DOSSIER DE PRESSE DU
VOCABULAIRE DE L'HOMOSEXUALITÉ MASCULINE
PARIS
: Payot, 1985 ; collection Langages et sociétés dirigée par Louis-Jean Calvet
BCLF : « En
lexicologie, le terme "vocabulaire" désigne généralement un
micro-lexique isolable à l’intérieur de la totalité appelée "lexique"
car autonomisé et conçu à partir d’un référent singulier. Il y a ainsi des
vocabulaires techniques, professionnels ou autres, mais aussi des vocabulaires
"interdits" ou "clandestins" qui, du fait de leur objet, se
situent dans les zones obscures et périphériques du lexique commun. C’est
précisément le cas du vocabulaire de l’homosexualité masculine dont ce livre
propose une présentation synthétique, l’auteur partant du principe que
l’enquête linguistique est encore la meilleure façon d’approcher la complexité
de la question homosexuelle – question le plus souvent commise au silence
depuis des siècles mais que le langage, cependant, reflète multiplement à
travers une "parole" dispersée.
Un des aspects les plus intéressants de cette
enquête est de montrer que le vocabulaire en question ne se compose pas que de
termes négatifs (argotiques notamment) ou en miroir (médicaux,
juridiques) définissant l'homosexualité comme une déviation ou une altération
de la norme, mais encore qu’il peut être appréhendé comme lieu
symbolique de manifestation d’une identité socio-culturelle marginalisée
mais non pas muette et négligeable en fait. Ce vocabulaire, c’est aussi un
"glossaire" aux vocables spécifiques, non réducteurs, issus ni du
mépris, ni d’une simple différence. » (Bulletin critique du livre français,
n° 472, avril 1985)
CANARD ENCHAÎNÉ : « Le
fin exégète du "Monde" (1/11) a bien vu ce qu’il y avait de vicelard
dans cette lettre [du pape aux évêques] : "La nouveauté est que
cette condamnation est étendue aujourd’hui aux simples tendances
homosexuelles." Doux Jésus ! Je lis, dans le "Vocabulaire de
l’homosexualité masculine", de Claude Courouve (Payot), ces définitions
exquises du policier parisien Carlier : "Les prostitués parisiens
tout jeunes prennent le nom de "petits jésus". Lorsqu’ils ont
vieilli, qu’ils ont gagné de l’audace et de l’expérience, ils deviennent des
"jésus"." Avec un peu de bol, ils finissent cardinaux ou
secrétaire particulier de Pie XII. Ce même "Vocabulaire" m’apprend
l’origine de l’étrange expression trouvée danss "Lucien Leuwen", du
regretté Stendhal : "Milord Link est un "évêque de
Clogher", mais ne pas le dire." Il se trouve que, en juillet 1822,
Percy Jocelyn, évêque de Clogher, près de Londres, fut surpris en compagnie
d’un soldat (pas de plomb) dans le "backroom" (déjà !) d’un pub. »
(Jeanne Lacane, "Les calices de l’exploit", Le Canard Enchaîné).
MOTT : « Livre
sérieux, aboutissement de profondes et intelligentes recherches à partir de
sources diversifiées ; c'est un ouvrage indispensable à qui s'intéresse à
l'étude des variantes sexuelles du passé ou du présent. (Luiz Mott, Ciencia
e Cultura [Brésil])
ÉdJ : « La
langue française a ses quartiers réservés. En voici un décrit historiquement
pour la première fois : le tableau n’est sans doute pas complet, mais on
ne peut demander au premier explorateur de tout découvrir dans un tel domaine,
où les textes sont rares et peu repérés.
