LA VÉRITÉ (Die Wahrheit)
Les notes entre [ ] sont de moi Cl. C., sauf les passages en allemand, alors mis en italiques.
Fragments posthumes, 1871-1872,
Mp
XII 2, hiver 1871-1872 : [1] : « C’est toujours
précisément le faux qui est pris au sérieux [Cf La Fontaine, « L’homme est de glace aux vérités, il est
de feu pour les mensonges. » (Fables,
IX, 6, " Le statuaire et la statue de Jupiter ")] :
Dans
la religion – l’historique
Dans
l’art – les lectures de distraction
Dans
la science – la micrologique, les curiosités, les productions
spécifiques
Dans
la philosophie – le sot matérialisme. »
Vérité
et mensonge au sens extra-moral, 1873,
§ 1 : « Les vérités sont des illusions dont on a oublié
qu’elles le sont, des métaphores usées qui ont perdu leur force
sensible, des pièces de monnaie qui ont perdu leur effigie et qu’on
ne considère plus désormais comme telles mais seulement comme du
métal. » [die Wahrheiten sind Illusionen, von denen man vergessen hat, dass sie welche sind, Metaphern, die abgenutzt und sinnlich kraftlos geworden sind, Münzen, die ihr Bild verloren haben und nun als Metall]
Humain,
trop humain I, 1878,
IX, L’homme seul avec lui-même, § 483 : Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges.
§
506 : « Ce n’est pas quand il est dangereux de la dire
que la vérité trouve le moins de hérauts, mais quand c’est
ennuyeux. »
[Cf Platon : « Leurs discours étaient persuasifs, ils n’ont pas dit un seul mot de vrai. Tant de mensonges, je suis habile à parler. A moins qu’ils n’appellent habile à parler celui qui dit la vérité. » (Apologie de Socrate, 17a-c) ;
Malebranche ! « Il faut bien distinguer la force et la beauté des paroles, de la force et de l’évidence des raisons. » (De la Recherche de la vérité, III, iii, 4) ;
Vauvenargues : « Ce que bien des gens, aujourd’hui, appellent écrire pesamment, c’est dire uniment la vérité, sans fard, sans plaisanterie et sans trait. » (Réflexions et maximes, 344) ;
Diderot : « Je parle mal, je ne sais que dire la vérité. » (Le Neveu de Rameau).]
§
519 La vérité en Circé. : « De bêtes, l’erreur a fait des hommes ; la
vérité serait-elle en état de refaire une bête de l’homme ? »
§
609 L'âge et la vérité. : « La vérité ne dit guère ce qu’elle possède
d’esprit sublime que sous un air de simplicité. »
§ 633 : « La passion que l'on a de la vérité a maintenant perdu presque toute valeur au regard de la passion, plus modeste et moins retentissante, de la recherche de la vérité, sans se lasser de réviser et réexaminer ses connaissances. » [das Pathos, dass man die Wahrheit habe, gilt jetzt sehr wenig im Verhältniss zu jenem freilich milderen und klanglosen Pathos des Wahrheit-Suchens, welches nicht müde wird, umzulernen und neu zu prüfen.]
§ 633 : « La passion que l'on a de la vérité a maintenant perdu presque toute valeur au regard de la passion, plus modeste et moins retentissante, de la recherche de la vérité, sans se lasser de réviser et réexaminer ses connaissances. » [das Pathos, dass man die Wahrheit habe, gilt jetzt sehr wenig im Verhältniss zu jenem freilich milderen und klanglosen Pathos des Wahrheit-Suchens, welches nicht müde wird, umzulernen und neu zu prüfen.]
Opinions et sentences mêlées, 1879,
§ 20 : " La vérité ne veut pas de dieux à ses côtés. — La croyance à la vérité commence avec le doute sur toutes les " vérités " crues jusqu'alors. " [Wahrheit will keine Götter neben sich. — Der Glaube an die Wahrheit beginnt mit dem Zweifel an allen bis dahin geglaubten „Wahrheiten“.]
§ 20 : " La vérité ne veut pas de dieux à ses côtés. — La croyance à la vérité commence avec le doute sur toutes les " vérités " crues jusqu'alors. " [Wahrheit will keine Götter neben sich. — Der Glaube an die Wahrheit beginnt mit dem Zweifel an allen bis dahin geglaubten „Wahrheiten“.]
