jeudi 20 juillet 2023

LA PHILOSOPHIE NOYÉE EN CAFÉS ET EN FAUSSES CITATIONS

Première page de mon article dans la revue
Esprit, n° 239, janvier 1998pages 200-205.

A /  Ce happening parisien puis national des cafés-philo...
B /  « Mais qu’est-ce donc qu’un débat philosophique ? »...
C /  Les auteurs des siècles passés, au premier rang desquels Platon,...
D /  Encore des citations...
E / Le préjugé relevé et récusé par Hegel,
F / Tempérer la démocratie
G /  Marc Sautet, marxiste convaincu,...


A / Happening parisien puis national des cafés-philo...

... initié par le professeur de philosophie Marc Lucien Sautet, né en 1947 à Champigny sur Marne (Val-de-Marne) - décédé le 2 mars 1998à Paris (XVe) en été 1992 au café des Phares, place de la Bastille, Paris IVe ; chacun put s’y improviser animateur de débat en « ouvrant un café », venir dans ces cafés, s’y exprimer, sans aucun critère imposé de compétence ni effort requis de cohérence, selon la règle du débat-type de Sautet.

Sujet choisi par l’animateur dans les propositions des participants avant que le débat ne commence ; les participants demandent la parole, la prennent dans l’ordre des demandes ; parfois priorité donnée à ceux qui n'ont pas encore parlé. Ce fonctionnement m'évoque à la fois le formalisme démocratique et l’anarchie en acte. Si les êtres humains possédaient les mêmes capacités intellectuelles et les mêmes sentiments, la faculté de philosopher serait équitablement répandue. Or le principe républicain (droits égaux) et celui, nouveau, de l’égalité des chances, ainsi que l’article VI de la Déclaration... de 1789, sont détournés par cette "philosophie" bistrotière et médiatique, (paraphilosophie comme on dit :  parapharmacie). La Déclaration du 26 août 1789 acceptait la « distinction des vertus et des talents » : membre de phrase rajouté lors des débats du 21 août 1789, sur proposition de T. G. de Lally-Tollendal (1751-1830), et qui frôla l’unanimité. Selon le marquis de Condorcet : « Tous les individus ne naissent pas avec des facultés égales […] En cherchant à faire apprendre davantage à ceux qui ont moins de facilité et de talent, loin de diminuer les effets de cette inégalité, on ne ferait que les augmenter. » (Cinq mémoires sur l’instruction publique (1791), Premier mémoire Nature et objet de l’instruction publique)
  Les compétences scientifiques, médicales et techniques, ainsi que les performances sportives, sont encore reconnues.
Gilles Ménage, Dictionnaire étymologique, 1750 [1694].

Lorsqu’il s’agit de philosophie, le plus apédefte [ignorant, sans éducation ; cf Rabelais, Le Cinquième livre, chapitre XVI : " Menez-nous à ces Apedeftes, car nous venons du pays des savants, où je n'ai guère gagné. "] se trouvera promu par des bonnes âmes wokistes au niveau de génie philosophique potentiel à écouter révérencieusement, quitte à mourir d’ennui ... Chacun raconte ou bavarde, tous ont des croyances, des opinions, des certitudes ; hélas !, il ne suffit pas d’avoir une tête, ou de prendre la parole, pour penser. De même qu’il y a une coupure – bachelardienne – entre la connaissance générale et la connaissance scientifique, il y en a une – platonicienne – entre l’utilisation courante du langage et l'activité philosophique caractérisée, selon Monique Dixsaut, par un « usage différent du discours ». 
Cet autre usage du discours présuppose la maîtrise de la langue. Ce qui ne signifie pas qu’un individu puisse être le maître du langage ; il suffira qu’il n’en soit pas la ridicule victime ; le Hongrois libéral Kertbeny prétendait connaître 52 langues, et disait à Baudelaire : " Je ne parle pas, je balbute " ; Baudelaire : " Il n'en connaît évidemment que 51. ".

  En philosophie, la connaissance d'un minimum de  termes techniques permet une pensée exempte de confusions dramatiques. Il faut être un peu philosophe pour reconnaître la philosophie là où elle parle ; l’absolutisation de la règle démocratique est aussi nocive que celle du principe d’autorité car elle écarte le principe de compétence, alors que ni le principe constitutionnel d’égalité des droits, ni la culture véritable, ne supportent d’être subordonnés l’une à l’autre de façon générale et permanente. Faute de reconnaître ce dualisme, tout débat public tourne alors en l’interminable polémique de deux haines (principe de Nicolò Franco).

B /  « Mais qu’est-ce donc qu’un débat philosophique ? »...
... demanda-t-on un jour dans un café-philo parisien. À la différence de « conversation », « dialogue » ou « discussion », débat présente l’inconvénient de suggérer que, comme au Parlement, tous les problèmes puissent se résoudre par un vote majoritaire concluant un affrontement. Bernard Sichère évoqua un jour « une philosophie vivante qui décidait le moment venu de descendre dans la rue », mais l’engagement sartrien ainsi décrit, fondé sur une œuvre, ne saurait être confondu avec un militantisme confus prônant la « mise en commun d’expériences (dans tous les domaines) ». 

  Se plaçant sous le haut patronage de Socrate d’Athènes, les militants de « Philos » ignoraient beaucoup de choses :
a) Socrate pratiquait le dialogue suivi avec un interlocuteur grec librement accepté, non le débat de groupe (exception : Le Banquet) ;
b) Dialogue par ailleurs dissymétrique, fort loin donc d’un « échange avec un semblable ».
c) La philosophie évolua vers la maturité pendant vingt-sept siècles, traversa le totalitarisme chrétien, favorisa l’essor des sciences et des techniques, et se heurta au deux totalitarismes majeurs du siècle dernier (ainsi qu'à l'islamisme en ce présent XXIe siècle) ; les conditions culturelles et sociales qui présidèrent à sa naissance ne sont donc plus réunies.
d) La maïeutique socratique fut construite rigoureusement (cf Platon, Lachès, 184-190), alors que les débats proposés se veulent souvent libérés de toute cohérence pédagogique ou universitaire, de toute rigueur sémantique, de tout lien avec la « corporation » (entendez : les professeurs de philosophie des lycées et des Universités), bref, de tout respect pour le travail intellectuel.

  Idéalement, un programme d’introduction de la philosophie dans la Cité aurait dû opposer :
  1. au quotidien, les concepts (les notions les plus abstraites) ;
  2. à la Révélation (le Verbum judéo-chrétien), la rationalité du Logos grec, le ratio et oratio latin ;  Malebranche, Conversations chrétiennes, Entretien 1 : « Si donc vous n'êtes pas convaincu par la raison, qu'il y a un Dieu, comment serez-vous convaincu qu'il a parlé ? ». Et Jean-Jacques Rousseau, Émile ou de l'Éducation, IV " Profession de foi du vicaire savoyard " : « Ils ont beau me crier : Soumets ta raison ; autant m'en peut dire celui qui me trompe : il me faut des raisons pour soumettre ma raison. »
  3. à l’action/agitation collective, la réflexion (individuelle) ;
  4. au risque, le courage ;
  5. au règne de l’opinion et des médias, enfin, le travail de documentation, le doute et le questionnement.
C /  Les auteurs des siècles passés, au premier rang desquels Platon,...

... mais aussi la plupart de ceux de l’Humanisme puis des Lumières, jugeaient évidemment à regret  que l’esprit philosophique, le « naturel philosophe » (cf Platon, République, V-VI), était l’apanage d’un petit nombre. L’auteur de Sein und Zeit réservait l’engagement dans la pensée « au petit nombre » (Martin Heidegger, Qu’appelle-t-on par penser ?, II, ii ). Formulation proche de celle des Pythagoriciens : « Seul un petit nombre est capable de penser et d’avoir des opinions fondées : seuls en effet, les gens instruits sont dans ce cas, et ils sont en petit nombre ! Si bien qu'évidemment cette faculté ne saurait être étendue au grand nombre. » (Jamblique, vers 242 / 325, Vie pythagorique, § 200, dans Les Présocratiques, Paris : Gallimard, 1988 ; édition Jean-Paul Dumont, collection Bibliothèque de la Pléiade, page 602).

La thèse post-moderne de l’universalité « démocratique » de la philosophie découle logiquement du postulat de l’universalité de la raison ; il s’agit d’une foi, reconnaissait Jean-François Robinet (né en 1947, agrégé de philosophie) : « cette foi fonde à la fois la démocratie et l’ouverture de la philosophie au plus grand nombre » (communication personnelle).
Mais c’est à tort que l’on attribua une telle foi à Diderot ; l’auteur de Jacques le fataliste pensait au  contraire que : « Celui qui osera prononcer dans une question qui excède la capacité de son talent naturel, aura l’esprit faux. Rien n’est si rare que la logique : une infinité d’hommes en manquent. » (Réfutation de l’ouvrage d’Helvétius intitulé L’Homme, IV).
« La véritable manière de philosopher, c’eût été et ce serait d’appliquer l’entendement à l’entendement ; l’entendement et l’expérience aux sens ; les sens à la nature ; la nature à l’investigation des instruments ; les instruments à la recherche et à la perfection des arts, qu’on jetterait au peuple pour lui apprendre à respecter la philosophie. » (Pensées sur l'interprétation de la nature, 1753-1754, XVIII)
Diderot semble avoir modifié son point de vue à la fin de ses Pensées « Hâtons-nous de rendre la philosophie populaire. Si nous voulons que les philosophes marchent en avant, approchons le peuple du point où en sont les philosophes. Diront-ils qu’il est des ouvrages qu’on ne mettra jamais à la portée du commun des esprits ? S’ils le disent, ils montreront seulement qu’ils ignorent ce que peuvent la bonne méthode et la longue habitude. » (Pensées sur l'interprétation de la nature, 1753-1754, XL) 
CONDORCET : « Généreux amis de l'égalité, de la liberté, réunissez-vous pour obtenir de la puissance publique une instruction qui rende la raison populaire, ou craignez de perdre bientôt tout le fruit de vos nobles efforts. N'imaginez pas que les lois les mieux combinées puissent faire un ignorant l'égal de l'homme habile, et rendre libre celui qui est esclave des préjugés. » (Cinq mémoires sur l’instruction publique, 1791, Premier mémoire " Nature et objet de l’instruction publique ", conclusion). Dans sa Vie de Voltaire, Condorcet notait que Voltaire avait rendu « la raison assez simple pour devenir populaire, assez aimable pour ne pas effrayer la frivolité, assez piquante pour être à la mode. »
Une instruction qui rende la raison populaire ; on retrouve ce souhait dans la Constitution de l'An I :
Article 22. - L'instruction est le besoin de tous. La société doit favoriser de tout son pouvoir les progrès de la raison publique, et mettre l'instruction à la portée de tous les citoyens. (Constitution du 24 juin 1793).
Voltaire était sur une autre ligne : « Le roi de Prusse mande que sur mille hommes on ne trouve qu'un philosophe ; mais il excepte l'Angleterre. À ce compte il n'y aurait guère que deux mille sages en France ; mais ces deux mille en dix ans en produisent quarante mille et c'est à peu près tout ce qu'il faut, car il est à propos que le peuple soit guidé, et non pas qu'il soit instruit. Il n'est pas digne de l'être. » (lettre à M. [Étienne Noël] Damilaville, 19 mars 1766). Jean-Jacques Rousseau se désolait de la montée en puissance de nombreux types III hésiodiens (les esprits faux) : « En ce siècle savant, on ne voit que boiteux vouloir apprendre à marcher aux autres. Le peuple reçoit les écrits des sages pour les juger, non pour s’instruire. » (Lettre à Voltaire du 10 septembre 1755).
Selon Kant, « Un public ne peut accéder que lentement aux Lumières. Une révolution n’entraînera jamais une vraie réforme de la manière de penser ; de nouveaux préjugés tiendront en lisière, aussi bien que les anciens, la grande masse irréfléchie. » (Qu’est-ce que les Lumières ?). Il souhaitait que les peuples-rois, qui se gouvernent démocratiquement, ne fassent pas disparaître la classe des philosophes, et ne la réduisent pas au silence (Projet de paix perpétuelle, second supplément). Hegel, enfin, déplora qu’en ce qui concerne la philosophie, « le préjugé semble régner que […] chacun sait tout de suite philosopher » (Phénoménologie de l’esprit, Préface, IV).
Victor HUGO : " Il est étrange qu'on oublie que la souveraineté véritable est celle de l'intelligence, qu'il faut avant tout éclairer les masses, et que quand le peuple sera intelligent, alors seulement le peuple sera souverain. 
" Littérature et philosophie mêlées, " Sur Mirabeau " (1834), VII.
Ces avertissements ne découragèrent pas Michel Onfray de créer son Université populaire ; le Sautet normand remplaça seulement le débat anarcho-démocratique par un cours magistral fort touffu et prenant de haut ses auditeurs supposés ignares...