L'ouvrage est fait d'une série de notices classées alphabétiquement et
illustrées de nombreux exemples : grâce à ce petit dictionnaire, on peut
reconstituer non seulement des moments de l'histoire de la langue, mais de
l'histoire des mœurs aussi ; entre l'hypocrisie et le franc-parler, le langage
est passé par des voies insolites. » (Pierre Enckel, L'Événement
du Jeudi, 7-13 février 1985)
GPH / LEROI : « Il
n’existait pas jusqu’à nos jours, et sauf erreur, d’inventaire lexicographique
des discours tenus en langue française sur l’homosexualité masculine. Un
inventaire aussi de l’évolution de ces discours et de leurs éventuelles
filiations. Après dix ans de recherches qui se sont traduites par diverses
brochures (bibliographies, rapports de police, etc.) et articles dans la presse
gaie des années 1975 puis, notamment, dans Universalia 81 et l’Encyclopaedia Universalis 1984, volume 9, Claude Courouve est en mesure de nous faire ce cadeau. Son Vocabulaire de l’homosexualité masculine va du Moyen Âge à nos jours, les XVIe, XVIIe et surtout XVIIIe et XIXe siècles dominant son propos. On trouvera par exemple le sens
et l’origine de termes connus et toujours en vigueur. Quelques-uns de la langue dite vulgaire comme "bougre" (XIIe s.), "en être" (XVIIe s.), "folle", "honteuse", "tante" ou "tapette" (XIXe s.). Quelques autres d’origine savante et tirés du latin comme "contre nature" (XIIIe s.), du grec comme "pédéraste" (XVIe s.) (avec ses dérivés : "pédé", XIXe, et "pédale", XXe), "antiphysique" (XVIIIe s., = contre nature), ou de l’allemand comme "homosexualité" (XIXe s.). On repérera le couple d’identités opposées homosexuel/hétérosexuel et son émergence avec la symétrie " aimer les femmes/les garçons " (XVIe s.) et " coniste/culiste " (XVIIe s.). On aura plaisir à rencontrer des termes tombés en désuétude : "rivette" (XVIIIe s.), "corvette" (XIXe s.), etc. En revanche, il manque peut-être des mots plus utilisés : " homophobie" (que l’auteur a
pourtant introduit en France, semble-t-il), "équivoque",
"fille" ; ou, au contraire, "congénère", "fiotte".
Il est vrai qu’il s’agit là d’un vocabulaire et non d’un dictionnaire porté
naturellement à l’exhausitivité. Plus largement, on comprendra comment on fit
du jeune roi Louis XV un roi hétérosexuel en lui mentant et en
l’impressionnant. On découvrira depuis quand et par qui l’amitié du Christ et
de saint Jean a été interprétée de façon homosexuelle, et quelques autres
choses encore. Et, se détachant de cet ouvrage, on notera l’importance de la
religion (monothéiste, ici le christianisme, catholique et protestant, cf.
"contre nature", "péché", sodomie" …), la mutation de
l’hérésie religieuse en hérésie sociale (cf. "bougre",
"hérétique en amour", "non-conformiste"), la continuation
de l’idéologie religieuse et d’une mentalité bourgeoise par d’autres moyens (un
prétendu athéisme qui dénonce le "vice clérical", notamment à travers
les Jésuites ; le prétendu communisme athée qui parle de "vice
bourgeois" …) Un autre aspect intéressant mis en relief est que les mots
créés tout au long de l’histoire pour signifier un amour qui s’est d’autant
plus dit qu’il ne fallait pas le nommer (selon certains doctes canonistes et
parmi eux quelques saints), forment une longue liste non dénuée de sens.
Foucault nous l’avait appris, l’homosexualité relève de l’ordre du discours, de
l’ordre des discours. Et cela convient parfaitement à Claude
Courouve : " passer par les mots qui ont servi à en parler " pour
aborder la complexité extrême de la question homosexuelle " sans introduire
de biais initial " ; encore peut-on regretter l’absence d’une certaine
vue d’ensemble (quitte à voir celle-ci modifiée au fur et à mesure des
recherches). Le sujet, à travers la problématique de la parole envisagée, fait
ainsi intervenir, dans un cadre multidisciplinaire, histoire de la littérature,
droits canon et pénal, psychanalyse et psychologie, éthologie, sociobiologie,
anthropologie, histoire des mœurs, des sciences et des idées. Et au-delà du
simple fait sexuel auquel on veut parfois la réduire (ce que ne font ni les
meilleurs esprits ni l’auteur), l’homosexualité apparaît à travers cette étude
pour ce qu’elle est, une manière d’être en société, marginale sociologiquement
peut-être (tout du moins encore) mais non pas culturellement marginale.
