mercredi 27 août 2014

L'AFFAIRE DE LENOIR ET DIOT (Paris, 1750)





Paris, janvier - juillet 1750


   La proposition de l'ancien maire de Paris Bertrand Delanoë tendant à l’apposition d’une plaque commémorative à la mémoire de Bruno Lenoir et Jean Diot à l’angle des rues Bachaumont et Montorgueil (Paris 2e) réveilla le souvenir de cette lamentable affaire. Cette plaque fut dévoilée le 18 octobre 2014 par la maire PS de Paris, Anne Hidalgo.


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  L'exécution capitale de Lenoir et Diot en juillet 1750 constitue la dernière affaire connue de répression judiciaire de l'homosexualité per se, c'est-à-dire non compliquée de violence ou de pédophilie, en France. L'affaire précédente qui soit comparable, en mars 1720, tout aussi triste mais bien moins médiatisée, concernait deux tout jeunes parisiens, Philippe Basse et Bernard Mocmanesse, également accusés des énormes crimes de blasphèmes, il faut dire ...

Lien : Procès de sodomie en France

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  La surveillance policière des lieux de rencontre des "gens de la manchette" par les mouches, que j'ai décrite dans Les Assemblées de la manchette, n'est pas responsable de l'arrestation de Lenoir et Diot ; ils ont été surpris par le guet royal, institution ancienne qui coexistait avec la police, près de ce que l'on appelle aujourd'hui le Forum des Halles. Sans doute faut-il voir là une des raisons de cette sévérité, exceptionnelle au XVIIIème siècle.


I / L'arrestation

   Le commissaire en dressa ce procès-verbal :

L'an 1750 le [dimanche] 4 janvier 11 heures et demie du soir par devant nous Jacques François Charpentier conseiller du Roi, commissaire au Châtelet à Paris, en notre hôtel est comparu Julien Dauguisy, sergent du guet [...] lequel a dit que passant rue Montorgueil entre la rue St Sauveur et la rue Beaurepaire, il a vu deux particuliers en posture indécente et d'une manière répréhensible, l'un desquels lui a paru ivre. Il les a arrêtés tant sur ce qui lui a paru de leur indécence que sur la déclaration que lui a faite un particulier passant, qui a dit les avoir vu commettre des crimes que la bienséance ne permet point d'exprimer par écrit ; pour quoi il les a conduits par devant nous, et a signé en notre minute.

Par l'un des particuliers a été dit qu'il se nomme Bruno Lenoir, âgé de 20 ou 25 ans, garçon cordonnier [...], qu'il ne connaît point l'autre particulier arrêté sinon qu'il l'a rencontré il y a une demie heure, que ce particulier lui a demandé s'il voulait venir avec lui et qu'ayant refusé, ce particulier lui a défait sa culotte et a commis sur lui des indécences, et que la garde étant survenue les a arrêtés et conduits par devant nous. Et a signé en notre minute.

Par l'autre particulier, a été dit qu'il se nomme Jean Diot, âgé de 40 ans, garçon domestique chez la dame Marin, chaircuitière rue de la Fromagerie [...], qu'il ne connaît point l'autre particulier arrêté, que l'ayant trouvé sur le pas d'une porte endormi, il n'avait d'autre intention que de lui rendre service et n'était point en posture indécente comme on lui reproche, et n'avait point ôté sa culotte quand on l'a arrêté. Et a déclaré ne savoir écrire ni signer (Archives nationales, manuscrit Y 10132).


  On verra plus loin les détails apportés par l'avocat parisien Barbier sur les circonstances de ces arrestations. Lenoir et Diot sont mis en détention, et interrogés cinq jours plus tard :
Bruno Lenoir, garçon cordonnier âgé de 21 ans [...] a déclaré aujourd'hui 9 janvier 1750 que le 4 du présent mois, passant à 9 heures du soir rue Montorgueil, il y a été rencontré par un particulier à lui inconnu, et qu'il a su depuis s'appeler jean Diot, [...] que ce Jean Diot est venu l'accoster et lui a proposé l'infamie, qu'il l'a même prié de le lui mettre par derrière, que pour cet effet Jean Diot a défait sa culotte et que lui déclarant le lui a mis par derrière, sans cependant finir l'affaire [d'ou mon titre ...], attendu qu'ils ont été surpris par le guet qui les a arrêtés et qui après les avoir conduits devant un commissaire les a amenés à la prison du grand Châtelet [...] Jean Diot nie le fait (Archives de la Bastille, manuscrit 11717, folio 247).
Ce cas de sodomie en pleine rue n'est pas le seul connu ; en octobre 1727, un certain Jean Duvu racontait qu'il avait " foutu en cul, au milieu de la rue des Saints-Pères, un jeune homme qu'il avait entretenu longtemps, nommé Picard " (Archives de la Bastille, 10257 ; Les Assemblées de la manchette, N° 26)


II / Le procès

  Le 11 avril 1750, le procureur requiert que les inculpés soient brûlés vifs (Archives nationales, mss Y 10132). La sentence, rendue le 27 mai, nous est connu par cet arrêt du 5 juin :

Sr Berthelot.
Vu par la Cour : le procès criminel fait par le Prévôt de Paris ou son lieutenant-criminel au Châtelet à la requête du substitut du procureur général du Roi, demandeur et accusateur, contre Bruno Lenoir garçon cordonnier et Jean Diot domestique, défendeurs et accusés, prisonniers en la Conciergerie du Palais, appelant de la sentence rendue sur le procès le 27 mai 1750 par laquelle ils auraient été déclarés dûment atteints et convaincus du crime de sodomie mentionné au procès ; pour réparation ils auraient été condamnés à être conduits dans un tombereau à la place de Grève, et là y être brûlés vifs avec leur procès, leurs cendres ensuite jetées au vent, leurs biens acquis et confisqués au Roi ou à qui il appartiendra, sur chacun d'eux préalablement pris la somme de 200 livres d'amende envers le Roi, au cas que confiscation n'ait pas lieu au profit de sa Majesté.
Ouïs et interrogés en la Cour Bruno Lenoir et Jean Diot sur leur cause d'appel et cas à eux imposés.
Tout considéré.
La Cour dit qu'il a été bien jugé par le lieutenant-criminel du Châtelet, mal et sans grief appelé par Bruno Lenoir et Jean Diot, et les amendera. Et pour faire mettre le présent arrêt à exécution renvoie Bruno Lenoir et Jean Diot prisonniers par devant le lieutenant-criminel du Châtelet.
Fait en Parlement le 5 juin 1750
Arrêté que Bruno Lenoir et Jean Diot seront secrètement étranglés avant de sentir le feu (Archives nationales, Parlement criminel, x/2b/1006 ; arrêt signé Demaupéou et Berthelot).

L'interrogatoire auquel il est fait allusion ci-dessus n'est connu que par ce procès-verbal :

" Bruno Lenoir après serment :
23 ans, cordonnier.
S'il a passé dans la rue Montorgueil : n'en sait rien.
S'il a défait sa culotte : ne sait ce qu'on veut lui dire.
S'il a commis des indécences avec un autre particulier : n'en sait rien.