Fragments posthumes, 1876-1880,
U
II 5c, octobre-décembre 1876 : [39] : L’état d’esprit
philosophique est un fatalisme froid ; la philosophie n’a pas
à porter son attention sur les conséquences de la vérité.
N
II 3, fin 1876 – été 1877 : [60] : Si l’homme était
doué de la connaissance
immédiate de la
vérité, il ne serait pas passé par l’école de l’erreur ?
N V 4,
automne 1880 : 6[441] : « Il n’existe en fait de
" vérité " que dans les choses que l’homme invente,
par exemple les nombres [Giambattista Vico (1668-1744)
expliquait déjà que si les mathématiques atteignent le vrai, c’est
parce que l’esprit les fait.]. Il y place
quelque chose qu’il retrouve ensuite – telle est la vérité de
la nature humaine. Ensuite, la plupart des vérités ne sont en fait
que des vérités
NÉGATIVES : " ceci n’est pas tel
et tel " (bien qu’on les exprime généralement de façon
positive.) Là prend sa source tout le progrès
de la connaissance. » [„Wahrheit“ giebt es eigentlich nur in den Dingen, die der Mensch erfindet z.B. Zahl. Er legt etwas hinein und findet es nachher wieder — das ist die Art menschlicher Wahrheit. Sodann sind die meisten Wahrheiten thatsächlich nur negative Wahrheiten „dies und das ist jenes nicht“ (obschon meist positiv ausgedrückt.) Letztes ist die Quelle alles Fortschrittes der Erkenntniß.]
Aurore, 1881, 1887,
III, §
196 : Les
questions les plus personnelles de la vérité.
V,
§ 424 : « Jusqu’ici, les erreurs se sont révélées
être des puissances consolatrices ; on attend maintenant des
vérités reconnues les mêmes effets, on trouve le temps un peu
long. […] La vérité dans sa totalité
et sa cohérence
n’est faite que pour les âmes à la fois puissantes et ingénues,
joyeuses et pacifiques (comme l’était celle d’Aristote), les
seules d’ailleurs qui soient également en état de
la chercher :
car les autres cherchent des remèdes
à leur mal. »
§
535 : La vérité
a besoin de la puissance.
Le
Gai Savoir, 1882,
V, §
344 : « L’inutilité et le danger de la " volonté
de vérité ", de la " vérité à tout prix " sont
constamment démontrés. […] Il pourrait tout aussi bien s’agir
de quelque chose de pire [que la volonté de ne pas (se) tromper],
d’un principe destructeur hostile à la vie. »
Fragments posthumes, 1882-1885,
N V 9a. N VI 1a, juillet-août 1882 : « Plus abstraite la vérité qu’on veut enseigner et plus ce sont d’abord les sens qu’il faut y attirer. »
W I 1,
printemps 1884 : [165] : Caractère négatif de la "vérité"
— en tant que suppression d’une erreur, d’une illusion. Mais la
naissance de l’illusion a été une exigence de la vie — —. »
N VII 2a,
août-septembre 1885 : [4] : « Ne pas " dire la
vérité " ; qu’on cause ainsi un dommage est une naïveté.
Si la valeur de la vie réside en certaines erreurs auxquelles on
croit fortement, le dommage réside dans " dire la vérité " »
Par-delà
Bien et mal, Prélude d'une philosophie de l'avenir, 1886,
Préface : À supposer que la vérité soit femme, n'a-t-on pas lieu de soupçonner que tous les philosophes, pour autant qu'ils furent dogmatiques, n'entendaient pas grand-chose aux femmes et que l'effroyable sérieux, la gauche insistance avec lesquels ils se sont jusqu'ici approchés de la vérité, ne furent que des efforts maladroits et mal appropriés pour conquérir justement les faveurs d'une femme ?
