jeudi 5 janvier 2023

INDEX NIETZSCHE (12/16) : KNABENLIEBE (amour des garçons), PÉTRONE



Les entrées "Amour", "Grecs" et "Sexualité" du Dictionnaire Nietzsche 2017 passent complètement sous silence les nombreuses réflexions de Nietzsche sur l'amour grec, notamment sous les termes Eros (27 occurrences selon la fonction search de nietzschesource.org), Päderast* (12), Knabenliebe (3), uranischen (1) et Petronius (18).


De janvier 1908 :
Passages relatifs à l'uranisme, l'homosexualité, et apparentés dans les œuvres de Frédéric Nietzsche

Publié pages 39 à 46 dans
Article lu à la Bibliothèque nationale vers 1980,
ce qui est l'origine lointaine de la présente page de blog.


Mes notes de lecture actualisées des passages relatifs à l'homosexualité masculine ou à Pétrone dans les écrits de Nietzsche :


Fragments posthumes, 1869-1871,

P II 1b, automne 1869 : 1[52] : " Le plus haut que l’éthique consciente des Anciens ait atteint, c’est la théorie de l’amitié. " [Das Höchste, was die b e w u ß t e Ethik der Alten erreicht hat, ist die Theorie der Freundschaft: dies ist gewiß ein Zeichen einer recht queren Entwicklung des ethischen Denkens, dank dem Musageten Sokrates!]
Ce passage a très certainement inspiré Michel Foucault pour les volumes 2 et 3 de son Histoire de la sexualité (Paris : Gallimard, 
Cf Montaigne : " Enfin tout ce qu'on peut donner à la faveur de l'Académie, c'est dire que c'était un amour se terminant en amitié : chose qui ne se rapporte pas mal à la définition Stoïque de l'amour. " (Essais, I, xxviii, page 194 de l'édition Balsamo/Magnien/Gallimard ).
Montaigne était un grand lecteur de Diogène Laërce qui fait dans ses Vies... de nombreuses allusions à l'amour grec et dont on connait le rôle dans la vie intellectuelle de Nietzsche (cf Dictionnaire...).

1[81] : " Influence des femmes. Sur l'ancienne scène anglaise c’était des garçons qui jouaient les rôles de femmes et c’est précisément cette institution pudique et morale à l’origine qui poussa la mise en scène jusqu’à l’indécence la plus outrée. " [Cf Montesquieu, Voyage de Gratz à La Haye, I, vii : « À Rome, les femmes ne montent pas sur le théâtre ; ce sont des castrati habillés en femmes. Cela fait un très mauvais effet pour les mœurs : car rien (que je sache) n’inspire plus l’amour philosophique aux Romains. » André Gide citait ce passage de Montesquieu dans le troisième dialogue de Corydon.]

P I 14b, hiver 1869-1870 - printemps 1870 : 2[4] : idéalisation de la pulsion sexuelle chez Platon [Banquet].

P I 15a, hiver 1869-1870 - printemps 1870 : 3[73] : Socrate et l’instinct.

I. Sur l’éthique
Concept de l’amitié. Pulsion sexuelle idéalisée.

U I 2b, fin 1870 - avril 1871 : 7[76] : Il faut mentionner aussi la pédérastie des Anciens comme une conséquence nécessaire de cette surcharge de la pulsion [dionysiaque]. [Auch die Päderastie der Alten ist zu erwähnen, als eine nothwendige Konsequenz jener Überladung des Triebes.]

U I 5a, hiver 1870-71 – automne 1872 : 8[73] : Φίλία et παιδεία, point de départ de Sappho : l’érotique [Erotik] en rapport avec l’éducation.


Naissance de la tragédie, 1871,


§ 15 : Qui sont ceux, se demande-t-on, qui, sans autre titre qu'un éclat historique éphémère, des institutions ridiculement bornées, une valeur morale douteuse, et dont le nom même est employé pour désigner des vices détestables [Wer sind jene, fragt man sich, die, obschon sie  nur eine zweifelhafte Tüchtigkeit der Sitte aufzuweisen haben und sogar mit hässlichen Lastern gekennzeichnet sind, doch die Würde und Sonderstellung unter den Völkern in Anspruch nehmen]


Fragments posthumes, 1871-1875,

P II 8b, été 1871 - printemps 1872 : 16[18] : la nature grecque sait utiliser toutes les propriétés fécondes : [...] les pulsions non naturelles dans l'éducation du jeune homme par l'homme mûr.

16[42] : Toute inclination, amitié, amour a en même temps quelque chose de physiologique. Nous ne savons rien du tout sur le niveau de profondeur et de hauteur qu'atteint la physis. [Alle Neigung, Freundschaft, Liebe zugleich etwas Physiologisches. Wir wissen alle nicht, wie tief und hoch die Physis reicht.]

16[43] : Éros et culture des amis. [Eros und Bildung der Freunde.]

Mp XII 5, fin 1874 : 38[2] : le vautour parle seul et raconte : je suis le vautour de Prométhée et, par le plus étrange concours de circonstances, je suis libre depuis hier. Lorsque Zeus me donna l’ordre de dévorer le foie de Prométhée, il voulait m’éloigner parce qu’il était jaloux à cause de Ganymède.

Mp XIII 6b, mars 1875 : 3[52] : Il faut détourner les yeux de l’absurdité moderne et regarder en arrière – beaucoup de ce qui est repoussant dans l’Antiquité paraît alors comme d’une profonde nécessité.

3[74] : Points de vue principaux sur la future mise en valeur de l’Antiquité.

1) Ce n’est pas pour les jeunes gens, parce que cela montre l’homme avec une certaine impudeur.

U II 8b, printemps-été 1875 : 5[50] : Il y a des choses que l’Antiquité enseigne, et sur lesquelles je ne voudrais pas m’exprimer ouvertement à la légère.

5[59] : Grecs et philologues

Les Grecs honorent la beauté

libre virilité

5[166] : Sur la religion

I Dans l’Antiquité, l’amour sexuel à l’état pur chez Empédocle . [Die Geschlechtsliebe im Alterthum bei Empedokles rein gefaßt.]

5[172] : Qui sait qu’il y a des connaissances de l’Antiquité qu’on ne peut pas communiquer aux jeunes gens ! [wer weiß, daß es Erkenntnisse des Alterthums giebt, die Jünglingen unmittheilbar sind!]

U II 8c, été ? [Sommer?] 1875 : 6 [3] : " Socrate, pour l’avouer une bonne fois, m’est si proche que j’ai presque toujours un combat à livrer avec lui. " [Socrates, um es nur zu bekennen, steht mir so nahe, dass ich fast immer einen Kampf mit ihm kämpfe.]


U III 1, été 1875 : 9[1] : V. L'amour.
[...] Opposition vraie pour tous les temps et pour tous les peuples de l'Aphrodite ouranienne et de l'Aphrodite pandémienne. [Gegensatz der uranischen und pandemischen Aphrodite für alle Zeiten und Völker richtig. ]
[...] L'amitié sensuelle, dans sa forme irréprochable, dont on ne connaît pratiquement aujourd'hui que la déformation. |[Die sinnliche Freundschaft in untadelhafter Gestalt, deren Verzerrung jetzt fast nur bekannt ist.]
[...] L'amour n'est pas seulement objectivé comme Aphrodite, mais aussi comme Éros : Éros n'est nullement l'idéal de l'amour de la femme pour l'homme, mais l'idéal de cette deuxième forme. Il apparaît qu'il y a une proche parenté entre le féminin et la première fleur de l'autre sexe : et toutes les fois que la différence d'âge ou de caractère produit un contraste semblable à celui de l'homme et de la femme, ce contraste peut aussi bien nourrir une expression dans la sensibilité. Dühring rappelle les amitiés de la toute première jeunesse, avec leur caractère sensuel ; la différence d’âge minime, les natures fortement différentes. D’après [Eugen] Dürhing [Der Werth des Lebens, V " Die Liebe ", 5, von der sogennanten Griechischen Liebe [...] die Erotische Liebe bei den Griechen] les rapports, dans un âge plus avancé, doivent être ou bien des dégénérescences d’une pulsion naturelle, ou bien le lien d’une inclination qui dure depuis la première jeunesse.
[Die Liebe nicht nur als Aphrodite, sondern auch als Eros objektivirt: Eros ist keineswegs das Ideal der Liebe des Weibes zum Manne, sondern das Ideal jener zweiten Gestalt. Es scheint die nahe Verwandtschaft des Weiblichen mit der zarten Blüthe des andern Geschlechts: und überall wo durch Alter- oder Charakterverschiedenheit ein Gegensatz besteht wie zwischen Mann und Weib, möchte er in der Empfindung auch wohl einen Ausdruck erhalten. Dühring erinnert an die Freundschaften der allerersten Jugend mit sinnlicherem Charakter; der Alters-Unterschied gering, die Naturen stark verschieden. Die Beziehungen im vorgerückten Alter sollen nach Dühring entweder Entartungen eines Naturtriebes oder das von der frühesten Jugend an gebliebene Band der Zuneigung sein.]
L'amour Érotique prouve l'exaltation du sentiment, indépendamment du but naturel. [Die Erotische Liebe beweist die Überschwänglichkeit des Gefühls unabhängig vom Naturzweck.]