Jean Diot, après serment :
40 ans, gagne deniers.
S'il a été rue Montorgueil : oui.
S'il a commis avec Lenoir des indécences : non et ne le connaît pas.
S'il a défait sa culotte : oui, pour lâcher de l'eau.
Si l'autre avait aussi sa culotte défaite : n'en sait rien. "
(Archives nationales, Parlement criminel, x/2a/1114, registre du Conseil du 5 juin 1750 ; procès-verbal signé Berthelot.)


III / L'exécution

  Voltaire, qui signala l'exécution de Deschauffours en 1726, semblait ne pas avoir eu connaissance de ce procès ; il était alors en Prusse, auprès de Frédéric II, dont les mœurs ne le choquaient pas (soit dit en passant). L'exécution des deux hommes resta aussi inconnue des auteurs des Mémoires secrets, qui écrivaient, le 11 octobre 1783, le jour de l'exécution de Paschal, que " depuis le supplice de Deschauffours [1726] on n'avait point exécuté de sodomiste ".

  L'avocat E.J.F. Barbier nota le fait dans son Journal historique et anecdotique ; plusieurs éditeurs omirent les deux passages concernés, que je reproduis ci-dessous d'après le manuscrit que j'avais pu consulter à la BnF :

Juin 1750
On devait brûler ces jours-ci deux ouvriers que le guet a trouvé le soir en flagrant délit culotte bas pour fait de b.... Le fait est fort singulier, mais on dit qu'on a commué la peine par prudence, et qu'ils seront apparemment enfermés pour le reste de leur vie à Bicêtre.

Chronique de la Régence et du règne de Louis XV ou Journal de Barbier, avocat au

Parlement de Paris, quatrième série, Paris : Charpentier, 1858, page 441.

Juillet 1750
Aujourd'hui, lundi 6, on a brûlé en place de Grève, publiquement, à cinq heures du soir, ces deux ouvriers : savoir, un garçon menuisier et un charcutier, âgés de 18 et 25 ans, que le guet a trouvés en flagrant délit, dans les rues, le soir, commettant le crime de sodomie ; il y avait apparemment un peu de vin sous jeu pour pousser l'effronterie à ce point. J'ai appris, à cette occasion, que devant les escouades du guet à pied, marche un homme vêtu de gris qui remarque ce qui se passe dans les rues, sans être suspect, et qui, ensuite, fait approcher l'escouade. C'est ainsi que nos deux hommes ont été découverts. Comme il s'est passé quelque temps sans faire l'exécution, après le jugement, on a cru que la peine avait été commuée à cause de l'indécence de ces sortes d'exemples, qui apprennent à bien de la jeunesse ce qu'elle ne sait pas. Mais on dit que c'est une contestation entre le lieutenant-criminel et le rapporteur [...] Bref, l'exécution a été faite pour faire un exemple, d'autant que l'on dit que ce crime devient très commun et qu'il y a beaucoup de gens à Bicêtre pour ce fait. Et comme ces deux ouvriers n'avaient point de relations avec des personnes de distinction, soit de la Cour, soit de la ville, et qu'ils n'ont apparemment déclaré personne, cet exemple s'est fait sans aucune conséquence pour les suites [...] On n'a point crié le jugement pour s'épargner apparemment le nom et la qualification du crime. On avait crié en 1726 pour le sieur Deschauffours, pour crime de sodomie ( BnF, mss français 10289, folios 149 et 152).



Chronique de la Régence et du règne de Louis XV ou Journal de Barbier, avocat au
Parlement de Paris, quatrième série, Paris : Charpentier, 1858.


 Journal et Mémoires du marquis René Louis d'Argenson, à la date du 18 juillet 1750 (tome 6) :

" On a brûlé ces jours-ci deux manants pour sodomie, et fustigé une belle maquerelle par les rues, pour avoir voulu prostituer une fille de dix ans à un jeune bénéficier du collège de Bourgogne. "

IV / Retentissement immédiat, et échos plus ou moins lointains

  La seule réaction littéraire immédiate connue se lisait dans cet écrit satirique et allégorique attribué à Blanchet de Pravieux, Les Réclusières de Vénus (1750) :

Vénus accourt, et d'un œil satisfait souffle le feu ; la flamme dévorante chez ses rivaux va porter l'épouvante qui ne dura qu'autant que les tisons flambaient, grillaient les deux nouveaux Chaussons (a). 
a. Jacques Chausson, condamné pour impiété et prostitution de jeunes garçons, fut exécuté avec son complice Fabry à Paris en décembre 1661 ; son nom était depuis parfois employé comme nom commun (cf mon DFHM, entrée "Chausson").

L'Encyclopédie de d'Alembert et Diderot la signala en 1765, à l'article très rétrograde "Sodomie" de Boucher d'Argis, après avoir rappelé la base juridique de genre d'exécutions, soit la peine en usage pour "ce désordre abominable". Comme cet article donne, théoriquement, le point de vue des élites éclairées de l'époque, il mérite que je le cite entièrement :



« SODOMIE, s. f. (Gram. & Jurisprud.) est le crime de ceux qui commettent des impuretés contraires même à l'ordre de la nature ; ce crime a pris son nom de la ville de Sodome, qui périt par le feu du ciel à cause de ce désordre abominable qui y était familier.
  La justice divine a prononcé la peine de mort contre ceux qui se souillent de [ce] crime, morte moriatur ; Lévitique, ch. XX .
  La même peine est prononcée par l'Authentique, ut non luxurientur.
  La loi cum vir au code de adult. veut que ceux qui sont convaincus de ce crime soient brûlés vifs.
  Cette peine a été adoptée dans notre jurisprudence : il y en a eu encore un exemple en exécution d'un arrêt du 5 juin 1750, contre deux particuliers qui furent brûlés vifs en place de Grève.
  Les femmes, les mineurs, sont punis comme les autres coupables.
  Cependant quelques auteurs, tels que Menochius, prétendent que pour les mineurs, on doit adoucir la peine, surtout si le mineur est au-dessous de l'âge de la puberté.
  Les ecclésiastiques, les religieux, devant l'exemple de la chasteté, dont ils ont fait un voeu particulier, doivent être jugés avec la plus grande sévérité, lorsqu'ils se trouvent coupables de ce crime ; le moindre soupçon suffit pour les faire destituer de toute fonction ou emploi qui ait rapport à l'éducation de la jeunesse. Voyez Du Perray.
  On comprend sous le terme de sodomie, cette espèce de luxure que les canonistes appellent mollities, & les latins mastupratio, qui est le crime que l'on commet sur soi-même ; celui-ci lorsqu'il est découvert (ce qui est rare au for extérieur) est puni des galères ou du bannissement, selon que le scandale a été plus ou moins grand.
  On punit aussi de la même peine ceux qui apprennent à la jeunesse à commettre de telles impuretés ; ils subissent de plus l'exposition au carcan avec un écriteau portant ces mots, corrupteur de la jeunesse. Voyez les novelles 77 & 141 ; du Perray, des moyens can. ch. viii ; Menochius, de arbitr. cas. 329 n. 5 ; M. de Vouglans, en ses Instit. au Droit criminel, page 510. »

Encyclopédie, tome XV, colonne 266, 1765, par Antoine-Gaspard Boucher d'Argis (1708-1791).