Loin donc de constituer un simple particularisme, on constate qu’elle
représente une universalité, universalité du temps, de société, de conditions
et de mœurs, une manière d’être au monde. Et l’auteur de souligner avec raison
dans sa préface qu’ " il est aujourd’hui impossible d’envisager une science
de l’homme sans se heurter tôt ou tard à la question homosexuelle. " Un
index (un peu sous-développé mais avec le mérite d’exister, trop d’éditeurs
actuels l’oublient), une bibliographie et, en appendices, des textes des XVIIe,
XVIIIe et XIXe siècles ainsi qu’un index du vocabulaire
de [Marcel] Proust dans la Recherche ajoutent à l’intérêt d’un livre
facile d'accès malgré son érudition et qui met bien en lumière les rapports
entre corps et langage. » (Alain
Leroi, Gai Pied Hebdo, n° 158)
GBB : « A remarkable summa of his recent
research in which the topics that he has shared with us are integrated into
their proper context. [...] The articles are structured so as to begin with the
origin of the word, followed by its vicissitudes through the centuries, with
attention to cognate and contrasting termes. The points made are demonstrated
by about 1000 source citations - piquant, precise, and sometimes unsettling -
so that the book yields a major dividend of an anthology of primary sources.
[...] What perhaps is not clear is that it is in fact three books in one. In
the foreground, of course, is the realm of historical semantics, which the
author handles with superb skill. Then we have materials for the still missing
general history of homosexuality in French literature, a topic whose very
richness has perhaps deterred other scholars. Finally, the book touches on many
episodes of the history of homosexual behavior in France, providing references
to published and unpublished material. » (Dr Wayne R. Dynes, GBB-Cabirion [New York])
altersexualite.com : « Lexique indispensable et
anthologie littéraire, pour les éducateurs, Vocabulaire de l’homosexualité
masculine, de Claude Courouve, Payot, coll. Langages et sociétés
Cet ouvrage de référence porte
bien son titre. Il ne s’agit pas seulement d’un dictionnaire, mais d’un essai
très documenté sur les mots qui, au cours de l’histoire, ont désigné les hommes
homosexuels. 74 articles, une introduction, des annexes et des index font le
point sur ces mots, certains totalement oubliés, d’autres mal compris ou dont
le sens a glissé. L’impressionnant index des auteurs démontre que l’ouvrage est
aussi une anthologie littéraire et historique, avec souvent des textes rares ou
inédits dénichés par le chercheur, qui n’hésite pas non plus à citer les
petites annonces (p. 101) ! Claude Courouve est une personnalité originale
dans le monde altersexuel. Introducteur en France du mot homophobie,
cet érudit a pratiqué les « gay studies » avant la lettre, et s’est
opposé (comme votre serviteur) à la pénalisation des propos homophobes. Cet
ouvrage est issu des recherches qu’il avait menées pour sa thèse de
philosophie.
Le paradoxe : dire ou
taire l’infamie
Dès l’introduction, l’auteur
souligne le paradoxe inhérent au vocabulaire infamant. Si la condamnation
religieuse est sans recours : « Contrairement au meurtre et à
l’inceste, il n’existe en effet dans les Testaments aucun exemple d’acte homosexuel
pardonné ensuite », « le christianisme a dû produire en abondance des
discours sur ce comportement qu’il condamnait, et a parfois paradoxalement fait
connaître ce qu’il souhaitait anéantir » (p. 16). C’est ainsi qu’il faut
comprendre « l’abrogation de l’ancien droit réprimant le crime de sodomie
[…] due bien plus à ce désir de silence […] qu’à une volonté
révolutionnaire » (p. 24). Il note que « à toutes les époques,
l’homosexualité masculine a été imputée aux nations étrangères » (p.
