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dimanche 18 juin 2023

L'ESPRIT FAUX, ET AUTRES TYPES HÉSIODIENS


I / Penser par soi-même
II / Le type I d'Hésiode
III / Définition du concept d'intelligence
IV / Analyse originale de Nicolò Franco

I / Penser par soi-même, ou penser sa pensée,

ce pourrait fort bien être une définition efficace et exacte de la philosophie (en revanche, on ne comprend pas bien ce que certains ont voulu dire en proposant des formules telles que « penser sa vie », ou « vivre sa pensée »). À l’aube de la philosophie occidentale, l'existence de différences intellectuelles entre les êtres humains (différences niées par la correction politique contemporaine), était clairement perçue. Ainsi le poète Homère (fin du -VIIIe siècle) faisait-il dire à son héros Ulysse que :
« en ce qui concerne l'esprit, les Dieux n'accordent pas les mêmes avantages à tous les hommes. » (Odyssée, VIII, 167).
Le meilleur des hommes est celui qui pense par lui-même à ce qui, plus tard et jusqu'au terme, sera le mieux ", écrivait, peu après Homère, l’autre grand poète grec de l’époque, Hésiode (vers l'an -700) dans Les Travaux et les jours (ligne 293).


« S’entretenir avec un homme que l'on tient pour un homme, c’est s’informer de ses opinions et lui découvrir en détail les siennes propres. » (Épictète, Entretiens, III, ix, 12). Car penser par soi-même, ce n'est certainement pas penser dans sa tour d'ivoire. Cette phrase d'Épictète pourrait être la devise de facebook, ça l'est pour un certain nombre de ses membres.

" Penser d'après soi " et " penser par soi-même ", formules de Voltaire (1736)



puis de D'Alembert (" apprendre à penser par soi-même ", Discours préliminaire, in Encyclopédie..., tome I, 1751), et " osez penser par vous-même ", injonction répétée de Voltaire (Dictionnaire philosophique, " Liberté de penser ", édition de 1765), voilà ce que l'on présente presque toujours comme constituant l'idéal neuf et original des Lumières ; ainsi faisait même Kant, peu après D'Alembert et Voltaire :
« Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ta propre intelligence ! est aussi la devise des Lumières. » (Qu'est-ce que les Lumières?, 1784. La source de l'expression latine est Horace, aux Épîtres, I, ii, 40 : " Ose être sage : commence. Qui retarde l'heure de vivre honnêtement attend comme le campagnard que le fleuve ait cessé de couler " ; c’était la devise de Pierre Gassendi.). [Sapere aude! Habe Mut, dich deines eigenen Verstandes zu bedienen! ist also der Wahlspruch der Aufklärung.] 

Was ist Aufklärung ?, 1784.
 

Selbst zu denken : « La maxime de penser par soi-même en tout temps, c'est les Lumières. » (Qu’appelle-t-on : s'orienter dans la pensée ?, 1786 : Die Maxime, jederzeit selbst zu denken, ist die Auflärung).

Nicolas de Condorcet, dans le Journal d'instruction sociale par les citoyens Condorcet, Sieyès et Duhamel, 1793, " Prospectus " :


   Il s'agissait là d'une exigence fondamentale de toute la science et du meilleur de la philosophie depuis les Grecs ; « Toute la probité de la connaissance  elle était déjà là ! depuis plus de deux mille ans ! [die ganze Rechtschaffenheit der Erkenntniss — sie war bereits da! vor mehr als zwei Jahrtausenden bereits !] » notait Nietzsche dans L’Antéchrist (§ 59) ; l’expression « raison des Lumières » est donc historiquement  inadéquate ; et contrairement à ce qu'avait déclaré Michel Onfray, la philosophie des Lumières n'était pas née avec Montaigne.

* * * * *
Ce type I d'Hésiode correspond à " celui qui est davantage pourvu de Logos que les autres " selon Héraclite d’Éphèse, au " naturel philosophe " selon Platon (République, VI), à ceux qui " savent chercher " selon Archytas de Tarente ; également à la " tête bien faite " que Michel de Montaigne souhaitait, non chez l'élève car on ne le choisissait déjà pas à l'époque, mais seulement chez un précepteur ou conducteur. Il correspond, enfin, à l'être intelligent selon notre façon de parler presque contemporaine (avant la correction politique issue notamment de mai 1968).

Le type II est " celui qui se rend aux bons avis "


(Travaux..., ligne 295), ce qui correspond à l'esclave par nature selon Aristote : il n'a la raison en partage que dans la mesure où il la perçoit chez les autres (Les Politiques, I, v, 1254b) ; c'est aussi bien l'état de tutelle selon Kant : " La minorité, c'est l'incapacité de se servir de son intelligence sans utiliser la direction d'un autre. Cette minorité est coupable quand ce n'est pas le manque d'intelligence qui en est la cause mais le manque de décision et de courage à s’en servir sans utiliser la direction d'un autre. " (Qu'est-ce que les Lumières ?, 1784) ; chez l'enfant à instruire, cette incapacité est, idéalement, provisoire.

De ces individus du deuxième type hésiodien, lorsqu'ils sont adultes, on dit généralement qu'ils ont du bon sens (" cette amorce de raison qu'est le simple bon sens ", écrit Adrien Barrot). Lors de l'éducation selon cet idéal humaniste, la méthode érotématique dialogique, c'est-à-dire par questions et réponses, vise à obtenir la transformation du type II en type I.

  lE type III, le pénible (comme on dit dans le 1-3), le " mauvais homme [schlechter Mann selon la traduction de Nietzsche] qui ne sait ni voir par lui-même ni accueillir conseils d'autrui " (Travaux, lignes 296-297),
correspond précisément au sot avec lequel " il est impossible de traiter de bonne foi ", aux " esprits ineptes et mal nés ", à l' " esprit mal rangé " et à la bêtise selon Montaigne (Essais, III, viii, pages 925, 926, 927 et 929 de l'édition Villey/PUF/Quadrige, pages 970, 972 et 974 de l'édition Gallimard/Pléiade/2007) ; à l'esprit faux ou boiteux selon Blaise Pascal (Pensées, Br. 1, Br 80), ou selon François VI de La Rochefoucauld :
« On est faux en différentes manières. Il y a des hommes faux qui veulent toujours paraître ce qu’ils ne sont pas. Il y en a d’autres, de meilleure foi, qui sont nés faux, qui se trompent eux-mêmes, et qui ne voient jamais les choses comme elles sont. Il y en a dont l’esprit est droit, et le goût faux. D’autres ont l’esprit faux, et ont quelque droiture dans le goût. Et il y en a qui n’ont rien de faux dans le goût, ni dans l’esprit. Ceux-ci sont très rares, puisque, à parler généralement, il n’y a presque personne qui n’ait de la fausseté dans quelque endroit de l’esprit ou du goût. » (Réflexions Diverses, XIII. Du faux).
à l'esprit faux encore selon Voltaire (Dictionnaire philosophique, édition de 1765, " Esprit faux ") :
« Pourquoi rencontre-t-on souvent des esprits assez justes d’ailleurs, qui sont absolument faux sur des choses importantes ? Pourquoi ce même Siamois qui ne se laissera jamais tromper quand il sera question de lui compter trois roupies, croit-il fermement aux métamorphoses de Sammonocodom ? [...]
Les plus grands génies peuvent avoir l’esprit faux sur un principe qu’ils ont reçu sans examen. Newton avait l’esprit très faux quand il commentait l’Apocalypse.
Tout ce que certains tyrans des âmes désirent, c’est que les hommes qu’ils enseignent aient l’esprit faux. » (article développé dans les Questions sur l'Encyclopédie, 1770-1774, "Esprit", section VI,)

ou encore à la bêtise, " quelque chose d'inébranlable ; rien ne l’attaque sans se briser contre elle. Elle est de la nature du granit, dure et résistante. " selon Gustave Flaubert, lettre à l'oncle François Parain, 6 octobre 1850 (1), insensible à toute correction. Ce type d'esprit se rencontre assez souvent chez les autodidactes purs.

Démocrite : « Vouloir raisonner quelqu'un qui se figure être intelligent, c'est perdre son temps. » Stobée, Florilège, III, x, 42, cité dans Les Présocratiques, fragment B LII (Édition Jean-Paul Dumont, Paris : Gallimard, 1988, collection " Bibliothèque de la Pléiade ").

Platon : « Je n'aime pas à blâmer ; la race des sots est en effet innombrable ; tellement que, si on prend plaisir à les reprendre, on trouve à critiquer à satiété. » (Protagoras, XXXI, 346c).

Ces trois types hésiodiens, " hiérarchie des êtres " selon Christine Hunzinger (maître de conférences à Sorbonne-Université), furent repris par Aristote :
ᾧ δὲ μηδέτερον ὑπάρχει τούτων, ἀκουσάτω τῶν Ἡσιόδου : “οὗτος μὲν πανάριστος ὃς αὐτὸς πάντα νοήσῃ,ἐσθλὸς δ᾽ αὖ κἀκεῖνος ὃς εὖ εἰπόντι πίθηται.
ὃς δέ κε μήτ᾽ αὐτὸς νοέῃ μήτ᾽ ἄλλου ἀκούων
ἐν θυμῷ βάλληται, ὃ δ᾽ αὖτ᾽ ἀχρήιος ἀνήρ.
Éthique à Nicomaque, I, iv, 1095b : " Celui-là a une supériorité absolue, qui sait tout par lui-même
Sage aussi est celui qui écoute les bons conseils ;
Mais ne savoir rien par soi-même et ne pas graver dans son cœur
Les paroles d'autrui, c'est n'être absolument bon à rien. "

Ensuite par le stoïcien Zénon (voir plus loin), par Cicéron, Tite-Live (Histoire romaine, XXII, xxix, 8), Aristide, Clément d'Alexandrie, ainsi que par Diogène Laërce :
« Il [Zénon de Kitium] aurait aussi récrit de la sorte les vers d'Hésiode ;
Le meilleur, c'est celui qui obéit à l'homme qui parle bien,
mais il est bon aussi celui qui pense tout par lui-même,
car celui qui est capable de bien écouter ce qui est dit et de le mettre à profit est meilleur que celui qui a tout conçu par lui-même. À l'un n'appartient en effet que la conception, tandis qu'à celui qui sait obéir s'ajoute aussi la pratique. »
Vies et doctrines, VII " Zénon de Kitium ", §§ 25-26.
Machiavel distinguait des " cerveaux de trois sortes, les uns qui entendent les choses d'eux-mêmes, les autres quand elles leur sont enseignées, les troisièmes qui ni par soi-même ni par entendement d'autrui veulent rien comprendre " ; Le Prince, XXII " Des secrétaires des princes ", traduction d'Edmond Barinco (Gallimard, 1952), qui résume joliment en note : " Hésiode distingue l'homme supérieur du médiocre et du bon à rien. ".

Traduction de Jean Vincent Périès (1825) : « On peut distinguer trois ordres d’esprit, savoir : ceux qui comprennent par eux-mêmes, ceux qui comprennent lorsque d’autres leur démontrent, et ceux enfin qui ne comprennent ni par eux-mêmes, ni par le secours d’autrui. Les premiers sont les esprits supérieurs, les seconds les bons esprits, les troisièmes les esprits nuls. » [E perché sono di tre generazione cervelli, l'uno intende da sé, l'altro discerne quello che altri intende, el terzo non intende né sé né altri, quel primo è eccellentissimo, el secondo eccellente, el terzo inutile.]

On est bien surpris de ne pas en trouver mention chez Montaigne. Il faut attendre Nicolo Franco :


Puis Frédéric Nietzsche mentionnant les trois possibilités hésiodiques :
Fragments posthumes Mp XII 2 hiver 1871-72 - printemps 1782, 18[3] et 18[4]).

La division de l'Humanité en trois types intellectuels se retrouve également dans cette pensée :  " ...[Henry Thomas Buckle's] thoughts and conversations were always on a high level, and I recollect a saying of his which not only greatly impressed me at the time, but which I have ever since cherished as a test of the mental calibre of friends and acquaintances. Henry Thomas Buckle  [1821-1862] said, in his dogmatic way :
Charles Stewart, Haud immemor [Je ne l'oublierai pas]. Reminescences of legal and social life in Edinburgh and London. 1850-1900, 1901, page 33 : 
«  Men and women range themselves into three classes or orders of intelligence ; you can tell the lowest class by their habit of always talking about persons, the next by the fact that their habit is always to converse about things ; the highest by their preference for the discussion of ideas. »
Le concept d'intelligence est défini depuis l'époque moderne comme " connaissance distincte de l'objet de la délibération " par Leibniz, comme " compréhension nette et facile " par Littré, comme " aptitude à comprendre, pénétration d'esprit ", par Pierre Larousse dans son Grand Dictionnaire Universel ; par Henri Bergson comme « faculté d'arranger "raisonnablement" les concepts et de manier convenablement les mots » (La Pensée et le mouvant, 1934), comme « faculté d'adaptation » par André Gide ; c'est, pour le neurologue et psychologue suisse Édouard Claparède, « la capacité de résoudre par la pensée des problèmes nouveaux. ». Selon Merleau-Ponty, il s'agirait d'une " réorganisation active du champ perceptif " (2).
« L’intelligence explique, l’esprit raconte seulement » nota encore André Gide dans son Journal.

Quelques psychologues et sociologues contestèrent la pertinence du concept : Howard Gardner, et en France Michel Deleau et Pierre Bourdieu, entre autres.
Le terme intelligence artificielle, en fait un abus de langage, a été promu par le mathématicien et informaticien américain John McCarthy en 1956 lors de la conférence de Dartmouth College (New Hampshire, USA).
L'Américain Robert Sternberg introduisit en 1988 les notions d'intelligence pratique et d'intelligence créative ou imaginative., réservant (en gros) la qualification d'intelligence analytique à l'intelligence classiquement définie.
Le terme d’intelligence émotionnelle fut proposé en 1989 par les psychologues américains Peter Salovey et John D. Mayer. Ils la définissent comme " the ability to monitor one's own and other people's emotions, to discriminate between different emotions and label them appropriately, and to use emotional information to guide thinking and behavior " (la capacité à contrôler ses émotions et celles des autres, à faire la distinction entre elles et à utiliser cette information pour guider la pensée et le comportement.)

Pour le sociologue Pierre Bourdieu (1930-2002) – l'intelligence n’était que "ce que mesure le système scolaire (3) " (cf Alfred Binet, « l’intelligence, c’est ce que mesure mon test »). 