On retrouvera cet article, avec des notes d'éclaircissement, dans mon DFHM, article "sodomie".

L'article "sodomie du Dictionnaire des Sciences Médicales de Panckoucke fit le même rappel :

" En France, avant la réforme de notre code criminel, on se conformait à la loi Cum vir, et les sodomites étaient brûlés vifs : en 1750, deux pédérastes furent brûlés en place de Grève [tome 51, 1821. La loi Cum vir ..., édit de l'empereur Constant en l'an 342, punissait de mort les unions masculines]. "

L'article "pédérastie" rédigé par le Dr A. Lacassagne dans le Dictionnaire Encyclopédique des Sciences Médicales, notait encore, en 1886, cette exécution, rappelant une disposition du XIIIe siècle mentionnée par Voltaire :
" D'après les Etablissements de Saint Louis, les individus convaincus de bougrerie sont jugés par l'évêque et condamnés à être brûlés. Au siècle dernier, nos lois étaient aussi sévères ; en 1750, on brûla deux pédérastes en place de Grève (vol. 22). "
Le Code pénal annoté de Me Emile Garçon (Paris : Sirey, 1956) mentionnait cette exécution, à l'article 331, mais elle resta inconnue des auteurs de l'ouvrage Les Procès de sodomie au 16ème, 17ème et 18ème siècle, Fernand Fleuret et Louis Perceau (Paris : Bibliothèque des curieux, 1920, sous le pseudonyme du Dr Hernandez). Pour un inventaire des procès de sodomie, au sens homosexuel du terme, en France, voir mon article.


Ma première auto-édition de cette étude parut en octobre 1980 (ISBN 2-86254-001-3), sous le titre L'affaire Lenoir-Diot.

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Un article de Michel Rey (1953-1993), " Police et sodomie à Paris au XVIIIème siècle : du péché au désordre " (Revue d'histoire moderne et contemporaine, volume XXIX, janvier-mars 1982). rappela l'affaire en lui donnant la date erronée de 1580. Ailleurs, Michel Rey tenta maladroitement de relier cette exécution aux soulèvements populaires de mai-juin 1750 (" Ganymède, Clio et compagnie ", Masques, n° 23, automne 1984) ; ma réponse au courrier de Masques, n° 24, hiver 1985 :




Ces soulèvements, qui commencèrent le 19 mai, d'après le témoignage du Journal du lieutenant de police d'Argenson (tome 6, page 203, à la date du 26 mai 1750 ; cité partiellement par Arlette Farge dans Vivre dans la rue à Paris au XVIIIème siècle, 1979), avaient pour cause des arrestations d'enfants, arrestations dont le nombre fut vite amplifié par la rumeur. Mais la simple chronologie interdit toute liaison, puisque c'est dès le 11 avril que le procureur avait requis la peine de mort.

De plus, à la différence de l'affaire Deschauffours, aucun enfant n'était en cause ici. S'il y a un déterminant extérieur à chercher, ce peut être dans les suites de la surveillance policière qui s'était établie au début des années 1720 (voir Les Assemblées de la manchette) ; beaucoup se laissèrent prendre aux " mouches " dans un premier temps, beaucoup moins par la suite. Le fichier ainsi constitué avait alors permis, à partir de 1748 environ, de convoquer un certain nombre d'individus afin d'obtenir d'eux des dénonciations. Certains d'entre eux, catalogués " infâmes d'habitude ", furent enfermés à Bicêtre. Cela ne fut peut-être pas considéré comme suffisant pour l'effet dissuasif recherché.

En 1985, l'historien Maurice Lever (1935-2006) commenta l'affaire dans Les Bûchers de Sodome Histoire des "infames", Paris : Fayard, 1985 (réédition 1996 en collection 10-18), chapitre IX, " Derniers bûchers, nouvelles Bastilles ".
Reprise en 2000 de ma publication de 1980 dans Homosexualité, Lumières et droits de l'homme, suivi de L'affaire de Lenoir et Diot, Paris : C. Courouve, 2000, ISBN 2-86254-025-0.

16-18 décembre 2013 : suite à un vœu du groupe PCF/PG en 2011, délibération du Conseil de Paris relative à une plaque apposée à l'angle des rue Bachaumont et Montorgueil à Paris 2e, dans le périmètre historique correspondant au lieu de leur arrestation, plaque commémorative à la mémoire de Bruno Lenoir et Jean Diot :

Le 4 JANVIER 1750
RUE MONTORGUEIL, ENTRE LA RUE SAINT-SAUVEUR
ET L'ANCIENNE RUE BEAUREPAIRE, FURENT ARRËTÉS
BRUNO LENOIR ET JEAN DIOT.
CONDAMNÉS POUR HOMOSEXUALITÉ,
ILS FURENT BRÛLÉS EN PLACE DE GRÈVE LE 6 JUILLET 1750
CE FUT LA DERNIÈRE EXÉCUTION POUR HOMOSEXUALITÉ EN FRANCE

Le Conseil de Paris siégeant en formation de Conseil Municipal
Vu le code général des collectivités territoriales et notamment ses articles L 2511-1 et suivants ;
Vu la délibération du 5 mars 1979 réglementant les hommages rendus par la Ville ;
Vu le projet de délibération en date du par lequel M. le Maire de Paris soumet à son approbation l’apposition d’une plaque commémorative à la mémoire de Bruno Lenoir et Jean Diot à l’angle des rues Bachaumont et Montorgueil, Paris 2e
;
Vu l'avis du conseil du 2e arrondissement en date du ;
Sur le rapport présenté par Mme Catherine Vieu-Charier au nom de la 9eCommission,
Délibère :
Article 1 : Est approuvée la proposition de M. le Maire de Paris tendant à l’apposition d’une plaque commémorative à la mémoire de Bruno Lenoir et Jean Diot à l’angle des rues Bachaumont et Montorgueil à Paris 2e.
Article 2 : Le texte de la plaque est : « Le 4 janvier 1750, rue Montorgueil entre la rue Saint-Sauveur et l’ancienne rue Beaurepaire, furent arrêtés Bruno Lenoir et Jean Diot. Condamnés pour homosexualité, ils furent brûlés en place de Grève le 6 juillet 1750. Ce fut la dernière exécution pour homosexualité en France.»
Article 3 : La dépense correspondante, estimée à 4 868 euros sera imputée sur le budget d'investissement de la Ville de Paris, exercice 2013, rubrique 324, nature 2313, mission 40000-99-040, individualisation 13V00149 DAC.