Lettre à Erwin Rohde, 23 mai 1876,
Erwin Rohde avec Carl von Gersdorff et Friedrich
Nietzsche en octobre 1871 à Naumburg (Saale)

« Je trouve remarquable que tu dises si peu sur les rapports pédérastiques [...] C'est sur ce fond que se sont éveillées l'idéalisation d'Éros et les sensations plus pures et plus ardentes de l'amour passion [...] transfert sur l'amour des sexes [...] L'Éros, à la meilleure époque, est l'Éros pédérastique (1). » [Aufgefallen ist mir, daß Du von den päderastischen Verhältnissen so wenig sagst: und doch ist das Idealisiren des Eros und das reinere und sehnsüchtigere Empfinden der Liebespassion bei den Griechen zuerst auf diesem Boden gewachsen und wie mir scheint, von da aus auf die geschlechtliche Liebe erst übertragen worden, während es ihre (der geschlechtl Liebe) zartere und höhere Entwicklung früher geradezu hinderte. Daß die Griechen der älteren Zeit die Männererziehung auf jene Passion gegründet haben und so lange sie diese ältere Erziehung hatten, von der Geschlechtsliebe im Ganzen mißgünstig gedacht haben, ist toll genug, scheint mir aber wahr zu sein. Auf Seite 70 und 71, glaubte ich, Du würdest an diese Dinge erinnern müssen. Der Eros, als πάθος der καλῶς σχολάζοντες, in der besten Zeit ist der päderastische: Die Meinung über den Eros, die Du „einigermaßen verstiegen“ nennst, nach der das Aphrodisische am Eros nicht wesentlich, sondern nur gelegentlich und accidentiell ist, die Hauptsache eben φιλία ist, kommt mir nicht so ungriechisch vor.]. Cf Robert Flacelière, ancien directeur de l'École normale supérieure de la rue d'Ulm : " Pour les Grecs, Éros préside en premier lieu à l'attachement passionné d'un homme pour un garçon, et Aphrodite aux relations sexuelles d'un homme avec une femme. " (L'Amour en Grèce, Paris : Hachette, 1960, chapitre II).

1. Benoît XVI : « L'Ancien Testament grec utilise deux fois seulement le mot eros, tandis que le Nouveau Testament ne l'utilise jamais: des trois mots grecs relatifs à l’amour – eros, philia (amour d’amitié) et agapè – les écrits néotestamentaires privilégient le dernier, qui dans la langue grecque était plutôt marginal. En ce qui concerne l'amour d'amitié (philia), il est repris et approfondi dans l’Évangile de Jean pour exprimer le rapport entre Jésus et ses disciples. La mise de côté du mot eros, ainsi que la nouvelle vision de l’amour qui s’exprime à travers le mot agapè, dénotent sans aucun doute quelque chose d’essentiel dans la nouveauté du christianisme concernant précisément la compréhension de l’amour. » Deus caritas est, § 3, 25 décembre 2005.


Fragments posthumes, 1876,

M I 1, septembre 1876 : 18[42] : Der Mensch ist dazu bestimmt entweder Vater oder Mutter zu sein, in irgend welchem Sinne. [Cité par Römer-Helder, 1908].


U II 5c, octobre-décembre 1876 : 19[38] : Bei der Wahl zwischen einer leiblichen und geistigen Nachkommenschaft, hat man zu Gunsten letzterer zu erwägen, daß man hier Vater und Mutter in Einer Person ist und daß das Kind, wenn es geboren ist, keiner Erziehung mehr, sondern nur der Einführung in die Welt bedarf. [Cité par Römer-Helder, 1908].

19[112] : " La pédérastie grecque n'est pas contre nature, sa causa finalis étant, d'après Platon, d' engendrer de beaux discours. " [Platon, Banquet ou Symposium, 206b-210a]. [Die griechische Päderastie nicht unnatürlich, deren causa finalis, nach Plato, sein soll, „schöne Reden zu erzeugen“.]


Humain, trop humain, 1878,

V " Caractères de haute et basse civilisation ", § 259 " Une civilisation virile " : " Les rapports érotiques entre hommes et adolescents furent, à un degré qui échappe à notre compréhension, l'unique et nécessaire condition de toute cette éducation virile [...] jamais jeunes gens ne furent sans doute traités avec autant de sollicitude, d'affection et d'absolu respect du meilleur d'eux-mêmes (virtus) qu'aux VIe et au Ve siècles [avant notre ère]. " [Cité par Römer-Helder, 1908]


Fragment posthume, 1878,
N III 5, automne 1878 : 35[4] : Il y a bien des choses que l’homme fait peut ne pas cacher aux hommes comme lui : mais il songe avec douleur aux jeunes gens que sa sincérité pourrait troubler, détourner du bon chemin : et ce d’autant plus qu’ils auront été jusqu’alors habitués à écouter la parole de leur maître et guide. Alors, pour ne pas gêner leur formation, il ne lui reste plus qu’à s’éloigner d’eux à fond et avec dureté, à leur jeter à eux-mêmes les rênes de son influence sur eux. À eux de se rester fidèles contre lui. Ainsi, ils lui resteront fidèles sans le savoir. [Manches darf der Mann der Männer wegen nicht zurückhalten: aber mit Schmerz gedenkt er der Jünglinge, welche seine Aufrichtigkeit verwirren, vom guten Wege ablenken könnte: je mehr sie bis jetzt gewohnt waren, auf die Worte ihres leitenden Lehrers zu hören. Da bleibt ihm, um ihre Erziehung nicht stören, nur übrig, sich gründlich und hart von ihnen zu entfernen und den Zügel seines Einflusses auf sie ihnen selber zuzuwerfen. Mögen sie wider ihn sich selber treu bleiben! So bleiben sie ihm treu, ohne es zu wissen.]


Opinions et sentences mêlées, 1879,

§ 218. Les Grecs interprètes. : " Les Grecs facilitent à l'homme moderne la communication de bien des choses difficilement  communicables et qui font réfléchir. " [So erleichtern die Griechen dem modernen Menschen das Mittheilen von mancherlei schwer Mittheilbarem und Bedenklichem].


Le Voyageur et son ombre, 1879,

§ 225 : « La licence à Athènes.
Même quand le marché aux poissons d’Athènes eut trouvé ses penseurs, ses poètes, la licence grecque continua à garder un air plus idyllique et raffiné que n’en eurent jamais la licence romaine ou allemande. La voix claironnante de Juvénal y eût sonné creux ; un rire gentil et presque enfantin lui eût répondu. »

Fragments posthumes, 1880-1881,

N V 3, été 1880 : 4[72] : Pour celui qui tient Éros pour autre chose qu’un démon sauvage insatiable crapuleux (pour un Anacréon), la chasteté n’aura en soi rien de particulièrement vénérable. [Wenn ein Mensch, dessen Leben voll von Ehebruch und Unzucht ist, die Keuschheit verherrlicht, so hat er allen Grund dazu: denn mit derselben wäre sein Leben viel würdiger gewesen; er kennt den Eros nicht anders als einen wilden unersättlichen wüsten Dämon. Aber für wen er etwas anderes ist (für einen Anacreon), für den wird auch die Keuschheit nichts so Verehrungswürdiges an sich sein.]

N V 4, automne 1880 : 6[138] : Celui qui pense et sent en dehors de la norme [Wer sehr abweichend denkt und empfindet, geht zu Grunde, er kann sich nicht fortpflanzen.]

6[141] : Die Zeugung ist eine oft eintretende gelegentliche Folge einer Art der Befriedigung des geschlechtlichen Triebes: nicht dessen Absicht, nicht dessen nothwendige Wirkung. Der Geschlechtstrieb hat zur Zeugung kein nothwendiges Verhältniß: gelegentlich wird durch ihn jener Erfolg mit erreicht, wie die Ernährung durch die Lust des Essens. [Cité par Römer-Helder, 1908].

N V 6, fin 1880 : 7[150] : " Tant que vous trouverez la beauté chez Apollon, vous devrez chercher la morale qui lui correspond : cette beauté ne s’accorde pas avec la morale chrétienne ! " [So lange ihr die Schönheit im Apollo findet, müßt ihr die dazu gehörige Moral suchen: jene Schönheit paßt nicht zur christlichen!]