28)
De nombreux articles fort utiles
expliquent l’origine de mots plus ou moins oubliés, mais parfois très utilisés
à une période précise : antiphysique, très répandu au XVIIIe, a
disparu pour une raison évidente, comme bardache, terme méprisant
désignant le garçon passif, ou achrien (néologisme de Renaud Camus),
peut-être parce qu’il n’apportait aucun élément de sens supplémentaire ; bougre
avait beaucoup varié dans son sens avant de désigner les homosexuels, et a
continué après ; homophile tend à disparaître avec la revue Arcadie.
L’article évêque de Clogher m’a beaucoup intéressé : il signale un
fait divers, un évêque arrêté dans une « backroom » avant la lettre,
le 19 juin 1822. Stendhal aurait repris l’expression dans des notes manuscrites
pour Lucien Leuwen, en précisant : « Milord Link est un évêque
de Clogher, mais ne pas le dire », ce qui préfigure la polémique
récente autour de Harry Potter et les Reliques de la Mort, de J.K. Rowling.
Pour les passionnés, il s’agit de Percy Jocelyn, évêque anglican de l’Église
d’Irlande. Il y a aussi de nombreux noms de personnages réels ou inventés qui
ont pu désigner les homosexuels par antonomase : Corydon, Jésus,
Adonis, Vautrin, etc. L’article inversion / inverti nous
rappelle que la distinction entre homosexuel et transgenre était loin d’être
claire (citation de Karl Heinrich Ulrichs : « une âme de femme
prisonnière dans un corps d’homme »). L’article Pédale / Pédé nous
apprend que le mot a pu désigner dans l’argot des voyous, « un gars qui
trahit son copain pour une fille ». L’expression « point de
côté » a désigné un « ennemi des pédérastes », parfois un
« agent des mœurs », au XIXe siècle. Certains mots rarissimes sont
signalés sans faire l’objet d’un article : anandryne, anandre, agyne
(p. 195). La distinction entre sodomite et sodomiste mérite
d’être signalée : « Les noms en –iste désignant souvent les
partisans d’une doctrine ou d’une pratique (tel naturiste), sodomiste
reflète l’idée d’identité homosexuelle, le sentiment d’appartenir, par cet
élément de personnalité, à une catégorie sociologique ».
Certains écrivains sont
omniprésents, comme notre cher Voltaire, qui utilisa « une trentaine de
mots ou expressions, dont agent et patient ». On note que
cette bipartition fonctionnelle [1] n’est pas récente ; elle est constamment
attestée depuis le « pathicus », passif des Romains, et imprègne le
vocabulaire. Certains mots tentaient de contourner cette ornière, comme la
partition proposée par Magnus Hirschfeld entre éphébophiles, androphiles et
gérontophiles. Ce dernier inventa aussi « normosexuel »,
mot dont j’ignorais l’existence quand j’ai forgé « orthosexie » (bien
avant de découvrir grâce à Google books que Renaud Camus avait déjà utilisé le
mot « orthosexuel » jadis). Quelques autres bipartitions sont à
relever : culiste / coniste / anticoniste ; nature /
contre-nature (C’est Platon qui inventa le concept, dans Phèdre, 251
b, et dans Les Lois, 636cd) ; conformiste / non-conformiste.
Claude Courouve signale la dissymétrie du couple homo/hétérosexuel, le second
n’ayant quasiment pas de synonyme.