D /   Encore des citations...
Début de l'article de Guy Coq.

Le reproche que me fit Guy Coq (« La philosophie est à tout le monde », Esprit, n° 239, janvier 1998, pages 205-210), puis Jacques Diament (qui l’avait cité comme une autorité …, Les Cafés de philosophie. Une forme inédite de socialisation par la philosophie, Paris : L’Harmattan, 2001)

d’invoquer des auteurs et leur autorité, n’avait que le seul but obscurantiste d’empêcher qu’on les entende. Si les œuvres de Platon, Montaigne (qui cite constamment), David Hume, Frédéric Nietzsche, Sartre, etc. ne peuvent être invoquées quand on parle de philosophie, que reste-t-il à dire ? Et à lire ? Coq et Diament ?…

   Le registre philosophique et littéraire de la citation est, avec l'allusion, le renvoi, le plagiat, l'annotation, l'index, le lien hypertexte et la référence, une forme d’intertextualité, un moyen de croisement de l'expression et de la pensée avec celles des autres ; la citation et l'annotation furent des liens hypertexte avant le clic du numérique. L'anti-citationnisme systématique est très mauvais signe, signe d'un refus de savoir, donc un des aspects de l'obscurantisme ou épistémophobie ; on le constate hélas assez souvent chez les autodidactes.

L'annotation des notes n'est guère plus pratiquée ; elle l'était encore au XVIIIe siècle :

Pierre Bayle, Dictionnaire historique et critique, édition de 1740.


Denis Bertrand distingue, sur le cas de Montaigne, trois usages de la citation : lien entre les époques, caution et écran (De l'expérience, Paris : Gallimard, 1965).

Nicolas de Malebranche :
Recherche de la vérité..., livre quatrième " Des inclinations, ou des
mouvements naturels de l'esprit ", chapitre VIII, iii " Des livres des faux savants ".


André Gide : « Il est aussi naturel à celui qui emprunte à autrui sa pensée d'en cacher la source, qu'à celui qui retrouve en autrui sa pensée, de proclamer cette rencontre.
Les artistes les plus originaux ne sont pas nécessairement les plus incultes.
Si rare et si hardie que soit une pensée, il ne se peut qu'elle ne s'apparente à quelque autre ; plus vive et plus féconde est sa joie à se retrouver dans le passé des parents. » (Journal, Cuverville, juin 1927).

   Cette rencontre des pensées est une condition nécessaire à la fois de consistance et d’objectivité, et, surtout, découle du caractère social, intersubjectif, du langage. Souvent dans un texte se détache une formule qui fait mouche, que l'on souhaite noter d'abord puis citer avec son contexte et sa référence. La rencontre primaire d'une citation peut être l'occasion d'une retrouvaille secondaire avec une œuvre, voire avec un auteur, pour ceux qui ne sont pas " trop fiers pour s'instruire ". L'anti-citationnisme primaire qualifia la citation de " talonnettes de l'esprit  " ou d' " esprit des autres " (comme Dumas fils  avait pu dire des affaires que c'était " l'argent des autres ") :
Édouard Fournier, L'Esprit des autres, I, Paris : E. Dentu, 1861.

Cet esprit critique du principe de la citation serait bien mieux employé à vérifier les citations qui circulent, notamment sur des pages consacrées sur Internet (abc-citations.com, citations.com, dicocitations.com, dicocitations.lemonde, evene.lefigaro, citation-celebre.leparisien, proverbes-citations.com, bellescitations.com, etc.), soit que leur texte est souvent corrompu (mal transcrit, mal traduit quand il s'agit d'une citation d'origine étrangère), les guillemets absents ou mal placés, la citation mal découpée (ce qui transforme une belle argumentation en affirmation brutale), la référence à la source incomplète ou totalement absente, soit encore que l'on attribue à l'un ce que l'autre écrivit...
« He that has but ever so little examined the citations of writers, cannot doubt how little credit the quotations [citations] deserve [méritent] when the originals are wanting [manquent] ; and consequently how much less quotations of quotations can be relied on [sont fiables]. » John Locke, Essai sur l’entendement humain, IV, xvi, § 11.
" The subject of quotation being introduced, Mr. [John] Wilkes censured it as pedantry. Johnson. ‘No, Sir, it is a good thing; there is a community of mind in it. Classical quotation is the parole of literary men all over the world.’ ". James Boswell [1740-1795], The Life of Samuel Johnson [1709-1784], 1791. J'aime cette " communauté d'esprit ".

Quotations
List of misquotations
HALTE AUX CITATIONS MAL ATTRIBUÉES !


Le comble de la falsification est cette pseudo-citation (à gauche) de Kant pour laquelle on trouve sur Internet deux prétendus originaux :
Die Intelligenz eines Individuums wird an der Menge an Unsicherheiten gemessen, die es aushalten kann.
Die Klugheit eines Menschen wird daran gemessen, wie viel Unsicherheiten er zu ertragen vermag.
Il s'agit en fait d'une phrase d'Olivier Houdé dans son Introduction à L'Intelligence (Paris : PUF, 2021, collection Que sais-je ?).

Les citations les plus colportées, et donc déformées, mal attribuées, mal ciselées, falsifiées, voire inventées, ne sont généralement pas les plus intéressantes pour l'histoire des idées, ce qui relativise la nuisance de ces misquotations. L'exigence d'une transcription correcte est généralement négligée ; copier correctement n'est pas à la portée du premier venu ; on peut vouloir rectifier lorsque ces citations sont utilisées pour une propagande politique ou religieuse, et les compléter lorsqu'une belle argumentation est réduite à une simple affirmation.

Julien Green : « Il y aurait un chapitre à écrire, et même un petit livre, sur les citations inexactes. L'une des phrases les plus malmenées de la littérature française est certainement le " [Console-toi.] Tu ne me chercherais pas si tu ne m'avais trouvé ", de Pascal [Br 553 L 939]. Elle n'est pourtant pas compliquée, en apparence tout au moins, mais recopier exactement un texte est chose difficile. L'attention requise n'est presque jamais donnée toute entière. Souvent aussi, il y a de la part du lecteur un désir inconscient de s'approprier le texte qu'il a sous les yeux et de l'accommoder à sa façon, de le faire sien. On n'oserait dire qu'il veut l'améliorer, et c'est pourtant de cela qu'il s'agit. Dans le cas de la phrase que je cite plus haut, correctement, je l'espère, il y a une obscurité que des générations de lecteurs s'évertuent à dissiper en reproduisant ce texte avec des modifications qui l'alourdissent, non sans l'éclaircir, du reste. " Tu ne me chercherais pas si tu ne m'avais déjà trouvé ", écrit M. Stephen Valot dans son excellent livre sur Pascal. De même André Gide (Journal [1889-1939], éd Pléiade, p. 980). Un religieux, dom Bélorgey, insiste encore plus fortement : " Tu ne me chercherais pas ainsi, si tu ne m'avais déjà trouvé " (Pratique de l'Oraison mentale, I, p.55). Plus étonnant sous la plume de l'abbé Brémond, dans Âme religieuses : " ... si tu ne m'avais pas trouvé ", qui me paraît faible. Paul Valéry, sans citer littéralement la phrase en question, ne laisse pas de la modifier dans le sens que j'ai indiqué " Tu ne me lirais pas si tu ne m'avais déjà compris ! " (Morceaux choisis, p. 264.) Ces quelques exemples que je me suis amusé à noter prouvent, en tout cas, que la phrase de Pascal, dans sa rapidité saisissante, n'est pas immédiatement intelligible. Je la préfère telle qu'il nous l'a laissée, mais pour être aussi régulièrement mal citée, il faut qu'elle nécessite une explication, et cette explication, ce sont les lecteurs en apparence inattentifs qui nous la donnent. " Quand tout le monde a tort, tout le monde a raison ", dit (je crois) Mirabeau. Ce que je reproche à la pseudo-citation que l'on fait de la phrase de Pascal, c'st qu'elle est plus lente et, il faut le dire, un peu plate. Mais il arrive aussi que le lecteur améliore un texte obscur à quoi résiste sa mémoire. Le seul exemple qui me vienne à l'esprit n'est pas des meilleurs, parce que si le lecteur semble avoir raison sur un point de détail, il n'en sollicite pas moins le texte, qui est de Montaigne, et il fait du Montaigne. Je pense, en effet, au " mol oreiller du doute ", oreiller qu'il est inutile de chercher dans le passage en question [III, xiii] pour la bonne raison qu'il ne s'y trouve pas (1). On trouve un " mol chevet "
Folio 482 v°, ajout sur l'exemplaire de Bordeaux (1588) : " O que c'est un doux et mol chevet,
et sain, que l'ignorance et l'incuriosité, à reposer une tête bien faite. "

qui, à mon sens, ne vaut pas le mol oreiller. Ici, le lecteur a fini par imposer sa version d'une phrase si célèbre qu'on ne se dérange plus guère pour la vérifier et dont l'ironie n'est plus sensible. Quant au doute, je gagerais qu'un autre mot qui lui ressemble l'a soufflé à l'oreille de l'inconscient faussaire ; " Que c'est un doux et mol chevet... " Voilà, me semble-t-il, la plume dont est fait ce mol oreiller que des générations de paresseux se passent les uns aux autres comme un objet vénérable qui dispense de réfléchir. »
Toute ma vie Journal intégral *** 1946-1950, 5 avril 1950, Paris : Bouquins éditions, 2021.
1. Oreiller est un hapax des Essais (III, iii, " un meschant oreiller de plume ").

Quelques exemples de citations mal ficelées :

Saint Paul : « Je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas. »
Hannah Arendt, dans What is Freedom ?, attribua la priorité de la découverte de ce conflit intérieur entre la raison et la volonté à Paul de Tarse, Romains, VII :
15 Quod enim operor, non intellego; non enim, quod volo, hoc ago, sed quod odi, illud facio.
16 Si autem, quod nolo, illud facio, consentio legi quoniam bona.
Cependant la connaissance de ce conflit est attestée chez les Grecs anciens (Euripide, Médée, vers 1077-1080) et les Latins, dont le pré-chrétien Ovide (-43 / 17 ou 18), Métamorphoses, VII, 20 :
" Une force inconnue m’entraîne malgré moi ; l’amour me conseille ce que la raison me défend. La vertu se montre à mes yeux, je veux la suivre, et c’est au mal que je m’abandonne. " Sed trahit invitam nova vis, aliudque cupido, mens aliud suadet. Video meliora proboque, deteriora sequor. On est donc en présence d'un arc citationnel.