Cette plaque fut dévoilée le 18 octobre 2014 par la maire socialiste de Paris Anne Hidalgo :



Voir aussi ma page

LÉGITIMISATIONS ET DÉPÉNALISATIONS DE L'HOMOSEXUALITÉ EN FRANCE




mardi 26 août 2014

LES ASSEMBLÉES DE LA MANCHETTE 2/2

Sodomites en Enfer, illustration
toscane de l'ouvrage de Dante

RETOUR

N° 20 : l'abbé Gillot, grand vicaire de Poitiers, 8 janvier 1726 :
  Ayant rencontré rue Fromenteau l'abbé Gillot, grand vicaire de Poitiers, qui m'a proposé une bouteille de vin, nous sommes allés au Franc Pinot, où nous avons déjeuné ensemble avec le nommé Adelon, que nous avons rencontré ; pendant le déjeuner, l'abbé n'a cessé de jurer le saint nom de Dieu, avec des jurements extraordinaires ; et nous ayant quittés, il nous a donné rendez-vous pour le soir à cinq heures au même cabaret, où Adelon s'est trouvé le premier, et l'abbé ensuite ; et lorsque je suis venu, Adelon m'a dit qu'il l'avait mis deux coups à l'abbé, et l'abbé est convenu que cela était véritable, mais qu'il n'avait point déchargé dedans ; et pendant le souper, l'abbé n'a cessé de jurer, sacrer et renier le nom de Dieu, et il s'est branlé le vit avec Adelon, et ils mettaient leurs vits tremper dans leurs verres pleins de vin, avant de boire ; et il y avait un autre particulier, blond, assez beau, grand, vêtu de rouge, qui demandait l'aumône près de l'Opéra lorsque l'abbé l'a fait raccrocher ; il loge sur la ville neuve, et il est allé coucher avec Adelon ; ce particulier s'est aussi branlé le vit avec l'abbé.

Nota : le nommé Jallan, garçon de Monsieur Symonnet, a entendu les jurements de l'abbé, et le nommé Adelon lui a répété les actions qui s'étaient passées avant et pendant le souper.
(AB, 10256)

N° 21 : Jean Gibeor, 35 ans, homme marié, 7 avril 1726 :
  Etant sous les arcades St Louis, j'ai été raccroché par Jean Gibeor qui m'a montré son cul ; et quand il a eu remis sa culotte, il m'a accosté et m'a montré son vit, et se l'est branlé devant moi ; il m'a dit que si on n'était point interrompu par le monde, il ferait bon se divertir en cet endroit, mais qu'il y venait trop de monde ; que si je voulais revenir ce soir, il y aurait plus d'apparence de faire son affaire ; ensuite nous sommes partis ensemble, et comme il me disait adieu, le sieur Symonnet, qui l'avait suivi, est survenu, l'a arrêté de l'ordre du Roi, et conduit au petit Châtelet.

Nota : Ce Gibeor a aussi été vu par un autre particulier à qui il a montré aussi son cul, et qu'il a voulu aussi accoster auparavant.
(AB, 10256)

N° 22 : Fermeluis, fils d'un médecin demeurant près les Filles St Thomas, 3 mai 1726 :
  Ayant remarqué sur les huit heures du soir que Fermeluis rôdait dans les bosquets le long des palissades et dans des endroits suspects, qu'il regardait ceux qui passaient avec affectation et semblait vouloir les accoster, le sieur Haymier se serait attaché à le faire examiner et il aurait vu qu'il avait accosté un jeune homme, et qu'un instant après il l'avait entraîné derrière les palissades, ce qui avait déterminé Haymier d'aller au plus vite vers cet endroit pour arrêter Fermeluis. Celui-ci ayant entendu du bruit était sorti avec le jeune homme et s'était sauvé pour sortir des Tuileries, mais le sieur Haymier l'a fait arrêter avant qu'il soit sorti ; le jeune homme lui ayant soutenu que Fermeluis avait voulu lui faire violence pour lui mettre la main dans la culotte, le toucher, se faire aussi toucher, et qu'il lui avait proposé de se laisser faire la sodomie, Haymier l'a conduit chez le magistrat.

[Note en marge] Il a tout nié, j'ai signé un ordre de liberté ce 8 mai 1726.
(AB, 10254)

N° 23 : Alexandres des Barres, 39 ans, natif de Rouen, homme marié, compagnon teinturier, fin juin 1726 :
  Etant à la Demie Lune, sur les huit heures du soir, j'ai été accosté par des Barres qui m'a dit que le monde restait bien tard en cet endroit. Pendant qu'il me parlait, il avait la main dans sa culotte, se maniant le vit, et il s'est mis à côté de moi à pisser.
  Lui ayant demandé pourquoi il trouvait mauvais que ce monde reste, il m'a dit : " C'est qu'autrefois on se divertissait ici ; cela n'empêche pas qu'on se divertisse encore, mais non pas en cet endroit, parce qu'il y vient des archers ". En même temps il m'a demandé si je le mettais, ou si on me le mettait, que pour lui il était de tout ; il m'a demandé si je voulais qu'il vienne coucher avec moi, il m'a dit qu'il avait le vit petit, qu'il avait autrefois fait connaissance aux Tuileries d'un jeune laquais de 17 ans avec qui il s'était foutu trois fois derrière les Charmilles, que depuis ce temps-là il avait eu une habitude avec ce laquais, mais qu'il était mort à la Charité ; parfois il lui mettait jusqu'à dix fois, non pas qu'il déchargeât dix fois, mais quelques fois cinq ou six. Il m'a dit que s'étant trouvé, il y a environ six semaines, dans un cabaret, et entendant un des garçons du cabaret parler de la fouterie des hommes, il avait cru qu'il en était, mais ce garçon n'avait point voulu qu'il le foute, ni le foutre ; ils s'étaient seulement branlé le vit, ce qu'il n'aimait point.
  Arrivés à la Grève, il m'a dit : " Mon vit pleure ". Lui ayant demandé pourquoi, il m'a dit qu'il se l'était branlé dans sa culotte, et que sa chemise en était encore toute mouillée ; il m'a dit : " J'espère que vous serez content de moi, car je veux que nous nous foutions tout notre saoul. " Il m'a demandé de lui montrer mon vit plusieurs fois, et comme il venait pour coucher avec moi, passant sous le petit Châtelet, ce des Barres a été arrêté, de l'ordre du Roi, par le sieur Symonnet, et mis au petit Châtelet sur les dix heures du soir.

[Notes en marge] Convient de tout ; gardera prison pendant deux mois ; 29 juin 1726.
  J'ai signé un ordre de liberté ce 21 août 1726.
(AB, 10256)

N° 24 : Jean Baptiste Fautray, homme marié, soldat aux gardes françaises, étant travesti en bourgeois, ayant une canne à la main, 30 avril 1727 :
  Etant sur le quai de Conti à neuf heures du soir, j'y ai trouvé ce Fautray, qui aussitôt qu'il m'a vu m'a donné le signal ordinaire des infâmes, et étant passé du côté du Collège des Quatre Nations [aujourd’hui Institut de France], il a fait semblant de pisser, et m'a montré son vit, se retournant vers moi pour me le faire voir ; dans la rue Mazarine, Fautray m'a suivi et m'a encore montré son vit, se l'est branlé devant moi, et il est venu à moi pour mettre sa main dans ma culotte, me demandant si je bandais, et il m'a dit que nous pouvions fort bien nous divertir en cet endroit, qu'il n'y avait rien à craindre, et brusquement il voulut mettre sa main dans ma culotte, et le sieur Symonnet étant survenu l'a arrêté, de l'ordre du Roi, et conduit chez M. le commissaire Parent, et de là au petit Châtelet.