N V 5, hiver 1880-1881 : 8[19] : Ne parler morale qu’à ceux qui se sont familiarisés avec le mode de vie d’un grand nombre d’animaux. [Nur zu solchen über Moral zu sprechen, welche sich mit der Lebensweise vieler Thiere vertraut gemacht haben.]
[26] : Naturel-antinaturel - ce n'est rien ! Les Grecs ont élevé l'amour entre individus du même sexe au plus haut degré d'idéalité ; ils déclaraient même l’amour des garçons [Knabenliebe] bon.
[109] : Mes penchants secrets qui sont après tout ceux de la nature, opposés à certaines affectations de grandeur dont il faut que je me décore, me donnent des ressources infinies pour déjouer les croyances de tout le monde (pour abuser ceux qui prétendent me connaître).


Aurore. Pensées sur les préjugés moraux (1881),

I, § 76 " Croire mauvais, c'est rendre mauvais " : les sonnets de Shakespeare [la majorité de ces sonnets (18 à 126) sont écrits à l'attention d'un jeune homme et expriment l'amour du poète pour lui.]. A-t-on le droit de nommer Éros ennemi ! En fait les sensations sexuelles ont ceci de commun avec les sensations de pitié et d'adoration que grâce à elles un être humain fait du bien à un autre en éprouvant du plaisir, - on ne rencontre pas si souvent dans la nature des dispositions aussi bienveillantes !

III, § 164 : " Peut-être prématuré.
Il semble qu'actuellement, sous toutes sortes de noms erronés et trompeurs et la plupart du temps dans une grande confusion, on assiste aux premières tentatives de la part de ceux qui ne sont pas assujettis aux mœurs et aux lois régnantes pour s'organiser et se créer ainsi un droit (a) : tandis que jusqu'ici, décriés comme criminels, libres penseurs, immoralistes [Unsittliche] (b) et canailles, ils vivaient en hors-la-loi, corrompus et corrupteurs, en proie à la mauvaise conscience.
[...] Les non-conformistes qui sont si fréquemment les individus inventifs et féconds ne doivent plus être sacrifiés ; il faut même cesser de considérer comme ignominieux le fait de ne pas se conformer à la morale, en actions et en pensées ; il faut procéder à un grand nombre d'expériences nouvelles de vie et de communauté ; il faut éliminer du monde un énorme fardeau de mauvaise conscience – ces objectifs universels devraient être reconnus et poursuivis par tous les gens loyaux qui cherchent la vérité ! " [Vielleicht verfrüht. — Gegenwärtig scheint es so, dass unter allerhand falschen irreführenden Namen und zumeist in grosser Unklarheit von Seiten Derer, welche sich nicht an die bestehenden Sitten und Gesetze gebunden halten, die ersten Versuche gemacht werden, sich zu organisiren und damit sich ein Recht zu schaffen: während sie bisher, als Verbrecher, Freidenker, Unsittliche, Bösewichte verschrieen, unter dem Banne der Vogelfreiheit und des schlechten Gewissens, verderbt und verderbend, lebten. […] Die Abweichenden, welche so häufig die Erfinderischen und Fruchtbaren sind, sollen nicht mehr geopfert werden; es soll nicht einmal mehr für schändlich gelten, von der Moral abzuweichen, in Thaten und Gedanken; es sollen zahlreiche neue Versuche des Lebens und der Gemeinschaft gemacht werden; es soll eine ungeheuere Last von schlechtem Gewissen aus der Welt geschafft werden, — diese allgemeinsten Ziele sollten von allen Redlichen und Wahrheitsuchenden anerkannt und gefördert werden !] [Cité par Römer, 1908].

a. Allusion à la première phase de la revendication homosexuelle allemande, entre 1864 et 1880, avec K. H. Ulrichs, K. M. Benkert (créateur en 1869 du néologisme Homosexualität) et Heinrich Marx (ce dernier auteur de Urningsliebe. Die sittliche Hebung des Urningthums und die Streichung des § 175 des deutschen Strafgesetzbuchs, 1875, où il demandait le droit au mariage).
Cette revendication, qui fut formulée à l'aide des termes uraniste (Urning), troisième sexe (drittes Geschlecht, tous deux dus à Ulrichs) et homosexualité (Homosexualität, dû à Benkert), attira dès 1869 l'attention de Karl Marx et les sarcasmes de Friedrich Engels :
« C'est un bien curieux Urning [le petit livre Argonauticus d'Ulrich] que tu m'as envoyé. Ce sont là des révélations tout à fait contre nature. Les pédérastes se mettent à se compter et ils trouvent qu'ils constituent une puissance [Macht] dans l'État. Il ne manque plus que l'organisation, mais il apparaît d'après ceci qu'elle existe déjà en secret. Et comme ils comptent déjà des hommes importants dans tous les vieux, et même les nouveaux partis, de Rösing à Schweitzer, la victoire ne peut leur échapper. "Guerre aux cons, paix aux trous-de-cul" [en français dans le texte], dira-t-on dorénavant (1). C'est encore une chance que nous soyons personnellement trop vieux pour avoir à craindre de payer un tribut de notre corps à la victoire de ce parti. Mais la jeune génération ! Soit dit en passant, il n'y a qu'en Allemagne qu'un type pareil peut se manifester, transformer la cochonnerie en théorie, et inviter : introite [entrez, en latin] etc. Malheureusement il n'a pas encore le courage d'avouer ouvertement qu'il est comme ça, et doit toujours opérer coram publico [devant le public] en tant que "du devant", sinon "de l'intérieur du devant", comme il l'a dit une fois dans un lapsus. Mais attends seulement que le nouveau Code pénal de l'Allemagne du Nord reconnaisse les droitsdu cul [en français dans le texte], et il en sera tout autrement. Nous autres pauvres gens du devant, au goût infantile pour les femmes, nous trouverons alors dans une assez mauvaise situation. Si le Schweitzer devait avoir besoin de quelque chose, ce serait de se faire révéler, par cet étrange honnête homme, les données particulières sur les pédérastes hauts placés ; en tant que confrère cela ne devrait pas lui être difficile. »
Lettre à Karl Marx, Manchester [Angleterre], 22 juin 1869, in Marx Engels Werke, Berlin, 1965, tome 32, pages 324-325 [traduit par Cl. C. ; l’année précédente apparaissait le mot allemand Homosexualität].
1. Allusion à la formule de Nicolas de Chamfort : « Guerre aux châteaux ! Paix aux chaumières ! »
Il se trouve que Marx et Engels étaient en relations suivies avec Benkert (personnalité aussi connue de Baudelaire et Proudhon), qu'ils considéraient comme un âne qui pouvait se révéler utile. Cette revendication attira donc l’attention de Nietzsche, qui connaissait également Karl M. Benkert au moins comme traducteur, sous le pseudonyme de Kertbeny, du poète hongrois Petöfi ; voir l'entrée "Petöfi" du Dictionnaire Nietzsche 2017 (dirigé par Dorian Astor).

b. Cf Horace de Viel-Castel : « La Cour [de Napoléon III] est divisée en ce moment en moralistes et en immoralistes. Qui l’emportera ? » (Mémoires sur le règne de Napoléon III (1851-1864), tome 2, 1883, à la date du 6 février 1853). On trouve dans les écrits de Nietzsche 66 occurrences de immoralist(en), la première datant de 1879 [Immoralisten, Hth, Le Voyageur et son ombre, § 19.


Aurore, III, § 170 Autre perspective du sentiment. : « Qu'est-ce que notre bavardage sur les Grecs ! Que comprenons-nous donc à leur art dont l'âme est - la passion pour la beauté virile nue ! Ce n'est qu'à partir de là qu'ils ressentaient la beauté féminine. » [Cf Stendhal, « Le plaisant, c'est que nous prétendons avoir le goût grec dans les arts, manquant de la passion principale qui rendait les Grecs sensibles aux arts. » Rome, Naples et Florence, à la date du 17 mars 1817].

V, § 503 Amitié. : " Toutes les grandes vertus antiques s'appuyaient sur le fait que l'homme épaulait l'homme et qu'aucune femme n'avait le droit de prétendre constituer l'objet le plus proche, le plus haut et même l'objet unique de son amour, - comme la passion enseigne à le sentir. " [Cité par Römer-Helder, 1908]


Fragments posthumes 1881,

M III 1, printemps-automne 1881 : 

11[56] : Auch der Heroismus der Vaterlandsliebe der Treue der „Wahrheit“, der Forschung usw. ist den Anderen höchst gefährlich — sie sind nur zu dumm, das zu sehen! sie würden die unegoistischen Tugenden sonst in den Bann thun, in den die Habsucht der Geschlechtssinn, Grausamkeit Eroberungslust usw. gehören. [...] So wurde die Arbeit , die Armut, der Zins , die Päderastie , zu verschiedenen Zeiten entwürdigt, zu anderen Zeiten ideal gemacht. [Cité par Römer-Helder, 1908].
11[97] : "Ce qui a favorisé le GRAND NOMBRE de libres individus chez les Grecs : le mariage non point par besoin de volupté. Exercice et développement de l’art du coït. L'amour des garçons [Knabenliebe] propre à divertir de la vénération des femmes et de leur influence amollissante et de la sorte à éviter la faiblesse, la nervosité excessive des femmes." [voir ci-dessous, W I 2, [362] ]. [Cité par Römer-Helder, 1908]

11[123] : Platon entend que l’amour de la connaissance et de la philosophie serait une impulsion sexuelle sublimée.
11[186] : Les législateurs de la Grèce […] favorisèrent l’amour des garçons, d’abord pour prévenir la surpopulation (laquelle engendre des foyers d’inquiétude et de misère, même au sein de la noblesse) ensuite en tant qu’idéal pédagogique propre à l’agŏn : les jeunes gens et les hommes plus âgés devaient demeurer les uns auprès des autres, ne point se séparer et maintenir les intérêts des jeunes gens – autrement l’ambition de plus âgés, isolés de la jeunesse, se fût jetée sur l’État, mais l’on ne pouvait guère s’entretenir des affaires de l’ État avec de jeunes garçons. [Cité par Römer, 1908].