Une anthologie des normopathes et des rebelles à travers
les âges
L’ouvrage est aussi par la force
des choses une confondante anthologie de l’homophobie (depuis les simples
moqueries jusqu’à l’évocation d’exécutions), qui pourra fournir des extraits
intéressants aux enseignants. Signalons par exemple le Traité des peines et
amendes de J. Duret, de 1572 (art. bougre), qui laïcise les lois du
Lévitique précisant qu’en cas de bestialité, l’humain et la bête doivent être
tués ensemble ! Des propos de Zola sont mémorables (« un inverti
est un désorganisateur de la famille, de la nation, de l’humanité »),
des frères Goncourt sur Verlaine (p. 176), des couplets ironiques sur
l’exécution de Deschauffours, des élucubrations d'Étienne Pivert de
Senancour [2] (texte reproduit en annexe) ; mais Pierre
Joseph Proudhon, souvent cité, mérite la palme : « Tout meurtre
commis par un citoyen quelconque sur le pédéraste […] est excusable. Est réputé
pédéraste le succube et l’incube » (p. 175).
Ces propos virulents font
ressortir par contraste les rares écrivains qui ont osé aller contre la
normopathie : Montaigne, Diderot, ou quelques inconnus, comme le Dr
Alétrino qui notait : « l’influence dépravante exercée sur la
société par les hétérosexuels est plus forte que celle des homosexuels »
(p. 133). Fourier introduisit l’usage du mot unisexuel, quelques années
avant la création d’homosexuel. On relèvera les tâtonnements d’André
Gide, sa condamnation des invertis, corrigée par la suite. La lecture de
certaines citations d’écrivains connus des siècles passés laisse souvent
perplexe, car malgré leur connaissance du grec et du latin, et la traduction en
français de ces textes au XVIe siècle, ils ont pu affirmer sans craindre le
ridicule que ce qu’ils traitaient de vice était une décadence moderne inconnue
des anciens. Rares sont les contre-exemples, comme ces propos de Marie de
Gournay rapportés par Tallemant des Réaux : « À Dieu ne plaise […]
que je condamne ce que Socrate a pratiqué » (p. 170).
Pour la bonne bouche, si je puis
dire, citons pour finir cet extrait d’une annexe édifiante : « L’habitude
de voir ces malheureux a donné à M. Cullerier une grande facilité pour les
reconnaître sur-le-champ, aussi se trompe-t-il rarement à cet égard : la
plus forte preuve qu’il en donne est la disposition de l’ouverture du rectum,
qui présente la forme d’un entonnoir. Ce signe est presque certain, et l’on
peut avoir la presque conviction que ceux qui le présentent sont entachés de ce
vice ; aussi devrait-on, en médecine légale, y faire la plus sérieuse
attention. » (Dr Pierre Reydellet, art. « Pédérastie » du Dictionnaire
des sciences médicales de Panckoucke, 1819). On retrouve ici l’origine de
l’invention du fameux adjectif infundibuliforme par le Dr Tardieu (cf.
Les origines de la sexologie 1850-1900, de Sylvie Chaperon).
[1] Je ne sais pas pour vous, mais quand un
partenaire potentiel me pose en question n°1 « Tu es actif ou
passif », il reste à tout jamais potentiel…
[2] « un organe qui ne fut pas destiné aux
jouissances de l’amour, et que la débauche seule y consacra quand ses caprices
infâmes perdirent la pudeur »
© http://www.altersexualite.com 2008 »
LE MONDE : « Si
le mot qu’a inspiré à lord Alfred Douglas son amitié particulière avec Oscar
Wilde, "l’amour qui n’ose pas dire son nom" , a fait fortune,
l’homosexualité a porté bien des noms infâmes et s’est désignée elle-même en
des termes parfois sophistiqués, souvent ironiques, la plupart du temps presque
médicalement neutres. Dans son Vocabulaire de l’homosexualité masculine,
qui devrait intéresser les profanes aussi bien que les initiés, Claude
Courouve, se présentant comme un lexicographe amateur, chausse les bottes de
l’explorateur professionnel pour défricher de A à Z le vaste continent de l’
" identité de glossaire " homosexuelle, selon le célèbre mot de Proust.
