés eux-mêmes contre des « avances sexuelles indécentes » […] La police française est indulgente aux truqueurs et maîtres-chanteurs, quand elle ne les prend pas à son service. »
Daniel Guérin, Kinsey et la sexualité, 1955.

Max Fernet, alors directeur de la police judiciaire, avait parlé de ces truqueurs « pour lesquels l’homosexualité de la victime constitue le motif déterminant de l’action » :
« Si les « truqueurs » sont parfois eux-mêmes homosexuels, il leur arrive cependant d’avoir, en dehors de leur « profession », une activité sexuelle parfaitement normale. Par contre, les victimes appartiennent toujours au monde des invertis.
Tantôt l’un des malfaiteurs se postera dans une vespasienne notoirement fréquentée par les homosexuels, servant d’ « appât » et au besoin provoquant la future victime. Si celle-ci, pensant avoir affaire à un « amateur », tente un geste qu’elle juge amical, le pseudo-éphèbe, appelant au secours, provoque l’intervention de ses complices qui se tenaient à proximité. Ceux-ci, sous prétexte de « porter secours », rossent l’inverti et lui dérobent son portefeuille. Tantôt le truqueur – qui agit seul – fait la connaissance d’un homosexuel qui l’emmène à son domicile, et fait main basse sur ce qu’il y trouve, après avoir molesté son « client ». »
« L’homosexualité et son influence sur la délinquance », Revue internationale de police criminelle, n° 124, janvier 1959.


En revanche, Cellard et Rey n’ont reconnu que le sens d'homosexuel prostitué.


Lettres U et V