dimanche 12 avril 2015

DFHM : DOSSIER DE PRESSE DU VHM 1985

DOSSIER DE PRESSE DU

VOCABULAIRE DE L'HOMOSEXUALITÉ MASCULINE

PARIS : Payot, 1985 ; collection Langages et sociétés dirigée par Louis-Jean Calvet



BCLF : « En lexicologie, le terme "vocabulaire" désigne généralement un micro-lexique isolable à l’intérieur de la totalité appelée "lexique" car autonomisé et conçu à partir d’un référent singulier. Il y a ainsi des vocabulaires techniques, professionnels ou autres, mais aussi des vocabulaires "interdits" ou "clandestins" qui, du fait de leur objet, se situent dans les zones obscures et périphériques du lexique commun. C’est précisément le cas du vocabulaire de l’homosexualité masculine dont ce livre propose une présentation synthétique, l’auteur partant du principe que l’enquête linguistique est encore la meilleure façon d’approcher la complexité de la question homosexuelle – question le plus souvent commise au silence depuis des siècles mais que le langage, cependant, reflète multiplement à travers une "parole" dispersée.
  Un des aspects les plus intéressants de cette enquête est de montrer que le vocabulaire en question ne se compose pas que de termes négatifs (argotiques notamment) ou en miroir (médicaux, juridiques) définissant l'homosexualité comme une déviation ou une altération de la norme, mais encore qu’il peut être appréhendé comme lieu symbolique de manifestation d’une identité socio-culturelle marginalisée mais non pas muette et négligeable en fait. Ce vocabulaire, c’est aussi un "glossaire" aux vocables spécifiques, non réducteurs, issus ni du mépris, ni d’une simple différence. » (Bulletin critique du livre français, n° 472, avril 1985)


CANARD ENCHAÎNÉ : « Le fin exégète du "Monde" (1/11) a bien vu ce qu’il y avait de vicelard dans cette lettre [du pape aux évêques] : "La nouveauté est que cette condamnation est étendue aujourd’hui aux simples tendances homosexuelles." Doux Jésus ! Je lis, dans le "Vocabulaire de l’homosexualité masculine", de Claude Courouve (Payot), ces définitions exquises du policier parisien Carlier : "Les prostitués parisiens tout jeunes prennent le nom de "petits jésus". Lorsqu’ils ont vieilli, qu’ils ont gagné de l’audace et de l’expérience, ils deviennent des "jésus"." Avec un peu de bol, ils finissent cardinaux ou secrétaire particulier de Pie XII. Ce même "Vocabulaire" m’apprend l’origine de l’étrange expression trouvée danss "Lucien Leuwen", du regretté Stendhal : "Milord Link est un "évêque de Clogher", mais ne pas le dire." Il se trouve que, en juillet 1822, Percy Jocelyn, évêque de Clogher, près de Londres, fut surpris en compagnie d’un soldat (pas de plomb) dans le "backroom" (déjà !) d’un pub. » (Jeanne Lacane, "Les calices de l’exploit", Le Canard Enchaîné).


MOTT : « Livre sérieux, aboutissement de profondes et intelligentes recherches à partir de sources diversifiées ; c'est un ouvrage indispensable à qui s'intéresse à l'étude des variantes sexuelles du passé ou du présent. (Luiz Mott, Ciencia e Cultura [Brésil])


ÉdJ : « La langue française a ses quartiers réservés. En voici un décrit historiquement pour la première fois : le tableau n’est sans doute pas complet, mais on ne peut demander au premier explorateur de tout découvrir dans un tel domaine, où les textes sont rares et peu repérés.  L'ouvrage est fait d'une série de notices classées alphabétiquement et illustrées de nombreux exemples : grâce à ce petit dictionnaire, on peut reconstituer non seulement des moments de l'histoire de la langue, mais de l'histoire des mœurs aussi ; entre l'hypocrisie et le franc-parler, le langage est passé par des voies insolites. » (Pierre Enckel, L'Événement du Jeudi, 7-13 février 1985)