Truffé d'anecdotes, empli de documents médicaux et de références littéraires -
la littérature libertine et les écrivains modernes comme [André] Gide,
Apollinaire, [Marcel] Jouhandeau, [Dominique] Fernandez, [Gabriel] Matzneff,
sont à l'honneur - ce lexique nous renseigne aussi avec érudition sur
l'apparition de certains termes. L’expression " l’amour de l’évêque de
Clogher ", périphrase que l’on trouve chez Stendhal, tire son origine d’un
fait-divers du dix-neuvième siècle : l’évêque de Clogher fut pris en
flagrant délit en compagnie d’un soldat … À la mode au dix-neuvième siècle, le
mot "Germiny" fait passer à la postérité un conseiller municipal de
Paris, surpris dans les toilettes avec un bijoutier. L’expression inspira à
Alphonse Daudet une cruelle réflexion sur son épouse : " On lui
raconterait que je suis un Germiny, qu’elle ne saurait bien si ce n’est pas
vrai. » (R[oland] J[accard], Le Monde, 12 avril 1985)
NO : « Il
est vrai que l'on ne peut guère évoquer l'homosexualité masculine en laissant
de côté la cohorte des désignations qui l'ont, au cours des siècles, magnifiée
ou stigmatisée [...] Claude Courouve a entrepris une exploration systématique
de ce lexique, et le dictionnaire qu'il publie en ce début d'année constitue à
n'en pas douter l'un des plus beaux hymnes qui se puissent imaginer à
l'inventivité du langage et à la beauté des mots, un chant où se mêlent sans
préséances aux vocables les plus sophistiqués et aux références imposées par la
littérature les argots les plus verts forgés dans l'ombre des prisons ou entre
les ruisseaux et les trottoirs. [...] Il nous offre également une petite anthologie
des textes où ces appellations déploient leur force évocatrice. » (Didier
Éribon, Le Nouvel Observateur)
RHLF : « "Quel
que soit le jugement que vous portiez de mes idées, j’espère de mon côté que
vous n’en conclurez rien contre l’honnêteté de mes mœurs." Le temps n’est
plus où l’on devait, comme le docteur Bordeu mis en scène par Diderot dans Le
Rêve de d’Alembert, s’entourer de précautions oratoires avant de parler
d’homosexualité. La sérieuse collection "Langages et sociétés"
a eu raison d’accueillir ce vocabulaire rassemblé par Claude Courouve et la non
moins sérieuse Revue d’Histoire littéraire de la France d’en accueillir
un compte-rendu. La question homosexuelle se présente en grande partie
dans notre civilisation comme une problématique de parole. Comment évoquer ce
qui ne pouvait se dire sans ambages puisque la nomination avait en elle-même
quelque chose de contagieux ? La réponse se trouvait dans la prolifération
de termes et d’expressions, collectionnés par C. Courouve, entre la Renaissance
et aujourd’hui.
Son introduction (pp. 11-32) évoque les
fluctuations du statut tant juridique que social de l’homosexualité masculine
et repère, sans prétention linguistique, quelques-uns des fonctionnements du
discours sur le sujet. L’altérité sexuelle est fréquemment assimilée à la
différence historique (emprunts à l’Antiquité gréco-latine), à la différence
nationale (le vice allemand, italien, ou la transformation de bulgare
en bougre) à la différence religieuse (hérétique, non-conformiste,
ou le jeu métaphorique sur le juif et
l’homosexuel chez [Marcel] Proust (1) ). À côté de ces détours, le vocabulaire
dominant procède par anathèmes (abominable, contre-nature, honteux,
infâme …) ou, au contraire, par euphémisme (amateur, amitié
particulière, mignon …). Le refus de penser l’homosexualité comme
une réalité générale conduit à utiliser comme termes génériques des noms
propres, des noms souvent rendus célèbres par un fait-divers ou un
scandale : les contemporains de la Révolution parlent d’un Villette,
Stendhal d’un évêque de Clogher, [Edmond de] Goncourt d’un Germiny,
[Marcel] Proust de salaïsme (du nom d’Antoine Sala). Autant d’anecdotes
que nous rappelle C. Courouve. La langue courante a accueilli également des
termes d’argot, en particulier de l’argot des prisons : lope, pédale,
tante, tapette. On pourrait ajouter en verlan : race d’ep
(selon l’orthographe de Guy Hocquenghem) ou DP. Certains termes donnent
lieu à une étonnante dérivation : on tire de Corydon, lancé par
[André] Gide, corydonnesque, corydonien, corydonnerie, s’encorydonner !