N V 7, automne 1881 : 12[183] : Discipline des Grecs.
Les hommes plus beaux que les femmes. [Züchtung der Griechen.
Die Männer schöner als die Frauen.]
12[220] : Je pourrais les nommer Juvenilia [œuvres de jeunesse] et Juvenalia, ce qui est assez clair je pense, mais dans une latinité qui me fait rougir. Beaucoup d’amour juvénile et de haine juvénile y figurent, de tout genre. [So weit ich etwas von meinen Zeitgenossen weiß, habe ich von Schopenhauer und Wagner den besten Gebrauch gemacht: vielleicht nicht zu ihrem Vortheil, denn ich habe sie um einen Zoll zu tief kennengelernt.
Ich könnte sie Juvenilia et Juvenalia nennen, deutlich genug wie ich meine, aber in einer Latinität, welche mich erröthen macht. Viel Jugendliebe und Jugendhaß ist darin, in allen Arten.]


Le Gai Savoir, 1882, 1887,

I, § 14 : Tout ce qu'on appelle amour. : " Le plus aimable et le plus aimé de tous les Athéniens, Sophocle [...] Il y a bien çà et là sur terre une espèce de prolongement de l'amour dans lequel cette aspiration avide qu'éprouvent deux personnes l'une pour l'autre fait place à un désir et à une convoitise nouvelle, à une soif supérieure et commune d'idéal qui les dépasse : mais qui connaît cet amour ? Qui l'a vécu ? Son véritable nom est amitié. [Cité par Römer-Helder, 1908].

II, § 61 : Le sentiment de l’amitié était considéré par l'Antiquité comme le sentiment le plus élevé [das Gefühl der Freundschaft dem Alterthum als das höchste Gefühl galt]
§ 72 : " Chez les animaux, le sexe masculin est considéré comme le beau " [Bei den Thieren gilt das männliche Geschlecht als das schöne.]

IV, § 289 Aux navires ! : " La terre morale aussi est ronde ! La terre morale aussi a ses antipodes ! Les antipodes aussi ont droit à l'existence. "
§ 297 Savoir contredire. : le fait de savoir contredire, le sentiment de la bonne conscience dans l'hostilité envers ce qui est habituel, traditionnel et sacré [das Widersprechen-Können, das erlangte gute Gewissen bei der Feindseligkeit gegen das Gewohnte, Ueberlieferte, Geheiligte]


Lettre à Köselitz, 1883 [4) BVN-1883,405 — Brief AN Heinrich Köselitz: 21/04/1883.Wagner ist reich an bösen Einfällen; aber was sagen Sie dazu, daß er Briefe darüber gewechselt hat (sogar mit meinen Ärzten) um seine Überzeugung auszudrücken, meine veränderte Denkweise sei die Folge unnatürlicher Ausschweifungen, mit Hindeutungen auf Päderastie. — Meine neuen Schriften werden an den Universitäten als Beweise meines allgemeinen „Verfalls“ ausgelegt; man hat eben etwas zuviel von meiner Krankheit gehört. Aber das thut mir weniger wehe, als wenn mein Freund Rohde sie als „kalt-behaglich“ empfindet und als „wahrscheinlich sehr zuträglich für die Gesundheit“. — Zuletzt: jetzt erst, nach der Veröffentlichung des Zarathustra, wird das Ärgste kommen, denn ich habe, mit meinem „heiligen Buche“, alle Religionen herausgefordert]


Fragments posthumes, 1882-1885,

N V 9a, juillet-août 1882 : 1[34] : " Que sont donc les dérèglements de toute sorte sinon la conséquence de l’insatisfaction qu’éprouvent un si grand nombre aux formes autorisées ? " [Die Guten als die Pharisäer, die Bösen mit schlechtem Gewissen und unterdrückt lebend. Was ist denn Ausschweifung aller Art mehr als die Consequenz der Unbefriedigung so Vieler an den erlaubten Formen? Was ist das meiste Verbrecherthum anders als Unvermögen oder Unlust zur Heuchelei der „Guten“? Mangel an Erziehung der starken Triebe? Es giebt dafür nur Gegner und Verächter. ]

Mp XVII 1a, été 1883 : 8[6] : À Athènes, les hommes étaient beaucoup plus beaux que les femmes – selon Cicéron : ce serait certainement une conséquence d’un grand effort de beauté accompli sous l’influence de la pédérastie [— In Athen waren die Männer schöner als die Frauen — nach Cicero: dies ist aber wohl eine Folge der großen Arbeit an der Schönheit, unter Einwirkung der Päderastie.].

W I 1, printemps 1884 : 25[374] : Dans quelle mesure l’être humain est un comédien.
Supposons que l’individu reçoive un rôle à jouer
rôle dans son rapport au sexe qu’il représente [die zum Geschlecht gehört]
25[484] : Les chemins de la liberté [Die Wege der Freiheit.]
[...]
la fréquentation des parias de toute espèce (dans l’histoire et la société) [— der Verkehr mit den Ausgestoßenen aller Art (in der Historie und der Gesellschaft)]

W I 2, été-automne 1884 : 26[362] : « En Orient et à Athènes, à sa grande époque, on enfermait les femmes, on ne voulait pas de l'imagination dépravée de la femme : c'est cela qui gâte la race, plus que le commerce physique [d’un homme] avec un homme. » [voir ci-dessus, M III 1, 11[97]. [Cité par Römer-Helder, 1908].
26[397] : Virgile (trahit sua quemque voluptas) [Bucoliques, II, 65]
26[427] : Pétrone : ciel très clair, air sec, mouvement presto : pas de Dieu niché dans le fumier [...]. [Petronius: hellster Himmel, trockene Luft, presto der Bewegung: kein Gott, der im Miste liegt; nichts Unendliches, nichts Lüstern-Heiliges, nichts vom Schweine des St. Antonius. Wohlwollender Hohn; ächter Epicureismus; — — —]

N VII 1, avril-juin 1885 : 34[80] : Grossièreté et délicatesse côte à côte chez Pétrone, chez Horace aussi : c’est ce que je trouve le plus agréable. Cela appartient au goût grec.
34[90] : À l’esprit provençal, qui est resté païen, je veux dire qui n’a pas été « germanisé », on doit la spiritualisation de l’amor de l’amour sexuel tandis que l’Antiquité n’a abouti qu’à une spiritualisation de la pédérastie. [Ich bin feindselig 1) gegen die Entsinnlichung : sie stammt von den Juden, von Plato, der durch Aegypter und Pythagoreer verdorben war (und diese durch Buddhisten) Dem provençalischen Geiste, der heidnisch geblieben ist, ich meine „ nicht germanisch“, verdankt man die Vergeistigung des amor der Geschlechtsliebe: während es das Alterthum nur zu einer Vergeistigung der Päderastie gebracht hat.]. [Cité par Römer, 1908].
34[102] : Le tempo le plus rapide que j’ai trouvé chez un écrivain, c’est chez Pétrone : il court comme un vent rapide et par suite n’est pas lascif ; il est trop gai [lustig] pour cela.

W I 6a, juin-juillet 1885 : 37[8] : L'autre morale des Anciens. [In der alten Welt nämlich herrschte in der That eine andere, eine herrschaftlichere Moral als heute; und der antike Mensch, unter dem erziehenden Banne seiner Moral, war ein stärkerer und tieferer Mensch als der Mensch von Heute: — er war bisher allein „der wohlgerathene Mensch“. Die Verführung aber, welche vom Alterthum her auf wohlgerathene, d.h. auf starke und unternehmende Seelen ausgeübt wird, ist auch heute noch die feinste und wirksamste aller antidemokratischen und antichristlichen: wie sie es schon zur Zeit der Renaissance war.]