GPH / LEROI : « Il n’existait pas jusqu’à nos jours, et sauf erreur, d’inventaire lexicographique des discours tenus en langue française sur l’homosexualité masculine. Un inventaire aussi de l’évolution de ces discours et de leurs éventuelles filiations. Après dix ans de recherches qui se sont traduites par diverses brochures (bibliographies, rapports de police, etc.) et articles dans la presse gaie des années 1975 puis, notamment, dans Universalia 81 et l’Encyclopaedia Universalis 1984, volume 9, Claude Courouve est en mesure de nous faire ce cadeau. Son Vocabulaire de l’homosexualité masculine va du Moyen Âge à nos jours, les XVIe, XVIIe et surtout XVIIIe et XIXe siècles dominant son propos. On trouvera par exemple le sens et l’origine de termes connus et toujours en vigueur. Quelques-uns de la langue dite vulgaire comme "bougre" (XIIe s.), "en être" (XVIIe s.), "folle", "honteuse", "tante" ou "tapette" (XIXe s.). Quelques autres d’origine savante et tirés du latin comme "contre nature" (XIIIe s.), du grec comme "pédéraste" (XVIe s.) (avec ses dérivés : "pédé", XIXe, et "pédale", XXe), "antiphysique" (XVIIIe s., = contre nature), ou de l’allemand comme "homosexualité" (XIXe s.). On repérera le couple d’identités opposées homosexuel/hétérosexuel et son émergence avec la symétrie " aimer les femmes/les garçons " (XVIe s.) et " coniste/culiste " (XVIIe s.). On aura plaisir à rencontrer des termes tombés en désuétude : "rivette" (XVIIIe s.), "corvette" (XIXe s.), etc. En revanche, il manque peut-être des mots plus utilisés : " homophobie"  (que l’auteur a pourtant introduit en France, semble-t-il), "équivoque", "fille" ; ou, au contraire, "congénère", "fiotte". Il est vrai qu’il s’agit là d’un vocabulaire et non d’un dictionnaire porté naturellement à l’exhausitivité. Plus largement, on comprendra comment on fit du jeune roi Louis XV un roi hétérosexuel en lui mentant et en l’impressionnant. On découvrira depuis quand et par qui l’amitié du Christ et de saint Jean a été interprétée de façon homosexuelle, et quelques autres choses encore. Et, se détachant de cet ouvrage, on notera l’importance de la religion (monothéiste, ici le christianisme, catholique et protestant, cf. "contre nature", "péché", sodomie" …), la mutation de l’hérésie religieuse en hérésie sociale (cf. "bougre", "hérétique en amour", "non-conformiste"), la continuation de l’idéologie religieuse et d’une mentalité bourgeoise par d’autres moyens (un prétendu athéisme qui dénonce le "vice clérical", notamment à travers les Jésuites ; le prétendu communisme athée qui parle de "vice bourgeois" …) Un autre aspect intéressant mis en relief est que les mots créés tout au long de l’histoire pour signifier un amour qui s’est d’autant plus dit qu’il ne fallait pas le nommer (selon certains doctes canonistes et parmi eux quelques saints), forment une longue liste non dénuée de sens. Foucault nous l’avait appris, l’homosexualité relève de l’ordre du discours, de l’ordre des discours. Et cela convient parfaitement à Claude Courouve : " passer par les mots qui ont servi à en parler " pour aborder la complexité extrême de la question homosexuelle " sans introduire de biais initial " ; encore peut-on regretter l’absence d’une certaine vue d’ensemble (quitte à voir celle-ci modifiée au fur et à mesure des recherches). Le sujet, à travers la problématique de la parole envisagée, fait ainsi intervenir, dans un cadre multidisciplinaire, histoire de la littérature, droits canon et pénal, psychanalyse et psychologie, éthologie, sociobiologie, anthropologie, histoire des mœurs, des sciences et des idées. Et au-delà du simple fait sexuel auquel on veut parfois la réduire (ce que ne font ni les meilleurs esprits ni l’auteur), l’homosexualité apparaît à travers cette étude pour ce qu’elle est, une manière d’être en société, marginale sociologiquement peut-être (tout du moins encore) mais non pas culturellement marginale. Loin donc de constituer un simple particularisme, on constate qu’elle représente une universalité, universalité du temps, de société, de conditions et de mœurs, une manière d’être au monde. Et l’auteur de souligner avec raison dans sa préface qu’ " il est aujourd’hui impossible d’envisager une science de l’homme sans se heurter tôt ou tard à la question homosexuelle. " Un index (un peu sous-développé mais avec le mérite d’exister, trop d’éditeurs actuels l’oublient), une bibliographie et, en appendices, des textes des XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles ainsi qu’un index du vocabulaire de [Marcel] Proust dans la Recherche ajoutent à l’intérêt d’un livre facile d'accès malgré son érudition et qui met bien en lumière les rapports entre corps et langage. » (Alain Leroi, Gai Pied Hebdo, n° 158)