[Note en marge] Fautray est convenu de tout, et qu'il y a vingt-quatre mois qu'il n'est point avec sa femme.
(AB, 10256)

N°  25  : Jean Durand, 45 ans, domestique hors de condition, 2 juillet 1727 :
  Au bord de l’eau, sur les 10 heures du soir, ce Durand venait de dessous l’arche du Pont-Neuf, et m’ayant vu, il est venu me regarder sous le nez ; étant monté sur le quai des Orfèvres, Durand m’y a suivi, ayant sa chemise hors de sa braguette. M’étant appuyé sur le parapet, il est venu à côté de moi, ayant son vit à la main ; me le montrant, il m’a demandé si je ne bandais pas en voyant son vit, et comme il a voulu mettre sa main dans ma culotte, la sentinelle du guet qui est en cet endroit-là, s’étant approchée de nous, l’a empêché de faire son dessein. Etant allé plus loin, il m’a demandé si je voulais aller coucher avec lui dans les champs parce que, comme il demeurait aux jacobins, la porte était fermée et il ne pouvait pas rentrer ; lui ayant dit que j’avais été portier aux Jacobins pendant trois ans, il m’a dit : puisque c’est comme ça, je ne peux pas me fier à vous parce qu’on m’a dit qu’il y avait un jeune homme qui avait été portier aux Jacobins qui faisait arrêter ceux qui étaient de la manchette.

N° 26 : Jean Duvu, 34 ans, homme marié, domestique hors de condition, 23 octobre 1727 :
  Etant à la Demie Lune, entre cinq et six heures du soir, j'ai été accosté par le nommé Jean Duvu, qui m'a montré son vit, et m'a dit que je l'avais bien fait bander. Il m'a demandé dans quel quartier je demeurais, me disant qu'il était du faubourg St Germain ; lui ayant dit que j'en étais aussi, il m'a dit que si je voulais, nous nous en irions ensemble, et en chemin il m'a demandé si je ne connaissais pas quelque endroit où nous pourrions nous divertir. Ayant dit que non, il m'a demandé quand il pouvait me voir, qu'il serait bien aise de faire ma connaissance, que si je voulais lui donner rendez-vous quelque part il y viendrait. Lui ayant dit qu'il me trouverait le lendemain à huit heures porte Dauphine, il m'a dit qu'il ne manquerait pas de s'y trouver ; en causant nous sommes venus sur le quai de Conti, et voyant qu'il y avait du monde, nous sommes allés rue Mazarine, et à l'entrée de la rue, il m'a encore montré son vit et a voulu mettre la main dans ma culotte. Il m'a dit qu'il avait foutu en cul, au milieu de la rue des Saints-Pères, un jeune homme qu'il avait entretenu longtemps, nommé Picard ; il s'était diverti avec Chenille à Orléans, et avec le sieur Dufour, marchand de draps et de toile, qui demeure près de la Sainte Croix à Orléans. Il avait foutu un religieux de Ste Geneviève dans son couvent à Beaugency [Loiret], et actuellement il se divertit avec un garçon menuisier dont il a fait la connaissance dans une guinguette. Causant de la sorte, et venant à passer vis-à-vis de la porte de M. le commissaire Parent, ce Duvu a été arrêté, de l'ordre du Roi, par le sieur Symonnet, et conduit au petit Châtelet.
(AB, 10257)

N° 27 : Vers sur Hérault, lieutenant de police, en 1732 :

            Petit lieutenant de police,
            Tu rends plaisamment la justice,
            D'envoyer si facilement
            Les sodomites à Bicêtre;
            Toi qui le fut de tous les temps,
            Dis-moi, n'y devrais-tu pas être?

N° 28 : Pierre Bunel, 25 ans, marié, soldat aux gardes françaises, 9 mai 1736 :
  Ils saluèrent tous Lalonde, faisant la révérence en femmes. Lalonde me dit : " Prenons notre bouteille et allons dans leur chambre. " Y étant allés, ils vinrent tous à l'entour de moi, voulant faire des attouchements sur moi ; mais les ayant rebutés sous prétexte que j'étais malade, ils ont fait des attouchements les uns sur les autres, faisant mille extravagances, excepté le petit Belmant, qu'ils tourmentaient et qui se défendait. L'Ecrivain dit qu'il n'en était point, mais Baillet dit, en termes impropres : " Il est venu ce matin dans ma chambre, et a commis l'action avec moi, j'ai été le patient. "
(AB, 10258)

N° 29 : Jean Champ, 35 ans, marié, brodeur, 10 mai 1736 :
  Aujourd'hui j'ai vu Champ qui était sur le sable du Pont-Neuf et regardait les baigneurs, et quand il en voyait de jeunes, il s'approchait d'eux, leur maniait les fesses et le devant, leur disant : " Diable, vous avez un beau vit, vous ne l'avez pas perdu dans l'eau. " Ce qu'il a fait à plus de dix qui l'ont rebuté. Ensuite il est allé auprès d'un jeune homme qui sortait de l'eau et qui mettait sa chemise, et l'a manié. Ce jeune homme l'a rebuté, voulant lui donner un soufflet, en lui disant : " Hé, chien, as-tu lavé tes mains, et as-tu les mains nettes? "
(AB, 10258)

N° 30 : Lambert, marchand de bière, 24 mai 1736 :
  Etant dans le cabaret, il m'a fait entrer dans un cabinet dont il m'a fait fermer la porte et s'est mis tout à découvert, me demandant si j'étais en humeur ; il s'est jeté sur moi voulant mettre sa main dans ma culotte ; il s'est montré à moi tout à découvert par devant et j'ai aperçu qu'il y était rasé ; je lui ai demandé pourquoi il était rasé dans cet endroit ; il m'a dit que c'était à cause qu'on disait qu'il était châtré parce que la nature a été très ingrate pour lui de ce côté-là. Je lui ai dit : " Allons-nous en plutôt chez vous, nous ne sommes pas bien ici " — et cela dans le dessein de le faire arrêter — Il m'a demandé à voir mon derrière, je lui ai dit : "Vous en verrez assez quand nous serons chez vous". Il m'a dit que nous ne pouvions point aller chez lui parce qu'il était marié, il m'a demandé à venir plutôt chez moi. Je lui ai dit que j'avais un camarade, il m'a dit : "Vous irez voir devant si votre camarade y est, et vous resterez dans la rue pour me le dire". Il m'a proposé de consommer l'action avec lui, et qu'il serait le patient, qu'il aimait fort cela, et que cela le mettait en humeur pour être ensuite l'agent [...] Il m'a dit qu'il était allé se baigner cette année, et qu'il y avait eu un jeune homme qui avait passé entre ses jambes, et avait pris ses parties dans sa bouche, faisant les mouvements de l'action.
(AB, 10258)