Dommage que cette analyse originale sur la haine qui résulte de ces conflits n'ait pas été poursuivie plus longuement par Montaigne, à propos du concept d'ineptie, dans son fameux chapitre "L'art de conférer" (Essais, III, viii).
Nicolò Franco, Dix plaisants dialogues, III, 1579 (Dialoghi piacevolissimo, 1540) :
« Hésiode très ancien poète a écrit qu'il y a trois sortes d'hommes : aucuns sont sages, qui se savent se vertueusement conduire, sans le conseil d'autrui: les autres n'ont pas ce don de nature, et connaissant le peu de jugement qui est en eux, se gouvernent par le conseil d'autrui, desquels on doit certainement faire cas, combien qu'ils ne soient parfaits, pour ce qu'ils ont plus de sagesse que de folie : les autres, d'eux-mêmes ont bien peu de jugement, et néanmoins présument tant de leurs personnes, qu'ils ne font compte du sain et parfait jugement d'autrui : et ceux-là sont véritablement aveugles, pour ce qu'ils ne voient guères, ou du tout rien, et sont sourds, pour ce qu'ils ne veulent entendre ceux-là qui les conseillent sagement : au nombre desquels facilement vous pourrez mettre celui qui entendra ce que vous vous êtes induit en la fantaisie, que vous pensez bien devoir retourner à profit et avantage, tant vous êtes dépourvu de sens et de jugement. Il n’y a chose en l’homme plus vitupérable que la fausse persuasion imprimée en l’entendement pour la dernière [la plus sûre] : car de là procèdent deux très grandes haines. La première vient de celui qui écoute, pour ce que l’écoutant, il est contraint de haïr soudainement celui qui a une telle persuasion. L’autre vient de celui qui se persuade telle chose, et est plus grande que la première, en tant qu’il se fait accroire être louable ce qu’il imagine, de manière qu’à l’instant il porte une haine mortelle à celui qui se détracte de telle imagination. » (traduction Gabriel Chappuys).
   Blaise Pascal ne fit qu'effleurer la question. Arthur Schopenhauer fit bien état du phénomène, mais sans distinguer suffisamment l'un de l'autre les deuxième et troisième types hésiodiens. La Bruyère estimait que
« C'est abréger et s'épargner mille discussions, que de penser de certaines gens qu'ils sont incapables de parler juste, et de condamner ce qu'ils disent, ce qu'ils ont dit, et ce qu'ils diront. » (Les Caractères, "Jugements", § 70) ;
et plus loin :
« Tout l'esprit qui est au monde est inutile à celui qui n'en a point ; il n'a nulles vues, et il est incapable de profiter de celles d'autrui. » (Ibid., "De l'homme", § 87).
  " Parler juste " ... Pour l'esprit faux, les termes sont interchangeables, et pour échapper à la critique de ce qu'il a dit, il parle aussitôt avec d'autres mots ; c'est un des grands moyens de la mauvaise foi.

NOTES

1. « Avez-vous réfléchi quelquefois, cher vieux compagnon, à toute la sérénité des imbéciles ? La bêtise est quelque chose d’inébranlable ; rien ne l’attaque sans se briser contre elle. Elle est de la nature du granit, dure et résistante. À Alexandrie, un certain Thompson, de Sunderland, a sur la colonne de Pompée écrit son nom en lettres de six pieds de haut. Cela se lit à un quart de lieue de distance. Il n’y a pas moyen de voir la colonne sans voir le nom de Thompson, et par conséquent sans penser à Thompson. Ce crétin s’est incorporé au monument et se perpétue avec lui. Que dis-je ? Il l’écrase par la splendeur de ses lettres gigantesques. N’est-ce pas très fort de forcer les voyageurs futurs à penser à soi et à se souvenir de vous ? Tous les imbéciles sont plus ou moins des Thompson de Sunderland. Combien, dans la vie, n’en rencontre-t-on pas à ses plus belles places et sur ses angles les plus purs ? Et puis, c’est qu’ils nous enfoncent toujours ; ils sont si nombreux, ils reviennent si souvent, ils ont si bonne santé ! En voyage on en rencontre beaucoup, et déjà nous en avons dans notre souvenir une jolie collection ; mais, comme ils passent vite, ils amusent. Ce n’est pas comme dans la vie ordinaire où ils finissent par vous rendre féroce. »  Gustave Flaubert, lettre à François Parain, 6 octobre 1850).

2. On sait que l'intelligence fut l'objet de nombreuses tentatives de mesures par Francis Galton (1822/1911), James McKeen Cattell, Alfred Binet, Lewis M. Terman, David Wechsler, Raimond B. Cattell et René Zazzo (inter alii).

3. 
LE RACISME DE L'INTELLIGENCE *
Pierre Bourdieu
Questions de sociologie
Editions de Minuit, 1980 (pages 264-268)

Je voudrais dire d'abord qu'il faut avoir à l'esprit qu'il n'y a pas un racisme, mais des racismes : il y a autant de racismes qu'il y a de groupes qui ont besoin de se justifier d'exister comme ils existent, ce qui constitue la fonction invariante des racismes.
Il me semble très important de porter l'analyse sur les formes du racisme qui sont sans doute les plus subtiles, les plus méconnaissables, donc les plus rarement dénoncées, peut-être parce que les dénonciateurs ordinaires du racisme possèdent certaines des propriétés qui inclinent à cette forme de racisme. Je pense au racisme de l'intelligence. Le racisme de l'intelligence est un racisme de classe dominante qui se distingue par une foule de propriétés de ce que l'on désigne habituellement comme racisme, c'est-à-dire le racisme petit-bourgeois qui est l'objectif central de la plupart des critiques classiques du racisme, à commencer par les plus vigoureuses, comme celle de Sartre.
Ce racisme est propre à une classe dominante dont la reproduction dépend, pour une part, de la transmission du capital culturel, capital hérité qui a pour propriété d'être un capital incorporé, donc apparemment naturel, inné. Le racisme de l'intelligence est ce par quoi les dominants visent à produire une « théodicée de leur propre privilège », comme dit Weber, c'est-à-dire une justification de l'ordre social qu'ils dominent. Il est ce qui fait que les dominants se sentent justifiés d'exister comme dominants; qu'ils se sentent d'une essence supérieure. Tout racisme est un essentialisme et le racisme de l'intelligence est la forme de sociodicée caractéristique d'une classe dominante dont le pouvoir repose en partie sur la possession de titres qui, comme les titres scolaires, sont censés être des garanties d'intelligence et qui ont pris la place, dans beaucoup de sociétés, et pour 1'accès même aux positions de pouvoir économique, des titres anciens comme les titres de propriété et les titres de noblesse.
Ce racisme doit aussi certaines de ses propriétés au fait que les censures à l'égard des formes d'expression grossières et brutales du racisme s'étant renforcées, la pulsion raciste ne peut plus s'exprimer que sous des formes hautement euphémisées et sous le masque de la dénégation (au sens de la psychanalyse) : le G.R.E.C.E. tient un discours dans lequel il dit le racisme mais sur un mode tel qu'il ne le dit pas. Ainsi porté à un très haut degré d'euphémisation, le racisme devient quasi méconnaissable. Les nouveaux racistes sont placés devant un problème d'optimalisation: ou bien augmenter la teneur du discours en racisme déclaré (en s'affirmant, par exemple, en faveur de l'eugénisme) mais au risque de choquer et de perdre en communicabilité, en transmissibilité, ou bien accepter de dire peu et sous une forme hautement euphémisée, conforme aux normes de censure en vigueur (en parlant par exemple génétique ou écologie), et augmenter ainsi les chances de « faire passer » le message en le faisant passer inaperçu.
Le mode d'euphémisation le plus répandu aujourd'hui est évidemment la scientifisation apparente du discours. Si le discours scientifique est invoqué pour justifier le racisme de l'intelligence, ce n'est pas seulement parce que la science représente la forme dominante du discours légitime; c'est aussi et surtout parce qu'un pouvoir qui se croit fondé sur la science, un pouvoir de type technocratique, demande naturellement à la science de fonder le pouvoir; c'est parce que l'intelligence est ce qui légitime à gouverner lorsque le gouvernement se prétend fondé sur la science et sur la compétence « scientifique » des gouvernants (on pense au rôle des sciences dans la sélection scolaire où la mathématique est devenue la mesure de toute intelligence). La science a partie liée avec ce qu'on lui demande de justifier.
Cela dit, je pense qu'il faut purement et simplement récuser le problème, dans lequel se sont laissés enfermer les psychologues, des fondements biologiques ou sociaux de l'« intelligence ». Et, plutôt que de tenter de trancher scientifiquement la question, essayer de faire la science de la question elle-même; tenter d'analyser les conditions sociales de l'apparition de cette sorte d'interrogation et du racisme de classe, qu'elle introduit. En fait, le discours du G.R.E.C.E n'est que la forme limite des discours que tiennent depuis des années certaines associations d'anciens élèves de grandes écoles, propos de chefs qui se sentent fondés en « intelligence » et qui dominent une société fondée sur une discrimination à base d'« intelligence », c'est-à-dire fondée sur ce que mesure le système scolaire sous le nom d'intelligence. L'intelligence, c'est ce que mesurent les tests d'intelligence, c'est-à-dire ce que mesure le système scolaire. Voilà le premier et le dernier mot du débat qui ne peut pas être tranché aussi longtemps que l'on reste sur le terrain de la psychologie; parce que la psychologie elle-même (ou, du moins, les tests d'intelligence) est le produit des déterminations sociales qui sont au principe du racisme de l'intelligence, racisme propre à des «élites» qui ont partie liée avec l'élection scolaire, à une classe dominante qui tire sa légitimité des classements scolaires.
Le classement scolaire est un classement social euphémisé, donc naturalisé, absolutisé, un classement social qui a déjà subi une censure, donc une alchimie, une transmutation tendant à transformer les différences de classe en différences d'«intelligence», de «don », c'est-à-dire en différences de nature. Jamais les religions n'avaient fait aussi bien. Le classement scolaire est une discrimination sociale légitimée et qui reçoit la sanction de la science. C'est là que l'on retrouve la psychologie et le renfort qu'elle a apporté depuis l'origine au fonctionnement du système scolaire. L'apparition de tests d'intelligence comme le test de Binet-Simon est liée à l'arrivée dans le système d'enseignement, avec la scolarisation obligatoire, d'élèves dont le système scolaire ne savait pas quoi faire, parce qu'ils n'étaient pas « prédisposés », « doués », c'est- à-dire dotés par leur milieu familial des prédispositions que présuppose le fonctionnement ordinaire du système scolaire : un capital culturel et une bonne volonté à l'égard des sanctions scolaires. Des tests qui mesurent la prédisposition sociale exigée par l'école - d'où leur valeur prédictive des succès scolaires - sont bien faits pour légitimer à l'avance les verdicts scolaires qui les légitiment.
Pourquoi aujourd'hui cette recrudescence du racisme de l'intelligence ? Peut-être parce que nombre d'enseignants, d'intellectuels - qui ont subi de plein fouet les contrecoups de la crise du système d'enseignement - sont plus enclins à exprimer ou à laisser s'exprimer sous les formes les plus brutales ce qui n'était jusque-là qu'un élitisme de bonne compagnie (je veux dire de bons élèves). Mais il faut aussi se demander pourquoi la pulsion qui porte au racisme de l'intelligence a aussi augmenté. Je pense que cela tient, pour une grande part, au fait que le système scolaire s'est trouvé à une date récente affronté à des problèmes relativement sans précédent avec l'irruption de gens dépourvus des prédispositions socialement constituées qu'il exige tacitement; des gens surtout qui, par leur nombre, dévaluent les titres scolaires et dévaluent même les postes qu'ils vont occuper grâce à ces titres. De là le rêve, déjà réalisé dans certains domaines, comme la médecine, du numerus clausus. Tous les racismes se ressemblent. Le numerus clausus, c'est une sorte de mesure protectionniste, analogue au contrôle de l'immigration, une riposte contre l'encombrement qui est suscitée par le phantasme du nombre, de l'envahissement par le nombre.
On est toujours prêt à stigmatiser le stigmatiseur, à dénoncer le racisme élémentaire, « vulgaire », du ressentiment petit-bourgeois. Mais c'est trop facile. Nous devons jouer les arroseurs arrosés et nous demander que1le est la contribution que les intellectuels apportent au racisme de l'intelligence. Il serait bon d'étudier .le rôle des médecins dans la médicalisation, c'est-à-dire la naturalisation, des différences sociales, des stigmates sociaux, et le rôle des psychologues, des psychiatres et des psychanalystes dans la production des euphémismes qui permettent de désigner les fils de sous-prolétaires ou d'émigrés de telle manière que les cas sociaux deviennent des cas psychologiques, les déficiences sociales, des déficiences mentales etc. Autrement dit, il faudrait analyser toutes les formes de légitimation du second ordre qui viennent redoubler la légitimation scolaire comme discrimination légitime, sans oublier les discours d'allure scientifique, le discours psychologique, et les propos mêmes que nous tenons.* *

* Intervention au Colloque du MRAP en mai 1978, parue dans Cahiers Droit et liberté (Races, sociétés et aptitudes: apports et limites de la science), 382, pages 67-71. 
** On trouvera des développements complémentaires dans : Pierre Bourdieu, " Classement, déclassement, reclassement ", Actes de la recherche en sciences sociales, 24, novembre 1978, pages 2-22.



L'intelligence, comme faculté susceptible de variations d'un individu à un autre, fut reconnue et analysée par des écrivains et des philosophes ; les expressions données en exemple par Pierre Larousse sont sans ambiguïté : avoir de l'intelligence, être dépourvu d'intelligence, faire preuve d'intelligence. Selon Edmond et Jules de Goncourt, « la mesure de l'intelligence chez les individus est le doute, l'esprit critique ; de l'inintelligence, la crédulité. » (Journal. Mémoires de la vie littéraire, 1er janvier 1862) ; critère à adjoindre à celui d’André Gide (« L’intelligence explique, l’esprit raconte seulement »).

Renan : « Tout en disant avec M. Michelet : « [Tu as chaud, les autres ont froid... ce n'est pas juste...] Oh ! qui me soulagera de la dure inégalité ! » [Le Peuple, 1846, À M. Edgar Quinet, " Exemple tiré de ma famille "], tout en reconnaissant qu'en fait d'intelligence l'inégalité est plus pénible au privilégié qu'à l'inférieur, il faut avouer que cette inégalité est dans la nature et que la formule théologique conserve ici sa parfaite vérité : tous ont la grâce suffisante pour faire leur salut, mais tous ne sont pas appelés à la même perfection. » Ernest Renan (L'Avenir de la science, 1848, § XVII).

Selon un de nos mathématiciens, Laurent Schwartz (médaille Fields 1950), « Proclamer que tous les hommes sont égaux à tout point de vue et à tout instant, y compris dans leurs capacités soit en force musculaire, soit en don musical, soit en intelligence, c'est tout simplement faux. » (« L'enseignement malade de l'égalitarisme », Esprit, n° 171, mai 1991). Pour de nombreux marxistes au contraire, ceux qui refusent éternellement tout enseignement différencié dans l’enseignement primaire et en collège, l'inégalité des capacités intellectuelles ne ferait que refléter l'inégalité des conditions sociales ; il ne s'agit alors plus, selon Lucien Sève par exemple, que de réfuter « l'idéologie bourgeoise des "dons" intellectuels » (Marxisme et théorie de la personnalité, Paris: Éditions Sociales, 1974, pages 21-22) ; cette tentative de réfutation est aujourd'hui devenue un des thèmes favoris de l'idéologie égalitariste de la correction politique, idéologie portée par les pédagogistes.

" Penser par soi-même " ne signifie pas pour autant penser en se dispensant de connaître les œuvres majeures de la philosophie occidentale, celles que Louis Althusser (1918-1990) appelait, un peu péjorativement, les " textes sacrés " (expression reprise par le bistrosophe Marc Sautet), mais penser par et au delà d'elles. Cela n'exclut pas, ce serait même plutôt le contraire, la libre confrontation dialogique avec les autres : « frotter et limer notre cervelle contre celle d'autrui », prônait Montaigne (Essais, I, xxvi, page 153), après Socrate qui ne faisait que cela du matin au soir, et aussi du soir au matin...

« Confronter notre entendement à celui des autres, au lieu de nous isoler avec le nôtre », (Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique, § 53). Encore moins est-ce un encouragement en direction du profane, surtout si par son esprit faux il relève du type hésiodien III ..., à donner libre cours à son imagination et à parler avec la plus grande assurance de ce dont il ignore tout.