GBB : « A remarkable summa of his recent research in which the topics that he has shared with us are integrated into their proper context. [...] The articles are structured so as to begin with the origin of the word, followed by its vicissitudes through the centuries, with attention to cognate and contrasting termes. The points made are demonstrated by about 1000 source citations - piquant, precise, and sometimes unsettling - so that the book yields a major dividend of an anthology of primary sources. [...] What perhaps is not clear is that it is in fact three books in one. In the foreground, of course, is the realm of historical semantics, which the author handles with superb skill. Then we have materials for the still missing general history of homosexuality in French literature, a topic whose very richness has perhaps deterred other scholars. Finally, the book touches on many episodes of the history of homosexual behavior in France, providing references to published and unpublished material. » (Dr Wayne R. Dynes, GBB-Cabirion [New York]


altersexualite.com : « Lexique indispensable et anthologie littéraire, pour les éducateurs, Vocabulaire de l’homosexualité masculine, de Claude Courouve, Payot, coll. Langages et sociétés
Dimanche 15 juin 2008, par Lionel Labosse
Cet ouvrage de référence porte bien son titre. Il ne s’agit pas seulement d’un dictionnaire, mais d’un essai très documenté sur les mots qui, au cours de l’histoire, ont désigné les hommes homosexuels. 74 articles, une introduction, des annexes et des index font le point sur ces mots, certains totalement oubliés, d’autres mal compris ou dont le sens a glissé. L’impressionnant index des auteurs démontre que l’ouvrage est aussi une anthologie littéraire et historique, avec souvent des textes rares ou inédits dénichés par le chercheur, qui n’hésite pas non plus à citer les petites annonces (p. 101) ! Claude Courouve est une personnalité originale dans le monde altersexuel. Introducteur en France du mot homophobie, cet érudit a pratiqué les « gay studies » avant la lettre, et s’est opposé (comme votre serviteur) à la pénalisation des propos homophobes. Cet ouvrage est issu des recherches qu’il avait menées pour sa thèse de philosophie.
Le paradoxe : dire ou taire l’infamie
Dès l’introduction, l’auteur souligne le paradoxe inhérent au vocabulaire infamant. Si la condamnation religieuse est sans recours : « Contrairement au meurtre et à l’inceste, il n’existe en effet dans les Testaments aucun exemple d’acte homosexuel pardonné ensuite », « le christianisme a dû produire en abondance des discours sur ce comportement qu’il condamnait, et a parfois paradoxalement fait connaître ce qu’il souhaitait anéantir » (p. 16). C’est ainsi qu’il faut comprendre « l’abrogation de l’ancien droit réprimant le crime de sodomie […] due bien plus à ce désir de silence […] qu’à une volonté révolutionnaire » (p. 24). Il note que « à toutes les époques, l’homosexualité masculine a été imputée aux nations étrangères » (p. 28)
De nombreux articles fort utiles expliquent l’origine de mots plus ou moins oubliés, mais parfois très utilisés à une période précise : antiphysique, très répandu au XVIIIe, a disparu pour une raison évidente, comme bardache, terme méprisant désignant le garçon passif, ou achrien (néologisme de Renaud Camus), peut-être parce qu’il n’apportait aucun élément de sens supplémentaire ; bougre avait beaucoup varié dans son sens avant de désigner les homosexuels, et a continué après ; homophile tend à disparaître avec la revue Arcadie. L’article évêque de Clogher m’a beaucoup intéressé : il signale un fait divers, un évêque arrêté dans une « backroom » avant la lettre, le 19 juin 1822. Stendhal aurait repris l’expression dans des notes manuscrites pour Lucien Leuwen, en précisant : « Milord Link est un évêque de Clogher, mais ne pas le dire », ce qui préfigure la polémique récente autour de Harry Potter et les Reliques de la Mort, de J.K. Rowling. Pour les passionnés, il s’agit de Percy Jocelyn, évêque anglican de l’Église d’Irlande. Il y a aussi de nombreux noms de personnages réels ou inventés qui ont pu désigner les homosexuels par antonomase : Corydon, Jésus, Adonis, Vautrin, etc. L’article inversion / inverti nous rappelle que la distinction entre homosexuel et transgenre était loin d’être claire (citation de Karl Heinrich Ulrichs : « une âme de femme prisonnière dans un corps d’homme »). L’article Pédale / Pédé nous apprend que le mot a pu désigner dans l’argot des voyous, « un gars qui trahit son copain pour une fille ». L’expression « point de côté » a désigné un « ennemi des pédérastes », parfois un « agent des mœurs », au XIXe siècle. Certains mots rarissimes sont signalés sans faire l’objet d’un article : anandryne, anandre, agyne (p. 195). La distinction entre sodomite et sodomiste mérite d’être signalée : « Les noms en –iste désignant souvent les partisans d’une doctrine ou d’une pratique (tel naturiste), sodomiste reflète l’idée d’identité homosexuelle, le sentiment d’appartenir, par cet élément de personnalité, à une catégorie sociologique ».