N° 31 : X, 13 juin 1736 :
  Vous n'aimez pas les femmes non plus que moi. Et c'est à la mode à la Cour, il n'y a plus que les hommes qui y président, les femmes n'y ont plus de voix [...] Je lui ai demandé quel était son goût, il m'a dit qu'il était de tout, et qu'il aimait à être l'agent et le patient.
(AB, 10258)

N° 32 : Jean Fleuriette, 22 septembre 1736 :
  Il m'a dit, en termes infâmes : " On commet l'action l'un avec l'autre ". Je lui ai dit : " Est-ce que vous aimez cela ? " Il m'a dit : "Quand on est ensemble, on fait ce qu'on veut." [...] Dans la conversation, il m'a dit que tous ceux qui étaient pour détruire la sodomie en étaient eux-mêmes.
(AB, 10258)

N° 33 : Avisse, 4 novembre 1737 :
  Avisse tient assemblée d'infâmes tous les mardis après-midi pendant que sa femme est à la rivière et il appelle cela le conseil, et Avisse dit qu'il donne audience ce jour-là.
(AB, 10258)

N° 34 : Anselme Guiart, 17 ans, dit François du Garce, natif de Savoie, domestique, 20 mai 1738 :
  Il nous a dit que dans son pays ils étaient une vingtaine de jeunes gens qui allaient baigner ensemble, et qu'en se baignant ils s'enfilaient tous.

[Note en marge] Il nie tout ; liberté le 12 juin.
(AB, 10258)

N° 35 : Anselme Guiart, 20 juin 1738 :
  Il [Anselme] m'a demandé si je m'étais manuélisé avec lui [un autre particulier], et s'il m'avait piquoté, en voulant me faire entendre s'il avait fait l'action infâme avec moi [...] Il m'a dit qu'il y avait quinze jours qu'il était allé boire avec un mousquetaire, qu'il l'avait manuélisé, que ce mousquetaire avait un gros membre qui était bon pour commettre l'action infâme parce qu'il était pointu par le bout.
(AB, 10258)

N° 36 : abbé Clisson, 24 juin 1738 :
  L'abbé a fait tomber la conversation sur l'infâmie et il m'a dit : "J e crois que vous êtes en bonne disposition dans les Tuileries, et lorsque je vous ai vu, vous m'avez frappé tout d'un coup. J'aime beaucoup, Monsieur, ceux qui pensent dans ce goût-là. " [...] Il m'a dit qu'il connaissait un limonadier à Rouen, qui avait le membre viril monstrueux, avec lequel il s'était bien diverti et que c'était la plus belle chose du monde, et qu'il n'y avait pas plus de mystère à coucher avec un garçon qu'avec une femme.

[Note en marge] Liberté le 26 juin 1738.
(AB, 10258)

N° 37 : Flamand, soldat aux gardes françaises, 6 juillet 1738 :
  Revenant des Porcherons, Flamand est venu m'accoster me disant : " Bonjour Madame ", ensuite il nous a proposé bouteille que j'ai acceptée, il nous a fait monter dans une chambre, au deuxième, dans le cabaret où pend pour enseigne le Bacchus ; il a fermé la porte. Ensuite il voulait mettre sa main dans nos culottes, se montrant à nous à découvert, disant qu'il se moquait des espions, et comme il nous tourmentait trop fort à plusieurs reprises, nous avons été obligés de le laisser là et de nous en aller. Cependant il n'a pas laissé que de me prier d'aller le voir à sa boutique à la foire St Laurent, où il vend du pain d'épice d'Allemagne. Je lui ai dit : " Vous en serez donc toujours ". Il m'a dit qu'il n'en était qu'avec ses amis d'ancienne date.
(AB, 10258)

* * * * *

J. B. Mars, 30 octobre 1743 :

  « Il [Mars] m’a dit devant quinze personnes qu’il avait acheté son congé 600 F. et que la plus grande partie de cet argent lui avait été fournie par M. le duc de Villars qu’il avait vu à Strasbourg il y a deux ans et qui il y a quelques temps le fit venir à Fontainebleau dans sa chambre où après lui avoir fait différentes propositions qu’il n’avait pas voulu accepter il lui avait fait certains attouchements. Je ne vous rends pas les termes dont il s’est servi,  mais je suis sûr que vous les devinez.
  J’ai envoyé ce drôle-là en prison simplement de l’ordre du Roi dans l’appréhension que si je le laissais à la justice ordinaire, dans les interrogatoires qu’on lui ferait subir, il n’alla déclarer le fait sur M. de Villars ce qui serait fort embarrassant. »
BHVP, mss 719, rés. 21, lettre du lieutenant de police Marville au ministre Maurepas.

J. B. Mars, 12 novembre 1743 :

[En septembre dernier] M. de Villars porta la main dans la culotte de lui déclarant, qu’il manuélisa en lui faisant des reproches de ce qu’il n’avait pas l’érection, de ce qu’il n’agissait pas réciproquement avec la même liberté avec lui duc de Villars qui, pendant qu’il touchait d’une main lui déclarant, se manuélisait de l’autre, et parvint seul à l’éjaculation. »
BHVP, mss 719, rés. 21, interrogatoire par un commissaire du Châtelet.

* * * * *

N° 38 : André Salomon Picard, 15 janvier 1748 :
  André Salomon Picard, faiseur de bas au métier, demeurant rue et porte St Antoine, a déclaré au sieur Framboisier qu'il y a environ quatorze ans qu'il a été débauché dans le goût de l'infamie à Reims où il était pour lors. Il y a environ douze ans, étant à Versailles à se promener dans le parc, il rencontra en différents temps deux particuliers avec lesquels il a eu affaire dans le même goût ; depuis il est resté un an et demi au mont Valérien en qualité de frère du couvent, et pendant ce temps-là il n'a eu affaire avec personne. Deux ans après, il s'est marié ; comme il demeure près de la Demie Lune de la porte St Antoine, il allait fréquemment s'y promener le soir, principalement en été, et il a rencontré souvent des gens qui pensaient de même que lui et avec lesquels il a eu aussi affaire dans le même goût. Depuis environ un an, il a fait des infamies avec le sacristain des Anglaises qui sont rue de Charenton, et cela deux fois : la première au commencement de l'été dernier, s'étant rencontrés le soir sur le boulevard à la Demie Lune et ayant été pour cet effet dans une ruelle ; et la deuxième fois à la fin de l'été dernier sur ce boulevard. Ce sacristain a des cheveux crêpus, le visage un peu long, il est loueur de chaises dans ce couvent. Il a pareillement fait des infamies avec le nommé Charpentier, officier sur les grains, demeurant derrière le petit St Antoine, et ce lors des danses de la place Royale [aujourd'hui place des Vosges] l'été dernier. Dimanche dernier, il a rencontré sur le boulevard une personne à lui inconnue avec qui il a fait encore des infamies ; il a fait la même chose l'été dernier sur ce boulevard avec un ébéniste du faubourg St Antoine, dont il ne sait pas le nom ; cet ébéniste est petit de taille, âgé d'environ 35 ans. Il est bien repentant d'être tombé tant de fois dans un vice aussi odieux, et il fera tout ce qui dépendra de lui pour s'en corriger.
(AB, 10259)