« Surprendre un esprit borné en train de philosopher, la chose est insupportable » déplorait Arthur Schopenhauer (Sur la philosophie universitaire), souscrivant ainsi aux remarques de Socrate adressées à Adimante, le frère de Platon d'Athènes, sur les finasseries produites par des gens inaptes à la philosophie ; remarques retenues par Montaigne : « Les faibles, dit Socrate, corrompent la dignité de la philosophie en la maniant. » (Essais, III, viii, page 932 ; Platon, République, livre VI, 494-496).

Cette interprétation marxiste (égalitariste et obscurantiste) des Lumières, soit l'encouragement fait au profane afin qu'il s'exprime de façon déplacée, qu'il prenne la parole pour ne rien dire ou pour qu'il se raconte interminablement, se répand à grande vitesse de nos jours dans les médias (on l'observa lors des nombreuses émissions sur les cafés-philo parisiens à la fin des années 1990), à cause du dévoiement massif des concepts de démocratisation et de culture. On est bien loin des définitions admises de la culture classique ou académique :
- apprendre à calculer, à penser causalement, à prévenir, à croire à la nécessité (Nietzsche) ;
- le processus de symbolisation d’un groupe social (Pierre Kaufmann) ;
- l’ensemble des œuvres de l’esprit humain (François Furet).On n’entend plus aujourd’hui par culture qu’une appartenance héritée du simple fait de la naissance dans une civilisation donnée, une identité (Robert Legros).

Comme le montrèrent Jacques Bouveresse et Jean-François Mattéi, inter alii, il se trouve que, pour tout un tas de raisons, le vague, le faux, le confus, le superficiel, l’invérifié, l'immédiat et le médiatique, l’immédiatique, dominent aujourd'hui l'espace public alors que non pas toute relation au savoir, mais toute relation au savoir non-technique en est chassée (Cf Alain Renaut, Sartre, le dernier philosophe, Paris : Grasset, 1993 ; Jacques Bouveresse, Prodiges et vertiges de l'analogie, Raisons d'agir, 1999 ; Jean-François Mattéi, La Barbarie intérieure. Essai sur l'immonde moderne, Paris : PUF, 1999).

Louis Althusser souhaitait que l'on procède « avec patience et rigueur et sans jamais se payer de mots, en exigeant toujours (Kant, Marx), de " penser par soi-même " » (" Situation politique, analyse concrète ", L'Avenir dure longtemps, Paris: Stock/IMEC, 1994, page 526) ; il situait ainsi bien tardivement les vœux hésiodien, socratique, et dalembertien, et ne craignait vraiment pas le ridicule de l'évocation du nom de ... Karl Marx dans ce contexte, ses disciples ayant bien trop souvent donné le fort mauvais exemple du sectarisme et du dogmatisme ... Althusser lui-même reconnut avoir été " converti au communisme " par Pierre Courrèges (L'Avenir dure longtemps, page 129) ; dès 1937, André Gide se désolait : « Combien de jeunes marxistes d'aujourd'hui, empêtrés dans la " dialectique ", jurent par [Karl] Marx comme on jurait autrefois par Aristote. Leur " culture " commence et finit au marxisme. » (Journal, "Feuillets", été 1937).

Au contraire, Kant, lorsqu'il écrivait : « Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ta propre intelligence ! » (Qu'est-ce que les Lumières ?, 1784) entendait-il bien, loin de toute tabula rasa faite du passé culturel du monde occidental, souligner le lien essentiel existant entre le rationalisme grec (voir l’ouvrage collectif La Naissance de la raison en Grèce - Actes du congrès de Nice mai 1987, Paris : PUF, 1990 ; ouvrage dirigé par Jean-François Mattéi) – celui-là même dont les principes ont suscité le développement des mathématiques et des sciences exactes – et celui de l'Humanisme, des Latins aux Lumières. Les principes rationnels d'homogénéité et de spécification que le philosophe de Königsberg exposait dans la Critique de la raison pure (Appendice de la Dialectique transcendantale), trouvent leur origine dans la philosophie platonicienne.

Le propre de l'Humanisme et des Lumières, c'est plutôt la reconquête, contre les croyances et la morale religieuse alors établies, contre des siècles de domination intellectuelle chrétienne, de l’aristocratique (et non pas démocratique) liberté de conscience, de recherche scientifique et d'opinion ; « Dans un État libre il est loisible à chacun de penser ce qu'il veut et de dire ce qu'il pense. » (Spinoza, Traité théologico-politique, XX : " In libera Republica unicuique et sentire, qua velit, et qua sentiat discere licere. ") ; « l'esprit qui est naturellement indépendant se révolte contre l'autorité. » (Fontenelle, Rêveries diverses). C’est la conscience de l’attrait du faux, et de sa déplorable facilité à circuler, pour la plus grande partie du peuple ; « L’homme est de glace aux vérités, il est de feu pour les mensonges », notait La Fontaine (Fables, IX, 6). C'est la conquête de la laïcité et la promotion de la tolérance (quelles que soient les ambigüités de cette notion), c'est donc la reprise de l'expansion d'un rationalisme qui venait, lui, de bien plus loin, mais qui se libérait peu à peu de la longue domination des censeurs chrétiens et de leurs dogmes. Les Lumières, c’est la diffusion de l’athéisme et la possibilité nouvelle de la critique de la foi. Celui qui pense par lui-même récusera autant qu'il est possible (et pratiquement cela ne l'est pas toujours), tout argument d'autorité, toute " Révélation ".

« Qu'il lui fasse tout passer par l'étamine et ne loge rien en sa tête par simple autorité », voilà les conditions de l'instruction véritable que l'auteur des Essais attendait d'un précepteur ; la conscience et la vertu du jeune homme n'auront "que la raison pour guide" (I, xxvi, pages 151 et 155 de l'édition Villey/PUF). L'étamine, c'est ici, non la foi religieuse (que Montaigne ne partageait pas), mais le filtre, l'esprit critique; Condorcet exigeait que les droits de l'homme eux-mêmes n'y échappent pas ; il refusait par avance l'institution d'un oxymoral " Culte de la Raison ", d'une religion civile : « Ni la constitution française, ni même la déclaration des droits, ne seront présentés à aucune classe des citoyens, comme des tables descendues du ciel, qu'il faut adorer et croire. » (Condorcet, Rapport et projet de décret sur l'organisation générale de l'instruction publique, 20-21 avril 1792).

Mais avant de s'enhardir à penser par soi-même, il faudrait, selon le conseil du latin Térence dans le prologue de L'Andrienne, prendre connaissance, sans précipitation (le mal du siècle), des éléments du débat ; plus généralement, il conviendrait de suspendre le jugement pendant le temps pris pour s'informer et se documenter, largement et précisément, pour assimiler cette documentation et l’intégrer dans des connaissances. Le principe du libre examen implique donc la capacité de douter et l'absence de précipitation ; ce doute n'est ni une fin en soi, ni un négativisme, seulement une ouverture de l'esprit à la connaissance de plus de réel, à l'objectivité, à la pensée d'autrui, aux faits et aux textes qu'il invoque. Lire d'abord sans y glisser d'interprétation, lentement, à la manière d'un philologue. Un professeur de littérature suggéra qu'avant de lire entre les lignes, il convenait de lire [correctement] les lignes ... Dans cette perspective de travail, plus que la somme des connaissances acquises, c'est la probité et la qualité de la relation positive au savoir, la présence de ce que Blaise Pascal appelait libido sciendi (désir de connaître), qui constitue le "naturel philosophe", concept platonicien longuement analysé par Monique Dixsaut dans sa thèse d'État (Le Naturel philosophe. Essai sur les dialogues de Platon, Paris : Belles Lettres/Vrin, 1985, 2e édition 1994). Si la philosophie, et la psychanalyse, peuvent beaucoup contre l’ignorance ouverte, le désir de savoir non satisfait, elles ne peuvent rien contre les esprits faux ; Monique Dixsaut dit volontiers qu’elle n’est pas le « médecin des incurables ».

« Vive la physique ! Et davantage encore ce qui nous y contraint – notre probité ! », clame Frédéric Nietzsche (Le Gai savoir, IV Sanctus Januarius, § 335). Ce naturel philosophe, cette disposition de probité, restera longtemps l'apanage du petit nombre méritant (Selon Platon, Jamblique, le post-Anciens Montaigne, Voltaire, Nietzsche, Heidegger, et alii) hors de l'universalité donc, mais, le plus souvent, dans l'intérêt général. Pour Thomas Carlyle, « C'est le privilège permanent de l'imbécile que d'être gouverné par le sage ; être guidé suivant le bon chemin par ceux qui en savent plus. C'est le premier droit de l'homme » (Latter-day Pamphlets, 1850, 1).
Le devoir de l'État républicain serait de reconnaître, contre le courant égalitariste d'aujourd’hui, que les êtres humains n'ont ni l'envie ni la possibilité d'être identiques. La puissance publique devrait en particulier maintenir l'autonomie de la sphère intellectuelle (en renforçant l’autonomie des Universités) aussi bien contre les offensives obscurantistes de la démocratie radicalisée, oublieuse de l’autre pied d’une société évoluée – la culture – que contre certaines dérives de la "loi" du marché. Or les droits nouveaux des groupes et communautés dans la société de médiatisation, la pédagogie centrée sur les élèves « tels qu'ils sont » (en réalité nivelée basse), et le politiquement correct – défenseur des "cultures" communautaires et de leurs indigentes langues régionales – se rejoignent pour exiger la fin de la "dictature" de la culture classique dite élitiste et la disparition de cette culture occidentale qu'admirait Jean Jaurès ; notre origine gréco-latine ne serait plus aujourd'hui que l'œuvre coupable de mâles blancs chrétiens, hétérosexuels et antisémites, bref, à tous points de vue infréquentables ; voir la réaction de Bernard Lewis, " La culture occidentale doit disparaître ", Commentaire, n° 43, automne 1988, pages 819-820 (Traduction de "Western Culture must go", The Wall Street Journal (Europe), 2 mai 1988). Ces prétentions et ces exigences se rencontrent aujourd'hui pour promouvoir le Diktat de l'utilité et pour renforcer un " déclin régulier de l'intelligence critique ", une " solide indifférence à la lecture des textes critiques de la tradition " (Jean-Claude Michéa, L'Enseignement de l'ignorance et ses conditions modernes, Montpellier : Climats, 1999). Dès 1979, Christopher Lasch (1932/1994) parlait de " decline of critical thought ", " erosion of intellectual standards " (The Culture of Narcissism, 1979, VI, " Schooling and the New Illiteracy ", page 125), et de " steady decline of basic intellectual skills " (Ibid., page 128).

Frédéric Nietzsche, passant ce message : « Un haut niveau d'humanité sera possible quand l'Europe des nations sera un sombre passé oublié, mais vivra encore dans trente livres très anciens et jamais oubliés, ses classiques » (Humain, trop humain, II, " Le Voyageur et son ombre ", § 125), rejoignait Dante Alighieri, selon qui « Le terme extrême proposé à la puissance de l'humanité [était] l'intelligence » (Monarchie, I, iii-iv).









samedi 20 mai 2023

DFHM : G à guèbre en passant par galine, Ganymède, garçon, gay, genre, germinisme, girond, giton, gosselin, goût et grec



G

Abréviation de « gay », notamment dans LGB et LGBT... Aussi dans les guides de lieux tels que l’Agenda du mensuel Têtu.
Vu en 2022 sur facebook l'abréviation G-Pride pour gay pride.

GAI cf GAY

GALINE

François Vidocq, Les Voleurs..., 1837.

GALOUBET

Galoubet : pédéraste actif (argot marseillais). "
Évariste Nougier, Dictionnaire d’argot, N. Gauvin, 1987 [1899-1900].

Le mot désigne aussi un instrument de musique provençale, une petite flûte à bec.

GANIMÈDE, GANYMÈDE

Satellite de la planète Jupiter ; nom propre dans une pièce de Shakespeare, As you like it (I, 3).

En latin, le mot est présent dans la littérature du XIIe siècle, avec l’adjectif qui en dérive. Le nom de ce héros de la mythologie grecque, aimé de Jupiter (Homère, Illiade, V), fut utilisé comme nom commun, surtout du XVIe au XVIIIe siècle, pour désigner un jeune homme digne d’être aimé par un autre homme. Il s’agit donc d’un sens voisin de celui de bardache ou de giton, plus noble toutefois car bien moins souvent appliqué aux prostitués.  Joachim Du Bellay se servit du terme pour dénoncer une régression du christianisme au paganisme lorsque le garçon aimé du pape Jules III (1487-1550-1555) devint cardinal de Simia à l’âge de 17 ans :

« […] voir un estaffier, un enfant, une bête,
Un forfant, un poltron, cardinal devenir,
Et pour avoir bien su un singe entretenir
Un Ganymède avoir le rouge sur la tête !
[…]
Ces miracles (Morel) ne se font point qu’à Rome. »
Les Regrets, 1558, sonnet 105.
« Du Jupiter céleste un Ganymède on vante,
Le Jupiter toscan en a plus de cinquante »
Les Regrets, sonnet 106.

Autre stigmatisation des vices des papes :

« Le saint champ du seigneur est plein de parasites,
Et l’autel précieux ne sert qu’aux sodomites ;
Bref, les temples à saints usages ordonnés
Par ces ganymèdes bougrins sont profanés. »
Épigramme rapportée par Henri Estienne, Apologie pour Hérodote …, 1566, chapitre 39.

« Et ne se sont contentés ceux qui ont défendu le mariage aux autres, d’user de la liberté de Jupiter en tels mariages incestueux, mais ont voulu à l’exemple de celui-ci avoir aussi leurs ganymèdes. Il est vrai aussi que les uns ont eu des grands ganymèdes, les autres des petits. »
Henri Estienne, Apologie …, chapitre 39.

Henri Estienne, Apologie …, chapitre 39.



Un peu plus tard (en 1597), on rencontre des récriminations contre le relâchement de la morale dans une pièce de théâtre du dramaturge d'origine florentine  Pierre de Larivey :
« Aujourd’hui on rejette les saintes admonestations des sages pour prêter l’oreille aux sots propos des maquereaux, flatteurs et ganymèdes. »
Le Laquais, acte II, scène 5. 

Dictionnaire français de Pierre Richelet, 1680 et 1706 :

Ganimède expliqué par mignon ou bardache, on voit bien que Richelet s'adressait aux initiés...

La crainte de la mauvaise réputation s’était exprimée dans cette Satire contre un courtisan à barbe rasée :

« De peur d’être surnommé
Un ganymède, un parfumé,
Et que votre barbe soit dite
La barbe d’un hermaphrodite. »
Cabinet satirique, 1618.

  La publication en 1654 de la traduction par Perrot d’Ablancourt des œuvres de Lucien, parmi lesquelles un Dialogue de Jupiter et de Ganymède, entretint la référence mythologique. Quant au nouvel Olympe italien, dont Saint-Amant écrivait dans La Rome ridicule (1643) que les ganymèdes y supplantaient les dames, il ne fut sans doute jamais aussi violemment attaqué que dans Le Putanisme de Rome :

« C’est là la plus grande mortification qui pût arriver à des Siennois, que d‘être privés de petits garçons, et de se voir obligés de vivre avec un sexe qu’une inclination étrange leur fait si fort abhorrer […] On voit tant de Ganymèdes à la Cour, et si peu de neveux [du pape Alexandre VII] au bordel […] Ils accablent de gabelles les pauvres putains, les obligeant de payer jusqu’à la confession de leurs péchés propres ; et de l’argent qui en provient, ils fondent des séminaires de garçons. »

Le mot passa à nouveau dans les dictionnaires :

« Ganymède : Bardache. C’est son ganymède.
Et à bardache
Antoine Furetière, Dictionnaire Universel contenant généralement tous les mots français, tant vieux que modernes, et les termes de toutes les sciences et des arts, seconde édition revue, corrigée et augmentée par Monsieur Basnage de Bauval, 1701 [rien dans la première édition de 1690 pour ces deux mots].