Homo homini lupus, l'homme est un loup pour l'homme : arc citationnel encore : l'originalité de cette formule de l'écrivain latin Plaute (Asinaria, 495 : Lupus est homo homini, non homo, quom, qualis sit, non gnovit), augmentée par Érasme, citée par Montaigne (Essais, III, 5 : homo homini ou Deus ou lupus), est attribuée à Thomas Hobbes qui la cite effectivement dans l'Epître dédicatoire du De Cive (Sur le citoyen) ;


Tabula rasa, expression latine désignant une tablette d'écriture vierge, est attribuée au philosophe grec Aristote sans donner les termes précis d'Aristote dans son De l'Âme (livre III, chapitre 4, 430a1 : γραμματείῳ ᾧ μηθὲν ἐνυπάρχει ἐντελεχείᾳ, écritoire (tablette) sur lequel rien n'est écrit). On a prétendu que Locke l'avait employée, alors que l'original anglais porte simplement : a white paper, une feuille blanche. Des phrases des Évangiles ou d'Augustin sont attribuées à Pascal ; il est en revanche plus difficile de savoir que " Le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie " est la transposition d'un passage des Lettres de saint Jérôme : Infinita eremi vastitas te terret ?, La vaste étendue du désert t'épouvante-t-elle ?, Lettre XIV, 10, à Héliodore. Des phrases de Cicéron ou de Sénèque sont attribuées à Montaigne, des formules de Montaigne l'étant à Pascal ou à Descartes ;

Internet ne retient que des affirmations là où il y avait argumentation, voire raisonnement. Exemple :

" André Lucas cite Montesquieu : " Ne touchez aux lois que d'une main tremblante ! " et appelle le législateur à ne rien changer. "
Helvétius (1715-1771), : " L’absence totale de passions, s’il pouvait en exister, produirait en nous le parfait abrutissement, et qu’on approche d’autant plus de ce terme qu’on est moins passionné. Les passions sont en effet le feu céleste qui vivifie le monde moral : c’est aux passions que les sciences et les arts doivent leurs découvertes et l’âme son élévation. " De l'esprit, III, chapitre 8, souvent résumé en « Rien de grand ne se fait sans passion » ; pensée également présente chez Diderot, et anticipée chez Montaigne : " La plupart des belles actions de l'âme procèdent et ont besoin de cette impulsion des passions ", Essais, II, xii, page 567 de l'édition Villey, page 601 de l'édition Balsamo/Magnien en Pléiade).
Dans Anthropologie du point de vue pragmatique (§ 81), Kant résume la thèse d’Helvétius : « Rien de grand n’a jamais été accompli dans la monde sans violentes passions, et la Providence elle-même les a sagement implantées dans la nature humaine comme autant de ressorts ».
Cette pensée est souvent attribuée à tort à Hegel : " Rien de grand en ce monde ne s'est fait sans passion, aurait pu dire Nietzsche à la suite de Hegel. " (Dorian Astor, Pourquoi nous sommes nietzschéens, page 279).

La remarque du caractère arbitraire du signe linguistique est assignée à Ferdinand de Saussure, alors qu'on la trouve déjà chez Antiphon, Platon (Cratyle), Montaigne, Locke et Malebranche.

Une idée ancienne, explicitée par Gassendi, Leibniz (" il n'est pas plus vrai ni plus certain que je pense, qu'il n'est vrai et certain que je pense telle ou telle chose ", Remarques sur la partie générale des principes de Descartes), Schopenhauer (Le Monde..., Supplément au livre I, chapitre xix : " De même qu'il n'y a pas d'objet sans sujet, de même il n'y a pas de sujet sans objet, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de connaissance sans quelque chose qui diffère du sujet qui le connaît "), et notée comme triviale par Nietzsche, « Toute conscience est conscience d'un objet » (fragment posthume, début 1873, 19[156]), est considérée par certains comme originale chez Franz Brentano, voire saluée comme une découverte de Husserl, ce que fit Jean-Paul Sartre.

« J'appelle intolérant par principe tout homme qui s'imagine qu'on ne peut être homme de bien sans croire tout ce qu'il croit et qui damne impitoyablement ceux qui ne pensent pas comme lui. »
Jean-Jacques Rousseau ». La suite, qui articule un raisonnement, est intéressante :
Jean-Jacques Rousseau, lettre à Voltaire, 18 août 1756.


Cela méritait bien une prolongation...


Sur la laïcité : J'ajoute contexte et référence de cette bien trop brève citation :
Victor Hugo : « Je veux l'enseignement religieux de l'Église, et non l'enseignement religieux d'un parti. Je le veux sincère et non hypocrite. (Bravo ! bravo !) Je le veux ayant pour but le Ciel et non la Terre. (Mouvement.) Je ne veux pas qu'une chaire envahisse l'autre ; je ne veux pas mêler le prêtre au professeur. Ou si je consens à ce mélange, moi législateur, je le surveille, j'ouvre sur les séminaires et sur les congrégations enseignantes l'œil de l'État, et, j'insiste, de l'État laïque, jaloux uniquement de sa grandeur et de son unité.
Jusqu'au jour, que j'appelle de tous mes vœux, où la liberté complète d'enseignement pourra être proclamée, et en commençant je vous ai dit à quelles conditions, jusqu'à ce jour-là, je veux l'enseignement de l'Église en dedans de l'Église et non dehors. Surtout je considère comme une dérision de faire surveiller, au nom de l'État, par le clergé l'enseignement du clergé. En un mot, je veux, je le répète, ce que voulaient nos pères, l'Église chez elle et l'État chez lui.  » (Assemblée nationale législative, 14 janvier 1850).

Journal de Gide :
« Pourquoi j'acquiesce à la Mythologie païenne, tandis que j'ai la mythologie chrétienne en horreur ? -- Parce que la mythologie païenne éclaire la pensée païenne, tandis que la mythologie chrétienne offusque la droite pensée du Christ. » (Éric Marty, « Considérations sur la mythologie. Croyance et assentiment », BAAG, n° 78-79, avril-juillet 1988).
Quand je fit remarquer à Éric Marty, qui avait alors "lu" le manuscrit, que celui-ci portait " divine pensée " et non "droite", sa réaction fut : " droite faisait protestant "...

« M. André Gide parle de son œuvre propre et de la condition de l'écrivain en plusieurs endroits de ses Nouvelles  pages de journal. Certains de ses propos rappellent diverses remarques déjà formulées par M. Georges Duhamel. D'autres sont plus spécialement gidiens. Celui-ci, par exemple :
" Je lis dans un article de [François] Mauriac, d'ailleurs fort bon et bien intentionné : « Gide a écrit, je crois, que si on l'avait empêché de faire des livres, il se serait tué. » Je n'ai jamais dit cela, et encore moins écrit. Mauriac l'a lu dans un journal, le répète dans un journal, et cette phrase prétentieusement absurde va, grâce aux journaux, être plus lue et commentée qu'aucun de mes livres, ainsi qu'il advient presque toujours des fausses citations qui, comme les monnaies, « chassent les bonnes ». "
  Ce scrupuleux souci du respect de la vérité, du respect de « sa » vérité pourrait-on dire, est une des caractéristiques de M. André Gide. C'est aussi, il faut bien le dire, un de ses plus grands charmes. »
Louis Le Sidaner (né en 1898 à Étaples - décédé en 1985), " Nouvelles Pages d'André Gide ", La Nouvelle Revue Critique, avril 1937, pages 153-154.


Sartre cite « Si Dieu n'existait pas, tout serait permis » comme étant de Dostoïevski ; la phrase de Dostoïevski, dans la troisième partie des Possédés, est bien différente, et se résumerait plutôt en « Si Dieu n'existe pas, je suis entièrement libre ». En 1899, Gide avait su citer correctement :
" Lettre à Angèle (VI), " Friedrich Nietzsche " ", 
in L'Ermitage, volume I, n˚1, janvier 1899.

De Descartes : " Ma troisième maxime était de tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l’ordre du monde… " (Discours de la méthode, III),
Jean-Paul Sartre fit " À partir du moment où les possibilités que je considère ne sont pas rigoureusement engagées par mon action, je dois m'en désintéresser, parce qu'aucun Dieu, aucun dessein ne peut adapter le monde et ses possibles à ma volonté. Au fond, quand Descartes disait : " Se vaincre plutôt soi-même que le monde " il voulait dire la même chose : agir sans espoir. " (L'Existentialisme est un humanisme).

" La qualification morale ou juridique d'un acte n'est pas modifiée par le cours des événements ultérieurs. " (R. Aron : L'opium des intellectuels p 142).
D. L. sur facebook : " Car lorsque les bornes sont dépassées, il n'y a plus de limites ! (Pierre Dac) "
Épictète : " Une fois qu'on a dépassé la mesure, il n'y a plus de limite ". Manuel, XXXIX.
Montaigne : " Puis qu’on a franchi les barrières de l’impudence, il n’y a plus de bride " Essais, II, x.
François Ponsard (1814-1867) : " Quand la règle est franchie, il n'est plus de limite. ". L'Honneur et l'argent, III, 5.
Dac avait plagié.


Albert Einstein : « Le plus beau sentiment du monde, c'est le sens du mystère. Celui qui n'a jamais connu cette émotion, ses yeux sont fermés. » Piquée charcutée sur Internet, sans référence... En cherchant un peu, on trouve une version anglaise bien différente, et enfin l'original allemand :
“ The most beautiful thing we can experience is the mysterious. It is the source of all true art and science. He to whom the emotion is a stranger, who can no longer pause to wonder and stand wrapped in awe, is as good as dead — his eyes are closed. The insight into the mystery of life, coupled though it be with fear, has also given rise to religion. To know what is impenetrable to us really exists, manifesting itself as the highest wisdom and the most radiant beauty, which our dull faculties can comprehend only in their most primitive forms — this knowledge, this feeling is at the center of true religiousness. ”
Albert Einstein, in Mein Weltbild (1931), cité dans Introduction to Philosophy (1935) by George Thomas White Patrick and Frank Miller Chapman. 
" It is enough for me to contemplate the mystery of conscious life perpetuating itself through all eternity, to reflect upon the marvellous structure of the universe which we can dimly perceive, and to try humbly to comprehend even an infinitesimal part of the intelligence manifested in Nature. " As quoted in the Chicago Daily News by Charles H. Dennis. "
Original : " Das Schönste, was wir erleben können, ist das Geheimnisvolle. Es ist das Grundgefühl, das an der Wiege [berceau] von wahrer Kunst und Wissenschaft steht. Wer es nicht kennt und sich nicht mehr wundern, nicht mehr staunen kann, der ist sozusagen tot und sein Auge erloschen. Das Erlebnis des Geheimnisvollen – wenn auch mit Furcht gemischt – hat auch die Religion gezeugt. Das Wissen um die Existenz des für uns Undurchdringlichen, der Manifestationen tiefster Vernunft und leuchtendster Schönheit, die unserer Vernunft nur in ihren primitivsten Formen zugänglich sind, dies Wissen und Fühlen macht wahre Religiosität aus; in diesem Sinn und nur in diesem gehöre ich zu den tief religiösen Menschen. Einen Gott, der die Objekte seines Schaffens belohnt und bestraft, der überhaupt einen Willen hat nach Art desjenigen, den wir an uns selbst erleben, kann ich mir nicht einbilden. Auch ein Individuum, das seinen körperlichen Tod überdauert, mag und kann ich mir nicht denken; mögen schwache Seelen aus Angst oder lächerlichem Egoismus solche Gedanken nähren. Mir genügt das Mysterium der Ewigkeit des Lebens und das Bewußtsein und die Ahnung von dem wunderbaren Bau des Seienden sowie das ergebene Streben nach dem Begreifen eines noch so winzigen Teiles der in der Natur sich manifestierenden Vernunft. " Mein Weltbild, 1934, I, Wie ich die Welt sehe.]
" The source of all true art and science ". Plutôt : " C'est le sentiment fondamental sur lequel se tient le berceau de l'art et de la science véritables. " . Pour Aristote, la philosophie commençait avec l'étonnement. Une citation française d'Albert Einstein donnée entre guillemets qui y supprime le mot de science, il fallait le faire...