N° 39 : Jean Nicolas Bacon, 25 janvier 1748 :
  Jean Nicolas Bacon, âgé d'environ vingt-cinq ans, bedeau de la Madeleine en la cité, demeurant rue de la Juiverie chez la dame Manseau, a déclaré aujourd'hui qu'il y a six ou sept ans qu'il a été débauché par un domestique dans le goût de l'infamie ; que depuis il a eu affaire avec beaucoup d'autres domestiques qu'il ne connaît pas, qu'il y a environ six mois qu'il s'est manuélisé en revenant de la Courtille avec un domestique nommé St Jean dont il ne sait pas la demeure, que depuis il a été à confesse et que son confesseur fait ce qu'il peut pour le détourner de ce vice odieux, qu'il est bien repentant de l'avoir commis.
(AB, 10259)

N° 40 : Laurent Garçon, janvier-février 1748 :
  Dénonciation portant que le 27 octobre dernier Laurent Garçon, marchand de vin demeurant à la Tour d'argent rue des prêtres St Germain l'Auxerrois, se trouva lui sixième chez le père Fraere, portier d'une maison proche de l'hôtel de Soubise ; que tous étaient de la manchette, que dans cet endroit la plupart des domestiques de ce goût-là s'y donnent rendez-vous, et que ce Laurent y a fait des infamies avec un particulier.
(AB, 10259)

N° 41 : Harault, 10 mai 1748 :
  Nicolas Harault, demeurant rue Xaintonge au Marais, a déclaré ce jour à Framboisier qu'il y a bien trois ou quatre ans qu'il a eu le malheur d'être débauché à l'infamie ; que depuis ce temps il a eu affaire avec un garçon limonadier dont il ne sait pas le nom, ni la demeure actuelle ; avec Charpentier, gainier, demeurant dans St Denis de La Chartre ; avec le nommé Patrot, horloger rue vieille du Temple, une fois seulement il y a eu deux ans le dimanche gras dernier. Que cet été il s'est trouvé sept ou huit fois dans les assemblées qui se sont tenue dans différents cabarets de la Courtille, et notamment trois ou quatre fois au cabaret du Fer à cheval ; que dans ces assemblées il s'en est trouvé qui ont contrefait les manières des femmes, que cependant lui n'y a point fait d'infamies ; qu'il est bien vrai que dans une de ces assemblées on amena un jeune garçon serrurier, et cette assemblée s'est appelée le mariage du serrurier ; lui et les sus nommés, en sortant de cette assemblée, ont emmené le jeune serrurier et dans le chemin il s'est manuélisé avec ce garçon serrurier et cela le 5 novembre dernier ; qu'il est bien repentant d'être tombé dans ce crime.

[Note en marge] Il a comparu par devant le magistrat et a promis de ne plus récidiver ; a été renvoyé le 11 mai 1748.
(AB, 10259)

N° 42 : Le sieur Martin, 18 mai 1748 :
  Le sieur Martin, marchand de vin rue St Germain l'Auxerrois, a été déclaré par le nommé Patrot, horloger, pour avoir fait ensemble des infamies il y a dix-huit mois dans un cabaret faubourg St Marceau où ils se sont trouvés environ une douzaine de personnes ; Patrot en a convenu devant le magistrat le 3 du présent mois. Plus, il a été déclaré pour être connu de ce goût-là par Guillaume Martin, garçon patissier, qui a comparu devant le magistrat le 11 février dernier.
  Plus, a été déclaré pour s'être trouvé aux assemblées de gens de la manchette qui se sont tenues dans différents cabarets l'été dernier ; le nommé Valois, domestique de Mlle Duquesnoy, en a fait la déclaration le 3 du présent mois.
(AB, 10259)

N° 43 : Letellier, 18 mai 1748 :
  Le sieur Letellier, marchand de vin rue de Lappe, connu pour être du goût de la manchette et déclaré comme tel par le nommé Patrot, horloger, qui a comparu.
(AB, 10259)

N° 44 : Veglay, 21 mai 1748 :
  Etant au Palais-Royal sur les dix heures du soir sous les petits arbres, le dénommé est venu rôder autour de moi, et comme je me promenais d'une allée à l'autre, Veglay qui entrecoupait les mêmes allées s'est arrêté plusieurs fois devant moi sa partie à la main en se manuélisant, et après plusieurs tours l'heure a sonné. Il m'a demandé si c'était dix heures, ce qui a donné occasion à la conversation pendant une demie heure, conversation qui a été indifférente. Après quoi, voyant qu'il se faisait onze heures, je lui ai dit que j'allais me retirer, et comme nous nous étions arrêtés l'un devant l'autre, Veglay se manuélisait et m'a demandé si je voulais venir dans sa chambre, qu'il demeurait dans le grand Palais-Royal par le grand escalier tout en haut, qu'il y avait même plusieurs personnes comme moi avec qui il s'était manuélisé. Je l'ai quitté en lui disant qu'il était trop tard, que s'il voulait revenir demain je me trouverais de meilleure heure au même endroit. Je m'y suis trouvé, Veglay y était, je ne lui ai pas parlé et il ne m'a pas reconnu. Il y est tous les soirs, avec des bardaches de toutes façons ; il est en liaison avec plus de quarante.
Le maître chez qui il était a été arrêté pour ça.
(AB, 10259)

N° 45 : Pierre Ferret, boulanger, 23 mai 1748 :
  Il est vrai aussi que lui déposant s'est trouvé plusieurs fois dans des cabarets où il y avait des assemblées de ces gens-là, qu'on y parlait beaucoup de la manchette, mais qu'il n'y a fait de mal avec personne. Il s'est trouvé il y a environ dix-huit mois ou un an dans un cabaret derrière la petite halle au Fb St Antoine où il y avait plusieurs personnes du même goût, savoir entre autres les nommés Alais marchand de vin de la Tour d'Argent, Cléru, Le Fèvre, fripier du Fb St Antoine, et Martin, marchand de vin quartier St Germain l'Auxerrois. On y but bouteille, on y parla beaucoup sur la manchette. C'était Le Fèvre qui avait amené le déposant dans cette assemblée ; ce déposant, étant sorti du cabaret, a été suivi par le sieur Martin qui a insisté à lui faire faire des infamies, qui lui a même cassé l'attache de sa culotte par derrière, avec Alais et Cléru, lesquels trois le provoquèrent ainsi que d'autres à lui inconnus ; et voyant qu'il ne consentait point à leurs desseins, ils se sont dit l'un à l'autre : "Laissons le s'en aller, il n'entend pas le latin."
(AB, 10259)

N° 46 : Mingot, rôtisseur, 17 juin 1748 :
  Passant sur le boulevard sur les onze heures du soir du côté de la rue de Richelieu, j'ai vu Mingot, en veste blanche et en bonnet, qui cherchait à raccrocher et qui m'a suivi pendant une demie-heure en s'arrêtant devant moi, sa partie à la main, en se manuélisant, et cela plusieurs fois. Je suis revenu du côté de la rue de Richelieu où je me suis arrêté ; Mingot est passé devant moi et il m'a demandé si ce n'était pas moi à qui il avait parlé contre la porte St Denis il y a quelques jours, et que j'étais en robe de chambre. Je n'ai pas voulu le détromper. Il m'a dit : "Voilà un cabaret où il y a encore du monde ; voulez-vous que je vous donne une demie bouteille?" Je lui ai dit d'entrer le premier et je m'en suis allé.