Par-delà Bien et Mal (1886),

IV " Maximes et interludes ", § 67 : " L'amour d'un seul est une chose barbare, car il s'exerce au détriment de tous les autres. L'amour de Dieu aussi. [Cité par Römer-Helder, 1908]

§ 75 : " Dans un être humain, le degré et la nature de la sexualité se répercutent jusque dans les plus hautes régions de l’esprit. "

§ 168 : " Le christianisme donna du poison à Éros : — il n'en mourut pas, mais dégénéra, en vice. [Das Christenthum gab dem Eros Gift zu trinken: — er starb zwar nicht daran, aber entartete, zum Laster.] [Cité par Römer, 1908 ; cité par le pape Benoît XVI dans Deus caritas est, § 3].

V " Contribution à l'histoire naturelle de la morale ", § 200 : " Ces êtres nés pour vaincre et pour séduire dont Alcibiade et César constituent les plus belles expressions (j’y ajouterais volontiers le premier Européen qui réponde à mon goût, le Holenstaufen Frédéric II), et parmi les artistes peut-être Léonard de Vinci. "

VI " Nous, les savants ", § 209 : " Le fervent amateur de beaux grenadiers bien bâtis qui, alors qu’il était roi de Prusse, donna naissance à un génie militaire et sceptique, et par là, au fond, à ce nouveau type allemand qui vient de s'imposer victorieusement, l’extravagant père du grand Frédéric posséda lui-même sur un point la lucidité et l'heureuse intuition du génie […] Les hommes manquaient et, pour son amer dépit, il soupçonnait son propre fils [Frédéric II] de n’être pas assez un homme. Il se trompait, mais qui ne se serait trompé à sa place ? "


La Généalogie de la morale (1887),
III, § 19 : papiers de lord Byron brûlés par Thomas Moore. [Moore was much criticised later for allowing himself to be persuaded to destroy Byron's memoirs at the behest of Byron's family because of their damningly honest content. Moore did, however, edit and publish Letters and Journals of Lord Byron, with Notices of his Life in 1830, six years after Byron's death in Greece.]


Fragments posthumes, 1886-1888,

Mp XVII 3b, fin 1886 – printemps 1887 : 7[7] : Les chevaliers à l’époque des croisades – enfants robustes [en français dans le texte]. Pour tuer et hurler, des bêtes de proie. Une fois la colère passée, ils retrouvent les larmes et se jettent gaiement au cou les uns des autres, tendrement.
7[20] : Vertu et ironie et perspicacité chez Socrate – chez Platon l’amoureux (pédéraste) [Tugend und Ironie und Scharfsinn bei Socrates — bei Plato der Verliebte (Päderast)]

W II 1, automne 1887 : 9[21] ; À l’honneur des vices
la culture grecque et la pédérastie
la musique allemande et l’ivrognerie
la science et
la vengeance

9[44] : " Ce qui n’est loisible qu’aux natures les plus fortes et les plus fécondes, pour rendre possible leur existence – oisiveté, aventure, incroyance, débauche même – tout cela, mis à la portée des natures moyennes, les ruinerait nécessairement. " [Das, was nur den stärksten und fruchtbarsten Naturen freisteht, zur Ermöglichung ihrer Existenz, — Muße, Abenteuer, Unglaube, Ausschweifung selbst — das würde — wenn es den mittleren Naturen freistünde, diese nothwendig zu Grunde richten — und thut es auch.]
9[143] : " Que l’on prenne comme antidote un livre proprement païen, par exemple Pétrone, où dans le fond rien ne se fait, ne se dit, ne se veut, ne s’estime qui, selon un critère de valeur chrétien et cagot, ne soit péché, même péché mortel. [...] Comparé à lui, le Nouveau Testament demeure le symptôme de la culture décadente et de la corruption – et c’est en tant que tel qu’il a agi, en tant que ferment de décomposition. " [Man nehme einmal ein eigentlich heidnisches Buch dagegen, z.B. Petronius, wo im Grunde Nichts gethan, gesagt, gewollt und geschätzt wird, was nicht, nach einem christlich-muckerischen Werthmaße, Sünde, selbst Todsünde ist. [...] Mit ihm verglichen bleibt das neue Testament ein Symptom des Niedergangs u der Cultur-Corruption — und als solches hat es gewirkt, als Ferment der Verwesung]

W II 2, automne 1887 : 10[69] : " Qu’on lise simplement Pétrone immédiatement après le Nouveau Testament : comme l’on respire, comme l’on chasse loin de soi les miasmes de la maudite momerie ! " [Man lese doch einmal Petronius unmittelbar nach dem neuen Testament: wie man aufathmet, wie man die verfluchte Muckerluft von sich bläst!]
10[93] : " Est-ce que l’ordure antique n’a pas plus de valeur que toute cette petite sagesse chrétienne prétentieuse, cette momerie chrétienne ? " [Welch Erquicken, nach dem neuen Testament etwa den Petronius in die Hand zu nehmen! Wie ist man sofort wieder hergestellt! wie fühlt man die Nähe der gesunden, übermüthigen, selbstgewissen und boshaften Geistigkeit! — und schließlich bleibt man vor der Frage stehn: „ist nicht selbst der antike Schmutz noch mehr werth als diese ganze kleine anmaaßliche Christen-Weisheit und -Muckerei?“]

W II 3 , novembre 1887 – mars 1888 : 11[26] : Il semble que toute grande croissance ait besoin de fumier et d’engrais [Es scheint, daß zu jedem großen Wachsthum Mist und Dünger irgend welcher Art noth thut] […] le duc de Morny affirmait qu’un vice même pouvait servir en l’occurrence, à savoir la tribaderie : „qui raffine la femme, la parfait, l’accomplit.“. [Cf Journal... des Goncourt, 17 mai 1863 : « Morny […] a émis cet axiome qu’un peu de libertinage adoucit les mœurs. Puis de là, à la grande indignation de la Princesse [Mathilde], il a commencé une apologie de la tribaderie, qui donne le goût à la femme, lui apporte son raffinement, l’accomplit. »]

W II 5, printemps 1888 : 14[157] ; La débauche ne peut être reprochée qu’à celui qui n’y a pas droit ; et presque toutes les passions ont mauvaise réputation à cause de ceux qui ne sont pas assez forts pour les tourner à leur avantage – [Cf Marcel Jouhandeau, « L'homosexualité n'est tolérable que dans l'exception, n'est supportable que si l'on a affaire à une âme, à un être exceptionnels. Les Grecs interdisaient l'homosexualité aux esclaves. Je souhaiterais qu'elle ne soit permise qu'aux Sages. » ("Éthique du péché", Nrf, janvier 1981)].

W II 6a, printemps 1888 : 15[44] : les blasphémateurs, les immoralistes, les indépendants de tout genre, les artistes [...] toutes les classes mal famées
15[60] : nous avons droit à toutes les choses qui étaient jusqu’à présent les plus mal famées
15[104] : Ce qu’il faut entendre par la spiritualisation des désirs de toutes sortes : la satura Menippea de Pétrone [Le Satyricon] en est un exemple classique. On la lit en parallèle avec un Père de l’Église, et on se demande où souffle l’air le plus pur [Was es mit der Vergeistigung der Begehrlichkeit jeder Art auf sich hat: dafür ist ein klassisches Beispiel die satura Menippea des Petronius. Man lese dieselbe Hand in Hand mit einem Kirchenvater und man frage sich, wo die reinlichere Luft weht… Hier steht nichts, was nicht einen alten Priester in Verzweiflung brächte durch Unsittlichkeit und lasciven Übermuth]

W II 7a, printemps-été 1888 : 16[67] : le roi de Bavière, qui était connu comme pédéraste [Päderast], dit un jour à Wagner : « Ainsi vous non plus n’aimez pas les femmes ? elles sont si ennuyeuses … ». [Der König von Bayern, der ein bekannter Päderast war, sagte einmal zu Wagner: also Sie mögen die Weiber auch nicht? sie sind so langweilig…]
W II 9c, octobre-novembre 1888 : 24[1] : Pétrone : bonne humeur qui saute avec grâce sur toutes les animalités du monde antique, souveraine liberté devant la « morale » [Der dritte unvergleich Eindruck, den ich den Lateinern verdanke, ist Petronius. Dies prestissimo des Übermuths in Wort, Satz und Sprung der Gedanken, dies Raffinement in der Mischung von Vulgär- und „Bildungs“-Latein, diese unbändige gute Laune, die sich vor nichts fürchtet und über jede Art Animalität der antiken Welt mit Grazie hinwegspringt, diese souveräne Freiheit vor der „Moral“, vor den tugendhaften Armseligkeiten „schöner Seelen“ — ich wüßte kein Buch zu nennen, das am Entferntesten einen ähnlichen Eindruck auf mich gemacht hätte. Daß der Dichter ein Provençale ist, sagt mir leise mein persönlichster Instinkt: man muß den Teufel im Leibe haben, um solche Sprünge zu machen. Unter Umständen, wenn ich nöthig hatte, mich von einem niedrigen Eindruck zu befreien, zum Beispiel von einer Rede des Apostel Paulus, genügten mir ein Paar Seiten Petronius, um mich vollkommen wieder gesund zu machen.]