Il existe certes un mauvais usage de la citation, noté par La Bruyère et Chamfort : « Il y a des esprits, si je l'ose dire, inférieurs et subalternes, qui ne semblent faits que pour être le recueil, le registre, ou le magasin de toutes les productions des autres génies : ils sont plagiaires, traducteurs, compilateurs ; ils ne pensent point, ils disent ce que les auteurs ont pensé ; et comme le choix des pensées est invention, ils l'ont mauvais, peu juste, et qui les détermine plutôt à rapporter beaucoup de choses, que d'excellentes choses ; ils n'ont rien d'original et qui soit à eux ; ils ne savent que ce qu'ils ont appris, et ils n'apprennent que ce que tout le monde veut bien ignorer, une science aride, dénuée d'agrément et d'utilité, qui ne tombe point dans la conversation, qui est hors de commerce, semblable à une monnaie qui n'a point de cours : on est tout à la fois étonné de leur lecture et ennuyé de leur entretien ou de leurs ouvrages. Ce sont ceux que les grands et le vulgaire confondent avec les savants, et que les sages renvoient au pédantisme. » (Caractères, I, § 62).
« La plupart des faiseurs de recueils de vers ou de bons mots ressemblent à ceux qui mangent des cerises ou des huîtres, choisissant d'abord les meilleures et finissant par tout manger. »
Maximes et Pensées, " Caractères et Anecdotes " (1795).  Mais ce mauvaise usage ne saurait, comme en bien d'autres cas, discréditer le bon.
Voltaire : « Je n'aime point à citer ; c'est d'ordinaire une besogne épineuse ; on néglige ce qui précède et ce qui suit l'endroit qu'on cite, et on s'expose à mille querelles. Il faut pourtant que je cite Lactance, Père de l'Église, qui dans son chapitre XIII, De la colère de Dieu, fait parler ainsi Épicure : " Ou Dieu veut ôter le mal de ce monde, et ne le peut ou il le peut, et ne le veut pas ; ou il ne le peut, ni le veut ; ou enfin il le veut et le peut. S'il le veut, et ne le peut pas, c'est impuissance, ce qui est contraire à la nature de Dieu ; s'il le peut, et ne le veut pas, c'est méchanceté, et cela est non moins contraire à sa nature ; s'il ne le veut ni ne le peut, c'est à la fois méchanceté et impuissance ; s'il le veut et le peut (ce qui seul de ces partis convient à Dieu), d'où vient donc le mal sur la Terre ? ".
L'argument est pressant. »
Questions sur l'Encyclopédie, article " Bien, tout est bien ".

* * * * *

E / Le préjugé relevé et récusé par Hegel, « tout le monde est philosophe », fut colporté par ce phénomène sociologique et médiatique des cafés-philo parisiens, sorte de « mai 68 philosophique » (sans l’humour ni l’imagination, hélas !), qui vit quelques centaines de nouveaux Monsieur Jourdain (parfois aussi, de nouveaux Dupont-Lajoie), mâles et femelles, s’enticher de philosophie sans la connaître, et trop souvent, non toujours cependant, sans être disposés à faire l’effort de la travailler.

Repérer les frontières de l’ordre du sens après celles de la juridiction de la raison pure, c’est l’une des tâches critiques spécifiques de la philosophie ; or l’exigence de « donner du sens », hors de toute interrogation sur la pertinence de cette notion de sens lorsque l’on en détourne la signification ordinaire (interne à l’ensemble des significations des actes de l’existence humaine) en l’appliquant, de façon élargie, à la globalité de l’aventure humaine, au monde vivant terrestre, ou à l’Univers, écarte les parleurs des cafés, les bistrosophes, de la perspective philosophique qui commence notamment avec le refus nietzschéen du sens à tout prix ; faute de cette interrogation, ils restent contemplateurs des ombres dans la caverne platonicienne. Que la taverne philosophique ait matérialisé cette caverne n’est pas le moindre des paradoxes de l'expérience.

Ces lieux communs : « tout le monde fait de la philosophie », « la philosophie est à tout le monde », témoignent du refus d’aborder l’état de la discipline philosophique, dispositif complexe comportant de nombreux domaines, différentes écoles ou courants, évidemment autres que ceux de la Grèce antique. Le pape Jean-Paul II, dans l’encyclique Fides et ratio, affirmait que « tout homme est, d’une certaine manière, un philosophe » (III, § 40), que « l’homme est naturellement philosophe » (VI, § 64) ; l’ignorance pontificale de la philosophie se révéla lorsqu’il attribua à Platon la paternité, non de dialogues, mais de traités (Introduction, § 1).


F / Tempérer la démocratie

   L’approche confuse et globale négligeant écoles et domaines se conforte de son ignorance, selon le principe de Goya : « Le sommeil de la raison produit des monstres » (Caprices) ; il n’y a rien à apprendre, à étudier, puisque la philosophie « morte » ou « livresque » des auteurs et des professeurs ne recèle aucune valeur actuelle. Cf Éric Auzanneau et Claude Courouve, La Crise des cafés-philo, ou Le Danger de l’obscurantisme, Paris : 1997 (auto-édition) ; et la lecture critique qu'en fit David Sawadogo dans L’Incendiaire, n° 6, juin 1997).

   Il n’y aurait qu’à prendre la parole pour produire, bien au large des « références », de la philosophie enfin « vivante ». Les œuvres des bons auteurs sont ravalées, au nom de je ne sais quoi, au statut minable de « milliards de phrases » écrites par des « êtres morts depuis longtemps » et qui ne mériteraient, tout au plus, qu’un « détour » (Guy Coq, « La philosophie est à tout le monde », Esprit, n° 239, janvier 1998, pages 205-210). L’obscurantisme ou « ignorantisme militant » est décrit par Jean-Claude Milner comme « mépris des savoirs que l’on ne maîtrise pas au nom de sa propre absence de savoir » (De l’École, Paris : Seuil, 1984) ; il voudrait imposer la prévalence de l’utilité immédiate et de l’action/agitation sur la pensée ; la sinistre maxime, d’abord jésuite, puis totalitaire, « la fin justifiera les moyens » s’oppose alors au principe de Luther King, seul principe moral qui pourrait valoir en politique, « les moyens justifient la fin » et cautionne un débat informe par l’argument anti-intellectualiste d’une urgence de l’action politique contre « l’injustice sociale ». Principe moral formulé en 1963 par Martin Luther King (1929-1968) : « Les moyens que nous utilisons doivent être aussi purs que les buts que nous voulons atteindre. » (Révolution non-violente/Why we can’t wait, 1963, chapitre V).
   La confrontation de l’ordre culturel des œuvres avec celui juridique de l’égalité des droits, de la liberté d’opinion et de la justice sociale, fort dommageable sur le plan intellectuel, résulte d’une liberté exercée dans la Cité, aux risques des participants ; on se doit de répondre de manière informée et rationnelle à ceux qui contestent la nécessité d’un tel rappel à l’ordre. Le phénomène des cafés-philo pose la question de la rareté des lieux de discussion, de confrontation, ou de simple convivialité ; mais toute confrontation demande, pour un minimum de chances de succès, un cadre préalablement défini et structuré (tel le choix des amis (amiage) sur facebook). Le café-philo permit en tout cas, comme le remarqua Éric Auzanneau, d’appréhender l’obscurantisme – qui n’est pas la simple ignorance, mais bien plutôt une relation négative au savoir, une véritable épistémophobie – et de tester arguments et techniques propres à le réduire et éventuellement réutilisables dans le champ pédagogique, la question paresseuse « à quoi ça sert ? » étant une des plus fréquentes chez les lycéens et étudiants d'aujourd'hui.

  Selon Jean-François Robinet, une discussion peut être de caractère philosophique si elle est conduite par un philosophe cultivé et ouvert (L’Enseignement philosophique, mars-avril 1997) ; quelques conditions supplémentaires me semblent requises, qui introduisent des « variantes » par rapport au « débat-type » établi par Marc Sautet en 1992 :
- Que la discussion reste centrée sur les commencements de la philosophie : la critique de l’usage courant du langage, l’étonnement, le doute méthodique et la vérification, l’incrédulité, la relation au savoir ; ainsi l’approfondissement des uns pourra avoir une chance de cohabiter heureusement avec l’initiation des autres à la coupure platonicienne.- Que les participants disposent d’instruments parascolaires (dictionnaires, anthologies) leur offrant un tableau général de la discipline philosophique.- Certaines variantes ont été pratiquées : travail sur un texte choisi à l’avance, ou sur un thème annuel ; débats non publics où les participants sont cooptés, etc. Lorsque l’animateur est seul à connaître les complexités de l’univers philosophique, il focalise les préjugés sur les intellectuels, passe pour être « hors de la vie réelle », « perdu dans ses idées », « coupé de la société », et bien entendu « élitiste » ; cela va parfois jusqu’à la haine intellectuelle, qui n’a rien à envier à ses cousines, les haines religieuse, raciale, homophobique ou sociale.
   Lorsque les exigences philosophiques sont ignorées de tous, l’affaire tourne à la satisfaction quasi-générale, selon le principe de Sénèque le Jeune : « Examinez à loisir ce qu’ils font et ce qu’ils souffrent, vous verrez des actes si indignes de personnes d’honneur, d’hommes libres, d’esprits sains, que vous croiriez avoir affaire à une folie furieuse, si les fous n’étaient pas en si grand nombre. Leur multitude est la seule caution de leur bon sens » (Si cui intueri uacet, quae faciunt quaeque patiuntur, inueniet tam indecora honestis, tam indigna liberis, tam dissimilia sanis, ut nemo fuerit dubitaturus furere eos, si cum paucioribus furerent; nunc sanitatis patrocinium est insanientium turba ; cité par Augustin, La Cité de Dieu, VI, x, 1).
Dans Le Figaro du 9 septembre 1996, l’ancien ministre de la culture Philippe Douste-Blazy parla d’une « très forte demande de culture et de philosophie » mais peu avant, l’ancien Premier ministre Édouard Balladur se demanda publiquement à quoi servait la philosophie. L’ancien ministre de l’Éducation nationale, de la Recherche et de la Technologie Claude Allègre (né en 1937, ministre de juin 1997 à mars 2000) s’était dit incertain de l’utilité de cours de philosophie pédagogique : «  Les IUFM doivent être rénovés pour prendre un caractère beaucoup plus professionnel. Je ne pense pas que les cours de philosophie pédagogique soient la première des priorités. En revanche, dispenser des cours sur les solutions à apporter aux problèmes de la drogue et de la violence, sur la façon de se comporter dans un certain nombre de quartiers difficiles, sur les progrès de la cognition et les usages des nouvelles technologies, sur la manière d'enseigner la morale civique, tout cela me paraît beaucoup plus important que des élucubrations abstraites sur la pédagogie abstraite. » (Compte-rendu intégral du Sénat, séance du 30 novembre 1998).
Ce désir de philosophie en tant que « pratique intellectuelle exigeante et radicale » (Dalibor Frioux,  « Psychopathologie de la philosophie », L’Aventure humaine, n° 7, juin 1997), on peut en revanche l’espérer chez les 3 000 professeurs et 4 000 étudiants de cette discipline, car ils devraient savoir que « philosophie immédiate » est contradictio in adjecto, une contradiction entre les termes, que la médiation par les savoirs historique et scientifique, ainsi que la connaissance des grands textes, sont indispensables à l’étude de la philosophie, voire à l’éclosion du philosophe. Le grand public manifeste tout au plus la curiosité inspirée par un objet méconnu ; le café-philo est alors un divertissement,  une occasion de rencontres, parfois agréables, non un lieu de dialogue et de réflexion qui respecterait les exigences de la discipline – ou au moins amorcerait un tel respect (Jacques Bouveresse, La Demande philosophique. Que veut la philosophie et que peut-on vouloir d’elle ?, L’Éclat, 1996).

   Jacques Bouveresse, après Jacques Lacan, fit l’objet d’une exigence de compréhensibilité facile par tous, à la suite de sa leçon inaugurale au Collège de France.
La Recherche, n° 281, novembre 1995, page 5, éditorial non signé intitulé « Vulgariser la philosophie » :
   « La France est un des rares pays qui accorde un certain crédit à la philosophie. La présence de cette discipline au baccalauréat en témoigne, même si les sujets de réflexion proposés aux élèves et le type de réponse qu’on attend d’eux évoquent plutôt les exercices de rhétorique de la IIIe République.  L’intronisation de Jacques Bouveresse au Collège de France relève d’un autre rituel : répondant au vœu de Socrate, notre pays tient à entretenir un philosophe au Prytanée. C’est excellent. Mais on peut se demander si l’idée est vraiment aboutie. Car le philosophe grec ne concevait pas son art autrement qu’enraciné dans la Cité. Il parlait avec les gens. Or il faut bien l’admettre : le texte de la leçon inaugurale de Jacques Bouveresse, pourtant rédigé dans un style pur, dénué du jargon auquel nous ont habitués les Deleuze et Derrida, n’annonce pas une rencontre prochaine entre la philosophie et le peuple. Il est aussi opaque pour un scientifique même cultivé qu’un livre de mécanique quantique pour un paysan du bocage. Mais ne perdons pas espoir ! Il y a peut-être quelque chose à faire pour promouvoir l’esprit philosophique – qui vaut bien l’esprit scientifique. À La Recherche, nous ne désespérons pas de parvenir un jour à vulgariser la philosophie. ».
   Voir la réponse de Jacques Bouveresse dans La Demande philosophique, chapitre I, page 24. Je pense avoir répondu à l’argument qui identifiait l’exercice contemporain de la philosophie à l’activité de Socrate. Il n’y aurait qu’à prendre la parole pour produire, loin des « références », de la philosophie enfin « vivante ». Une philosophie (ou aussi bien une mathématique) compréhensible immédiatement par chacun serait sans consistance et d’apport intellectuel nul. Marc Sautet proclamait qu’il avait montré, contre la « corporation », que la philosophie est accessible à tous ; il commettait la faute logique de considérer comme démontré ce qui reste en question, à savoir : est-ce vraiment de la philosophie qu’élaboraient les parleurs des tavernes ? Avec cette entreprise dite de « démocratisation », le produit fini a-t-il conservé ses qualités essentielles ? Vient immanquablement à l’esprit la constatation d’André Gide : « La valeur spécifique et individuelle cède à je ne sais quelle valeur collective, qui n’a plus de valeur intellectuelle du tout. » (Journal, 13 août 1933 – Paris : Gallimard, collection " Bibliothèque de la Pléiade ").