[Note en marge] Liberté le 22.
(AB, 10259)

N° 47 : Veglay, garçon bourrelier, 25 juin 1748 :
  Passant sur le quai vis-à-vis du Collège des Quatre Nations sur les onze heures du soir, j'ai vu Veglay en veste blanche qui était avec un autre infâme comme lui, qui portait épée. Ces deux infâmes m'ayant vu passer m'ont suivi pendant une demie heure ; j'ai été contre les maisons du Collège, ils m'y ont suivi et se sont arrêtés dans un renfoncement en manière de porte où ils se montraient sans rien dire, habitude que présentement une partie des infâmes a prise, principalement ceux qui ont été convoqués. Veglay est tous les soirs sur le quai de Conti avec une douzaine d'infâmes comme lui qui raccrochent tout ce qu'ils peuvent attraper jusqu'à deux heures du matin. Il m'est revenu que Veglay a dit qu'il avait été convoqué à la police et qu'il avait comparu devant un monsieur Chaban ; que ce monsieur avait voulu l'intimider en le menaçant de la prison pour lui faire dire les personnes avec lesquelles il était en commerce infâme, mais que Veglay ayant répondu sur un autre ton, il l'avait renvoyé, et que le vrai moyen de bien se tirer de là était de ne jamais déclarer ses amis.
(AB, 10259)

N° 48 : Veglay, 29 juin 1748 :
  Passant sur le quai de Conti sur les minuit j'ai vu Veglay, qui était lui quatrième [avec trois autres personnes], qui faisait les figures et gestes des infâmes ; je me suis promené un tour et je suis passé à quatre pas d'eux. Veglay a dit : " En voilà un qui a bien l'air d'en être. Séparons-nous par deux, voyons ce que c'est que cette sœur-là. " C'est un terme d'infâme.
(AB, 10259)

N° 49 : Rodolphe, laquais, 31 juillet 1748 :
  Rodolphe, laquais de Mr Le Moine, m'a raccroché mardi dernier pour la troisième fois. Il a voulu me mener chez lui, disant qu'il me ferait voir son maître ; que nous nous divertirions ensemble ; qu'il le met et qu'on lui met, et à son maître de même. Qu'il allait raccrocher à la Comédie. Il a raccroché Mr Tessier et Mr de Colandre et d'autres de leurs amis, de quoi il avait reçu six louis d'or. Et que si je pouvais lui donner quelques jeunes gens de belle figure, qu'ils pourraient en avoir autant. Et que je serais bien récompensé. [...] Couche avec son maître.
(AB, 10259)

N° 50 : Beaulieu, fils d'un tailleur, 1er octobre 1748 :
  Il y a environ deux mois qu'il a paru devant Monsieur Chaban lequel l'a envoyé en prison. Il dit à tous les infâmes qu'il rencontre qu'il s'en fout, et que si Chaban l'envoyait chercher encore une fois, il n'irait pas, et qu'il se fout de Framboisier, et qu'enfin il est bougre et s'en fait honneur.
(AB, 10259)

N° 51 : Antoine Charpentier, 27 octobre 1748 :
  Antoine Charpentier, gainier, dit qu'il y a quatre ans qu'il a fait connaissance avec Peuvret, pour lors compagnon gainier, demeurant rue du Haut Moulin, et à présent maître gainier rue de la Vannerie, que dans ce temps-là ils ont couché ensemble même pendant trois ans, qu'il leur est arrivé une infinité de fois de faire des infamies ensemble, s'étant manuélisés et le déposant l'ayant mis bien des fois à Peuvret, la dernière fois il n'y a pas plus de quatre mois.

[Note en marge] Infâme d'habitude qui ne se corrige pas. L'enfermer à Bicêtre.
(AB, 10259)



NOTES


N° 21 : rapport de la "mouche".

N° 22 : rapport de la "mouche".

N° 23 : l'expression "être de tout" indique une sorte de bivalence interne à l'homosexualité masculine ; cf N° 31.

N° 24 et 26 : rapports de la "mouche".

N° 27 : F. Ravaisson-Mollien, Archives de la Bastille. Documents inédits ..., Pédone-Lauriel, 1866-1904, volume XII, page 126.

N° 28 : rapport de la "mouche". Il peut s'agir de Jean-Pierre Lécrivain, 26 ans, marchand forain, accusé de sodomie en 1741 et maintenu en détention provisoire ; il obtint un non-lieu par arrêt du 4 juillet 1741 (Archives nationales, N, x/2/a 729).

N° 29 à 31 ; rapport de la "mouche".

N° 32 : rapport de la "mouche". La dernière phrase évoque l'accusation portée contre Hérault ; cf N° 28.

N° 33 : rapport de la "mouche".

N° 34 et 35: rapport de la "mouche". À rapprocher des remarques du Dr Tardieu sur les pénis de pédérastes (Études médico-légales sur les attentats aux moeurs, 1857, page 147)

N° 36 et 37 : rapports de la "mouche".

N° 38 et 39 : déclaration à Louis Alexandre Framboisier, "inspecteur de police chargé des ordres de Sa Majesté [Louis XV] pour la recherche des sodomites" (AB, 10259).

N° 41 : déclaration à Framboisier. L'horloger Patrot avait été arrêté le 3 mai et libéré le 4. Sur Charpentier, voir le N° 48 ; sur Patrot, voir les N° 42 et 43.

N° 42 et 43 : notes de police. Sur Martin, voir aussi N° 45.

N° 44 : rapport de la "mouche".

N° 45 : déclaration à Framboisier. La brasserie la Tour d'Argent existe toujours au coin de la rue du faubourg St Antoine et de la place de la Bastille. L'expression "entendre le latin" s'explique par le fait que la langue latine possède trois genres, masculin, féminin et neutre ; l'homosexuel masculin est assimilé au genre neutre ; au XIXème siècle, Balzac parlera de troisième sexe ; cf DHHM, entrées « neutre » et « troisième sexe ».

N° 46 : rapport de la "mouche".

N° 47 : rapport de la "mouche". Chaban était secrétaire du lieutenant de police.

N° 48 : rapport de la "mouche". "Lui quatrième", c'est-à-dire avec trois autres personnes. Veglay a été arrêté le 11 octobre 1748 chez un nommé Le Page et conduit en la prison de fors l'Evêque, conformément aux "ordres de sa majesté pour la recherche des sodomistes" (AB, 10259, du 12 octobre 1748).

N° 49 et 50 : rapport de la "mouche".

N° 51 : déclaration à Framboisier.

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