Crépuscule des Idoles (1889),

Divagation d'un "inactuel", § 22 : thèse de Platon [Banquet] : action de la beauté, de la sensualité la plus extrême à la plus haute spiritualité. [Cité par Römer-Helder, 1908]

§ 23 : " Platon [...] dit, avec une candeur dont seul un Grec est capable (et jamais un "chrétien") qu'il n'y aurait pas de philosophie platonicienne s'il n'y avait à Athènes de si beaux adolescents : leur vue seule peut plonger l'âme du philosophe dans un vertige érotique qui ne lui laisse de répit qu'elle n'ait semé sur un terrain d'une telle beauté la graine de toutes les grandes choses. Étrange saint, lui aussi [...] La philosophie selon Platon se définirait plutôt comme une joute érotique, développant et intériorisant l’ancienne gymnastique agonale et les conditions qu’elle présuppose ... Qu’est-il en fin de compte sorti de cette érotique philosophique de Platon ? Une nouvelle forme artistique de l’agon grec, la dialectique. " [Plato [...] sagt mit einer Unschuld, zu der man Grieche sein muss und nicht „Christ“, dass es gar keine platonische Philosophie geben würde, wenn es nicht so schöne Jünglinge in Athen gäbe: deren Anblick sei es erst, was die Seele des Philosophen in einen erotischen Taumel versetze und ihr keine Ruhe lasse, bis sie den Samen aller hohen Dinge in ein so schönes Erdreich hinabgesenkt habe. Auch ein wunderlicher Heiliger! [...] Philosophie nach Art des Plato wäre eher als ein erotischer Wettbewerb zu definiren, als eine Fortbildung und Verinnerlichung der alten agonalen Gymnastik und derenVoraussetzungen… Was wuchs zuletzt aus dieser philosophischen Erotik Plato’s heraus? Eine neue Kunstform des griechischen Agon, die Dialektik.]. [Cité par Römer, 1908].

§ 45 : " Généralisons le cas du criminel : imaginons des natures à qui, pour une raison ou pour une autre, l’assentiment de la société est refusé. "

§ 47 : " À Athènes, du temps de Cicéron, qui en exprime son étonnement [Tusculanes, IV], les hommes et les adolescents surpassaient de loin les femmes en beauté : mais quel travail, quels efforts le sexe masculin ne s’était-il pas imposés à Athènes, depuis des siècles, au seul service de la beauté ! – Il ne faut pas ici se méprendre sur la méthode. Une simple éducation des sentiments et des pensées est presque équivalente à zéro. "


L’Antéchrist (1889),
§ 8 : " […] comme si, jusqu’ici, l’humilité, la chasteté, la pauvreté, la sainteté en un mot, n’avaient pas fait indiciblement plus de mal à la vie que toutes les abominations et tous les vices … "

§ 46 : " J'ai, immédiatement après saint Paul, lu avec ravissement Pétrone, le plus aimable, le plus pétulant des railleurs, dont l'on pourrait dire ce que Domenico Boccacio écrivait au duc de Parme au sujet de César Borgia :  « è tutto festo » – immortellement sain, immortellement gai et accompli ... "

mardi 3 janvier 2023

DFHM : Race d'ep à rouspan en passant par race maudite, regayifier, rivancher en prose, rivette et rocambole


Extrait de mon Dictionnaire français de l'homosexualité masculine.

Guy Hocquenghem en 1978. © Getty - Laurent MAOUS.


RACE D'EP, RASDEP

Verlan pour pédéraste, rapporté ou inventé par l’écrivain Guy Hocquenghem (1946-1988).

RACE MAUDITE, MALÉDICTION

MARCEL PROUST : « Race maudite puisque ce qui est pour elle l'idéal de la beauté et l'aliment du désir est aussi l'objet de la honte et la peur du châtiment, et qu'elle est obligée de vivre jusque sur les bancs du tribunal où elle vient comme accusée et devant le Christ, dans le mensonge et dans le parjure, puisque son désir serait en quelque sorte, si elle savait le comprendre, inadmissible, puisque n'aimant que l'homme qui n'a rien d'une femme, l'homme qui n'est pas "homosexuel", ce n'est que de celui-là qu'elle peut assouvir un désir qu'elle ne devrait pas pouvoir éprouver pour lui, qu'il ne devrait pas pouvoir éprouver pour elle, si le besoin d'amour n'était pas un grand trompeur et ne lui faisait pas de la plus infâme "tante" l'apparence d'un homme, d'un vrai homme comme les autres, qui par miracle se serait pris d'amour ou de condescendance pour lui, puisque comme les criminels elle est obligée de cacher son secret à ceux qu'elle aime le plus, craignant la douleur de sa famille, le mépris de ses amis, le châtiment de son pays ; race maudite, persécutée comme Israël et comme lui ayant fini, dans l'opprobre commun d'une abjection imméritée, par prendre des caractères communs, l'air d'une race, ayant tous certains traits caractéristiques, des traits physiques qui souvent répugnent, qui quelquefois sont beaux, des cœurs de femme aimants et délicats, mais aussi une nature de femme soupçonneuse et perverse, coquette et rapporteuse, des facilités de femme à briller à tout, une incapacité de femme à exceller en rien ; exclus de la famille, avec qui ils ne peuvent être en entière confidence, de la patrie, aux yeux de qui ils sont des criminels non découverts, de leurs semblables eux-mêmes, à qui ils inspirent le dégoût de retrouver en eux-mêmes l'avertissement que ce qu'ils croient un amour naturel est une folie maladive, et aussi cette féminité qui leur déplaît, mais pourtant cœurs aimants, exclus de l'amitié parce que leurs amis pourraient soupçonner autre chose que de l'amitié quand ils n'éprouvent que de la pure amitié pour eux, et ne les comprendraient pas s'ils leur avouaient quand ils éprouvent autre chose, objet tantôt d'un dégoût qui les incrimine dans ce qu'ils ont de plus pur, tantôt d'une curiosité qui cherche à les expliquer et les comprend tout de travers, élaborant à leur endroit une psychologie de fantassin qui, même en se croyant impartiale est encore tendancieuse et admet a priori, comme ces juges pour qui un Juif était naturellement un traître, qu'un homosexuel est facilement un assassin ; comme Israël encore recherchant ce qui n'est pas eux, ce qui ne serait pas d'eux, mais éprouvant pourtant les uns pour les autres, sous l'apparence des médisances, des rivalités, des mépris du moins homosexuel pour le plus homosexuel comme du plus déjudaïsé pour le petit Juif, une solidarité profonde, dans une sorte de franc-maçonnerie qui est plus vaste que celle des Juifs parce que ce qu'on en connaît n'est rien et qu'elle s'étend à l'infini et qui est autrement puissante que la franc-maçonnerie véritable parce qu'elle repose sur une conformité de nature, sur une identité de goût, de besoins, pour ainsi dire de savoir et de commerce, en voiture dans le voyou qui lui ouvre la portière, ou plus douloureusement parfois dans le fiancé de sa fille et quelquefois avec une ironie amère dans le médecin par qui il veut faire soigner son vice, dans l'homme du monde qui lui met une boule noire au cercle, dans le prêtre à qui il se confesse, dans le magistrat civil ou militaire chargé de l'interroger, dans le souverain qui le fait poursuivre, radotant sans cesse avec une satisfaction constante (ou irritante) que Caton était homosexuel, comme les Juifs que Jésus-Christ était Juif, sans comprendre qu'il n'y avait pas d'homosexuels à l'époque où l'usage et le bon ton étaient de vivre avec un jeune homme comme aujourd'hui d'entretenir une danseuse, où Socrate, l'homme le plus moral qui fût jamais, fit sur deux jeunes garçons assis l'un près de l'autre des plaisanteries toutes naturelles comme on fait sur un cousin et sa cousine qui ont l'air amoureux l'un de l'autre et qui sont plus révélatrices d'un état social que des théories qui pourraient ne lui être que personnelles, de même qu'il n'y avait pas de Juifs avant la crucifixion de Jésus-Christ, si bien que pour originel qu'il soit, le péché a son origine historique dans la non-conformité survivant à la réputation ; mais prouvant alors par sa résistance à la prédication, à l'exemple, au mépris, aux châtiments de la loi, une disposition que le reste des hommes sait si forte et si innée qu'elle leur répugne davantage que des crimes qui nécessitent une lésion de la moralité, car ces crimes peuvent être momentanés et chacun peut comprendre l'acte d'un voleur, d'un assassin mais non d'un homosexuel ; partie donc réprouvée de l'humanité mais membre pourtant essentiel, invisible, innombrable de la famille humaine, soupçonné là où il n'est pas, étalé, insolent, impuni là où on ne le sait pas, partout, dans le peuple, dans l'armée, dans le temple ; au théâtre, au bagne, sur le trône, se déchirant et se soutenant, ne voulant pas se connaître mais se reconnaissant, et devinant un semblable dont surtout il ne veut pas s'avouer de lui-même - encore moins être su des autres - qu'il est le semblable, vivant dans l'intimité de ceux que la vue de son crime, si un scandale se produisait, rendrait, comme la vue du sang, féroce comme des fauves, mais habitué comme le dompteur en les voyant pacifiques avec lui dans le monde à jouer avec eux, à parler homosexualité, à provoquer leurs grognements si bien qu'on ne parle jamais tant homosexualité que devant l'homosexuel, jusqu'au jour infaillible où tôt ou tard il sera dévoré, comme le poète reçu dans tous les salons de Londres, poursuivi lui et ses œuvres, lui ne pouvant trouver un lit où reposer, elles une salle où être jouées, et après l'expiation et la mort, voyant s'élever sa statue au-dessus de sa tombe, obligé de travestir ses sentiments, de changer tous ses mots, de mettre au féminin ses phrases, de donner à ses propres yeux des excuses à ses amitiés, à ses colères, plus gêné par la nécessité intérieure et l'ordre impérieux de son vice de ne pas se croire en proie à un vice que par la nécessité sociale de ne pas laisser voir ses goûts ; race qui met son orgueil à ne pas être une race, à ne pas différer du reste de l'humanité, pour que son désir ne lui apparaisse pas comme une maladie, leur réalisation même comme une impossibilité, ses plaisirs comme une illusion, ses caractéristiques comme une tare, de sorte que les pages les premières, je peux le dire, depuis qu'il y a des hommes et qui écrivent, qu'on lui ait consacrées dans un esprit de justice pour ses mérites moraux et intellectuels, qui ne sont pas comme on dit enlaidis en elle, de pitié pour son infortune innée et pour ses malheurs injustes, seront celles qu'elle écoutera avec le plus de colère et qu'elle lira avec le sentiment le plus pénible, car si au fond de presque tous les Juifs il y a un antisémite qu'on flatte plus en lui trouvant tous les défauts mais en le considérant comme un chrétien, au fond de tout homosexuel, il y a un anti-homosexuel à qui on ne peut pas faire de plus grande insulte que de lui reconnaître les talents, les vertus, l'intelligence, le cœur, et en somme comme à tout caractère humain, le droit à l'amour sous la forme où la nature nous a permis de le concevoir, si cependant pour rester dans la vérité on est obligé de confesser que cette forme est étrange, que ces hommes ne sont pas pareils aux autres.
Marcel Proust, Contre Sainte-Beuve suivi de Nouveaux mélanges , Paris : Gallimard, 1954 (1908-1909).