G /  Marc Sautet, marxiste convaincu,...

... voulait faire jouer à la philosophie, dans les cafés et surtout dans son Cabinet de philosophie, le rôle historique de moyen de transformation du monde ; « Les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de diverses manières ; ce qui importe, c’est de le transformer » (Karl Marx, Thèses sur Feuerbach, 1845).

Luc Ferry (pas encore ministre) à « Bouillon de culture », France 2, 20 décembre 1996 : « J’ai mis cinq ans de ma vie à lire La Critique de la raison pure […] J’aurais envie que les gens comprennent bien que penser par soi-même c’est l’idéal, mais qu’il faut d’abord commencer par penser par autrui ».
Michel Onfray, initiateur en 2002 de l'Université populaire de Caen, commenta ainsi l'expérience des cafés philo : " Faire descendre la philosophie dans la rue (une entreprise qui me passionne, ne suppose pas de devoir la mettre sur le trottoir (un tropisme aussi détestable que de l'enfermer dans un tabernacle ou un reliquaire). La nécessaire Nuit du 4 août en philosophie ne doit pas passer par la surenchère de démagogie, car les têtes philosophiques au bout d'une pique ne suffisent pas à faire une révolution... Je ne veux choisir ni l'Université de Victor Cousin, ni le café philo de Marc Sautet qui constituent, à mon avis, deux impasses pour la discipline. Ni élitisme ; ni démagogie. [...] Laisser croire à un individu que, parce qu'il aura écouté, entendu, participé ou monopolisé le débat, il aura philosophé, voilà qui relève de la forfaiture ! La pratique de la philosophie suppose un apprentissage de la philosophie — exactement comme la pratique d'un instrument de musique ou d'une langue. " (Rendre la raison populaire, Paris : Editions Autrement, 2012 ; Flammarion, collection Librio, 2013)
Les parleurs des tavernes suggèrent une lecture ironique de L’Internationale d’Eugène Pottier (« Nous ne sommes rien, soyons tout ») ; ils  renvoyèrent à Marc Sautet, sous une forme caricaturale, le message pragmatique de John Rawls et de Richard Rorty : « la démocratie a priorité sur la philosophie » et celui, volontariste, de J.-M. Lévy-Leblond : « c’est la primauté accordée à la conscience qui développera la compétence ». Comment pourrait-on en ces lieux répandre l’instruction et favoriser « les progrès de la raison publique », selon le vœu de la Constitution de l’an I, article 22 ?
Marc Sautet au café des Phares, place de la Bastille, Paris
   
   Le civilisé ne se réduit pas au citoyen docile à la correction politique. Il est l’individu entretenant, à la différence du barbare qui vit sous le régime de la horde, de sa bande, de sa tribu ou de sa communauté, un rapport spécifique avec le passé et les œuvres de culture, comme le suggéra Pierre Kaufmann (1916-1995) dans Qu’est-ce qu’un civilisé ? (Paris : Atelier Alpha bleue, 1995 ; opuscule en quatre parties : culture et civilisation, normativité et barbarie, modèles architecturaux, l’éthique civilisatrice).

Jean-Philippe Catonné, " L'actualité de la philosophie morale ", Raison présente, n°127, 3e trimestre 1998.






samedi 15 juillet 2023

INDEX NIETZSCHE (15/16) : LA VÉRITÉ



LA VÉRITÉ (Die Wahrheit)



Les notes entre [ ] sont de moi Cl. C., sauf les passages en allemand, alors mis en italiques.


Fragments posthumes, 1871-1872,
Mp XII 2, hiver 1871-1872 : [1] : « C’est toujours précisément le faux qui est pris au sérieux [Cf La Fontaine, « L’homme est de glace aux vérités, il est de feu pour les mensonges. » (Fables, IX, 6, " Le statuaire et la statue de Jupiter ")] :
Dans la religion – l’historique
Dans l’art – les lectures de distraction
Dans la science – la micrologique, les curiosités, les productions spécifiques
Dans la philosophie – le sot matérialisme. »

Vérité et mensonge au sens extra-moral, 1873,

§ 1 : « Les vérités sont des illusions dont on a oublié qu’elles le sont, des métaphores usées qui ont perdu leur force sensible, des pièces de monnaie qui ont perdu leur effigie et qu’on ne considère plus désormais comme telles mais seulement comme du métal. » [die Wahrheiten sind Illusionen, von denen man vergessen hat, dass sie welche sind, Metaphern, die abgenutzt und sinnlich kraftlos geworden sind, Münzen, die ihr Bild verloren haben und nun als Metall]


Humain, trop humain I, 1878,

IX, L’homme seul avec lui-même, § 483 : Les convictions sont des ennemis de la vérité plus dangereux que les mensonges.
§ 506 : « Ce n’est pas quand il est dangereux de la dire que la vérité trouve le moins de hérauts, mais quand c’est ennuyeux. »
[Cf Platon : « Leurs discours étaient persuasifs, ils n’ont pas dit un seul mot de vrai. Tant de mensonges, je suis habile à parler. A moins qu’ils n’appellent habile à parler celui qui dit la vérité. » (Apologie de Socrate, 17a-c) ;
Malebranche ! « Il faut bien distinguer la force et la beauté des paroles, de la force et de l’évidence des raisons. » (De la Recherche de la vérité, III, iii, 4) ;
Vauvenargues : « Ce que bien des gens, aujourd’hui, appellent écrire pesamment, c’est dire uniment la vérité, sans fard, sans plaisanterie et sans trait. » (Réflexions et maximes, 344) ;
Diderot : « Je parle mal, je ne sais que dire la vérité. » (Le Neveu de Rameau).]
§ 519 La vérité en Circé. : « De bêtes, l’erreur a fait des hommes ; la vérité serait-elle en état de refaire une bête de l’homme ? »

§ 609 L'âge et la vérité. : « La vérité ne dit guère ce qu’elle possède d’esprit sublime que sous un air de simplicité. »

§ 633 : « La passion que l'on a de la vérité a maintenant perdu presque toute valeur au regard de la passion, plus modeste et moins retentissante, de la recherche de la vérité, sans se lasser de réviser et réexaminer ses connaissances. » [das Pathos, dass man die Wahrheit habe, gilt jetzt sehr wenig im Verhältniss zu jenem freilich milderen und klanglosen Pathos des Wahrheit-Suchens, welches nicht müde wird, umzulernen und neu zu prüfen.]


Opinions et sentences mêlées, 1879,
§ 20 : " La vérité ne veut pas de dieux à ses côtés. — La croyance à la vérité commence avec le doute sur toutes les " vérités " crues jusqu'alors. " [Wahrheit will keine Götter neben sich. — Der Glaube an die Wahrheit beginnt mit dem Zweifel an allen bis dahin geglaubten „Wahrheiten“.]


Fragments posthumes, 1876-1880,

U II 5c, octobre-décembre 1876 : [39] : L’état d’esprit philosophique est un fatalisme froid ; la philosophie n’a pas à porter son attention sur les conséquences de la vérité.

N II 3, fin 1876 – été 1877 : [60] : Si l’homme était doué de la connaissance immédiate de la vérité, il ne serait pas passé par l’école de l’erreur ?

N V 4, automne 1880 : 6[441] : « Il n’existe en fait de " vérité " que dans les choses que l’homme invente, par exemple les nombres [Giambattista Vico (1668-1744) expliquait déjà que si les mathématiques atteignent le vrai, c’est parce que l’esprit les fait.]. Il y place quelque chose qu’il retrouve ensuite – telle est la vérité de la nature humaine. Ensuite, la plupart des vérités ne sont en fait que des vérités NÉGATIVES : " ceci n’est pas tel et tel " (bien qu’on les exprime généralement de façon positive.) Là prend sa source tout le progrès de la connaissance. » [„Wahrheit“ giebt es eigentlich nur in den Dingen, die der Mensch erfindet z.B. Zahl. Er legt etwas hinein und findet es nachher wieder — das ist die Art menschlicher Wahrheit. Sodann sind die meisten Wahrheiten thatsächlich nur negative Wahrheiten „dies und das ist jenes nicht“ (obschon meist positiv ausgedrückt.Letztes ist die Quelle alles Fortschrittes der Erkenntniß.]


Aurore, 1881, 1887,

III, § 196 : Les questions les plus personnelles de la vérité.

V, § 424 : « Jusqu’ici, les erreurs se sont révélées être des puissances consolatrices ; on attend maintenant des vérités reconnues les mêmes effets, on trouve le temps un peu long. […] La vérité dans sa totalité et sa cohérence n’est faite que pour les âmes à la fois puissantes et ingénues, joyeuses et pacifiques (comme l’était celle d’Aristote), les seules d’ailleurs qui soient également en état de la chercher : car les autres cherchent des remèdes à leur mal. »
§ 535 : La vérité a besoin de la puissance.


Le Gai Savoir, 1882,
V, § 344 : « L’inutilité et le danger de la " volonté de vérité ", de la " vérité à tout prix " sont constamment démontrés. […] Il pourrait tout aussi bien s’agir de quelque chose de pire [que la volonté de ne pas (se) tromper], d’un principe destructeur hostile à la vie. »


Fragments posthumes, 1882-1885,

N V 9a. N VI 1a, juillet-août 1882 : « Plus abstraite la vérité qu’on veut enseigner et plus ce sont d’abord les sens qu’il faut y attirer. »

W I 1, printemps 1884 : [165] : Caractère négatif de la "vérité" — en tant que suppression d’une erreur, d’une illusion. Mais la naissance de l’illusion a été une exigence de la vie — —. »

N VII 2a, août-septembre 1885 : [4] : « Ne pas " dire la vérité " ; qu’on cause ainsi un dommage est une naïveté. Si la valeur de la vie réside en certaines erreurs auxquelles on croit fortement, le dommage réside dans " dire la vérité " »


Par-delà Bien et mal, Prélude d'une philosophie de l'avenir, 1886,

Préface : À supposer que la vérité soit femme, n'a-t-on pas lieu de soupçonner que tous les philosophes, pour autant qu'ils furent dogmatiques, n'entendaient pas grand-chose aux femmes et que l'effroyable sérieux, la gauche insistance avec lesquels ils se sont jusqu'ici approchés de la vérité, ne furent que des efforts maladroits et mal appropriés pour conquérir justement les faveurs d'une femme ?