« Ganymède : Pour Bardache, jeune garçon qui donne du plaisir, qui laisse commettre le péché de sodomie sur soi. »
Ph. J. Le Roux, Dictionnaire comique …, 1718.

Cette dernière définition est plutôt libertine, sans doute inspirée par l’ambiance de la Régence. L'avocat Mathieu Marais nous apprend que l’Olympe est transporté à la Cour :

« Le propre jour que le maréchal de Villeroy est venu à Versailles, on a découvert que le jeune duc de La Trémouille, premier gentilhomme du Roi, lui servait plus que de gentilhomme, et avait fait de son maître son Ganymède. Ce secret amour est bientôt devenu public, et l’on a envoyé le duc à l’Académie avec son gouverneur pour apprendre à régler ses mœurs. Le Roi a dit que c’était bien fait. Voilà donc le tour des mignons et l’usage de la Cour de Henri III. »
Journal et Mémoires, tome 3, 27 juin 1724.

« Leurs discours ressemblent à leurs mœurs, ils ont un langage à part ; plein d’affèterie, ils s’appellent entre eux Frères, Gitons et Ganimèdes. Ces noms bizarres sont leurs noms d’amitié. »
Godard de Beauchamps, Histoire du prince Apprius, 1728.

Voltaire, bien sûr :

« Épiphane a écrit qu’un préfet d’Alexandrie lui avait donné [à Origène] l’alternative, de servir de Ganymède à un Éthiopien, ou de sacrifier aux dieux, et qu’il avait sacrifié pour n’être point sodomisé par un vilain Éthiopien. »
Examen de Milord Bolingbroke, XXV, 1736.

« Les Sodomistes pensaient apparemment comme un grand seigneur moderne. Un valet de chambre de confiance lui fit observer que du côté qu’il préférait, ses maîtresses étaient conformées comme des ganymèdes, qu’on ne pouvait trouver au poids de l’or ; qu’il pouvait … des femmes. "Des femmes, s’écria le maître ; eh ! c’est comme si tu me servais un gigot sans manche !" »
H. G. Mirabeau, Erotika Biblion, 1783.

De l'ami de Voltaire Frédéric II :

« Si le profane enfin ne vous suffit,
Par le sacré dirigeons notre attaque ;
Ce bon saint Jean, que pensez-vous qu’il fit,
Pour que Jésus le jetât sur son lit ?
Sentez-vous pas qu’il fut son Ganymède ? »
Le Palladion, Œuvres posthumes, Supplément, tome 12, 1789.

Une épigramme attribuée à Mérard de Saint-Just trouve ici sa place :

« Un sectateur de l’art du Titien,
Un jour pria le jeune et frais Rozelle
De vouloir bien lui servir de modèle
Pour, sur le nu, peindre un saint Sébastien ;
Il y consent. L’œil en feu, le vit raide,
Le peintre admire, et les trouvant si beau,
En fait soudain un nouveau Ganymède. »

« On vit le marquis de Villette faire de la parente de Voltaire, de cette moderne Vénus, un jeune et joli Ganymède. »
Les Enfants de Sodome à l’Assemblée Nationale, 1790.

" Les Andrins, en petit nombre, étaient ceux qui, ne faisant cas d'aucun charme féminin, ne fêtaient que des Ganymèdes. "
Andréa de Nerciat, Les Aphrodites, "L'Œil du maître", 1793.
« ... tandis que le Vicomte, avec toute l'ardeur de son goût socratique, devient le Jupiter du plus désirable Ganimède »
Andréa de Nerciat, Les Aphrodites, N° V, quatrième fragment, 1793.

Robespierre avait logé pendant plusieurs années chez la famille Duplay ; après le 9 Thermidor, lorsque le fils Duplay  fut conduit à la prison Sainte-Pélagie, un des prisonniers aurait annoncé l’arrivée du « Ganymède de Robespierre » (d’après Xavier Mayne [E. Stevenson], The Intersexes, 1910).

L’usage du mot s’est perdu au XIXe siècle, l’argot des prisons prenant, et c’est bien dommage, la place de la culture antique, comme le montre ces définitions du Dictionnaire érotique de Delvau : « Ganymède : Ce que Pétrone appelle un spatalocinœdus [Le Satyricon, XXIII] et les Parisiens une tante. » (1864).
« Ganymède : ce que l’on nommait anciennement un giton et que les Parisiens appellent une tante. » (2e édition).

Verlaine :


« Eh quoi! dans cette ville d’eaux,
Trêve, repos, paix, intermède
Encor toi de face ou de dos ;
Beau petit ami : Ganymède !
L’aigle t’emporte, on dirait comme
À regret de parmi des fleurs
Son aile d’élans économe
Semble te vouloir par ailleurs
Que chez ce Jupin tyrannique
Comme qui dirait au Revard
Et son œil qui nous fait la nique
Te coule un drôle de regard.
Bah, reste avec nous, bon garçon,
Notre ennui, viens donc le distraire
Un peu, de la bonne façon,
N’es-tu pas notre petit frère ? »
« Sur une statue de Ganymède ", Parallèlement (1889)

On trouve quelques emplois dans les années 1930 et 1940 :

« Roger [Martin du Gard] commence à comprendre qu’il n’avait peut-être pas raison d’affirmer qu’il n’est pas un homme, si peu porté qu’il soit vers Sodome, qui puisse rester insensible à l’attrait d’un Ganymède. Il doit se persuader pourtant que certains restent à cet égard d’une cécité complète. »
André Gide, Journal, 4 octobre 1931. Sur Martin du Gard, voir les révélations contenues dans le Journal intégral de Julien Green.

En 1934, le roman attribué à Oscar Wilde, Télény, fut imprimé à 300 exemplaires « pour les membres du Ganymède Club de Paris » par Charles Hirsch.

Julien GREEN (né en 1900 à Paris XVIIe, mort le 13 août 1998 à Paris VIIe) : « Il [Breitbach] rentre, me dit Poupet, de plus en plus tard, toujours agacé par l'idée que s'il attendait encore cinq minutes, seulement cinq minutes, il verrait paraître au coin de la rue l'Apollon ou le Ganymède dont il rêve.  »
Toute ma vie Journal intégral *** 1946-1950, 12 décembre 1948, Paris : Bouquins éditions, 2021.
 « Thé à la pâtisserie Danoise avec Robert [de Saint-Jean]. Près de nous vient s'asseoir une sorte de grand Ganymède américain dont la vue est une délicieuse torture, car il représente à peu près tout ce que j'ai le plus fortement désiré dans le domaine de la chair. »
Toute ma vie Journal intégral *** 1946-1950, 8 mai 1948, Paris : Bouquins éditions, 2021.



GANYMÉDIEN

« Mol troupeau
De faces ganymédiennes
Et d’âmes épicuriennes,
Qui ne sont que pesant fardeau
Et faix inutile à la France »
Vertus et propriétés des mignons, 1576. Repris dans Le Cabinet du Roi de France, La Rochelle livre second, 1581, sous le titre " Les indignités de la Cour ".



L’homosexualité est ici honnie par le peuple pour avoir cumulé pouvoir et jouissance.

GANIMÉDISER, GANYMÉDISER

« Culices pati. Se laisser Ganymédiser. »
« Entesypathia, ae, s. Ce qui se passe dans celui qui se laisse Ganymédiser ; ce que souffre un successeur de Ganymède. »
Blondeau et Noël, Dictionarium Eroticum Latino-Gallicum, 1885.

GARÇON

« S’est trouvé nation où, pour endormir la concupiscence de ceux qui venaient à la dévotion, on tenait aux églises des garces et des garçons à jouir, et était acte de cérémonies de s’en servir avant venir à l’office. »
Exemplaire de Bordeaux, 1588.
Montaigne, Essais, III, v, 858 ; " et des garçons " est coupé dans l'édition Magnien/Pléiade/2007, page 900.

« L'on ne me voit point rire aux farces,
Je n'aime ni bals ni chansons,
Foutre des culs et des garçons,
Maugrébieu, des cons et des garces. »
Théophile de Viau, Satire.


Recueil de pièces choisies, 1735, page 76.


« Bougre à chèvres, bougre à garçons,
Bougre de toutes les façons. »
La Mazarinade, 1651 ; réédité en 1867 sous le titre La Pure vérité cachée.

« L'adultère et l'amour des garçons seront permis chez beaucoup de nations : mais vous n'en trouverez aucune dans laquelle il soit permis de manquer à sa parole ; parce que la société peut bien subsister entre des adultères et des garçons qui s'aiment, mais non pas entre des gens qui se feraient une gloire de se tromper les uns les autres. »
Voltaire, Traité de Métaphysique, 1735, chapitre IX.

« [Pape Braschi] : Le meurtre est, en un mot, une passion, comme le jeu, le vin, les garçons et les femmes. »
Marquis de Sade, Histoire de Juliette, 4e partie [1798], Paris : Gallimard, 1998, édition Michel Delon.

« Les amants de cœur s’appellent entre eux des garçons, surtout quand ils vivent avec des complaisants, sans doute pour se distinguer de leur moitié. »
Confession d’Arthur W., dans Dr Henri Legludic, Notes et observations de médecine légale, I Attentats aux mœurs, Paris : Masson, 1895.

« le garçon de votre fils »
Athman, signant une lettre à la mère d’André Gide.

« Nous en voyons d’autres qui, malgré toutes les sollicitations du beau sexe, les injonctions, les prescriptions, le péril, demeurent irrésistiblement attirés par les garçons. »
André Gide, Corydon, III, v.

Avertissement à l'entrée du club parisien Le Tango.


En russe, мальчик (François Le Guévellou, 2002).



GARÇON-FILLE

« Un garçon-fille, un coq à culs »
La Miliade, 1636. Satire contre Richelieu.

GARÇONNERIE

« jeunes garçonneries partagées au lieu de rester … solitaires. »
Paul Verlaine, Confessions (1895), Première partie, XIII.

GAY, GAI, GAYMENT

  Les abonnés de la revue Arcadie (1954-1982) s'appelaient eux-mêmes arcadiens [voir l'article de Michel Foucault dans Libération, 1982]. Depuis de nombreuses années, des homosexuels français se sont nommés gais, utilisant l'américanisme canadien qui dérive de gay. En janvier 1978, un journal s'était intitulé Gaie Presse.

Gai Pied, mensuel puis hebdomadaire, a paru d'avril 1979 à 1992
(Merci à Louis Mallet)


Une radio privée parisienne, devenue FG, s'appelait Fréquence Gaie.

Dans La Société invertie (Ottawa : Flammarion, 1979), A. E. Dreuilhe écrivait que " les universitaires gais ont trouvé dans l'étymologie du terme gay des racines françaises et anglaises qui justifient son adoption." À la fin du XVIe siècle, un poète français décrivait ainsi son préféré :

« Par lui seul seulement gayment je puis revivre.
Mon mignon sera donc d'un poil blond brunissant,
[...]
Je ne le veux mignard ni fardé nullement.
Un homme féminin ne plaît aucunement,
Il n'est point valeureux en ce que je souhaite.
[...]
Oserai-je oublier ce que je veux surtout,
Le fregon de mon four, bâton qui n'a qu'un bout,
[...]
Ainsi mon favori gay m'entretiendra,
Je ne désire pas que l'on cueille mon fruit,
Comme un peuple ignorant dedans l'ombreuse nuit,
Ni comme un courtisan tout à la dérobée. »
Oeuvres poétiques du capitaine Laphrise, "Stances de la délice d'amour", 1597.

« Leurs beaux ébats sont grands et gais. »
Verlaine, Parallèlement, "Ces passions …"; première publication dans La Cravache parisienne, 2 février 1889, sous le titre Parallèlement..

En France comme en Belgique, au Canada et en Suisse, on parle maintenant de communauté gaie ou gay ; l'usage du mot comme adjectif ou substantif, généralement écrit gay, est largement répandu.

" - Gai, ça veut dire gai. Et puis ?
J'étais sur la défensive.
- Non, man. Gai, ça veut dire en plus : gay.
- Un gay, c'est ce que nous appelons une tante, un pédé, alors ?
Il éclata de rire, à ma grande mortification.
- Tante, pédé, tapette, ce sont les mots du placard."
Dominique Fernandez, L'Étoile rose, IV, Paris : Grasset, 1978.

"Les homosexuels sont "gay". Ce mot à double paternité franco-anglaise est présent dans presque toutes les langues ; un adjectif qui, en peu de temps, est devenu adulte, qu'on emploie aussi comme substantif car il souligne cette volonté d'en finir avec les connotations médicales du mot "homosexualité".
Gilles Barbedette/Michel Carassou, Paris Gay 1925, Presses de la Renaissance, 1981.

Michel Foucault : « Un mode de vie peut se partager entre des individus d’âge, de statut, d’activité sociale différents. Il peut donner lieu à des relations intenses qui ne ressemblent à aucune de celles qui sont institutionnalisées et il me semble qu’un mode de vie peut donner lieu à une culture et à une éthique. Être gay, c’est, je crois, non pas s’identifier aux traits psychologiques et aux marques visibles de l’homosexuel, mais chercher à définir et à développer un mode de vie. » 
« De l’amitié comme mode de vie » (entretien avec René de Ceccatty, Jean Danet et Jean Le Bitoux), Gai Pied, n°25, avril 1981, repris dans Dits et Écrits, volume 4, texte n° 293.

 « Quelle est une des revendications principales du mouvement gay contemporain, sinon de servir de levier révolutionnaire et de préparer un bouleversement radical de la société? »
Dominique Fernandez, préface à la réédition de Carlier, La Prostitution antiphysique, Le Sycomore, 1981.

Le Grand Robert, édition 1985, définissait gai par "homosexuel", et gay par "relatif à l'homosexualité masculine, aux homosexuels."

"Gay Loisirs Var (14, rue Garibaldi à Toulon) expose toujours les clichés de l'artiste photographe toulonnais Marc Rémy, jusqu'au 24 janvier."
Gai Pied Hebdo, n° 153, 19 janvier 1985.

"ACTU-GAYS. Claude Courouve parle de son livre « Vocabulaire de l'homosexualité masculine » . Demain 21h30, entrée libre, 40 rue Amelot, Paris 11°."
Libération, 7 février 1985, p. 29.

"Soumis au chantage de militants gays, deux prélats de l'Eglise anglicane avouent leur homosexualité."
Le Monde, 23 mars 1995.

"Une société dominée par la culture 'gay' est vouée à une mort prochaine."
Guy Coq, "Le contresens du contrat d'union sociale", Libération, 1et juillet 1997.

"Les backrooms, lieux de rencontres sexuelles, situés à l'étage ou en sous-sol de certains établissements de nuit gays, se sont multipliés ces dernières années, notamment dans la capitale, qui en compte une cinquantaine. Parfois plongées dans le noir, ces pièces ou ces cabines sont le théâtre de rencontres furtives, anonymes et de pratiques sexuelles totalement débridées."
Sandrine Blanchard, "Dans les backrooms, la vigilance à l'égard du sida recule", Le Monde, 21 novembre 2000.