Julien GREEN : « Nous [avec le père Marie-Alain Couturier] avons étendu cette discussion [sur les fautes charnelles] à l'homosexualité que j'avais appelé une sorte de malédiction, car on ne voyait pas, disais-je, comment un homme possédé par cet instinct peut légitimement se libérer, puisque le mariage ne lui est pas possible. Le père Couturier a protesté contre ce terme de malédiction. " S'ils souffrent plus que d'autres, soyez sûrs que Dieu les aime davantage " (c'est-à-dire que leur souffrance les rend plus chers à Dieu). " Mais pourquoi la chose existe-t-elle ? " demandai-je. Il n'a pas pu me répondre. »
Toute ma vie Journal intégral ** 1940-1945, 25 octobre 1943, Paris : Bouquins éditions, 2021.

RAGOÛT D'Italie / RAGOÛT DE DELÀ LES MONTS

" Ce jeune monsieur n'aimait pas les femmes : M. de Vendôme a toujours depuis été accusé du ragoût d'Italie. On en a fait une chanson autrefois :
« Monsieur de Vendôme
Va prendre Sodome. » "
Tallemant des Réaux, Historiettes, " Mademoiselle Paulet ", tome I (Gallimard, collection Bibliothèque de la Pléiade), page 474.



« On a un peu accusé M. de Schomberg [maréchal de France] d’aimer les ragoûts de delà les monts »
Tallemant des Réaux, Historiettes, " Le Page, ses deux femmes et sa fille ".


RAILLER, RAILLERIE

"Nicolas de Clémanges à Gerson : je passe sous silence les paillardises et les adultères, desquels ceux qui s'abstiennent ont accoutumé d'être l'objet des railleries et de la moquerie des autres ; on les appelle châtrés, ou l'on dit qu'ils sont sodomites."
Pierre Jurieu (1637-1713), Préjugés légitimes contre le papisme, Amsterdam, 1685 ; tome 1, chapitre XXVII, page 332.


« Je crois bien que le prince Max n'a pas l'humeur italienne, car ordinairement ce n'est pas le vice des bons et honnêtes allemands ; mais ici à la Cour je ne pense pas qu'on puisse trouver une demie douzaine de personnes qui n'en soient pas entachés. Quand Mr de Turenne sera donc de nouveau ici, il trouvera beaucoup d'amis aussi facilement qu'en Morée ; peut-être qu'il a consolé son oncle, le cardinal, de cette manière, dans son exil, car monsieur le cardinal ne déteste pas du tout la vie et avait toujours de bien beaux pages ; aussi il entendait bien raillerie sur ce sujet : j'ai vu une fois le duc de Villeroy lui amener un de ses pages, pour le lui montrer. C'était un garçon parfaitement beau, et ils riaient beaucoup là-dessus. »
Madame, princesse Palatine, lettre à Sophie de Hanovre, 27 septembre 1690.

"Les Français sont encore les inventeurs d'une autre manière d'exercer leur raillerie, en laquelle ils excellent sur toutes les autres nations, c'est en ces chansons plaisantes et malignes qui courent fréquemment, et dont les auteurs sont d'ordinaire inconnus ; elles ne sont jamais produites par les poètes de profession, ce sont des gens de la Cour, de la ville, ou des troupes qui, étant en débauche et plus échauffées par le vin que par l'amour du prochain, les font d'ordinaire à table et le verre à la main ; ce sont aussi quelquefois des dames peu charitables qui font contre d'autres dames, ou contre des hommes qui leur auront déplu, de ces chansons ingénieuses et plaisantes, dont le venin est d'autant plus dangereux, qu'étant animé par l'harmonie du chant et de la poésie, il s'insinue agréablement en flattant l'oreille des auditeurs et la malignité qui règne parmi les hommes, et que ces sortes de chansons s'apprennent avec beaucoup de facilité, et ne s'oublient pas si facilement. On y voit quelquefois des contre-vérités finement trouvées sur les défauts, et sur les bruits médisants qui ont couru des personnes dont elles parlent, quelquefois on y caractérise malicieusement ceux qu'on y fait parler, en leur faisant dire des choses qui conviennent à leurs faiblesses et à leur ignorance, ou à leurs autres défauts."
François de Callières (1645-1717), diplomate et académicien, Des bons mots et des bons contes …, 1692, discours sixième, " De la raillerie et des railleurs de notre temps ".

« Le prince de Ligne est bien heureux de ne pas vivre en Hollande, où il paraît qu’on n’entend pas raillerie aussi bien qu’ici. »
Jean Bouhier, lettre à Mathieu Marais, 7 août 1730.

Bouhier dit par là qu’en Hollande, où il venait d’y avoir plusieurs exécutions d’homosexuels, on était bien moins tolérant qu’en France.

Dans Spicilège, Montesquieu parle d’un passage d’Aristophane [Assemblée des femmes, 109-114] comme d’une « raillerie sur Alcibiade ».

 « Vraiment, cela devient insupportable, surtout avec ce sérieux et cette fade sentimentalité. De ce biais, c’est ridicule. Qu’on ne parle pas des Anciens ! Les mœurs ont changé. Le progrès se fait par la différenciation, comme l’a dit [Herbert] Spencer. D’ailleurs, Aristophane et les autres comiques ou satiriques ne se privaient point de railler, ni nos pères non plus, avec leur verdeur gauloise. Et puis, en voilà assez, et la mesure est comble ["elle commence seulement à se remplir craintivement", commentera André Gide]. »
Paul Souday, Le Temps, 4 février 1926.

Le concept d’homophobie a aujourd’hui partiellement remplacé et complètement dénaturé celui de raillerie.


RAMASSER DES ÉPINGLES, RAMASSER DES MARRONS/RAMASSEUR DE MARRONS

« Ramasser des épingles : Se livrer à la pédérastie passive. »
Hector France

Au XVIIIe siècle, il y avait des marronniers dans le jardin des Tuileries à Paris.

« Je suis ramasseur de marrons »
Décret en faveur des putains …, vers 1790.

Alfred Delvau :
Dictionnaire érotique moderne..., 1864.