I, § 4 : « La fausseté d’un jugement n’est pas pour nous une objection [Einwand] contre ce jugement ; c’est là, peut-être, que notre nouveau langage paraîtra le plus déroutant. La question est de savoir dans quelle mesure un jugement est apte à promouvoir la vie, à la conserver, à conserver l’espèce, voire à l’améliorer, et nous sommes enclins à poser en principe que les jugements les plus faux (et parmi eux les jugements synthétiques a priori) sont les plus indispensables à notre espèce. »

II " L'esprit libre ", § 26 : " Nul ne ment autant que l’Indigné. " [Niemand lügt soviel als der Entrüstete. —]


Généalogie de la morale, 1887,

III, § 24 : « Consultez les philosophies les plus anciennes et les plus récentes : aucune n’a conscience que la volonté de vérité elle-même a besoin d’une justification. C’est là une lacune de toute philosophie. […] Nous devons une bonne fois, et de façon expérimentale, mettre en question la valeur de la vérité. »


Fragments posthumes, 1886-1887,

Mp XVII 3b, fin 1886 – printemps 1887 : [3] : Dans quelle mesure les interprétations [Auslegungen]  du monde sont symptômes d’une pulsion dominante.
[60] : Contre le positivisme, qui en reste au phénomène, « il n’y a que des faits », j’objecterais : non, justement, il n’y a pas de faits, seulement des interprétations [Interpretationen]. Nous ne pouvons constater aucun factum « en soi » : peut-être est-ce un non-sens de vouloir ce genre de chose. « Tout est subjectif », dites-vous : mais ceci est déjà une interprétation [Auslegung], le « sujet » n’est pas un donné, mais quelque chose d’inventé-en-plus, de placé-par-derrière. – Est-ce finalement nécessaire de poser en plus l’interprète [Interpreten] derrière l’interprétation ? Ceci est déjà de l’invention, de l’hypothèse.
Dans la mesure exacte où le mot « connaissance » a un sens, le monde est connaissable : mais il est interprétable [deutbar] autrement, il n’a pas un sens par-derrière soi, mais d’innombrables sens « Perspectivisme ».
Ce sont nos besoins qui interprètent [auslegen] le monde : nos pulsions et leurs pour et contre. Chaque pulsion est une manière de recherche de domination, chacune a sa perspective, qu’elle voudrait imposer comme norme à toutes les autres pulsions.

Crépuscule des Idoles, 1888,

« La "raison" en philosophie »,§ 2: « [ ... ] l'être est une fiction vide. Le monde "apparent" est le seul : le "vrai monde" n'est qu'ajouté par mensonge ... »

" Ceux qui veulent amender l’humanité ", 5 : « Le pieux mensonge, l’apanage de tous les philosophes et prêtres qui ont "amendé" l’humanité … Ni Manu, ni Platon, ni Confucius, ni les Pères du judaïsme et du christianisme n’ont jamais douté de leur droit à mentir … »


L’Antéchrist, 1888,

§ 9 : « Ce qu’un théologien ressent comme vrai doit être faux : voilà un critère à peu près infaillible de la vérité. »
§ 23 : « La vérité et la foi en la vérité de quelque chose : ce sont là deux sphères d’intérêts totalement différentes, presque deux mondes antithétiques – c’est par des voies opposées que l’on parvient à l’un et à l’autre. »
§ 50 : « J’ai foi en ce que la foi donne la béatitude » : par conséquent, elle est vraie … Pris comme critère de la vérité, ce « par conséquent » serait le comble de l’absurde.

§53 : Il est si peu vrai que des martyrs prouvent quoi que ce soit quant à la vérité d’une cause, que je suis tenté de nier qu’aucun martyr ait jamais rien eu à voir avec la vérité [Cf André Gide, Nouvelles nourritures, IV.]. Le ton sur lequel un martyr jette à la face du monde ce qu’il " tient-pour-vrai " exprime déjà un niveau si bas de probité intellectuelle, une telle indifférence bornée pour le problème de la vérité, qu’il n’est jamais nécessaire de réfuter un martyr. La vérité n’est pas quelque chose que l’un posséderait et que l’autre n’aurait pas : seuls des paysans et apôtres de paysans à la Luther peuvent concevoir ainsi la vérité. […] Prendre la "vérité" comme tout prophète, tout adepte d’une secte, tout libre penseur, tout socialiste, tout homme d’Église comprend ce mot, c’est la preuve absolue que l’on n’est pas encore sur la voie de cette discipline intellectuelle, de cet empire sur soi, indispensable pour trouver une vérité, si minime soit-elle.

§ 55 : « Depuis longtemps déjà j’ai proposé que l’on se demande si les convictions ne sont pas des adversaires plus dangereux de la vérité que les mensonges. […] Le " saint mensonge " est commun à Confucius, aux Lois de Manu [mythologie indienne], à Mahomet, à l’Église chrétienne – : il ne manque pas non plus chez Platon. " La vérité est là " : partout où l’on entend ces mots, cela signifie que le prêtre ment. »


Fragments posthumes, 1888,

W II 6a, printemps 1888 : 15[46] : Affirmer que la vérité est là et que c’en est fini de l’ignorance et de l’erreur, c’est là l’une des plus graves perversions qui soient. La « vérité » est […] plus funeste que l’erreur et l’ignorance, parce qu’elle entrave les forces nécessaires pour œuvrer en faveur des Lumières et de la connaissance.

WII 6a, printemps 1888 : 15[52] : La vérité, je veux dire la méthodique scientifique, a été comprise et stimulée par ceux qui y soupçonnèrent un instrument de combat – une arme d’anéantissement… Pour que leur hostilité paraisse respectable, il leur fallait en outre un appareil du genre de ceux qu’ils attaquaient : – ils affichèrent le concept « vérité » tout aussi absolument que leurs adversaires, – ils devinrent des fanatiques, au moins dans leur attitude, parce qu’aucune autre attitude n’était prise au sérieux. [Die Wahrheit, will sagen, die wissenschaftliche Methodik ist von solchen erfaßt und gefördert worden, die in ihr ein Werkzeug des Kampfes erriethen, — eine Waffe zur Vernichtung… Um ihre Gegnerschaft zu Ehren zu bringen, brauchten sie im Übrigen einen Apparat nach Art derer, die sie angriffen: — sie affichirten den Begriff „Wahrheit“ ganz so unbedingt, wie ihre Gegner, — sie wurden Fanatiker, zum Mindesten in der Attitüde, weil keine andere Attitüde ernst genommen wurde.]

W II 7a, printemps-été 1888 : 16[21] : Ce livre [Naissance de la Tragédie] est même antipessimiste : en ce sens qu’il enseigne quelque chose qui est plus fort que le pessimisme, qui est plus divin que la "vérité" : l’art.
16[32] : " Quelle dose de vérité un esprit sait-il supporter, quelle dose de vérité peut-il risquer ? Voilà qui devient pour moi le vrai critère des valeurs. L'erreur est une lâcheté... " [„Wie viel Wahrheit erträgt, wie viel Wahrheit wagt ein Geist?“ — dies wurde für mich der eigentliche Werthmesser. Der Irrthum ist eine Feigheit…]
16[40] : <6> « Il est indigne d’un philosophe de déclarer : le bon et le beau ne sont qu’un : si, en plus, il ajoute "le vrai également", il mérite la bastonnade. La vérité est laide : nous avons l’art afin que la vérité ne nous tue pas. »

Ecce Homo Comment on devient ce qu'on est, octobre 1988 - janvier 1889, publié en 1908,
Avant-propos, § 3 : « Quelle quantité de vérité un esprit sait-il supporter, sait-il risquer ? Voilà qui, de plus en plus, devint pour moi le vrai critère des valeurs. […] Nitimur in vetitum : c'est par ce signe que vaincra un jour ma philosophie, car jusqu’ici on n’a jamais, par principe, interdit que la vérité. — » [Wie viel Wahrheit erträgt, wie viel Wahrheit wagt ein Geist? das wurde für mich immer mehr der eigentliche Werthmesser. [...] Nitimur in vetitum : in diesem Zeichen siegt einmal meine Philosophie, denn man verbot bisher grundsätzlich immer nur die Wahrheit. —]
Ovide : " Nitimur in vetitum semper cupimusque negata ", Amours, III, iv, 17 : " Nous convoitons toujours ce qui nous est défendu, et désirons ce qu’on nous refuse " (traduction  Théophile Baudement, 1838)


INDEX NIETZSCHE (16/16) : LA PROBITÉ
INDEX NIETZSCHE (1/16) : LES PHILOSOPHES, LA PHILOSOPHIE
INDEX NIETZSCHE (3/16) :A / "L'ESPRIT LIBRE", B / LES JOURNALISTES

dimanche 9 juillet 2023

DFHM, CHRONOLEXICOGRAPHIE



613 TERMES RELATIFS À L’HOMO- ET À
l’HÉTÉROSEXUALITÉ MASCULINES


Small blow job - Cornelius MacCarty

Basilica with Three Men by Cornelius McCarthy


   L'Histoire, et plus généralement la connaissance, passe par les textes des bons auteurs et les documents, donc par les mots et expressions d'une langue. Cette liste de 618 termes et expressions datés, ordonnée chronologiquement, dressée à partir du corpus de mon Dictionnaire français de l'homosexualité masculine , version numérique 2023 gratis en ligne très augmentée et bien corrigée du Vocabulaire de l'homosexualité masculine (Paris, Payot, 1985 : proposé à des sommes astronomiques sur Amazon...), fait curieusement apparaître de nombreux cycles, soit des périodes d'inflation lexicale pendant lesquelles l’homosexualité semble un sujet vraiment très discuté (telle le Second Empire), et pas du tout le sujet tabou qu'on a pu dire, suivies certes de périodes de silence relatif, notamment pendant ou peu après les guerres ou troubles sociaux. Nous nous situons, en automne-hiver 2023, vers la fin d'une période d'abondance.

Avant le XVe siècle 

Grande abomination, bougre, bougrerie, sodomie, sodomite, sodomiterie (Coutume de Beauvaisis), 
vers 1235 : amours contre nature (Roman de la rose)

XVe siècle
1456 : péché désordonné, ou bougrerie (mss BnF)
1457 : péché de Sodome

1486 : Cambiserie 
Frédéric Godefroy, Dictionnaire de l’ancienne langue française et de
tous ses dialectes du IXe au XVe siècle, édition de F. Vieweg, Paris, 1881
[Somme rural de Jean Bouteiller]

Renaissance

1532 : bougrisque (Rabelais, Pantagruel)
1532 : Messire Bougrino (Rabelais, Pantagruel)

1534 : bougrin (Rabelais, Gargantua)


1542 : délicat (Jeanne Flore)


1548 : bredache [pour bardache, Rabelais]
1548 : incube (Rabelais)
1548 : succube (Rabelais)

1552 : berger passionné (Rabelais)

1558 : ganymède (Joachim Du Bellay)
1558 : un Jupiter (Joachim Du Bellay)
1558 : Jupiter toscan 
 (Joachim Du Bellay)
1559 : aimer les garçons
1560 : simple paillardise (hétéro)
1560 : sodoméen (Mémoires de Condé)

1564 : duplicité braguettine (Rabelais, Cinquième livre, XXVII)
1564 : je ne sais quoi (Rabelais)

1566 : abomination brutale des Sodomites (Épître contre Calvin)
1566 : bardache
1566 : délices (Maurepas)
1566 : paillardises contre nature
1566 : volupté de paillardise bestiale des sodomites (Paradin de Cuyseaux)
1567 : paillard (hétéro)

1572 : amour des mâles (Amyot traducteur de Plutarque)
1573 : amour d’homme à homme (Pontus de Tyard, puis La Mothe Le Vayer en 1630)


1575 : début du règne d'Henri III
1575 : bougeron (Thevet)
1576 : ganymédien
1576 : impudique [adj.]
1576 : mignon

1578 : aimer les mâles
1578 : bougeronnerie (Mémoires anonymes)
1578 : fouille-merde
1578 : amour socratique (traduction de Ficin)
1578 : sodomiste
1579 : amour platonique et socratique (traduction de Franco)
1580 : bougeron (de La Porte)
1580 : cynède (Jean Bodin)
1580 : licence grecque (Montaigne)
1580 : pédérastie (Jean Bodin)
1580 : pédicon (Jean Bodin)
1581 : autre conjonction (hétéro) (Montaigne)
1581 : confrérie (Montaigne)
1581 : paillarder (hétéro, Cabinet du Roi de France)
1581 : bardacher (Cabinet du Roi de France)
1581 : bardachiser (Cabinet du Roi de France)
1582 : affection masculine (traduction de Lucien par Filbert Bretin)
1582 : ami amoureux (traduction de Lucien)
1582 : amitié amoureuse (traduction de Lucien)
1582 : amour des femmes (hétéro, traduction de Lucien)
1582 : amour des garçons (traduction de Lucien)
1582 : amour(s) masculin(e)(s) (traduction de Lucien) 
1582 : concupiscence masculine (traduction de Lucien)
1582 : efféminer (traduction de Lucien)
1582 : Vénus féminine (hétéro, traduction de Lucien)