Certains écrivains sont omniprésents, comme notre cher Voltaire, qui utilisa « une trentaine de mots ou expressions, dont agent et patient ». On note que cette bipartition fonctionnelle [1] n’est pas récente ; elle est constamment attestée depuis le « pathicus », passif des Romains, et imprègne le vocabulaire. Certains mots tentaient de contourner cette ornière, comme la partition proposée par Magnus Hirschfeld entre éphébophiles, androphiles et gérontophiles. Ce dernier inventa aussi « normosexuel », mot dont j’ignorais l’existence quand j’ai forgé « orthosexie » (bien avant de découvrir grâce à Google books que Renaud Camus avait déjà utilisé le mot « orthosexuel » jadis). Quelques autres bipartitions sont à relever : culiste / coniste / anticoniste ; nature / contre-nature (C’est Platon qui inventa le concept, dans Phèdre, 251 b, et dans Les Lois, 636cd) ; conformiste / non-conformiste. Claude Courouve signale la dissymétrie du couple homo/hétérosexuel, le second n’ayant quasiment pas de synonyme.
Une anthologie des normopathes et des rebelles à travers les âges
L’ouvrage est aussi par la force des choses une confondante anthologie de l’homophobie (depuis les simples moqueries jusqu’à l’évocation d’exécutions), qui pourra fournir des extraits intéressants aux enseignants. Signalons par exemple le Traité des peines et amendes de J. Duret, de 1572 (art. bougre), qui laïcise les lois du Lévitique précisant qu’en cas de bestialité, l’humain et la bête doivent être tués ensemble ! Des propos de Zola sont mémorables (« un inverti est un désorganisateur de la famille, de la nation, de l’humanité »), des frères Goncourt sur Verlaine (p. 176), des couplets ironiques sur l’exécution de Deschauffours, des élucubrations d'Étienne Pivert de Senancour [2] (texte reproduit en annexe) ; mais Pierre Joseph Proudhon, souvent cité, mérite la palme : « Tout meurtre commis par un citoyen quelconque sur le pédéraste […] est excusable. Est réputé pédéraste le succube et l’incube » (p. 175).
Ces propos virulents font ressortir par contraste les rares écrivains qui ont osé aller contre la normopathie : Montaigne, Diderot, ou quelques inconnus, comme le Dr Alétrino qui notait : « l’influence dépravante exercée sur la société par les hétérosexuels est plus forte que celle des homosexuels » (p. 133). Fourier introduisit l’usage du mot unisexuel, quelques années avant la création d’homosexuel. On relèvera les tâtonnements d’André Gide, sa condamnation des invertis, corrigée par la suite. La lecture de certaines citations d’écrivains connus des siècles passés laisse souvent perplexe, car malgré leur connaissance du grec et du latin, et la traduction en français de ces textes au XVIe siècle, ils ont pu affirmer sans craindre le ridicule que ce qu’ils traitaient de vice était une décadence moderne inconnue des anciens. Rares sont les contre-exemples, comme ces propos de Marie de Gournay rapportés par Tallemant des Réaux : « À Dieu ne plaise […] que je condamne ce que Socrate a pratiqué » (p. 170).
Pour la bonne bouche, si je puis dire, citons pour finir cet extrait d’une annexe édifiante : « L’habitude de voir ces malheureux a donné à M. Cullerier une grande facilité pour les reconnaître sur-le-champ, aussi se trompe-t-il rarement à cet égard : la plus forte preuve qu’il en donne est la disposition de l’ouverture du rectum, qui présente la forme d’un entonnoir. Ce signe est presque certain, et l’on peut avoir la presque conviction que ceux qui le présentent sont entachés de ce vice ; aussi devrait-on, en médecine légale, y faire la plus sérieuse attention. » (Dr Pierre Reydellet, art. « Pédérastie » du Dictionnaire des sciences médicales de Panckoucke, 1819). On retrouve ici l’origine de l’invention du fameux adjectif infundibuliforme par le Dr Tardieu (cf. Les origines de la sexologie 1850-1900, de Sylvie Chaperon).
 [1] Je ne sais pas pour vous, mais quand un partenaire potentiel me pose en question n°1 « Tu es actif ou passif », il reste à tout jamais potentiel…
[2] « un organe qui ne fut pas destiné aux jouissances de l’amour, et que la débauche seule y consacra quand ses caprices infâmes perdirent la pudeur »