« Dans le peuple on dit : – Il va ramasser des marrons dans l’allée des Veuves [aujourd’hui avenue Montaigne]. L’allusion est claire. (Argot du peuple). »
Charles Virmaître, Dictionnaire d’argot fin-de-siècle,
Paris : A. Charles, 1894, dans la définition de passif.


RAPPROCHEMENT DE SEXES SEMBLABLES

"Ce militaire [...] nous fit voir un coq qui, après avoir terrassé son adversaire, cherchait à le sodomiser, et insistant quelquefois jusqu'à l'éjaculation, quand l'ennemi battu était acculé de manière à ne pouvoir fuir. L'observateur prétendait avoir vu assez souvent les chiens se livrer au rapprochement de sexes semblables, et cela jusqu'à intromission ; il pensait que les mêmes influences climatologiques produisaient et ces accouplements chez les animaux et la sodomie chez l'homme."
Dr F. Jacquot, médecin de l'armée d'Afrique, " Des aberrations de l'appétit génésique ", Gazette Médicale de Paris, 28 juillet 1849.


REGAYIFIER

« On murmure que le Red Light souhaiterait « regayifier » son after du dimanche matin (ah, ah, je rigole), et que Laurent Garnier voudrait à nouveau jouer régulièrement pour les gays, comme à ses débuts. »
Yannick Barbe, Tétu, février 2004.

RÉGULIER

Robert de Saint Jean : « Il [l'écrivain François Mauriac] choisit définitivement vers la trentaine la voie régulière. »
Passé pas mort, III " En revenant de la revue " Paris : Grasset, 1983.

RENCULER

« 15. Il encule le prêtre tout en disant sa messe, et quand celui-ci a consacré, le fouteur se retire un moment ; le prêtre se fourre l’hostie dans le cul, et on le rencule quand par là-dessus. »
Marquis de Sade, Les Cent vingt journées de Sodome, 3e partie [1785], Paris : Gallimard, 1990, édition Michel Delon.

RETOURNER (SE)

« C’est à ce maître si connu [de Villette], si zélé pour les sectateurs de Gomorrhe, que je dois mes notions sur la fouterie à visage retourné, c’est un de mes passe-temps délicieux. »
Compère Mathieu, Suite des Pantins des Boulevards, 1791.

« Dans un autre coin, ce sont des blagues sur Oscar Wilde, au milieu desquelles j’entends Léon Daudet jeter dans un rire :"oh ! celui-là, sa mère, quand elle le regardait dans son berceau, a dû penser : ‘en voilà un qui saura se retourner !’ ". »
Edmond de Goncourt, Journal. Mémoires de la vie littéraire de 1851 à 1896, Paris : Fasquelle/Flammarion, 1956, 25 avril 1895.

RÉTROACTIF

« L’Univers sait que l’équivoque marquis de Villette est le Président perpétuel du formidable district des citoyens rétroactifs, partant zélé partisan de la Constitution, où tout est sens devant derrière. »
Andréa de Nerciat, Les Aphrodites, 1793, 1ère partie, troisième fragment, « À bon chat : bon rat ». Voir DEVANT/DERRIÈRE.



Alfred Delvau :
Dictionnaire érotique moderne..., 1864, Supplément.

RITE

« Ceux-là que sacre le haut rite »
Paul Verlaine, Parallèlement, "Ces passions …", 1889. Première publication du poème dans La Cravache parisienne, 2 février 1889, sous le titre Parallèlement.

RIVANCHER EN PROSE

« rivancher en prose : sodomiser, dans l’argot des voleurs. »
Pierre Leclair, Histoire des brigands, chauffeurs et assassins d’Orgères, Chartres, an VIII (1799).

L’explication est dans le sens de cul qu’avaient prose et proye ; cf emproseur. Selon Alfred Delvau, rivancher vient du verbe italien rivangare, retourner la terre avec une bêche.

RIVETTE

À la fin du XVIIIe siècle, ce mot est apparu avec un sens voisin de bardache ; on le rencontre dans l’écrit anonyme Vie privée et publique du ci-derrière marquis de Villette (1792) :

« Bougre en même temps et rivette
Le ci-devant marquis Villette
Pour les femmes et pour le con
Sent la plus vive aversion.
Sans être natif de Sodome,
À la femme il préfère l’homme,
Quand il est jeune, et neuf surtout,
Pourquoi pas ? Chacun a son goût. »

L’origine de ce sens est à chercher du côté de river, ou rivancher (action du coït selon Vidocq, 1837) ; cf rivancher en prose. L’équivalent anglais de river, soit to screw, a conservé son sens sexuel.

Vidocq a mis pour rivette : « Jeune sodomite. Les voleurs de province donne ce nom aux filles publiques. » (Les Voleurs, tome 2, page 65, 1837).

Chez Francisque Michel, il n’y a que le sens provincial « fille de joie, jeune débauchée. »

Selon le policier très kantien Canler, les rivettes formaient une des catégories de tantes :

« La quatrième catégorie se compose des rivettes. ceux-ci n’ont rien qui puisse les faire distinguer des autres hommes, et il faut à l’observateur, pour les deviner, la plus grande attention jointe à la plus grande habitude. On en rencontre à tous les degrés de l’échelle sociale. Pour satisfaire leur penchant, ces individus s’adressent de préférence à la jeunesse. Aussi les chanteurs s’attachent-ils plus particulièrement aux rivettes, qu’ils exploitent presque toujours avec succès. »
Louis Canler, Mémoires de Canler, ancien chef du service de sûreté, 1862.

Pour Moreau-Christophe, au contraire, les chanteurs se servaient de « l’appeau trompeur d’un succube, ou jeune rivette, rendu à leurs intérêts – un Jésus, comme ils l’appellent blasphématoirement. » (Variétés de coquins, 1865). Cet auteur opposait rivette à riveur ou incube.

« Rivette : De la famille des enculés. Homme qui vous déboutonne, vous prend de force et vous suce la pine. »
J. Ch[ou]x, Le Petit Citateur, 1881.

"Ceux qui ne recherchent qu'une satisfaction personnelle pour leur passion antiphysique, et qui payent les services qu'on leur rend, forment la première catégorie [de pédérastes]. Ce sont, à proprement parler, les vrais pédérastes ; on les désignent ordinairement sous le nom d'amateurs. On leur donne aussi le nom de rivettes."
François Carlier, Les Deux prostitutions. 1860-70, Paris : E. Dentu, 1887.

Virmaitre, Dictionnaire..., 1894.


RIVEUR

Moreau-Christophe a opposé rivette à riveur ou incube (Variétés de coquins, 1865).

ROCAMBOLE

Alfred Delvau :
Dictionnaire érotique moderne..., 1864, Supplément.
Les Aphrodites (1793), œuvre du romancier Andréa de Nerciat (1739-1800).

ROND

« Je vois que le grand d’Assoucy
Est aujourd’hui mal réussi,

Car hélas qu’aurait-il pu faire
Avec son luth et ses chansons
Auprès de vos vilains gitons
Et des déesses de Cythère ?

Le pauvre homme alors confondu
Eût quitté le rond pour l’ovale
Et se fût à la fin rendu
Hérétique en terre papale. »
Voltaire, lettre à  Jacques-François de Sade [oncle du marquis], 29 août 1733.

« Accourez, bougres, bardaches, bardachins et bardachinets, comtemplez et voyez si la mobilité de mon rond ne met pas en défaut la mobilité du vôtre. »
Les Enfants de Sodome à l’Assemblée natinale, 1790, discours de la Tabouret.

ROUSPAN(T), ROUSPANTEUR

Rouspan(t) viendrait de l’italien ruspanti, nom donné aux gitons du dernier grand-duc de Toscane.

« ROUSPANT. — Ils font chanter les pédérastes qu’ils soutiennent. Ce sont les "macs" de ces monstres. »
François Vidocq, Les Voleurs, tome 2, page 72, 1837.

Alfred Delvau :
Dictionnaire érotique moderne..., 1864.

« Rouspant. Proxénète pour le troisième sexe et ses admirateurs. »
Lucien Rigaud, Dictionnaire du jargon parisien - L'argot ancien et l'argot moderne, Paris : Paul Ollendorff, 1878.

« ROUSPANT : Homme qui fournit des sujets aux tantes. C'est le procureur des pédérastes (Argot des souteneurs). »
Charles Virmaître, Dictionnaire d'argot fin-de-siècle, Paris : A. Charles, 1894. Noter là encore
la surdétermination, deux termes du lexique en renfort pour en définir un troisième.

« Rouspan : complice de pédéraste qui arrive au moment psychologique et se fait passer pour agent des mœurs, pour faire chanter le client. »
Hector France. Dictionnaire de la langue verte : archaïsmes, néologismes, locutions étrangères, patois, Paris : Librairie du Progrès, 1907. Réédition par Nigel Gauvin en 1990.



Lettre S