Pour échapper au jugement de valeur préalable, certains spécialistes créent homosexualité,
hétérosexualité, bisexualité. Enfin l’amour qui n’osait pas dire
son nom, selon la formule de l’ami d’Oscar Wilde, lord Alfred Douglas,
revendique le droit de parler librement et tout d’abord de choisir son nom.
[André] Gide réclame des distinctions entre inversion, homosexualité
et pédérastie, rapportée à son étymologie. À la libération des années
1970 correspondent la diffusion de l’adjectif venu d’Outre-Atlantique gai
et le néologisme arbitrairement créé par Renaud Camus achrien.
Claude Courouve n'entreprend pas de
construire une théorie, il enregistre des occurrences, note des déplacements
lexicaux, avance des hypothèses, dans la riche documentation constituée par les
soixante-dix articles et quelques qui vont d'abominable/abomination à uranisme/uraniste. On
pourrait toujours ajouter de nouvelles fiches. Nerciat aurait pu être plus
systématiquement utilisé : au néologisme andrin, noté ici, se
seraient ajoutés androphile, florentiner (le vice italien), loyoliser
(on parle aussi à l’époque du péché des Jésuites), postdamique,
contamination de postérieur et de Potsdam, résidence résidence de Frédéric II
dont les goûts étaient de notoriété publique). Le nom d’un de ses personnages,
l’abbé Bujaron, évoque l’italien bugiaroni, francisé par Tallemant des
Réaux en bugiarron. La rubrique devant / derrière
s’enrichit avec Nerciat des termes imagés fente / écusson / boutonnière
/ œillet … (2) Sans doute auraient pu également être mis à profit des
travaux qui apportent des documents et qu’on s’étonne de ne pas voir citer (3). Du
moins le lecteur trouve-t-il en appendice du livre de C. Courouve cinq textes
peu connus qui, de La Mothe Le Vayer au Dictionnaire des sciences médicales
de 1819, traitent de l’homosexualité, et un index des termes utilisés par
[Marcel] Proust dans La Recherche (pp. 238-240). C’est donc pour finir à
la littérature que renvoie justement cette étude. La floraison lexicale
s’accompagne d’une extraordinaire invention littéraire comme si la fiction et
le travail formel avaient été longtemps la meilleure réponse à l’interdit
verbal. » (Michel Delon, Revue d'histoire littéraire de la France, janvier-février 1987, pages 169-170).
1. Voir Jeanne Bem, « Le Juif et l'homosexuel dans À la recherche du temps perdu », Littérature, 37, février 1980.
2. Voir le glossaire de Nerciat établi par Apollinaire pour son édition dans la Bibliothèque des curieux
3 Qu'il s'agisse des articles de Pierre Nouveau, « Le péché philosophique ou l'homosexualité au XVIIIe siècle » Arcadie, 254, fév. 1975 et nos suivants ou de Pierre Peyronnet, « Le péché philosophique », Aimer en France 1760-1860, Clermont-Ferrand,1980 ; des essais de Pierre Hahn, Nos ancêtres les pervers. La Vie des homosexuels sous le second empire, Olivier Orban, 1979 ou de J.-P. Aron et R. Kempf, LePénis et la démoralisation de l'Occident, Grasset, 1978 (réédité sous le titre La Bourgeoisie, le sexe et l'honneur).
Frédéric Martel, dans son ouvrage Le rose et le noir - Les homosexuels en France depuis 1968 (Paris : Le Seuil, 1996) citait le mien dans la rubrique Essais culturels (page 427).
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