I, § 4 : « La fausseté d’un jugement n’est pas pour nous une objection [Einwand] contre ce jugement ; c’est là, peut-être, que notre nouveau langage paraîtra le plus déroutant. La question est de savoir dans quelle mesure un jugement est apte à promouvoir la vie, à la conserver, à conserver l’espèce, voire à l’améliorer, et nous sommes enclins à poser en principe que les jugements les plus faux (et parmi eux les jugements synthétiques a priori) sont les plus indispensables à notre espèce. »
II " L'esprit libre ", § 26 : " Nul ne ment autant que l’Indigné. " [Niemand lügt soviel als der Entrüstete. —]
I, § 4 : « La fausseté d’un jugement n’est pas pour nous une objection [Einwand] contre ce jugement ; c’est là, peut-être, que notre nouveau langage paraîtra le plus déroutant. La question est de savoir dans quelle mesure un jugement est apte à promouvoir la vie, à la conserver, à conserver l’espèce, voire à l’améliorer, et nous sommes enclins à poser en principe que les jugements les plus faux (et parmi eux les jugements synthétiques a priori) sont les plus indispensables à notre espèce. »
II " L'esprit libre ", § 26 : " Nul ne ment autant que l’Indigné. " [Niemand lügt soviel als der Entrüstete. —]
Généalogie
de la morale, 1887,
III, §
24 : « Consultez les philosophies les plus anciennes et
les plus récentes : aucune n’a conscience que la volonté de
vérité elle-même a besoin d’une justification. C’est là une
lacune de toute philosophie. […] Nous devons une bonne fois, et de
façon expérimentale, mettre
en question la valeur
de la vérité. »
Fragments posthumes, 1886-1887,
Mp XVII 3b, fin 1886 – printemps 1887 : [3] : Dans quelle mesure les interprétations [Auslegungen] du monde sont symptômes d’une pulsion dominante.
[60] : Contre le positivisme, qui en reste au phénomène, « il n’y a que des faits », j’objecterais : non, justement, il n’y a pas de faits, seulement des interprétations [Interpretationen]. Nous ne pouvons constater aucun factum « en soi » : peut-être est-ce un non-sens de vouloir ce genre de chose. « Tout est subjectif », dites-vous : mais ceci est déjà une interprétation [Auslegung], le « sujet » n’est pas un donné, mais quelque chose d’inventé-en-plus, de placé-par-derrière. – Est-ce finalement nécessaire de poser en plus l’interprète [Interpreten] derrière l’interprétation ? Ceci est déjà de l’invention, de l’hypothèse.
Dans la mesure exacte où le mot « connaissance » a un sens, le monde est connaissable : mais il est interprétable [deutbar] autrement, il n’a pas un sens par-derrière soi, mais d’innombrables sens « Perspectivisme ».
Ce sont nos besoins qui interprètent [auslegen] le monde : nos pulsions et leurs pour et contre. Chaque pulsion est une manière de recherche de domination, chacune a sa perspective, qu’elle voudrait imposer comme norme à toutes les autres pulsions.
Crépuscule
des Idoles, 1888,
« La "raison" en philosophie »,§ 2: « [ ... ] l'être est une fiction vide. Le monde "apparent" est le seul : le "vrai monde" n'est qu'ajouté par mensonge ... »
" Ceux qui
veulent amender l’humanité ", 5 : « Le pieux
mensonge, l’apanage
de tous les philosophes et prêtres qui ont "amendé"
l’humanité … Ni Manu, ni Platon, ni Confucius, ni les Pères du
judaïsme et du christianisme n’ont jamais douté de leur droit
à mentir … »
L’Antéchrist, 1888,
§ 9 : « Ce qu’un théologien ressent comme vrai doit être faux : voilà un critère à peu près infaillible de la vérité. »
§
23 : « La vérité et la foi
en la vérité de quelque chose : ce sont là deux sphères
d’intérêts totalement différentes, presque deux mondes
antithétiques –
c’est par des voies opposées que l’on parvient à l’un et à
l’autre. »
§
50 : « J’ai foi en ce que la foi donne la béatitude » :
par conséquent,
elle est vraie … Pris comme critère de la vérité, ce « par
conséquent » serait le comble de l’absurde.
§53 : Il est si peu vrai que des martyrs
prouvent quoi que ce soit quant à la vérité d’une cause, que je
suis tenté de nier qu’aucun martyr ait jamais rien eu à voir avec
la vérité [Cf André Gide, Nouvelles
nourritures, IV.].
Le ton sur lequel un martyr jette à la face du monde ce qu’il
" tient-pour-vrai " exprime déjà un niveau si bas de
probité intellectuelle, une telle indifférence
bornée pour le problème de la vérité, qu’il n’est jamais
nécessaire de réfuter un martyr. La vérité n’est pas quelque
chose que l’un posséderait et que l’autre n’aurait pas :
seuls des paysans et apôtres de paysans à la Luther peuvent
concevoir ainsi la vérité. […] Prendre la "vérité" comme tout prophète, tout adepte d’une secte, tout libre
penseur, tout socialiste, tout homme d’Église comprend ce mot, c’est
la preuve absolue que l’on n’est pas encore sur la voie de cette
discipline intellectuelle, de cet empire sur soi, indispensable pour
trouver une vérité, si minime soit-elle.