1585 : agir (D'Aubigné)
1585 : pâtir (D'Aubigné)

1587 : agent (Bénédicti)
1587 : mollesse (Bénédicti)
1587 : patient (Bénédicti)
1587 : péché contre nature (Bénédicti)
1587 : pédéraste (Bénédicti)
1587 : semer en un champ stérile (Bénédicti)
1587 : sodomitique (Bénédicti)
1588 : Académie (Montaigne)
1588 : beau (subs., Montaigne)
1589 : à la turquesque (La Vie et faits notables de Henri de Valois)


1594 : pédicateur (La Satire Ménippée)

1597 : mignard (Laphrise)

1599 : prendre le lièvre au collet (Agrippa d'Aubigné)
1600 : acculer [enculer]
1600 : infâmeté dénaturée (Le Maçon)

1605 : bande sacrée (L’Isle des Hermaphrodites)
1605 : genre neutre

1608 : abomination des abominations (De l'Estoile)

1610 : bituminie

1616 : androgame (Agrippa d’Aubigné)
1616 : Bathille [terme générique]
1616 : homme-femme (d'Aubigné)
1616 : sacrée société (d’Aubigné)

1618 : péché de philosophie (Vanini)
1618 : vilain péché de Gomorrhe (Malenfant sur Vanini)
1619 : courir la lance contre la lie de pain (Fuzy)
1619 : fellateur (Fuzy)
1619 ; foutre en croupe (Fuzy)
1619 : irrumateur (Fuzy)
1619 : pêcher la fiente à la ligne (Fuzy)

1623 : bougrinière (Parnasse satyrique)
1623 : foutre en cul (Parnasse satyrique)

1626 : étrange mâle (Théophile De Viau)

1629 : empaleur de Gomorrhe (Saint-Amant)
1629 : pêcheur d’étrons (Saint-Amant)
1630 : amour d'homme à femme (hétéro,  La Mothe Le Vayer)

1643 : agyne (Codicilles)
1643 : lesbin (Saint-Amant)
1644 : bourgeois de Sodome (Balzac)

1649 : aimer le genre masculin (Ménage)
1650 : en être (Tallemant des Réaux)
1651 : brougrant  (Scarron)
1651 : bougré  (Scarron)
1651 : bougre à garçons (Scarron)
1651 : coq-à-culs (Miliade)
1651 : croqueur d’andouilles
1651 : garçon-fille (Miliade)
1651 : sodomiser  (Scarron)


1654 : efféminé [subs.]
1654 : enganyméder
1655 : paillardise masculine (La Physionomie humaine)

1661 : boujaronner (Claude Le Petit)
1661 : chaussonneur de cul (Claude Le Petit)

1666 : enconner (hétéro, Maurepas)
1666 : enculer (Maurepas)

1671 : enfant d'honneur (La Fontaine, Contes)

1673 : vice italien

1677 : coniste (hétéro)
1677 : culiste (Maurepas)
1677 : hérétique en fait d'amour ((D'Assoucy, Aventures)

1680 : débauche naturelle (hétéro, lettre à Bussy)
1680 : Vénus Uranie (Racine)

1682 : anticoniste
1682 : débauches ultramontaines (Sourches)
1892 : ultramontain (Souches)

1685 : faire le jésuite (Maurepas)


1688 : amour des non-conformistes (Gilles Ménage)
1688 : crime de non-conformité (Ménage)
1688 : non-conformiste (Ménage)
1688 : non-conformité (Ménage)

1690 : amitiés particulières
1690 : amour contraire (Maurepas)
1690 : faire par derrière (Maurepas)
1690 : humeur italienne (Palatine)
1691 : au rebours (hétéro)
1692 : goût (Saint-Simon)
1692 : goût des femmes (hétéro, Saint-Simon)
1693 : vice à la mode
1694 : crime abominable (Perrault)

1697 : faire en front (hétéro)


1701 : amour pour les garçons (Furetière, 2e édition)
1701 : crime de sodomie (Furetière, 2e édition)
1701 : péché de non-conformité (Furetière, 2e édition)
1701 : péché de sodomie (Furetière, 2e édition)


1705 : camarade (rapport de police)
1706 : équivoque (Boileau)
1706 : habitant de Sodome
1706 : impudicité ordinaire (Bayle mort en 1706)
1706 : impudicité sodomitique (Bayle mort en 1706)
1706 : infamie abominable (Bayle mort en 1706)

1710 : péché philosophique (Jean-Baptiste Rousseau)

1712 : amour socratique (J.-B. Rousseau)
1712 : giton


1714 : usage antiphysique (Voltaire)
1714 : culte hérétique (Voltaire)


1717 : franc du collier (hétéro ; Palatine)
1718 : damoiseau (hétéro)

1721 : défaut capital (Huet)
1722 : arracheur de palissades (Marais)
1722 : tour des mignons

1724 : bardacherie (rapport de police)
1724 : mignon de couchette (Bayle)
1724 : sodomique (Archives de la Bastille)

1726-1729, après le procès de Deschauffours

1726 : être de tout [actif et passif]
1726 : fouterie des hommes (rapport de police)
1726 : infâme [adj.]
1726 : manchette
1726 : ordre de la manchette
1726 : vice du cul (Barbier)
1727 : être de la manchette (rapport de police)
1727 : infâme [subs.]
1728 : frère
1728 : ugober [anagramme de bougre]
1729 : infamie
1729 : fait socratique

1731 : goût des sodomistes (AD 64)
1732 : grand grec
1732 : grand socratique
1733 : ebugor [anagramme de bougre]
1733 : hérétique en terre papale (hétéro ; Voltaire)
1733 : quitter le rond (devenir hétéro ; Voltaire)

1736 : sœur (rapport de police)

1738 : manuéliser (rapport de police à Paris)
1738 : penser dans ce goût (rapport de police à Paris)
1738 : piquoter [sodomiser, rapport de police à Paris]

1741 : préjugé (Gervaise de Latouche, puis Verlaine ; préfigure homophobie)

1743 : manuéliser (Archives Bastille).

1746 : vice philandrique

1748 : entendre le latin (rapport de police)
1748 : être du goût de la manchette (rapport de police)
1748 : goût de la manchette (rapport de police)
1748 : goût de l'infamie (rapport de police)
1748 : goût régulier [hétéro, d'Argenson]
1748 : la manchette (rapport de police)
1748 : vice aveugle [Montesquieu]
1748 : vice odieux (rapport de police)
1749 : goût des garçons (d'Argenson)

1760 : affection naturelle (hétéro)
1760 : conjonctions masculines

1762 : amour honteux (Académie française)
1762 : hermaphrodisme moral (Beaumarchais)

1764 : goût particulier (Grimm)

1767 : usage des garçons (Voltaire)

1770 : ami des hommes
1770 : chevalier de la manchette
1771 : amour antiphysique (Trévoux)
1771 : complaisant (Thévenau de Morande)
1771 : guèbre (Thévenau de Morande)
1771 : péché énorme (Trévoux)
1772 : ces messieurs (Galiani)


1783 : corydon
1784 : échappé de Sodome (Le Vol le plus haut)
1785 : pourceau de Sodome (Sade)
1785 : renculer (Sade)

1787 : Adonis


1790-1793, Révolution française
1790 : amateur
1790 : bardacherie (Bordel apostolique)
1790 : bardachin
1790 : bardachinet
1790 : désenculer [déculer]
1790 : enculeur (Anonyme)
1790 : fouterie naturelle (hétéro)
1790 : jeanfoutrerie (hétéro)
1790 : ramasseur de marrons
1790 : tirer par derrière
1790 : tirer par devant (hétéro)
1791 : fouterie à visage retourné (Mathieu)
1791 : fouterie ordinaire (hétéro)
1791 : Jean-Foutre (hétéro)
1791 : jockai (Mathieu)
1792 : rivette
1793 : andrin (de Nerciat)
1793 : goût des Andrins (de Nerciat)
1793 : goût socratique (de Nerciat)
1793 : rétroactif (de Nerciat)
1793 : rocambole (de Nerciat)
1793 : Villette de l'Olympe (pour Jupiter ; de Nerciat)
1794 : vices secrets (Condorcet)

Directoire, Consulat, Empire

1798 : complaisance (Sade)
1798 : habitudes de collège (Sade)
1798 : socratiser (Mirabeau)
1799 : amour sodomiste (Dupin)
1800 : amour androgin (Dupin)
1800 : amour des hommes (Dupin)
1800 : Vénus Uranie (Dupin)

1802 : mignonisme
1803 : rivancher en prose (Leclair)

1809 : excès contraire (hétérosexualité)

1819 : goût abominable (Dr Pierre Reydellet)

1821 : frégate (Ansiaume)

1824 : grammairien (Aubriet)
1824 : honteuses habitudes (Victor Hugo)
1824 : infâmes débauches (Victor Hugo)
1824 : petit défaut (Aubriet)
1824 : vice de non-conformité (Aubriet)

1826 : Antinoüs (terme générique [Fournier-Verneuil])
1825 : licence de mœurs (Fournier Verneuil)
1826 : Ligurinus (terme générique [Fournier-Verneuil])
1826 : ménage masculin (Delécluze)
1827 : amour viril des Grecs (Edgar Quinet)


1834-1837, Premiers dictionnaires d'argot
1834 : tante (Raspail)
1834 : troisième sexe
1835 : chanteur (Raspail)
1835 : jésus
1836 : une autre voie
1836 : la bonne route (Mlle Quinault, hétéro)
1837 : amphibie (Vidocq)
1837 : canapé (Vidocq)
1837 : corvette (Vidocq)
1837 : descendants des Gomorrhéens (Vidocq)
1837 : emproseur (Vidocq)
1837 : galine (Vidocq)
1837 : jésus (Vidocq)
1837 : monosexie (Pierre-J. Proudhon)
1837 : pédé (Vidocq)
1837 : point de côté (Vidocq)
1837 : rouspant (Vidocq)
1837 : sonnette (Vidocq)
1837 : tinteur (Vidocq)

1841 : goûts socratiques (Pierre-J. Proudhon)
1841 : unisexuel [adj. ; déjà vers 1820 chez Fourier]
1842 : philogyne (Complément Acad., hétéro)
1842 : philogynie (Complément Acad, hétéro)
1843 : patience en pédérastie (Beau)
1843 : pédérastique

1845 : corydon de collège
1846 : chantage
1846 : môme
1846 : pédéro (L’Intérieur des prisons)
1846 : vaisseau
1847 : troisième sexe (Balzac)

1849 : aberration de l'appétit génésique (Dr Jacquot)
1849 : amour grec (Michéa)
1849 : amour unisexuel (Pierre-J. Proudhon)
1849 : philopédie (Michéa)
1849 : rapprochement de sexes semblables (François-Félix Jacquot)
1849 : uranien (Gustave Flaubert)
1850 : affection unisexuelle (Pierre-J. Proudhon)
1850 : goût bizarre (Mérimée/Stendhal)
1850 : goût des amours masculines (Pierre-J. Proudhon)
1850 : œuvre des bains (Flaubert)
1851 : ironie de l'ordre (Flaubert)

Second Empire (1852-1870)

1853 : pédérasterie (H. Viel-Castel)
1854 : tapette (Goncourt)

1857 : folle (Ambroise Tardieu)
1858 : amour androgyne (Pierre-J. Proudhon, hétéro)
1858 : amour bisexuel (Pierre-J. Proudhon, hétéro)
1858 : érotisme homoïousien (Pierre-J. Proudhon)
1858 : homoïousien [adj.]
1858 : système Cordier (Flaubert)
1858 : unisexualité (Pierre-J. Proudhon)
1859 : chevalier de la rosette (Larchey)
1859 : cousine

1861 : lapin (Lorédan Larchey)
1861 : sotadique (Lacroix)
1862 : antiphysitique (Canler)
1862 : caste sodomite (Canler)
1862 : hermaphrodite moral (Casper traduit)
1862 : honteuse (Canler)
1862 : persilleuse (Canler)
1862 : profane (hétéro, Casper)
1862 : rupin (classe de chanteur ; Canler)
1862 : serinette (Canler)
1862 : travailleuse (Canler)
1863 : gitonisme (Goncourt)
1864 : alcibiadiser (Delvau)
1864 : bichon  (Alfred Delvau)
1864 : communier sous les deux espèces (Delvau)
1864 : consommer son Kabyle (Delvau)
1864 : écuyer (Delvau)
1864 : embasicète (Delvau)
1864 : être de la procession (Delvau)
1864 : gougnot (Delvau)
1864 : pédérastie transcendantale (Goncourt)
1864 : pinerie naturelle (hétéro, Delvau)
1864 : tendre sa rosette (Delvau)
1864 : vagin masculin (Delvau)
1865 : chantage gomorrhéen (Moreau-Christophe)
1865 : éphébique (Goncourt)
1865 : riveur (Moreau-Christophe)
1866 : brodeuse (Alfred Delvau)
1866 : entrée des artistes (Alfred Delvau)
1866 : mœurs arabes
1867 : amour sans nom (Paul Gide)
1868 : mignonnage
1868 : socratisme (L’Amour)
1868 : sodomisme
1869 : droits du cul (Friedrich Engels)
1869 : vice grec (Taine)

1871 : ami du derrière
1871 : ami du devant (hétéro)
1871 : société des Émiles (Glatigny)
1873 : amour unisexuel
1874 : alcibiadiser (Delvau)
1874 : fille (Arthur W.)