« Si je dois me définir sexuellement, j’emploierai de préférence le mot "homo". Je n’emploie pas le mot "pédé" ; parce que pour moi, employé de manière sérieuse, c’est péjoratif. […] Je ne dirais pas "gay" non plus, car pour moi c’est vraiment synonyme du Milieu, de quelqu’un qui sort, qui va en boîte, et cela ne me correspond pas. »
Justin, cité par Emmanuel Ménard, Il n’est jamais trop tard pour parler d’homosexualité, chapitre 3, 2002.

« Gay n’est pas synonyme d’homosexuel. Un nouveau terme n’apparaît jamais par hasard, il correspond toujours à une nouveauté ; en l’occurrence pour le gay, cette frange homosexuelle de la nouvelle bourgeoisie du commerce et des services qui finit, entre autres, de virer du nord-est de Paris les quelques pauvres que Chirac y avait laissés. »
Alain Soral, Abécédaire de la bêtise ambiante, Gay (2), Paris : Éditions Blanche, 2002.

« Au départ GG n’était pas ciblé pédés, plutôt macho second degré : des bimbos, des bagnoles, un peu d’actualité militaire ; c’est vrai qu’au bout de six mois ils se sont aperçu qu’il y avait énormément de gays parmi les acheteurs, mais c’était une surprise, je ne crois pas qu’ils aient réussi à cerner exactement le phénomène. »
Michel Houellebecq, La Possibilité d’une île, DANIEL 1,2, Paris : Fayard, 2005.

« Didier Godard, des sodomites aux gays. »
Philippe-Jean Catinchi, Le Monde, 26 août 2005 [Critique de l’ouvrage de Didier Godard L'Amour philosophique. L'homosexualité masculine au siècle des Lumières (Béziers : H & O, 2005).

Éric Zemmour : « Les publicitaires n’annoncent pas la société qui vient ; ils sont chargés de l’imposer à grands coups de propagande. Ils sont grassement payés pour cela. Ils ont jugé que, homosexuels ou hétérosexuels, tous les hommes devaient adopter les valeurs ludiques et festives des « gays » : homosexuel est d’ailleurs un mot d’un autre temps, qui signifiait une tentative scientifique de les cataloguer, encadrer, contenir, au profit d’une vision familiale, hétérosexuelle, de la société. Pour traduire la nouvelle société, où les homosexuels non seulement ne sont plus discriminés, mais au contraire incarnent l’humanité future, un nouveau mot s’imposait : ce sera gay. À relier à « macho ». Les deux faces d’une même médaille. À gay la lumière, à macho l’ombre. À gay le bien, à macho le mal. À gay l’homme féminisé porté aux nues, à macho l’homme bêtement viril, dénigré, méprisé. Ostracisé. »
Le Premier sexe, Paris : Denoël, 2006 (février).

Éric Zemmour : « L’inverti honni d’hier est devenu le gay admiré d’aujourd’hui, celui qui légitime le désir du pauvre « hétérosexuel » – « hétéro de base », minable beauf – pour la femme. »
Le Premier sexe, Paris : Denoël, 2006.

« Le deuxième concours de nouvelles contre l'homophobie est ouvert. Comme l'an passé, à l'occasion de la Journée mondiale de lutte contre l'homophobie qui aura lieu le 17 mai prochain, le président du Comité IDAHO (International Day Against Homophobia), Louis-Georges Tin, et Têtu lancent un concours de nouvelles autour de la question de l'homophobie. Il est ouvert à tous, jeunes, moins jeunes, trans, bi, gays, lesbiennes, hétéros. »
http://www.tetu.com , 7 mars 2006.

Gay pride week, gay pride : surtout années 1980-1990.

« Gay : Le terme « gay » peut se référer à une attraction sexuelle envers le même sexe, aux rapports sexuels avec des personnes de même sexe et, de manière générale, à une identité culturelle homosexuelle. Cependant, il désigne souvent les hommes éprouvant une attraction sexuelle pour d’autres hommes et qui ont des relations intimes principalement avec des hommes. » 
" DISCRIMINATIONS LGBT - PHOBES À L’ÉCOLE
ÉTAT DES LIEUX ET RECOMMANDATIONS
Rapport de Michel Teychenné à Monsieur le Ministre de l’Éducation nationale [Vincent Peillon], juin 2013
Pourront être utilisées dans ce document les définitions suivantes, conformes à celles qui sont utilisées par les organisations internationales. (Sources : Principe de Jogjakarta – principes sur l’application de la législation internationale en matière d’orientation sexuelle et d’identité de genre, 2007. La discrimination fondée sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre en Europe, Conseil de l’Europe, Strasbourg, 2011.) "

L’anglais gay, d’abord utilisé dans le sens de "libertin" (gay life = vie de plaisir, dolce vita), a pris un sens homosexuel à la fin des sixties dans la langue courante ; mais le mot était déjà utilisé depuis plusieurs décennies par le milieu homosexuel américain. Gay est parfois opposé à straight (normal, hétéro, sans détour) ; en français, le mot n’a pas encore d’opposé qui soit l’équivalent d’hétéro, et il entre par là dans la série des termes particularistes, tels uraniste, arcadien, achrien ou queer, pour ne citer que les plus récents. Cependant, sur le modèle de non-juif, non-gay commence à apparaître.

L’expression « gayment correct », sur le modèle de « politiquement correct », est apparue à la fin du XXe siècle.

Transposition en russe : гей.


GAY FRIENDLY

«  500 000, excusez du peu, badauds gay friendly compris, familles hétéroparentales avec enfants incluses, et toutes les tribus gay ou presque aussi. »
Delanoë Pride, Illico, 12 juillet 2001.

GAYDAR

" Le « gaydar », cette capacité à deviner si une personne est gay, existe-t-il ? " (slate.fr, 10 septembre 2015).

GAYPHOBE, GAYPHOBIE

« La gayphobie est une variante de l’homophobie : ce qui dérange le gayphobe, c’est la sexualité du gay, rien d’autre. Pour être tout à fait clair, c’est que ce soit un pédé. »
Julien Picquart, Pour en finir avec l’homophobie, Paris : Léo Scheer, 2005, 1ère partie, chap. 3.

Sur twitter :



GAY PRIDE, G-PRIDE

Abréviation de gay pride week [semaine de la fierté homo], semaine sainte des homosexuels, en souvenir des manifestations de New York en juin 1969.

« En France, la Gay Pride fait son apparition à la fin des années soixante-dix, sous l’influence du mouvement militant gay. »
Lionel Povert, Dictionnaire GAY, 1994.

Dénomination transformée en « Lesbian and Gay Pride ».

Rencontré en 2022 sur facebook l'abréviation G-Pride.

GAYRILLA

« En France, l'homophobie reste, selon les associations, encore très prégnante. " Pour certains jeunes, le chemin est long, explique le psychologue Eric Verdier, auteur, avec Michel Dorais, d'un Petit manuel de gayrilla à l'usage des jeunes (H & 0 éditions). Ils ne savent pas comment annoncer leur homosexualité, ils ne savent pas comment la vivre, et beaucoup ont le sentiment d'être dans une impasse. Les insultes homophobes, les moqueries et les remarques humiliantes sont encore très fréquentes. ". »
Ariae Chemin, « Des associations organisent la première Journée mondiale contre l'homophobie », Le Monde, 17 mai 2005.

GAYS ET LESBIEN(NE)S

Cette expression est une traduction linguistique d’un point de vue désormais « politiquement correct ».

« - Comment se construire une culture gay ?
- En se dirigeant vers les associations ou le militantisme. En se documentant dans les centres de documentation gays et lesbiens. En allant aux différents festivals de films gays et lesbiens, en participant véritablement à la vie de la communauté gay et lesbienne. »
Patrick Cardon, Baby Boy, 2006.

GAYTITUDE

« florilège de considérations profondes autour de la gaytitude ».
Action 48 [Act-Up Paris], juin 1997.

GAZOLINE

« Il y a eu deux périodes au FHAR [Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire] : La première avec le texte sur les pédés et la révolution du n° 12 de Tout, en 1971. Puis la deuxième avec les gazolines. En 72 ce fut l'année des gazolines. Avec Philippe Genêt et Hélène Hazera...et d'autres. Les folles du FHAR. »
Alain Huet, entretien avec Jacques Girard, mai 1992.


GENRE, GENRE NEUTRE, IDENTITÉ DE GENRE




AUSONE (vers 310/vers 385), grammairien latin, rhéteur et poète,

Épigrammes, Loeb Classical Library et traduction 1934-1935 :
61 : le grammairien Rufus à un mariage : " puissiez-vous avoir des fils appartenant aux genres masculin, féminin et neutre. " [Rufus vocatus rhetor olim ad nuptias.
Celebri ut fit in convivio,
grammaticae ut artis se peritum ostenderet,
haec vota dixit nuptiis:
« et masculini et feminini gignite generisque neutri filios ». Suivant les éditions ou traductions, il peut s'agir aussi de l'épigramme 46 ou 50]

Traduction par E.-F. Corpet, C. L. F. Panckoucke, 1843 :
" L. Sur le même Rufus.
RUFUS le rhéteur fut un jour invité à une noce : nombreux étaient les convives, comme toujours. Voulant donner un bel échantillon de sa science grammaticale, il adressa ce souhait aux époux : « Faites-nous des enfants du genre masculin, du féminin et du neutre ! » "

* * * * *

Du latin genusgeneris, origine, extraction, naissance. En philosophie l'espèce est une subdivision du genre, et le dérivé spécial (opposé à général) se trouve faire aussi partie du corpus du DFHM (voir plus loin). Genre a eu aussi le sens de manièrehabitudecaractère.


« En une autre pièce, je voyais ce même homme étendu tout nu sur une table, et plusieurs à l’entour de lui qui avaient diverses sortes de serrements, et faisaient tout ce qui était possible pour le faire devenir femme : mais à ce que j’en pouvais juger par la suite de l’histoire il demeurait du genre neutre. […] Tout le langage, et tous les termes des Hermaphrodites sont de même que ceux que les Grammairiens appellent du genre commun, et tiennent autant du mâle que de la femelle. »
L’Ile des Hermaphrodites, 1605.

Ce genre neutre de la langue latine, qui existe encore dans les langues allemande et  russe, fut, en même temps que le précurseur du concept de troisième sexe, le prétexte de bien des plaisanteries ; mais on a pu également, et bien plus légitimement, rattacher l’amour masculin au genre masculin (cf l'entrée MASCULIN).

Gilles Ménage, Le Parnasse alarmé, 1649.


" LE DOCTEUR.- Tu es docteur quand tu veux, mais je pense que tu es un plaisant docteur. Tu as la mine de suivre fort ton caprice : des parties d’oraison, tu n’aimes que la conjonction ; des genres, le masculin ; des déclinaisons, le génitif ; de la syntaxe, mobile cum fixo ! et enfin de la quantité, tu n’aimes que le dactyle, quia constat ex una longa et duabus brevibus. Venez çà, vous, dites-moi un peu quelle est la cause, le sujet de votre combustion. " (Molière, La Jalousie du barbouillé (vers 1650), acte unique, scène 6).

Caricature d'Abel Faivre, Le Rire, 22 septembre 1907.


« Moi l’inversion c’était pas mon genre »
Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, 1932.



On se rapproche de la connotation sexuelle dans les années 1950 :

Julien Green : « [Jean] Marais paraît vieux, ridé, fatigué, toujours en rogne, sans doute pour se donner l'air viril, dit D.P. [Robert de Saint Jean] Ce qu'il y a de plus joli à voir, c'est le derrière de Gros Doudou, moulé dans son pantalon, mais le visage n'est pas beau, le menton veule, l'expression niaise. Il m'a souri très aimablement (Hervé M[ille] a dit hier à D.P. que mon prestige était " immense " auprès des messieurs de ce genre !). »
Toute ma vie Journal intégral *** 1946-1950, 15 mars 1950, Paris : Bouquins éditions, 2021.

« On peut circuler à Saint-Germain-des-Prés, le samedi soir, sans être choqué, alors qu’il y a quinze ou vingt ans, à Pigalle, que d’homosexuels de tous genres s’affichaient, que de petits jeunes gens ostensiblement maquillés déambulaient !
Les différents cercles ou endroits fréquentés par les disciples de Corydon sont en général bien préférables, au point de vue tenue, à ceux qui existaient avant guerre. »
FUTUR, juillet 1954.

Depuis le rouleau compresseur de la correction politique, genre sert à contester le caractère naturel de la division de l'humanité en deux sexes, division qui semblait pourtant, de toute éternité, au fondement de la préférence homosexuelle tout autant qu'à celui de la préférence hétérosexuelle :

« L’affirmation de caractères ou de valeurs liés à l’homosexualité en général ne devrait pas être affaiblie par le fait que les gays sont des hommes et les lesbiennes des femmes. Ce que l’on peut dire, c’est qu’il y a plusieurs "genres" de femmes, et plusieurs "genres" d’hommes, et non un seul de chaque "côté". »
Sylviane Agacinski-Jospin, Journal interrompu, 26 février [2002], Paris : Le Seuil, 2002.

« Archilesb et Vigitrans contestent la réorganisation de l'équipe de Centre d'archives homosexuelles de Paris, piloté par Jean Le Bitoux. " Le renouvellement du conseil d'administration et du bureau de manière à ce qu'il soit paritaire (biologiquement) c'est-à-dire composé d'hommes et de femmes. Archilesb et Vigitrans ne peuvent que constater que cette parité du CADHP n'est pas respectée dans le choix des salariés (seul Jean Le Bitoux se voit salarié); que la parité homme/femme n'est pas un critère qui permet de prendre en compte la diversité des identités et des cultures sexuelles et de genre (parité culturelle) ", estiment les deux groupes. »
http://www.vigitrans.org  , juin 2003.


Recommandation sur les équivalents français du mot gender
Commission de terminologie : « L'utilisation croissante du mot genre dans les médias et même les documents administratifs, lorsqu'il est question de l'égalité entre les hommes et les femmes, appelle une mise au point sur le plan terminologique.
On constate en effet, notamment dans les ouvrages et articles de sociologie, un usage abusif du mot genre, emprunté à l'anglais gender, utilisé notamment en composition dans des expressions telles gender awareness, gender bias, gender disparities, gender studies..., toutes notions relatives à l'analyse des comportements sexistes et à la promotion du droit des femmes. Le sens en est très large, et selon l'UNESCO, « se réfère aux différences et aux relations sociales entre les hommes et les femmes » et « comprend toujours la dynamique de l'appartenance ethnique et de la classe sociale ». Il semble délicat de vouloir englober en un seul terme des notions aussi vastes.
En anglais, l'emploi de gender dans ces expressions constitue un néologisme et correspond à une extension de sens du mot qui signifie genre grammatical. De plus, ce terme est souvent employé pour désigner exclusivement les femmes ou fait référence à une distinction selon le seul sexe biologique.
Or, en français, le mot sexe et ses dérivés sexiste et sexuel s'avèrent parfaitement adaptés dans la plupart des cas pour exprimer la différence entre hommes et femmes, y compris dans sa dimension culturelle, avec les implications économiques, sociales et politiques que cela suppose.
La substitution de genre à sexe ne répond donc pas à un besoin linguistique et l'extension de sens du mot genre ne se justifie pas en français. Dans cette acception particulière, des expressions utilisant les mots genre et a fortiori l'adjectif genré, ou encore le terme sexospécificité, sont à déconseiller.
Toutefois, pour rendre la construction adjective du mot gender, fréquente en anglais, on pourra préférer, suivant le contexte, des locutions telles que hommes et femmes, masculin et féminin ; ainsi on traduira gender equality par égalité entre hommes et femmes, ou encore égalité entre les sexes.
La Commission générale de terminologie et de néologie recommande, plutôt que de retenir une formulation unique, souvent peu intelligible, d'apporter des solutions au cas par cas, en privilégiant la clarté et la précision et en faisant appel aux ressources lexicales existantes. » (Journal Officiel, 22 juillet 2005, page 12000). 