§ 55 : « Depuis longtemps déjà j’ai proposé que l’on
se demande si les convictions ne sont pas des adversaires plus
dangereux de la vérité que les mensonges. […] Le " saint
mensonge " est commun à Confucius, aux Lois de Manu [mythologie
indienne], à Mahomet, à l’Église chrétienne – : il ne
manque pas non plus chez Platon. " La vérité est là " :
partout où l’on entend ces mots, cela signifie que le
prêtre ment. »
Fragments posthumes, 1888,
W
II 6a, printemps 1888 : 15[46] : Affirmer que la vérité
est là et que c’en
est fini de l’ignorance et de l’erreur, c’est là l’une des
plus graves perversions qui soient. La « vérité » est
[…] plus funeste
que l’erreur et l’ignorance, parce qu’elle entrave les forces
nécessaires pour œuvrer en faveur des Lumières et de la
connaissance.
WII 6a, printemps 1888 : 15[52] : La vérité, je veux dire la
méthodique scientifique, a été comprise et stimulée par ceux qui
y soupçonnèrent un instrument de combat – une arme
d’anéantissement…
Pour que leur
hostilité paraisse respectable, il leur fallait en outre un appareil
du genre de ceux qu’ils attaquaient : – ils affichèrent
le concept « vérité » tout aussi absolument que leurs
adversaires, – ils devinrent des fanatiques, au moins dans leur
attitude, parce qu’aucune autre attitude n’était prise au
sérieux. [Die Wahrheit, will sagen, die wissenschaftliche Methodik ist von solchen erfaßt und gefördert worden, die in ihr ein Werkzeug des Kampfes erriethen, — eine Waffe zur Vernichtung… Um ihre Gegnerschaft zu Ehren zu bringen, brauchten sie im Übrigen einen Apparat nach Art derer, die sie angriffen: — sie affichirten den Begriff „Wahrheit“ ganz so unbedingt, wie ihre Gegner, — sie wurden Fanatiker, zum Mindesten in der Attitüde, weil keine andere Attitüde ernst genommen wurde.]
W II 7a,
printemps-été 1888 : 16[21] : Ce livre [Naissance
de la Tragédie] est même antipessimiste :
en ce sens qu’il enseigne quelque chose qui est plus fort que le
pessimisme, qui est plus divin que la "vérité" :
l’art.
16[32] : " Quelle dose de vérité un esprit sait-il supporter,
quelle dose de vérité peut-il risquer ? Voilà qui devient
pour moi le vrai critère des valeurs. L'erreur est une lâcheté... " [„Wie viel Wahrheit erträgt, wie viel Wahrheit wagt ein Geist?“ — dies wurde für mich der eigentliche Werthmesser. Der Irrthum ist eine Feigheit…]
16[40] :
<6> « Il est indigne d’un philosophe de déclarer :
le bon et le beau ne sont qu’un : si, en plus, il ajoute "le
vrai également", il mérite la bastonnade. La vérité est
laide : nous avons l’art afin
que la vérité ne nous tue pas. »6>
Ecce
Homo Comment on devient ce qu'on est, octobre 1988 - janvier 1889, publié en 1908,
Avant-propos, §
3 : « Quelle quantité de vérité un esprit sait-il
supporter,
sait-il risquer ?
Voilà qui, de plus en plus, devint pour moi le vrai critère des
valeurs. […] Nitimur in vetitum : c'est par ce signe que vaincra un jour ma philosophie, car jusqu’ici on n’a jamais, par principe, interdit
que la vérité. — » [Wie viel Wahrheit erträgt, wie viel Wahrheit wagt ein Geist? das wurde für mich immer mehr der eigentliche Werthmesser. [...] Nitimur in vetitum : in diesem Zeichen siegt einmal meine Philosophie, denn man verbot bisher grundsätzlich immer nur die Wahrheit. —]
Ovide : " Nitimur in vetitum semper cupimusque negata ", Amours, III, iv, 17 : " Nous convoitons toujours ce qui nous est défendu, et désirons ce qu’on nous refuse " (traduction Théophile Baudement, 1838)
INDEX NIETZSCHE (1/16) : LES PHILOSOPHES, LA PHILOSOPHIE
INDEX NIETZSCHE (3/16) :A / "L'ESPRIT LIBRE", B / LES JOURNALISTES
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