1876 : habitudes anormales (Germiny, La Tribune)
1877 : germiny (terme générique, La Lanterne)
1877 : germinisme (Flaubert)
1878 : attraction des sexes semblables
1878 ; émigré de Gomorrhe (Rigaud)
1878 : Éphestion (Rigaud)
1879 : philopédique

1881-1902

1881 : bique et bouc (Lorédan Larchey)
1881 : tata (Chautard)
1882 : inversion du sens génital
1883 : chasseur (Dr Pouillet)
1883 : chatte (Alfred Delvau)
1883 : coonanisme
1883 : enfifré (Alfred Delvau)
1883 : masturbant (Dr Pouillet)
1883 : masturbé [Dr Pouillet)
1883 : truqueur (Alfred Delvau)
1884 : amour anormal (Guy de Maupassant)
1884 : amour véritable (Morache, hétéro)
1884 : amours antinaturelles (Guy de Maupassant)
1884 : androgame (Élémir Bourges, Le Crépuscule des dieux)
1884 : mœurs de Sodome (Maupassant)
1885 : gomorrhiste
1885 : puériser (Blondeau)
1885 : vrai amour (La Revue Socialiste, hétéro)
1886 : grand (Bourget)
1886 : inversion sexuelle (Lacassagne)
1887 : amour naturel (François Carlier, hétéro)
1887 : urnien (Carlier)
1888 : Chouart (terme générique, Fiaux)
1888 : conjonction bisexuelle (Fiaux, hétéro) 
1888 : corporation (Delcourt)
1888 : état biologique contre nature (Fiaux)
1889 : amours dans le rang (Verlaine, hétéro)
1889 : amours normales (Verlaine, hétéro)
1889 : bijou (Macé)
1889 : copaille (Maurice Talmeyr, Gil Blas)
1889 : haut rite (Verlaine)
1558 : homme modiste (Macé)
1890 : inverti
1891 : blondin (Frédéric Loliée)
1891 : exercer (Arthur Rimbaud)
1891 : homosexualité (Dr Chatelain)
1891 : homosexuel [subs.] (Dr Chatelain)
1891 : spécial (Verlaine, Hombres)
1891 : unisexuel [subs.]
1892 : homosexuel [adj.]
1893 : empapaouté
1893 : hétérosexuel [adj.] (Dr Moll)
1893 : hétérosexuel [subs] (Dr Moll)
1893 : uranisme
1893 : uraniste [subs.]
1894 : encaldossé (Virmaitre)
1894 : endossé (Virmaitre)
1894 : enfigneur (Virmaitre)
1894 : germinyser (Virmaitre)
1894 : hétérosexualité
1894 : ramasser des marrons (Virmaître)
1895 : chatemite (Virmaître)
1895 : oscariste (Le Jour)
1895 : perversion du sens génital (Pacotte et Raynaud, AAC)
1895 ; terre jaune (Virmaître)
1896 : hellénique (Douglas)
1896 : amour homogénique (traduction de Carpenter)
1896 : amour ordinaire (hétéro ; traduction de Carpenter)
1896 : sexualité contraire
1896 : vice allemand
1897 : adelphisme
1897 : hors-nature (Rachilde)
1898 : pédérastisme (Valéry)
1899 : dissident de l'amour de la femme (Proust, Jean Santeuil ; date approximative)
1900 : casser (se faire) (Nouguier)
1900 : coquine (Nouguier)
1900 : daufer (Nouguier)
1900 : empétaudage (Nouguier)
1900 : figette (Nouguier)
1900 : fiotte (Nouguier)
1900 : galoubet (Nouguier)
1900 : girond (Nouguier)
1900 : glousse [Nouguier)
1900 : lope [Nouguier)
1900 : tantouse (Nouguier)
1901 : salaïsme (Proust, Correspondance)
1901 : salaïste (Proust, Correspondance)
1901 : semi-homosexualité (Jean Crocq)
1902 : antisalaïste (Proust, Correspondance)
1902 : non-conformisme en amour (Alfred Jarry)

1904 : lopette
1904 : m. g. (Marcel Proust, Correspondance ; abréviation de mauvais genre ou de mœurs grecques)
1905 : emmanché (Bruant)
1905 : empétarder (Bruant)
1905 : homo [subs.] (Näcke)
1905 : bisexuel [subs.] (Näcke)

1907 : amour entre hommes (Mirbeau)
1907 : encroupé (Guillaume Apollinaire)
1907 : gérontophile
1907 : mauvais genre (Le Rire)
1908 : amitié athénienne (Remy de Gourmont, Mercure de France)
1908 : amitié charnelle (Remy de Gourmont, Mercure de France)
1908 : demi tante (Marcel Proust, Carnet)
1908 : non tante (Proust, Carnet)
1908 : homosexualisme (Remy de Gourmont)
1908 : normalsexuel (traduction d'Hirschfeld)
1908 : normosexuel (Revue de droit pénal)
1908 : uranien (Revue de Droit pénal et de criminologie)
1909 : hypersexuel (Akadémos)
1909 : pseudo-homosexualité (Routhier)
1909 : pseudo-homosexuel (Routhier)
1909 : supra-viril (Akadémos)

1912 : antihomosexuel (La Plume)

1915 : voyage en terre jaune

1919 : homogénie
1921 : Charlus (terme générique, Marcel Proust, Sodome et Gomorrhe I)
1921 : insensible (Gide, hétéro)
1922 : dissident de l'amour de la femme (Proust, Jean Santeuil, posthume)
1922 : efféminement (Proust, Sodome et Gomorrhe II)
1923 : amour des Charlus (Proust, La Prisonnière)
1923 : môme (Proust, La Prisonnière)
1924 : Anti-Corydon (La Lanterne)
1924 : corydonien
1924 : corydonnesque
1924 : encorydonner
1924 : uranique
1925 : corydonisme
1925 : hétéro (Inversions)

1928 : homme à femmes (Louis Aragon, hétéro)
1929 : amour des jeunes garçons (Julien Green)
1929 : amour entre garçons (Julien Green)
1929 : dauphin (Chautard)
1929 : tapetterie (Julien Green)

1931 : autres (hétéro)
1931 : gidisme

1933 : intersexuel (hétéro)

1935 : pédale (Lacassagne)
1935 : pédale qui craque (Lacassagne)
1936 : uranie (Scize)
1937 : argot pédérastique (DuCoglay)
1937 : enculade (Céline)
1937 : enculage en couronne (Céline)
1937 : enfioté (Céline)
1937 : enfioterie (Céline)
1937 : fiotas, fiotum (Céline)
1937 : giron (Céline)
1937 : lapinage (Étiemble)
1937 : mettre (se faire..., Céline)
1937 : miser (Céline, " se faire miser ")
1938 : pédication (Tabet)

1940 : planétaire (Julien Green)

1943 : malédiction (Julien Green)
1944 : tante-fille (Genêt)
1944 : tante-gars (Genêt)

1946 : homosexuellement parlant (Henri Bauche, Le Langage populaire)

1949 : pédérastie spirituelle (Julien Green)
1950 : comme ça (Julien Green)
1950 : prépédérastique (Sartre)

1953 : être de la jaquette (Simonin)
1954 : arcadien
1954 : disciple de Corydon (FUTUR)
1954 : homophile

1956 : licencieux (Mosset)
1957 : androphile
1958 : délit d'homosexualité (Daniel Guérin)

1960 : fléau social

1962 : crime pédérastique (Brassens)

1964 : érotisme d'en face
1964 : jaquette flottante (San-Antonio)
1965 : normal (Arcadie, hétéro)
1966 : intrasexualité

1971 : gazoline
1971 : hétéroflic
1971 : homosexualisation
1972 : bleu tendre (Delpal)
1972 : dissidence sexuelle (Guérin)
1973 : hétérodoxe (Jean-Louis Bory)

1975 : GLH, groupe de libération homosexuelle

1977 : gay
1977 : homophobe
1977 : homophobie
1978 : achrien
1978 : gai
1978 : placard (Dominique Fernandez)
1979 : trick (Renaud Camus)

1981 : hétérosexualiste (Michel Tournier)
1982 : antihomosexualité (Michel Foucault)
1982 : monosexualité (Michel Foucault)
1983 : planète (Lucien Daudet via Robert de Saint Jean)
1983 : terrien (hétéro, Lucien Daudet via Robert de Saint Jean)

1995 : folle chiraquienne
1995 : antisodomie (Hervé Martin)
1996 : homoparentalité
1997 : gaytitude
1997 : hétéronormativité
1997 : homonormalité (Tin)
1997 : Lesbian and gay pride
1997 : LGBT
1997 : queer
1998 : empacté
1998 : homoïté (Bersani)
1998 : hyperhomophile (Le Roy Ladurie)
1998 : pacsiste
1998 : pactisé
1999 : gayment correct
1999 : outing (Têtu)
2000 : backroom
2000 : homoparental(e)
2000 : transhomosexualité (Corraze)
2001 : anti-gay (Le Monde)
2001 : anti-homophobe (Gaytudiant)
2001 : gay friendly
2001 : hétérocentrisme
2001 : hétéronormatif (Queer factory)
2001 : hétéroparental
2001 : homoconjugalité
2001 : homophobique (AFP)
2001 : straight (Monique Wittig)
2002 : Église invisible (Michel Leiris)
2002 : homoparentalité (Sénat)
2002 : homosocialité
2002 : Marche des fiertés lesbiennes, gaies, bi et trans
2002 : tafiole
2002 : tarlouze (Renaud)
2003 : bareback
2003 : follitude
2003 : hétérophobie
2003 : hétérosexisme (Tin)
2003 : LGBTQ
2003 : non-LGBT (hétéro)
2004 : altersexualité
2004 : altersexuel
2004 : coparenté (Duteurtre)
2004 : fiotterie
2004 : langage tapette (Têtu)
2004 : regayifier (Têtu)
2005 : gayphobie
2005 : gayrilla
2005 : hétérosexiste
2005 : holebi
2005 : homofamille
2005 : homosexophobie
2005 : transpédégouine (Panik Qulture)
2006 : hétéroparent
2006 : non-hétérosexuel
2007 : aimer à l'endroit (hétéro)
2007 : antihomophobie
2008 : bord
2009 : LGBTphobies
2009 : tarlouzitude
2010 : identité de genre
2011 : hétéroland (Corinne Bouchoux, sénatrice)
2012 : hétéroparent
2013 : monosexué (Erwan Binet)
2014 : LGBT-phobe
2015 : gaydar
2015 : sexe neutre (Le Monde)
2016 : biphobie
2016 : hétérofriendly (Têtu)
2016 : hétérote (Miclo)
2016 : homote (Miclo)
2016 : travelophobe (Capitaine Marleau)

2019 : anti-LGBTI
2019 : hétérocisnormé

2021 : cisgay (Contre Culture)
2022 : anti-LGBT+ (Ministère de l'Intérieur)
2023 : hétérofriendly (Frédéric Mitterrand)
2023 : LGB (wikipedia)