« À partir de 2006, le système fiscal néerlandais sera remis à plat, et c'est le service des impôts (Belastingdienst) qui centralise tous les systèmes d'aide, avec l'aide des employeurs : ceux-ci sont chargés d'envoyer, une seule fois, les informations qu'ils détiennent sur leur employés. La nouveauté, c'est que la catégorie du genre s'étend : l'employeur a le choix entre « homme », « femme », « incertain » et « inconnu ». Il s'agit d'une révolution assez importante qui satisfera les transgenres résidant aux Pays-Bas. Le CBS, le bureau central des statistiques, pourra désormais savoir combien de personnes n'entrent pas dans les catégories « homme » ou « femme », dont le nombre était jusqu'alors estimé de façon approximative. »
Laurent Chambon, http://www.tetu.com , 1er septembre 2005


Décret Bachelot n° 2010-125 du 8 février 2010 portant modification de l'annexe figurant à l'article D. 322-1 du Code de la sécurité sociale relative aux critères médicaux utilisés pour la définition de l'affection de longue durée « affections psychiatriques de longue durée »
" Article 1 :
Au 4 du I de l'annexe de l'article D. 322-1 du code de la sécurité sociale, les mots : « ― troubles précoces de l'identité de genre ; » sont supprimés. " (Je n'ai pu retrouver le texte de cette annexe).

La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (Istanbul, 11.V.2011) définit ainsi le genre :
Article 3, c : " le terme « genre » désigne les rôles, les comportements, les activités et les attributions socialement construits, qu’une société donnée considère comme appropriés pour les femmes et les hommes; "
Najat Vallaud-Belkacem :
« La théorie du genre, qui explique « l'identité sexuelle » des individus autant par le contexte socio-culturel que par la biologie, a pour vertu d'aborder la question des inadmissibles inégalités persistantes entre les hommes et les femmes ou encore de l'homosexualité, et de faire œuvre de pédagogie sur ces sujets. » (Najat Vallaud-Belkacem, 20 minutes, 31 août 2011).

« La ministre des droits des femmes, porte-parole du Gouvernement [Najat Vallaud-Belkacem], a présenté les principes du programme d'actions contre les violences et les discriminations commises à raison de l'orientation sexuelle ou de l'identité de genre que le Premier ministre l'a chargée d'élaborer début septembre.
[…]
3. agir contre les discriminations au quotidien : l'Etat se mobilisera contre les discriminations dans l'emploi, dans le secteur public et le secteur privé. La charte de l'égalité dans la fonction publique fera l'objet d'une révision dans le cadre de l'agenda social, mettant en avant les valeurs du service public et de la fonction publique. Dans ce cadre, l'égalité des droits et la lutte contre les discriminations commises à raison de l'orientation sexuelle et de l'identité de genre seront réaffirmées. » (Communiqué du Conseil des ministres du 31 octobre 2012).

On a désormais : le sexe, l'orientation sexuelle (Code pénal de 1993), l'identité sexuelle, (Loi Taubira n° 2012-954 du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel, articles 4 et 6) et maintenant l'identité de genre ; cette dernière expression figure : 
dans notre Code pénal, articles 132-77 et 222-13 via la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté) ; 225-1 (loi du 18 novembre 2016), 225-4-13 (loi n° 2022-92 du 31 janvier 2022 interdisant les pratiques visant à modifier l'orientation sexuelle ou l'identité de genre d'une personne), 226-19 (Égalité et citoyenneté) et 711-1 (interdiction des pratiques...); article R. 625-8-1 via le décret n° 2017-1230 du 3 août 2017 relatif aux provocations, diffamations et injures non publiques présentant un caractère raciste ou discriminatoire),

dans le Code du sport, articles L 100-1 et L. 332-7 via la loi 2022-296 du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport en France ; articles L. 1321-3 et L. 1441-23 via la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté) ; 

dans la loi sur la liberté de la presse (articles 24, 32, 33 et 48-4, via la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté) ; 
dans la loi pour la confiance dans l'économie numérique (article 6) via la loi n° 2020-766 du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet

La promotion de cette connotation du concept de genre et des concepts dérivés est à rapprocher de l'extension de LGBT en LGBTQI (queer et intersexuel), voire LGBTQQIA+ (questioning, altersexués).



Décision 2016-745 DC du 26 janvier 2017 (Conseil constitutionnel) :

" Considérant 89. Les dispositions contestées substituent, dans les articles 24, 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881, les termes d'« identité de genre » à ceux d'« identité sexuelle ». Elles ajoutent ainsi à l'interdiction des discriminations liées au sexe et à l'orientation sexuelle celles liées à l'identité de genre. Il résulte des travaux parlementaires qu'en ayant recours à la notion d'identité de genre, le législateur a entendu viser le genre auquel s'identifie une personne, qu'il corresponde ou non au sexe indiqué sur les registres de l'état-civil ou aux différentes expressions de l'appartenance au sexe masculin ou au sexe féminin. Les termes « identité de genre », qui figurent d'ailleurs à l'article 225-1 du code pénal dans sa version issue de la loi du 18 novembre 2016 mentionnée ci-dessus, sont également utilisés dans la convention du Conseil de l'Europe du 12 avril 2011 et dans la directive du 13 décembre 2011 mentionnées ci-dessus. Dans ces conditions, les termes d'« identité de genre » utilisés par le législateur sont suffisamment clairs et précis pour respecter le principe de légalité. Le grief tiré de la méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines doit être écarté. "

La loi " Égalité et citoyenneté " du 27 janvier 2017 introduit la notion d' " identité de genre " dans 5 articles du Code de procédure pénale (CPP).

Benjamin Pierret : « Agenre : Se dit d'une personne qui ne s'identifie pas à un genre en particulier. Elle n'est pas nécessairement mal à l'aise dans le corps dans lequel elle est née, mais ne cherche pas à se définir comme un homme ou une femme. Tagath, dans un texte explicatif publié sur le site Asexualité-s, se définit comme suit : " Je ne suis ni un homme, ni une femme, ni entre les deux. " On parle également de "genre neutre". Tandis que la non-binaire peut se trouver n'importe où sur la ligne horizontale évoquée précédemment, la personne agenre ne se situe même pas sur ce spectre. 
De genre fluide : Lorsque le genre peut varier de masculin à féminin. C'est le cas d'Anna, qui s'est confiée au Quatre heures dans un article consacré au genre fluide, explique les fluctuations de son identité de genre : "J’ai des périodes, très rares, où je suis clairement une fille et des périodes où je suis plus ou moins un garçon. Mais le plus souvent, je suis de genre neutre." »

La loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République introduit la notion d' " identité de genre " dans l'article 48, 6°, de la loi sur la liberté de la presse.

Les nouveaux fondamentaux (2023).


GENTILLESSE DE COLLÈGE

" Les pages de mon père m'apprirent quelques gentillesses de collège. "
Denis Diderot, Les Bijoux indiscrets, chapitre XLIV.

GERBOISE

Initialement, nom d’un petit mammifère rongeur et sauteur à longue queue.

« Gerboise
  Homosexuel qui tient le rôle passif dans un ménage d’hommes. »
Robert Giraud, Faune et flore argotiques, 1. Faune, Paris : Le Dilettante, 1993.

GERMINY, GERMINISME, GERMINYSER

Une note de Robert Ricatte (1) au Journal des frères Goncourt indique qu’un avocat, conseiller municipal de Paris, Eugène de Germiny, surpris dans des toilettes publiques avec un ouvrier journalier nommé Chouard, le 6 décembre 1876, fut condamné le 31 décembre à deux mois de prison pour outrage public à la pudeur, puis s’exila au Brésil. La presse en fit des gorges chaudes, et Germiny devint rapidement un nom commun, comme avant lui Alcibiade, Chausson, Ganymède et Jupiter.
1. Robert Ricatte (1913-1995), ancien élève de l'École normale supérieure (1936), agrégé de lettres classiques (1938), docteur ès lettres (1955).

Dès le 24 décembre 1876, Gustave Flaubert écrivait à Tourguénieff :

« Germiny continue à me plonger dans une immense joie. N’éprouvez-vous pas toutes les délices de la vengeance quand il survient de pareilles histoires à un môssieur officiel ? Les rayons de la gloire céleste se mêlant aux plis de l’anus, la toge du tribunal par-dessus les latrines. Et le bijoutier, quel joyau ! Et les grincements de dents dans les sacristies ! … Voilà un sujet de pièce. Faisons-là. »

Un peu plus tard, à Mme Brainne : « Re-scandales ! le fils Boucicaut du Bon Marché est en prison pour actes de germinisme, et la maîtresse d’asile de Suresnes, pour corruption d’enfants au-dessous de dix ans. Elle leur apprenait … les plus infâmes pratiques. Pauvre humanité ! »
Lettre du 15 mars 1877.

Le journal La Lanterne rendit compte le 2 avril 1877 d’une dispute entre « deux Germiny de banlieue ».

Paul Lafargue : « Selon Plutarque, le grand titre de Lycurgue, " le plus sage des hommes, " à l’admiration de la postérité, était d’avoir accordé des loisirs aux citoyens de la République en leur interdisant l’exercice d’un métier quelconque (1).
Mais répondront les Bastiat, les Dupanloup et les Beaulieu de la morale chrétienne et capitaliste, ces penseurs, ces philosophes préconisaient l’esclavage ! — Parfait, mais pouvait-il en être autrement, étant donné les conditions économiques et politiques de leur époque ? La guerre était l’état normal des sociétés antiques ; l’homme libre devait consacrer son temps à discuter les lois de l’État et à veiller à sa défense ; les métiers étaient alors trop primitifs et trop grossiers pour que les pratiquant on pût exercer son métier de soldat et de citoyen ; afin de posséder des guerriers et des citoyens, les philosophes et les législateurs devaient tolérer des esclaves dans leurs républiques héroïques. — Mais les moralistes et les économistes du Capitalisme ne préconisent-ils pas l’esclavage moderne, le salariat ? Et à quels hommes l’esclavage capitaliste donne-t-il des loisirs ? — À des Rothschild, à des Germiny, à des Alphonses (2), inutiles et nuisibles, esclaves de leurs vices et de leurs domestiques. »
1. Platon : République V, Lois VIII ; Aristote, Politiques II et VII ; Xénophon, Économique IV et VI ; Plutarque, Vie de Lycurgue.
2. Argot : Homme entretenu par sa maîtresse, souteneur.
Le Droit à la paresse Réfutation du Droit au Travail de 1848, Paris : Henry Oriol, 1883.

« On lui raconterait que je suis un Germiny, qu’elle ne saurait bien si ce n’est pas vrai », disait Alphonse Daudet de sa femme (propos noté par Edmond de Goncourt en avril 1884).

Une Gazette rimée de Raoul Ponchon stigmatisa les mœurs anglaises, ne se privant pas d’une allusion à l’affaire :

« Quand les Anglais s’en vont par dix
C’est – à l’instar des Germiny
Pour – au sein noir des urinoirs –
Jeter à des Chouart [sic] le mouchoir.
Courrier français, 1891.


Virmaitre, 1894.

Le dictionnaire d'Aristide Bruant, L'Argot au XXe siècle. Dictionnaire français-argot, Paris : Flammarion, 1901) signalait Germiny parmi les argots pour pédéraste.

« Ce procès [de Germiny] a mis en pleine lumière un coin obscur des mœurs contemporaines ; il  a même fourni un mot nouveau pour en parler sans trop d’inconvenance : " le germinisme " ; l’attention a été puissamment attirée sur ce vice ; c’est à cette époque qu’on a commencé à y faire de perpétuelles allusions, dans les conversations, etc. Je crois que c’est à partir de cette époque aussi qu’il a pris une extension extraordinaire. »
Georges Hérelle, De Germiny, mss BM Troyes 3395, folio 51.

« Germinisme : Pédérastie ; néologisme de date récente, créé après l’aventure du comte de Germiny, membre de la Société de Saint-Vicent de Paul et président des Cercles catholiques ouvriers. »
Hector France, Dictionnaire de la langue verte, 1907, réédition Nigel Gauvin, 1990

GÉRONTOPHILE,  GÉRONTOPHILIE

« On ne saurait mieux, il me semble, dégager ce qui est particulier à la pédérastie qu’en la rapprochant de la gérontophilie. La grâce agit sans doute sur les premiers au même titre que le prestige dû à l’expérience de la vie sur les seconds. Souhaitons-leur de se rencontrer. »
Marcel Jouhandeau, Corydon résumé et augmenté, 1951.

« Je ne suis pas gérontophile. »
Le chanteur Dave, à l’attention de Bernard Kouchner, France 2, 12 septembre 2002.

GIDARD, GIDERIE, GIDESQUE, GIDISME

« J'admire Gide, intellect puissamment organisé, dialecticien lucide, styliste à grandes ressources ; mais son corydonisme me répugne. Si la position paradoxale dans laquelle il met son rigorisme calviniste de defenseur intransigeant et orthodoxe de thèses hétérodoxissimes est susceptible de m'intéresser, personne ne pourra m'ôter le soupçon que Gide  se met de parti pris dans les situations les plus équivoques pour faire parler de lui, de même qu'Alcibiade coupant la queue à son chien. J'admire Gide, mais je n'admire pas le gidisme. »
Lorenzo Gigli, réponse à « Enquête sur André Gide », Latinité – Revue des pays d'Occident, janvier-avril 1931.

Intitulé du groupe facebook : 



GINETTE

« Heures au London, affreuse nouvelle boîte pleine de moustachus latins efféminés, de la tendance qu'il était convenu jadis d'appeler ginette. »
Renaud Camus, Journal 1995, 2000.

Le sens homosexuel du mot est incertain dans ce leste couplet de l’un des choristes, Mondain :

« À la claire branlette,
J’ai sorti mon poireau
Pour enculer Ginette
Sans lui faire de bobo. »
Film Les Choristes

GIROND

GIROND (E) : jolie(e). Pédéraste passif. »
Évariste Nougier, Dictionnaire d’argot, N. Gauvin, 1987 [1899-1900].

Terme inconnu du Dictionnaire français-argot d'Aristide Bruant (1905).

Francis Carco : « Elle fait un branque, mais l'branque, il voulait se taper un girond. »
Jésus-la-Caille, Paris : Mercure de France, 1914, première partie, I.
« Il arquait, jeuno, coquinet, girond et bandant. » Première partie, II.
« Et pis quoi, elle serait pas la pre à aimer un Jésus ? Friquette, Gaby, la môme Gisèle se gênaient pas pour se mélanger avec des gironds. », première partie, VI.
« Une grosse bravune, la Marseillaise, dirigeait le biseness de deux petits gironds blêmes qu'elle macrotait. », deuxième partie, I.
« Le bar conduisait au salon, et derjo, dans des petits ateliers, des mignons prenaient des poses plastiques et artistiques pour une clientèle spéciale. Un client se bouclait avec les Trois-Grâces, qui étaient posées, comme de juste, par trois gironds. », deuxième partie, II.