LE MONDE : « Si le mot qu’a inspiré à lord Alfred Douglas son amitié particulière avec Oscar Wilde, "l’amour qui n’ose pas dire son nom" , a fait fortune, l’homosexualité a porté bien des noms infâmes et s’est désignée elle-même en des termes parfois sophistiqués, souvent ironiques, la plupart du temps presque médicalement neutres. Dans son Vocabulaire de l’homosexualité masculine, qui devrait intéresser les profanes aussi bien que les initiés, Claude Courouve, se présentant comme un lexicographe amateur, chausse les bottes de l’explorateur professionnel pour défricher de A à Z le vaste continent de l’ " identité de glossaire " homosexuelle, selon le célèbre mot de Proust. Truffé d'anecdotes, empli de documents médicaux et de références littéraires - la littérature libertine et les écrivains modernes comme [André] Gide, Apollinaire, [Marcel] Jouhandeau, [Dominique] Fernandez, [Gabriel] Matzneff, sont à l'honneur - ce lexique nous renseigne aussi avec érudition sur l'apparition de certains termes. L’expression " l’amour de l’évêque de Clogher ", périphrase que l’on trouve chez Stendhal, tire son origine d’un fait-divers du dix-neuvième siècle : l’évêque de Clogher fut pris en flagrant délit en compagnie d’un soldat … À la mode au dix-neuvième siècle, le mot "Germiny" fait passer à la postérité un conseiller municipal de Paris, surpris dans les toilettes avec un bijoutier. L’expression inspira à Alphonse Daudet une cruelle réflexion sur son épouse : " On lui raconterait que je suis un Germiny, qu’elle ne saurait bien si ce n’est pas vrai.  » (R[oland] J[accard], Le Monde, 12 avril 1985)


NO : « Il est vrai que l'on ne peut guère évoquer l'homosexualité masculine en laissant de côté la cohorte des désignations qui l'ont, au cours des siècles, magnifiée ou stigmatisée [...] Claude Courouve a entrepris une exploration systématique de ce lexique, et le dictionnaire qu'il publie en ce début d'année constitue à n'en pas douter l'un des plus beaux hymnes qui se puissent imaginer à l'inventivité du langage et à la beauté des mots, un chant où se mêlent sans préséances aux vocables les plus sophistiqués et aux références imposées par la littérature les argots les plus verts forgés dans l'ombre des prisons ou entre les ruisseaux et les trottoirs. [...] Il nous offre également une petite anthologie des textes où ces appellations déploient leur force évocatrice. » (Didier Éribon, Le Nouvel Observateur