GITON, GITONISME

Nom d’un personnage du roman latin de Pétrone Satyricon. L’emploi comme terme générique se rencontre depuis le début du XVIIIe siècle. Le sens est voisin de celui de bardache (nuance fréquente de prostitution masculine ou de promiscuité).

« Un Castillan zélé pour les laïs,
En leur faveur chantait comme un Orphée.
Un Florentin pour l’honneur de son pays
Aux seuls gitons élevait un trophée. »
Jean-Baptiste Rousseau, Œuvres, 1712, tome 1.

Vers sur Benjamin Deschauffours, condamné au feu pour sodomie,  faits en 1726 :

« L’ordre de la manchette en lui perd son vrai père,
Aux gitons de Paris il tenait ordinaire.
Tout le monde le pleure, et l’église et l’épée. »
De B… [Bois] Jourdain, Mélanges historiques, satiriques et anecdotiques, 1807, tome 2, page 337.

« Leurs discours ressemblent à leurs mœurs, ils ont un langage à part ; plein d’affèterie, ils s’appellent entre eux Frères, Gitons et Ganimèdes. Ces noms bizarres sont leurs noms d’amitié. »
Godard de Beauchamps, Histoire du prince Apprius, 1728.

Voltaire avait fait ces vers contre l’abbé Desfontaines :

« La Nature fuit et s’offense
À l’aspect de ce vieux giton ;
Il a la rage de Zoïle,
De Gacon l’esprit et le style,
Et l’âme impure de Chausson. »
Ode VI, sur l’ingratitude, 1736

« Le préjugé est un animal qu’il faut envoyer paître. Il en est d’un garçon comme d’un mets pour lequel on avait du dégoût : le hasard en fait tâter, on le trouve délicieux. Est-il rien de plus charmant qu’un joli giton, blancheur de peau, épaules bien faites, belle chute de reins, fesses dures, rondes, un cul d’un ovale parfait, étroit, serré, propre, sans poil ? Ce n’est pas là de ces conasses béantes, de ces gouffres où vous entreriez tout botté. »
[Gervaise de Latouche], Histoire de Dom B[ougre] portier des Chartreux, 1741, réédité en 1976.

Voltaire : « Le Dieu que les Romains appelaient Deus optimus maximus, très bon, très grand, n'était pas censé encourager Clodius à coucher avec la femme de César ; ni César à être le giton du roi Nicomède. »
Questions sur l'Encyclopédie par des amateurs, 1770, entrée " Athéisme ", section I, page 286.


« Le sieur Monvel vient à sortir du royaume et de se retirer à Bruxelles. On dit que cet événement est la suite de son inconduite, qu’il doit 200 000 livres. Il passait pour avoir des gitons, et l’on veut que cette espèce de plaisir lui ait coûté fort cher. »
Mémoires secrets, tome 17, 23 juin 1781.

Nom d'un page dans Les cent vingt journées de Sodome de Sade ; dans La Nouvelle Justine, on lit :

« Le nombre des gitons invités est toujours en raison de celui des filles : un pour deux femmes, et cela par la raison qu’ayant plus de peine à se les procurer comme il les leur faut, ils les ménagent un peu plus. »
Chapitre IX.

« Entre deux hommes, elle [la sodomie] se distingue sous le nom de pédérastie ; celui qui s’abaisse à remplir le rôle abject de complaisant, dans cette scène révoltante, a reçu le nom de giton. »
Fournier-Pescay, article “ Sodomie ”, Dictionnaire des Sciences Médicales, tome 51, 1821.

A. J. B. Beau, traducteur du poète latin Martial, se servit du mot dans ses annotations :

« Cinaedo. Martial entend constamment par ce mot un giton, un patient en pédérastie, ce qu’il appelle ailleurs pathicus, molles, facilis viris, etc. »
Épigrammes de Martial, 1843, tome 3.

« Nieuwerkerke lui-même […] prend je ne sais quel air de gitonisme à la Henri III. »
Edmond et Jules Goncourt, Journal. Mémoires de la vie littéraire de 1851 à 1896, Paris : Fasquelle/Flammarion, 1956, 3 janvier 1863.

« Il [Sainte-Beuve] cite de l’Anthologie [grecque], un des paidika, une déclaration d’amour à un petit giton et finit : " C’est charmant. " »
Edmond et Jules Goncourt, Journal. Mémoires de la vie littéraire de 1851 à 1896, Paris : Fasquelle/Flammarion, 1956, 2 mai 1863.

Alfre Delvau :
Dictionnaire érotique moderne..., 1864.


Le Littré (1863-1873) donne cette définition : « Giton, s. m. : Jeune homme servant à de honteux plaisirs, ainsi dit de Giton, personnage de la satire de Pétrone. »

Robert Badinter :
Sénat, séance publique du 5 mai 1982.


« Dans ces temps-là tout le monde était peu ou prou bi : pendant que Monsieur s’intéressait à la puberté de quelque giton, Madame jouait les grandes goudous sacrées, entre filles. »
« Le courrier de Jeanne Lacane », Le Canard enchaîné, 13 avril 1983.

On rencontre encore parfois le mot, par exemple dans le polar historique d’Alice Yvernat :

« Le petit giton de tout à l’heure, tu lui as mis ? Ou c’est lui qui te l’a foutu ? continua de Gravières en glissant sa main vers l’entrejambe de Vilanelle. »
Les Billets indiscrets, chapitre 5, Paris : L’Embarcadère, 2005.

Sur twitter :
" Jérôme Bourbon ‏@JeromeBourbon 9 février 2016
Le FN était en séminaire dans l'Essonne. Imagine-t-on Philippot et ses gitons en séminaristes ? "


GLBT

Voir aussi LGBT, désormais prédominant.

Gai, lesbien, bi et transgenre ; sigle communautaire.

« droits acquis ou à acquérir des GLBT »
Patrick Cardon, édito, Question de Genre, n° 10, 2001.

GLBTQ

Gai, lesbien, bi, transgenre et queer (pour n’oublier personne).

« Partant du principe que l'information sur la culture gay, lesbienne, bi, trans et queer (GLBTQ) est difficile à trouver sur la toile, un groupe d'universitaires et de chercheurs anglo-saxons a décidé de créer une encyclopédie recensant faits et informations sur ce qui fait la culture GLBTQ. »
Têtu quotidien, 5 mars 2003.

Voir aussi LGBTQ.

GLOUSSE

« GLOUSSE : vieux pédéraste. »
Évariste Nougier, Dictionnaire d’argot, N. Gauvin, 1987 [1899-1900].

GOMORRHÉEN

Des cités bibliques Sodome et Gomorrhe.

On proposa pour sodomites les qualificatifs suivants :
« Infâmes, exécrables, odieux, brutaux, vilains, abominables, vicieux, bougres ou bougerons, malheureux, détestables, gomorrhéens. »
M. de La Porte, Épithètes, 1580.

« Le Canapé est le rendez-vous ordinaire des pédérastes ; les Tantes (voir ce mot), s'y réunissent pour procurer à ces libertins blasés, qui appartiennent presque tous aux classes éminentes de la société, les objets qu'ils convoitent ; les quais, depuis le Louvre jusqu'au Pont-Royal, la rue Saint-Fiacre, le boulevard entre les rues Neuve-du-Luxembourg et Duphot, sont des Canapés très dangereux. On conçoit, jusqu'à un certain point, que la surveillance de la police ne s'exerce sur ces lieux que d'une manière imparfaite ; mais ce que l'on ne comprend pas, c'est que l'existence de certaines maisons, entièrement dévolues aux descendants des Gomorrhéens, soient tolérée ; parmi ces maisons, je dois signaler celle que tient le nommé, ou plutôt (pour conserver à cet être amphibie la qualification qu'il ou elle se donne), la nommée Cottin, rue de Grenelle Saint-Honoré n° 3. »
Eugène-François Vidocq, Les Voleurs, tome 1, Paris : chez l'auteur, 1837.

Dans une étude sociologique sur les voleurs intitulée Variétés de coquins, Louis Mathurin Moreau-Christophe avait utilisé, en parlant des hommes, l'expression « chantage gomorrhéen », et évoqué « les chanteurs, qu'on nomme aussi serinettes. » (Tome 2 de Le Monde des coquins, Paris : E. Dentu, 1865).
*

Guy de Maupassant (sous le pseudonyme de Maufrigneuse) : « L'auteur, sans y prendre garde, dans l'honnêteté de sa conscience, a dépeint l'amour naissant d'un homme pour une femme vêtue en homme et qu'il croit être un homme. De là un trouble étrange, une confusion pénible, puissante comme art, gênante aussi.
En suivant le développement de cette passion légitime on côtoie, semble-t-il, le lac gomorrhéen des passions honteuses.
Je sais que toutes les intentions définitives sont honnêtes ; cela n'empêche que l'amitié particulière de cet homme pour un enfant, bien qu'elle ne puisse blesser la morale tant les moyens sont ménagés, peut du moins éveiller dans l'âme du lecteur des suppositions alarmantes.
J'ai d'ailleurs cette conviction, sans doute fausse, que les livres les plus dangereux pour les âmes et les plus immoraux en somme, sont les livres dits les plus moraux, les plus poétiques, les plus exaltants et les plus décevants, les livres où triomphe éternellement l'amour. » (Gil Blas, 1er mai 1883, page 1, sur le roman de Victor Cherbuliez " Le Comte Kostia ").

GOSSELIN

" Gosselin : enfant "
Anonyme [Pierre Joigneaux ?], L’Intérieur des prisons, 1846.

« Enfants, on les appelle mômes ou gosselins, adolescents ce sont des cousines, plus âgés, ce sont des tantes. »
Lorédan Larchey, « Dictionnaire des excentricités du langage », Revue anecdotique des excentricités contemporaines, n°5, septembre 1859.

« GOSSELIN. Jeune garçon qui sert d'Alcibiade à des Socrates de bas étage ; variété de Jésus » (Alfred Delvau, Dictionnaire érotique moderne..., 1964).

« Gosselin : petit garçon, camarade, d’où, par extension, mignon, pédéraste. »
Hector France, Dictionnaire de la langue verte, 1907, réédition Nigel Gauvin, 1990.

GOUGNOT

« GOUGNOT. Pédéraste, homme qui ne jouit bien qu'avec un autre homme.
C'est le pendant de la gougnotte. »
Alfred Delvau, Dictionnaire érotique moderne..., 1964.

GOÛT(S), GOÛTS SOCRATIQUES (voir aussi Appendices)

« Le goût de Monsieur [frère de Louis XIV] n’était pas celui des femmes, et il ne s’en cachait même pas ; ce même goût lui avait donné le chevalier de Lorraine pour maître, et il le demeura toute sa vie. »
Saint-Simon, Mémoires, année 1692.

« Monsieur le duc d’Orléans [frère de Louis XIV] se faisait baiser par les gens qu’il aimait, c’était son goût. »
Recueil Maurepas, BnF, mss fr 12624, année 1696, tome 9, p. 9.

« Le troisième, qui n’était pas de ce goût-là, le fronda fort et ne voulait pas croire qu’il y eût des bougres. »
Barbier, Journal, octobre 1726.

« Le prétendu ermite, donnant dans le goût des sodomistes, a voulu très souvent tomber dans leurs excès avec des hommes et des jeunes garçons, leur faisant des attouchements très sales. »
Procès Toussaint, 1731 ; archives départementales des Pyrénées Atlantiques, mss B 5374.


Recueil de pièces choisies... 1735, page 34.

« Je ne te parle point du goût de ces monstres qui n’en ont que pour le plaisir antiphysique, soit comme agents, soit comme patients. »
Marquis d’Argens [ ??], Thérèse philosophe, 2e partie, vers 1748.


René-Louis d'Argenson : « Il y a grande brouillerie dans le ménage du jeune électeur [de Bavière, Maximilien III Joseph] et de l'électrice saxonne : ce prince avant son mariage était de la manchette; il s'est remis au goût régulier, et a pris une maîtresse. » (Journal et mémoires, tome 5, 6 juillet 1748, page 235.

René-Louis d'Argenson : " L'on dit que l'Infant [D. Philippe] est devenu maussade de plus en plus, qu'il a une maîtresse et le goût des garçons. " Journal et Mémoires, tome 6, 31 juillet 1749, page 12.

Rousseau : « Combien de moyens honteux d’empêcher la naissance des hommes et de tromper la nature ? Soit par ces goûts brutaux et dépravés qui insultent son plus charmant ouvrage, goûts que les sauvages ni les animaux ne connurent jamais, et qui ne sont nés dans les pays policés que d’une imagination corrompue. »
Jean-Jacques Rousseau, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, 1755, première partie, note 9.
Remarque de Voltaire :

« L’abbé de Marsy vient de mourir ; il avait été anciennement jésuite. Une aventure d’un goût particulier, qu’on a souvent reprochée à ces pères, fit du bruit et l’obligea de sortir de chez eux ; il a fait depuis des livres. »
Grimm, Correspondance littéraire, janvier 1764. 

Du prince Charles de Ligne :
« Pourquoi appeler la pédérastie contre nature ? On commence toujours par là. On est amoureux de ses camarades jusqu'à vingt ans : ce goût va du collège à l'armée. Et ce n'est pas là où il va le plus mal : car ceux qui l'ont se préservent de ces horribles maladies qui mettent les deux tiers des officiers hors de la campagne. D'ailleurs cela ne coûte rien : et on a beau dire, cela fait plaisir. On n'est pas bougre pour foutre son homme de temps en temps. » " Mes Livres rouges ", manuscrit, vers 1765, cité par Jean-Luc Hennig dans Espadons, mignons autres monstres: Vocabulaire de l'homosexualité masculine sous l'Ancien Régime, Paris : Cherche midi, 2014, page 166.

« Le maître ne marchera pas à la procession derrière un jeune jésuite, comme on a fait dans un beau village de Montauban ; il n’est pas de ce goût. »
Voltaire, Les Honnêtetés littéraires (1767), vingt-deuxième honnêteté.

« On assure qu’il [Monvel] nous quitte pour aller en Suède; mais on n’est pas d’accord sur les motifs de cette retraite. Ses amis l’attribuent aux dégoûts qu’il a éprouvés de la part de ses camarades, au mauvais état de ses affaires; mais ces raisons ne paraissant pas suffisantes, on en a cherché de plus réelles dans les éclats scandaleux d’un goût qu’il partage avec plusieurs héros de l’histoire ancienne et moderne, de ce goût que l’illustre historien des Deux Indes [Diderot] a la naïveté de trouver plus facile à concevoir qu’honnête à expliquer, mais qui n’en a pas moins excité toute la colère et toute l’indignation des dames de sa compagnie. »
Correspondance littéraire de Grimm, 1780.

" Les captures des pédérastes étaient très fréquentes sous M. Le Noir [lieutenant de police de 1776 à 1785], et donnaient beaucoup alors beaucoup d'occupation et de profit à celui qui en était chargé. Il y eut beaucoup de méprises et d'abus ; elle [la surveillance] est diminuée, et ces Messieurs s'adonnent librement à leur goût. Voyez PÉDÉRASTIE. "
Peuchet, Article « Inspecteur », in Encyclopédie méthodique, tome 112 (Police et Municipalité), Panckouke, 1791 [BnF Z 8556].

« ... tandis que le Vicomte, avec toute l'ardeur de son goût socratique, devient le Jupiter du plus désirable Ganimède »
Andréa de Nerciat, Les Aphrodites, N° V, quatrième fragment, 1793.

« Le Chevalier : Dans le fait, j’aime les femmes moi, et je ne me livre à ces goûts bizarres que quand un homme aimable m’en presse. Il n’y a rien que je ne fasse alors ; je suis loin de cette morgue ridicule qui fait croire à nos jeunes freluquets qu’il faut répondre par des coups de canne à de semblables propositions ; l’homme est-il le maître de ses goûts ? »
Marquis de Sade, La Philosophie dans le boudoir (1795), I, Paris : Gallimard, 1998, édition Michel Delon.

« [Charles] Fourier, qu’on n’accuse pourtant pas d’avoir eu des goûts socratiques, a étendu fort au delà des barrières accoutumées les relations amoureuses, et que ses spéculations sur l’analogie l’avaient conduit à sanctifier jusqu’aux conjonctions unisexuelles. »
Proudhon, Avertissement aux propriétaires, 1841.

Prosper Mérimée : « Il [Stendhal, alias Henri Beyle] soutenait que tous les grands hommes ont eu des goûts bizarres, et citait Alexandre, César, vingt papes italiens ; il prétendait que ........... lui-même avait eu du faible pour un de ses aides de camp. » H. B., 1850. Réédition Paris : dérives/solin, 1983.
Lire les blancs : Beyle, de Jésus Christ, Jésus Christ,
doctrine de Socrate, Et Saint Jean, que Napoléon.

Une vingtaine, c'est bien ce à quoi on aboutit quand on recherche les papes convaincus ou suspectés d'être sodomites, pour parler le langage de l'époque (recherche ancienne, non conservée).

En 1850, Pierre Joseph Proudhon nota dans ses Carnets :

« Changarnier, Lamoricière, ont rapporté d’Afrique le goût des amours masculines. »

« Ce goût n’est pas rare aujourd’hui parmi les gens de lettres, les artistes et les grands. – On cite entre autres Lherminier, Germain Sarrut, et une foule que j’oublie. Nos mœurs tournent à la pédérastie, terme ordinaire, fatal, du développement érotique dans une nation. »
Proudhon, Carnet n° 8, 1850-1851.

" Épaminondas était adonné à ce goût infâme auquel les Grecs, et surtout les Béotiens et les Lacédémoniens, n'attachaient aucune honte. "
Walckenaer, Biographie Universelle, 1855. Cité par Gide dans le 4e dialogue de Corydon.

« De Groot n’ayant nullement eu la charité de se prêter à ses goûts, Aliocha mourut peu après de langueur. C’est l’Homme aux camélias, ce jeune homme ! »
Edmond et Jules Goncourt, Journal. Mémoires de la vie littéraire de 1851 à 1896, Paris : Fasquelle/Flammarion, 1956, 22 février 1863.

Alfred Delvau : « GOÛT PARTICULIER. La pédérastie ou le gougnottisme, selon le sexe. » (Dictionnaire érotique moderne, 1864).

« Pour que ce goût les acclamât
Minces, grands, d’aspect plutôt mat,
Faudrait pourtant du jeune en somme. »
Verlaine, « L’impénitent », Parallèlement.

« Malédiction sur ce [Paul] Verlaine, sur ce soulard, sur ce pédéraste, sur cet assassin, sur ce conard traversé de temps en temps par des peurs de l’enfer qui le font chier dans ses culottes, malédiction sur ce grand pervertisseur qui, par son talent, a fait école, dans la jeunesse lettrée, de tous les mauvais appétits, de tous les goûts antinaturels, de tout ce qui est dégoût et horreur ! »
Edmond de Goncourt, Journal. Mémoires de la vie littéraire de 1851 à 1896, Paris : Fasquelle/Flammarion, 1956, à la date du 1er juillet 1893.

« Quand il avait découvert qu’il " en était ", il avait cru par là apprendre que son goût, comme dit Saint-Simon, n’était pas celui des femmes.’
Marcel Proust, La Prisonnière, 1922.

Julien Green : « [Robert de Saint Jean] me dit que tout ce qu'on écrira sur ce sujet ne changera rien à l'attitude de la majorité à l'égard des homosexuels, que Corydon est un livre inutile, que l'opposition est beaucoup plus forte aujourd'hui qu'elle ne l'était au moment où Corydon a paru. Sans doute, mais je crois qu'il y a quarante ans le monde, ce qu'on appelle le monde, cinq cents personnes à Paris, n'eût pas admis qu'un homme avouât ses goûts, les affichât, alors qu'aujourd'hui cela ne souffre aucune difficulté, bien au contraire. Deux hommes liés ensemble ne craignent pas de se montrer ensemble dans les salons. Est-ce un progrès dans la tolérance ? Je ne sais pas. Je crois que dans ce domaine aucun résultat n'est acquis de façon définitive. Il se peut que demain il y ait une persécution très dure de l'homosexualité et que le monde revienne sur ses anciennes positions. Du reste, le monde est composé en grande partie d'imbéciles et de lâches, et son opinion est sujette à trop de fluctuations pour qu'on puisse en tenir compte. Je crois que le gros de l'humanité haïra toujours l'homosexuel (je ne dis pas l'homosexuelle), mais dans la rage de l'hétérosexuel contre l'homosexuel, comme le remarquait D. [Robert de Saint Jean], il y a la haine du piéton pour le monsieur qui passe en voiture (mettons) ou si l'on veut la haine de celui qui est furieux, dans son subconscient, de ne pas avoir éprouvé ce qu'éprouve son voisin. " Tu jouis d'un plaisir que j'ignore. Donc je le réprouve et je te déteste ". »
Toute ma vie Journal intégral *** 1946-1950, 1er mai 1950, Paris : Bouquins éditions, 2021.

Roger Vaillant : " le goût des garçons "
Boroboudour, voyage à Bali, Java et autres îles, Paris : Corréa, 1951. Réédité en
2008 par les Éditions du Sonneur (Paris), avec une préface de Marie-Noël Rio.


« Aujourd’hui, les goûts qui sont devenus les miens, mais que je domine, sont tombés dans une telle promiscuité, une si odieuse vulgarité les entoure, une si dégradante ignominie les suit trop souvent que je ne suis plus du tout fier d’en être, presque j’en ai honte. »
Marcel Jouhandeau, NRF, mars 1954.

« C’est dans la loi de la nature, suivant les goûts, peu importe ; le choix de chacun doit être respecté. »
François Mitterrand, Réponse à la question de Gisèle Halimi Si vous êtes élu, est-ce que l’homosexualité cessera d’être un délit ?, dans Choisir, Quel président pour les femmes ?,   1981.

« Le Goût de Monsieur. L'homosexualité masculine au XVIIe siècle ».
Titre d’un ouvrage de Didier Godard (Béziers : H et 0, 2002).

GRAMMAIRIEN

« Ainsi, pour m’exprimer comme le poète dont je cite les vers [G. de Coincy ; cf TROISIÈME SEXE], Cambacérès était grammairien. »
A. Aubriet, Vie de Cambacérès, 1824, p. 141.

GRAND

Paul Bourget : « C'était le collège qui continuait à les lier l'un à l'autre, et les souvenirs d'enfance. Leur enfance ?... Armand, qui tournait la rue Royale et gagnait les Champs-Élysées, se rappela soudain le défilé de la pension Vanaboste, le jeudi, et la promenade trois par trois, sous la surveillance d'un pauvre diable de maître d'étude qui cherchait à se dissimuler parmi les groupes pour avoir l'air d'un passant comme les autres et non pas d'un chien de cour chargé de garder un troupeau d'élèves. Et quel troupeau ! La plupart avait le teint pali, les yeux creusés, un appauvrissement énervé de tout l'être qui disait de secrètes débauches. Que d'ignominies et de bassesses dans ce monde où les plus âgés avaient dix-neuf ans, où les plus jeunes en avaient huit ! Entre les murs de la prison, comme entre les murs du grand lycée où ils se rendaient deux fois par jour, il n'était question que d'infâmes amours entre ces grands et ces petits. Parmi ces amours contre nature, les unes étaient franchement sensuelles et avaient pour théâtres tous les coins déserts de la maison, depuis les dortoirs jusqu'à l'infirmerie. Et parmi les jeunes Français internés dans des collèges semblables, combien participaient à cette luxure, et les autres se salissaient l'imagination en la repoussant ! Il y avait aussi entre ces collégiens des liaisons exaltées et chastes. La lecture d'une certaine églogue de Virgile, d'un dialogue de Platon, de quelques sonnets de Shakespeare montaient la tête aux plus littéraires, et Alfred Chazel avait un jour reçu, étant en troisième, une pièce de vers écrite par un rhétoricien de Henri IV, qui commençait par ce vers prodigieux dont ils avaient ri comme des fous :
Alfred, mon pâle Alfred, mon Aimé, mes Délices... »
Un Crime d'amour, Paris : Alphonse Lemerre, 1886.

« La plaie des collèges de Jésuites, ce sont les amitiés particulières, du moins en Belgique. Ordinairement les amitiés ne se manifestent qu’entre grands et petits, la grande division et la petite division, comme se nomment généralement les deux catégories d’élèves. Comme les grands et les petits ne peuvent se parler et n’ont pas de contact entre eux, ils s’écrivent (ceux qui ont des amitiés particulières) des lettres enflammées, telles qu’un jeune homme amoureux en écrirait à sa maîtresse. »
Alfred Harou, « Coutumes scolaires », Revue du traditionnisme français et étranger, octobre-novembre 1909.

GRAND-MAÎTRE

« Réponse de M. ***, Grand-maître des enculeurs, et de ses adhérents, à la requête des fouteuses, des maquerelles et des branleuses, demanderesses. »
Les Petits bougres au Manège [1790], sous-titre.

Détournement d’un titre en usage dans diverses circonstances : Templiers, grand-maître de Prusse (XVe siècle), grand-maître des cérémonies (charge créée vers 1580), grand-maître de la garde-robe royale (charge créée en 1669), grand-maître des eaux et forêts.

Jean-Luc Hennig et Pierre Saint-Amand ont relevé des connotations homosexuelles de " petit-maître ", et on en trouverait sans doute de " maître " tout court.

GREC, AMOUR GREC

  La référence à la Grèce est fondamentale pour l’amour masculin (voir Ces petits Grecs…) ; en 1643, une pièce de théâtre de Saint-Évremond, Les Académiciens (Paris : Sanson, 1826), évoquait l’amour des Grecs au sujet de l’abbé et poète François de Boisrobert, membre [fauteuil VI] de la toute récente Académie Française [fondée par Richelieu en 1634] :

« Boisrobert est plaisant autant qu'on saurait l'être ;
Il s'est assez bien mis dans l'esprit de son maître [le cardinal de Richelieu] ;
À tous ses madrigaux il donne un joli tour,
Et ferait des leçons aux Grecs, de leur amour »
(acte I, scène 1)

On peut suspecter un jeu de mots dans ces vers de Molière :

« [Philaminte :] Quoi, Monsieur sait du grec ? Ah ! permettez, de grâce,
Que pour l’amour du grec, Monsieur, on vous embrasse. »
Les Femmes savantes, III, 3.

Le duc de Saint-Simon avait parlé de mœurs des Grecs pour plusieurs personnages, de débauches grecques dont le maréchal d’Huxelles n’aurait pas pris la peine de se cacher ; mais il avait aussi incriminé les Italiens par des expressions analogues. Le maréchal de Richelieu a décrit les orgies grecques qui eurent lieu pendant la minorité de Louis XV sous les fenêtres mêmes du jeune roi ; il les interprétait comme l’aboutissement ultime du relâchement des mœurs [l’interprétation resservira …] :

« D’une débauche à l’autre, on vint donc jusqu’à celle des Grecs. »
Mémoires du maréchal de Richelieu, 1790, tome 3, chap. 24.

Dans Le Journal d’un poète, Alfred de Vigny avait noté :

« Toute religion est un Code pénal et criminel réservé pour les méfaits que les lois du monde visible et humain ne peuvent atteindre, par exemple le suicide, l’inceste secret, l’amour saphique, etc. L’amour grec. »

Il n’était pas le premier car en dressant sa liste des « déviations maladives de l’appétit vénérien » (L'Union médicale, juillet 1849), le Dr Claude Michéa avait commencé par l’amour grec, subdivisé en philopédie et tribadisme ;  le Dr Ambroise Tardieu avait étudié longuement « ce vice, que l’Antiquité semblait s’être approprié sous le nom d’amour grec ». C’est sous le même titre que Proudhon plaça une note d’Amour et mariage soulignant la distinction qu’il faisait entre l’amour unisexuel et les pratiques de la sodomie.

On rencontrait encore amour grec dans un article de Lord Alfred Douglas sur le procès d’Oscar Wilde :

« Mes poèmes ont été représentés comme un livre traitant de l’amour grec.
Or ceci est complètement inexact, – le sujet de mes vers est simplement : la poésie.
Un ou deux de mes poèmes concernent, il est vrai, l’amour grec : mais il ne m’est pas possible de m’imaginer que je doive me justifier d’avoir touché à un sujet qui inspira des poètes comme Sophocle, Théocrite, Michel-Ange et [Christopher] Marlowe, pour nommer au hasard. »
« Une introduction à mes poèmes, avec quelques considérations sur l’affaire Oscar Wilde », Revue blanche, 15 juin 1896, p. 486.

Dans une note à la première préface de Corydon, André Gide adopta cette expression pour montrer les limites des points de vue d’Ulrichs et d’Hirschfeld :

« Cette théorie du " troisième sexe " ne saurait aucunement expliquer ce que l’on a coutume d’appeler "l’amour grec" : la pédérastie – qui ne comporte efféminement aucun, de part ni d’autre. »
Corydon, 1ère préface, Collection Folio, 2001 [1924].

Un critique, André Germain, appela Corydon « un livre sur l’amour grec ». L’usage de cette expression a été entretenu par la parution en 1930 d’une Histoire de l’amour grec de George Hérelle ; il s’agissait, pour la plus grande partie, de la traduction d’un texte allemand de 1837, Päderastie, suivie de divers appendices dont un Vocabulaire de l’amour grec, avec un chapitre intitulé L’amour grec à Rome.

« Se faire voir chez les Grecs : se faire posséder sexuellement (d’un homme) »
Grand Robert, 1985.

GUÈBRE

Surnom introduit après la présentation de la pièce de Voltaire Les Guèbres ; la religion orientale des Guèbres comportait l’adoration du feu, et on raillait alors les bougres en leur reprochant de rechercher leur châtiment, la peine du feu.

« Il y a un quai à Paris – celui des Théatins – qui n’a pas plus de vingt-cinq maisons, parmi lesquelles on compte au moins quinze à vingt niches de guèbres dont la réputation n’est plus à faire – les anciens guèbres avaient beaucoup de vénération pour le feu, les nouveaux en ont beaucoup de crainte – […] On vient de faire le dénombrement de tous les guèbres qui sont connus à Paris, leur accroissement est aussi incroyable qu’effrayant ; si la multiplication subite des moines qui ont envahi l’empire chrétien ne préparait pas aux merveilles de la procréation des êtres neutres, on ne croirait pas à la possibilité de leur existence. […] Si la liste de tous les guèbres qui sont à Paris est imprimée avec leur histoire, on assure que ce livre fera le double de l’ Encyclopédie. »

Thévenau de Morande, Le Philosophe cynique, 1771.


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Lettre H