RHLF : « "Quel que soit le jugement que vous portiez de mes idées, j’espère de mon côté que vous n’en conclurez rien contre l’honnêteté de mes mœurs." Le temps n’est plus où l’on devait, comme le docteur Bordeu mis en scène par Diderot dans Le Rêve de d’Alembert, s’entourer de précautions oratoires avant de parler d’homosexualité. La sérieuse collection "Langages et sociétés" a eu raison d’accueillir ce vocabulaire rassemblé par Claude Courouve et la non moins sérieuse Revue d’Histoire littéraire de la France d’en accueillir un compte-rendu. La question homosexuelle se présente en grande partie dans notre civilisation comme une problématique de parole. Comment évoquer ce qui ne pouvait se dire sans ambages puisque la nomination avait en elle-même quelque chose de contagieux ? La réponse se trouvait dans la prolifération de termes et d’expressions, collectionnés par C. Courouve, entre la Renaissance et aujourd’hui.
  Son introduction (pp. 11-32) évoque les fluctuations du statut tant juridique que social de l’homosexualité masculine et repère, sans prétention linguistique, quelques-uns des fonctionnements du discours sur le sujet. L’altérité sexuelle est fréquemment assimilée à la différence historique (emprunts à l’Antiquité gréco-latine), à la différence nationale (le vice allemand, italien, ou la transformation de bulgare en bougre) à la différence religieuse (hérétique, non-conformiste, ou le jeu métaphorique  sur le juif et l’homosexuel chez [Marcel] Proust (1) ). À côté de ces détours, le vocabulaire dominant procède par anathèmes (abominable, contre-nature, honteux, infâme …) ou, au contraire, par euphémisme (amateur, amitié particulière, mignon …). Le refus de penser l’homosexualité comme une réalité générale conduit à utiliser comme termes génériques des noms propres, des noms souvent rendus célèbres par un fait-divers ou un scandale : les contemporains de la Révolution parlent d’un Villette, Stendhal d’un évêque de Clogher, [Edmond de] Goncourt d’un Germiny, [Marcel] Proust de salaïsme (du nom d’Antoine Sala). Autant d’anecdotes que nous rappelle C. Courouve. La langue courante a accueilli également des termes d’argot, en particulier de l’argot des prisons : lope, pédale, tante, tapette. On pourrait ajouter en verlan : race d’ep (selon l’orthographe de Guy Hocquenghem) ou DP. Certains termes donnent lieu à une étonnante dérivation : on tire de Corydon, lancé par [André] Gide, corydonnesque, corydonien, corydonnerie, s’encorydonner ! Pour échapper au jugement de valeur préalable, certains spécialistes créent homosexualité, hétérosexualité, bisexualité. Enfin l’amour qui n’osait pas dire son nom, selon la formule de l’ami d’Oscar Wilde, lord Alfred Douglas, revendique le droit de parler librement et tout d’abord de choisir son nom. [André] Gide réclame des distinctions entre inversion, homosexualité et pédérastie, rapportée à son étymologie. À la libération des années 1970 correspondent la diffusion de l’adjectif venu d’Outre-Atlantique gai et le néologisme arbitrairement créé par Renaud Camus achrien.

  Claude Courouve n'entreprend pas de construire une théorie, il enregistre des occurrences, note des déplacements lexicaux, avance des hypothèses, dans la riche documentation constituée par les soixante-dix articles et quelques qui vont d'abominable/abomination à uranisme/uraniste. On pourrait toujours ajouter de nouvelles fiches. Nerciat aurait pu être plus systématiquement utilisé : au néologisme andrin, noté ici, se seraient ajoutés androphile, florentiner (le vice italien), loyoliser (on parle aussi à l’époque du péché des Jésuites), postdamique, contamination de postérieur et de Potsdam, résidence résidence de Frédéric II dont les goûts étaient de notoriété publique). Le nom d’un de ses personnages, l’abbé Bujaron, évoque l’italien bugiaroni, francisé par Tallemant des Réaux en bugiarron. La rubrique devant / derrière s’enrichit avec Nerciat des termes imagés fente / écusson / boutonnière / œillet … (2) Sans doute auraient pu également être mis à profit des travaux qui apportent des documents et qu’on s’étonne de ne pas voir citer (3). Du moins le lecteur trouve-t-il en appendice du livre de C. Courouve cinq textes peu connus qui, de La Mothe Le Vayer au Dictionnaire des sciences médicales de 1819, traitent de l’homosexualité, et un index des termes utilisés par [Marcel] Proust dans La Recherche (pp. 238-240). C’est donc pour finir à la littérature que renvoie justement cette étude. La floraison lexicale s’accompagne d’une extraordinaire invention littéraire comme si la fiction et le travail formel avaient été longtemps la meilleure réponse à l’interdit verbal. » (Michel Delon, Revue d'histoire littéraire de la France, janvier-février 1987, pages 169-170).

1. Voir Jeanne Bem, « Le Juif et l'homosexuel dans À la recherche du temps perdu », Littérature, 37, février 1980.
2. Voir le glossaire de Nerciat établi par Apollinaire pour son édition dans la Bibliothèque des curieux
3 Qu'il s'agisse des articles de Pierre Nouveau, « Le péché philosophique ou l'homosexualité au XVIIIe siècle » Arcadie, 254, fév. 1975 et nos suivants ou de Pierre Peyronnet, « Le péché philosophique », Aimer en France 1760-1860, Clermont-Ferrand,1980 ; des essais de Pierre Hahn, Nos ancêtres les pervers. La Vie des homosexuels sous le second empire, Olivier Orban, 1979 ou de J.-P. Aron et R. Kempf, LePénis et la démoralisation de l'Occident, Grasset, 1978 (réédité sous le titre La Bourgeoisie, le sexe et l'honneur).


Frédéric Martel, dans son ouvrage Le rose et le noir - Les homosexuels en France depuis 1968 (Paris : Le Seuil, 1996) citait le mien dans la rubrique Essais culturels (page 427).

Aucun commentaire: