vendredi 16 septembre 2022

DFHM : Aberration à autre amour en passant par alcibiadiser, amitié charnelle, amour grec, andrin, Antinoüs et antiphysique




ABERRATION

Article du Dr François-Félix Jacquot : « Des aberrations de l'appétit génésique », dans la Gazette médicale de Paris, 28 juillet 1849.

« Les animaux les plus féroces l'emportent en ceci sur l'homme qu'ils s'accouplent et se reproduisent suivant les lois de leur sexe. La plupart des hommes, au contraire, par une aberration monstrueuse, prétendent imiter les grammairiens, qui font s'accorder entre eux les mots du même genre. Ils poursuivent, dans l'union des sexes semblables, la reproduction de l'espèce, alors que cette parité de genre ne peut conduire qu'à son anéantissement. »
Hiérapigra [Potion amère, II, traduit par C. Vieillard], Gilles de Corbeil. Médecin de Philippe-Auguste et chanoine de Notre-Dame, Paris : Champion, 1908.

Anonyme : " Avant de terminer votre grande œuvre cyclique, Les Rougon-Macquart, pourquoi ne pas décrire l’aberration du sens génésique ? Un homme de naissance, brave, intelligent, condamné dès sa première jeunesse, dès son enfance, à n’aimer que des individus de son sexe ? Cette phase de la maladie nerveuse héréditaire entre dans votre cadre. Ce n’est pas peut-être si tragique que celle dont Jacques Lantier était la victime. Mais c’est mille fois plus commun que la manie meurtrière désolant la vie et la félicité de ses sujets pitoyables. Jusqu’à présent l’opinion vulgaire sur ces cas de passion naturellement dénaturée reste d’une crudité, d’une absurdité incroyables. Seulement quelques médecins psychologues – un Moreau, un Tarnowsky, un Krafft-Ebing, un Lombroso, un Casper, un Mantegazza – ont traité ce phénomène douloureux avec un peu de perspicacité humanitaire. Les documents ne manquent pas, dans les ouvrages des auteurs cités et dans les nombreuses brochures de Ulrichs. Je n’ai pas beaucoup d’espoir que vous-même, le héros de l’audace scientifique et artistique, vous aurez le courage d’attaquer ce problème, où la tragédie se mêle avec la honte. Mais je ne peux pas m’empêcher de vous faire observer que d’ouvrir les yeux du public sur la vraie vérité de cette plaie physique et morale, cette misère suprême de la pauvre humanité, serait une tâche digne de votre génie sobre, clairvoyant et en même temps profondément sympathique. "
Lettre à Emile Zola, 8 avril 1890, citée dans René Ternois, « Mélanges – ce que Zola n’avait pas osé dire », Les Cahiers naturalistes, n° 35 de 1968, pages 159-160.
Texte et référence empruntés à Confessions d'un homosexuel à Émile Zola, textes réunis et présentés par Michael Rosenfeld, Paris : Nouvelles éditions Place, 2017.

Maurice Gauchez, appréciation sur l'écrivain belge Georges Eekhoud :
« Il est l'amant des dégradations morbides. Tout ce qui est régulier et quiet lui paraît implacable et irritant. La société n'aura jamais raison de ses penchants. Son caractère impressionnable conti­nuera de se refuser aux impressions communes ; et la vie n'ayant guère tempéré, bien au contraire, ses imaginations excessives, ses préférences et ses antipathies s'accentuent de part et d'autre et se repoussent au lieu de s'équilibrer. Sa mansuétude pour les « las­-d'aller », pour les « pieds poudreux » et pour les « claque-dents », sa partialité pour les « gagne-deniers », les « trompe-la-mort » et les « voyous », loin d'avoir été corrigées par l'existence, croissent avec l'ardeur d'une suggestion rare, d'un sentiment incompris. Il hait le progrès, le monde banal, les journaux, les modes, les bureaux, les prisons, les casernes, les écoles, les hospices, les rues rectilignes et les impostures civilisatrices. Si les convenances lui disputent sa tendresse pour le peuple, celle-ci le dévore d'une passion intense et inextinguible. Ce besoin de se dévouer, de se ravaler, d'être complaisant à des gens en dessous de lui, de consoler les gueux de leur abjection en la partageant, se compli­qua d'aspirations à des voluptés exceptionnelles, de curiosités physiques. Épris de la maladive perversion des Grecs et des Romains qui engendra les Dioclès, les Cléomaque, les Adrien et les Antinoüs, les Damon et les Pythias, les Achille et les Patrocle, curieux des passions viriles des amants du bataillon sacré de Thèbes et des jeunes gens du banquet de Platon, se sou­venant des suprêmes civismes anormaux chantés par les Walt Whitmann, les Carpenter, les Wagner, les Tennyson et les Mon­taigne, il célébra les aberrations sentimentales de tous les Escal-Vigor du monde, en se retranchant derrière l'argument fallacieux des rêves de Michel-Ange vers Tommoso di Cavalieri, et de Shakespeare vers William Herbert, comte de Pembroke. »
La Société nouvelle —  Revue internationale — Sociologie, arts, sciences, lettres, 19e année, janvier 1914.

« Il n'y a pas de Gomorrhe. Puberté, collèges, solitude, prisons, aberrations, snobisme ... Maigres pépinières, insuffisantes à engendrer et avitailler un vice nombreux, bien assis, et sa solidarité indispensable. Intacte, énorme, éternelle, Sodome contemple de haut sa chétive contrefaçon. »
Colette [Sidonie Gabrielle] (1873-1954), Le Pur et l'impur, Paris : Aux armes de France, 1941.

ABOMINABLE, ABOMINATION, ABOMINATION DES ABOMINATIONS

Comme détestable et horribleabominable, du latin d'Église abominabilis (qui inspire de l'effroi, de la répulsion), se rencontre souvent dans les textes religieux ; abomination figure dans la plupart des traductions françaises du Lévitique, et en a gardé une connotation homosexuelle :

" Et avec un mâle tu ne coucheras pas comme on couche avec une femme : c'est une abomination. [...] L'homme qui couche avec un mâle comme on couche avec une femme, tous deux ont fait une abomination, ils seront mis à mort, leur sang est sur eux. "
XVIII, 22 et XX, 13, Ancien Testament, traduction Édouard Dhorme, Gallimard, collection “ Bibliothèque de la Pléiade “.

Voici comment un historien du XVIe siècle décrivait l'état moral de la Gaule au début du Moyen Âge :

" De ce temps-là régnaient en la Gaule péchés énormes et abominables, et était notre Seigneur grandement irrité contre cette malheureuse et damnable volupté de paillardise bestiale des sodomites, qui avaient provoqué l'ire de Dieu, et tant de punitions qui leur advenaient par l'exigence de leur maudite vie. "
Paradin de Cuyseaux, Annales de Bourgogne, Lyon, 1566, page 28.

Un grand texte de droit coutumier anglais reprenait le vocabulaire des traductions bibliques :

" Par esclandre de sodomie, nos anciens pères ne souffrirent pas qu'il y ait eu actions, accusation, ou audience de quelque sorte concernant ce péché de grande abomination, mais ordonnèrent qu'en péchés notoires sans répit furent jugés, et les jugements exécutés. […] Le péché mortel de [lèse-]majesté vers le Roi céleste de sodomie [...] en enterrant les pécheurs tout vifs en terre que mémoire s'en éteigne, pour la grande abomination du fait, car ce péché appelle la vengeance et est plus horrible que celui de corrompre sa mère [l'inceste]. Mais ce péché ne s'atteint jamais devant juge par accusation, car l'audience en est défendue. "
The Mirror of Justices, II, 11 et IV, 14, London : B. Quaritch, 1895 [fin XIIIe siècle ; ouvrage consulté à la British Library, Londres]

Accusation portée par Jean Calvin :

« Il transfigure cette abomination brutale des Sodomites que l’Écriture condamne si aigrement, et la fait évanouir à ce que bougrerie ne soit pas estimée péché. Ce que je crois il ne fait pas sans cause. Car je pense bien qu’il a pratiqué le métier suivant le privilège de son ordre. »
Jean Calvin, Épître contre un cordelier détenu à RouenRecueil des opuscules, 1566, page 719.

Description par Pierre de l'Estoile de la Cour du roi de France Henri IV :

" À la Cour, on ne parle que de duels, puteries et maquerelages ; le jeu et le blasphème y sont en crédit ; la sodomie - qui est l'abomination des abominations - y règne tellement qu'il y a presse à mettre la main aux braguettes ; les instruments desquelles ils appellent entre eux, par un vilain jargon, les épées du chevet. [...] Dieu nous a donné un prince tout dissemblable à Néron, c'est-à-dire bon, juste, vertueux et craignant Dieu, et lequel naturellement abhorre cette abomination. "
Pierre de l'Estoile, Mémoires-Journaux, tome IX, page 187, décembre 1608.

« On viendra bien plus tôt maître juré à ces dévoiements abominables, qu’à l’étude et imitation de Jésus Christ. »
Antoine Fusi, jésuite puis pasteur, Le Franc-Archer de la vraie Église, contre les abus et énormités de la fausse, 1619.

On observe un bel effet de redondance dans cette définition :

« Sodomie : c’est cet abominable péché de la chair contre nature. »
César de Rochefort, Dictionnaire général et curieux, 1685.

Du pasteur et théologien calviniste Pierre Jurieu (1637-1713) 
« Les cas réservés, c'est-à-dire dont il n'y a que le Pape qui puisse absoudre parce qu'ils sont énormes, ne sont pas l'Athéisme, la Sodomie et autres semblables abominations contre la loi de Dieu ; c'est d'avoir pillé les biens d'Église, attenté à la personne d'un Évêque ou de quelque Prélat, être entré dans un Bénéfice par voie d'intrusion, s'être engagé dans quelque révolte contre le saint Siège, et autres choses semblables. »
Pierre Jurieu, Préjugés légitimes contre le papisme, Amsterdam, 1685, première partie, chapitre IV, page 76.

Il rapporta ensuite ce dénigrement des catholiques par le canoniste Alvarus Pelagius au début du XIVe siècle :

" La plupart commettent le péché contre nature, et violent ainsi publiquement cette sainte chasteté qu'ils ont voué à Dieu ; sans compter les horreurs qui se commettent par eux en secret que le papier ne saurait souffrir. Et ailleurs. Ils ont impudemment abusé des jeunes gens. Hélas, hélas ! dans la sainte Église plusieurs religieux et prêtres dans leurs cachettes et dans leurs conventicules, et des laïques dans la plupart des villes, principalement en Italie, établissent une espèce d'école publique, où ils exercent cette horrible abomination ; car l'esprit immonde leur fait trouver dans ce crime un plaisir abominable plus grand que celui qu'ils trouvent avec les femmes. Et ceux qui sont atteints de ce mal n'ont pas honte de le confesser, ce que moi-même ai souvent ouï. "
Pierre Jurieu, Préjugés légitimes contre le papisme, Amsterdam, 1685, première partie, chapitre XXVIII, pages 326-327 [Alvarus Pelagius, De Planctu Ecclesiae libri duo, livre II, art. 2, fol. 3, r°].
En marge : " Sodomie universelle dans le Papisme du quatorzième siècle.

L’usage de l’expression crime abominable fut l’objet, à la fin du XVIIe siècle, d’une polémique morale et littéraire à partir des Satires de Boileau :

" Les anciens poètes enseignaient divers moyens pour se passer du mariage, [...] qui sont des crimes parmi les Chrétiens, et des crimes abominables. "
Charles Perrault, Apologie des femmes, 1694.

Selon Charles Perrault, Boileau recommandait un peu trop l’imitation des Anciens et de leurs mœurs. Quelques mois avant sa mort, le janséniste Antoine Arnauld écrivit à ce sujet à Perrault :

« S’il est vrai que la pudeur fût offensée de tous les termes qui peuvent présenter à notre esprit certaines choses dans la matière de la pureté, vous l’auriez bien offensée vous-même […] Car y a-t-il rien de plus horrible et de plus infâme, que ce que ces mots de crimes abominables présentent à l’esprit ? Ce n’est donc point par là qu’on doit juger si un mot est déshonnête ou non. »
Lettre du 5 mai 1694, in Boileau, Œuvres complètes, Paris : Gallimard, collection " Bibliothèque de la Pléiade ".

« Il s’est trouvé un jour un riche Portugais qui voulut épouser son domestique, et Moscambrun, officier de la Chancellerie romaine, surprit une dispense pour cela moyennant une grosse somme d’argent qu’on lui donna. Mais tout ce malheureux commerce ayant été heureusement découvert par le nonce du Pape en Portugal, le Portugais fut obligé de quitter le royaume, afin d’éviter le feu qu’il avait si bien mérité, et Moscambrun fut puni du dernier supplice. Ces sortes d’alliances contre nature sont plutôt des horreurs et des abominations que des superstitions. »
Abbé Jean-Baptiste ThiersTraité des superstitions qui regardent les sacrements, X, v, § 25 [1704]. Ce n'était pas encore l'heure du mariage pour tous.

Le duc de Saint-Simon stigmatisa dans ses Mémoires le « goût abominable » de Monsieur (1701), la débauche « également honteuse et abominable, également continuelle et publique » du duc de Vendôme (1708). Un poète prépara la place pour la « race maudite » selon Marcel Proust :

« Tant seulement j’attaque
Ceux devant qui le sexe féminin
Dans aucun sens n’a jamais trouvé grâce.
Cœurs corrompus, abominable race,
Vous qui trouvez l’ennemi trop voisin1
(Ainsi parlez quand on vous fait la guerre)
Prétendez-vous, messieurs les goguenards,
Que ce bon mot doit vous tirer d’affaire
Et vous sauver, comme simple paillards ?
Pas, s’il vous plait ; dans une secte fausse,
Avez croupi pour un malin abus,
Et négligé le sentier des élus. »
Jean-Baptiste Rousseau, « La fourmi », Contes et épigrammes libres.
1. C’est-à-dire chez la femme le con trop près de l’anus. Cf Martial, " évite donc de donner des noms masculins à tes trucs et dis-toi bien, ma femme, que tu as deux cons " (livre XI).

« L'abbé a tiré de sa bibliothèque des livres et figures en taille-douce pleines d'abominations sodomiques et de postures affreuses qu'il a montrées et fait remarquer l'une après l'autre au jeune homme, paraissant en faire grand cas. »
Archives de la Bastille 10821, 1724.

« SODOMIE, s. f. (Gram. & Jurisprud.) est le crime de ceux qui commettent des impuretés contraires même à l'ordre de la nature ; ce crime a pris son nom de la ville de Sodome, qui périt par le feu du ciel à cause de ce désordre abominable qui y était familier. »
Encyclopédie, tome XV, 1765, colonne 266, par Antoine-Gaspard Boucher d'Argis (1708-1791).

Abomination est sans doute, avec crime contre nature et sodomie, un des termes les plus imprégnés de condamnation religieuse. Dans ce registre, citons cet extrait traduit des Homélies de Jean Chrysostome à Antioche vers l’an 400, repris par l’écrivain Alfred de Vigny :

« Les femmes vont devenir inutiles ; les jeunes garçons prennent leur place. Ce crime abominable se commet avec toute sorte de liberté ; et il est presque passé en coutume, on n’en rougit plus. Ceux qui le commettent s’en font honneur, croient être à la mode et passent pour galants hommes. Ceux qui ne s’abandonnent pas à ce désordre en ont la réputation ; premièrement, parce que le nombre en est fort petit et qu’ils sont confondus dans la foule des criminels. »
Journal d’un poète, juin 1837.

La médecine légale à ses débuts n’a pas seulement emprunté à la théologie la classification des écarts sexuels suivant la nature de l’objet élu ; elle en a aussi repris le vocabulaire. De façon plus inattendue, on découvre que le socialisme naissant s’était accommodé de ces termes, et Proudhon parla des « abominations de Sodome et de Gomorrhe » (Amour et mariage, XXVI).
* * * * *

L'ancienne députée Christine Boutin se fit remarquer début 2014 en reprenant, dans une interview à Charles, cette qualification d’ abomination appliquée à l’homosexualité :

« Votre conseiller en communication était Charles Consigny, jeune éditorialiste au Point.fr et gay. N’est-ce pas contradictoire pour quelqu’un qui a déclaré en 1999 à la revue Tabloïd que « l’homosexualité est une abomination comme il est très clairement dit dans l’Ancien et le Nouveau Testament » ?

Christine Boutin : Ce n’est pas du tout contradictoire. Charles Consigny vient de rentrer dans la bande à Ruquier et je le félicite. Je n’ai jamais condamné un homosexuel. Jamais. Ce n’est pas possible. L’homosexualité est une abomination. Mais pas la personne.

Vous avouerez que la frontière peut paraître ténue.

CB : Ah non, ce n’est pas la même chose ! Pour moi, la différence est la même qu’entre le pécheur et le péché. Le péché n’est jamais acceptable, mais le pécheur est toujours pardonné ! Ça n’a rien à voir ! C’est cette subtilité qui n’est pas toujours comprise. J’ai des amis homosexuels ! Je vous assure, de vrais amis ! Mais, en ce qui concerne le comportement sexuel, chacun fait comme il peut. Je ne dis même pas comme il veut, je dis comme il peut. Personnellement, je n’ai aucun jugement à porter sur la personne. Comme elle, je fais ce que je peux avec ce que je suis. Avec ma foi, la personne homosexuelle est autant aimée de Dieu que je le suis. Merci de me permettre de vous le dire, c’est là que se situe une importante confusion. L’homosexualité n’a rien à voir avec les jugements que je porte sur les homosexuels, qui sont mes frères, mes amis, et qui ont une dignité aussi grande que ceux qui ont d’autres comportements sexuels. Ils sont pécheurs comme je le suis, on est tous pécheurs. Je suis dans le péché moi aussi, je suis une pécheresse (elle rit)! Mais jamais vous ne me verrez faire l’apologie d’un péché. Même si je peux pardonner un péché.

Vous avez récemment affirmé que l’homosexualité était une « question de mode » …

CB : J’ai dit ça, un matin de bonne heure, fatiguée, sur RMC avec Bourdin, que j’aime bien. C’était le jour du festival de Cannes où on venait de donner la Palme d’or à La Vie d’Adèle, donc je réponds : « C’est une question de mode. » C’était une parole un peu malheureuse un matin, et puis naturellement tout le monde l’a ressortie. Comprenez bien, ce n’est pas la mode au sens léger du terme, mais au sens d’environnement. C’est la mode au sens où tout le monde met un blue-jeans, parce que c’est entré dans les codes de notre époque. Ce qui n’était pas le cas il y a trente ou cinquante ans. Ce n’est pas quelque chose de superficiel. Est-ce qu’on portera toujours un blue-jeans? Je n’en suis pas certaine! Il n’empêche qu’aujourd’hui, ne pas avoir un blue-jeans dans sa garde-robe, c’est vraiment être hors-jeu. Tout comme il y avait une période où tous les cols blancs avaient un attaché-case. Il fallait avoir son attaché-case pour être bien intégré dans son temps et la société de son époque. L’homosexualité fait partie des nouveaux codes. Mais mon âge me permet de dire que les choses peuvent changer.
  En 1999, vous affirmiez que beaucoup d’hommes politiques étaient gays, mais ne le disaient pas publiquement. Est-ce toujours le cas quinze ans après ?

CB : Il y en a qui se sont révélés depuis, qui ont fait leur coming out. Ça ne me gêne pas. Moi j’ai bien besoin de dire que je suis catholique, que je crois en Dieu. Il y a des tas de catholiques qui n’ont pas besoin de le dire. S’il y a des homosexuels qui font ce choix, ils sont libres.

Pensez-vous que le législateur doive intervenir dans la sphère privée que représente la sexualité ?

CB : Ma réponse spontanée est non. Le politique n’a pas à s’intéresser à la sexualité des gens. »

ACADÉMIE

Montaigne : « En fin tout ce qu'on peut donner à la faveur de l'Académie, c'est dire que c'était un amour se terminant en amitié : chose qui ne se rapporte pas mal à la définition stoïque de l'amour » Essais, I, xxviii.

En 1638, une pièce de théâtre de Saint-Évremond, Les Académiciens, évoquait l'amour des Grecs au sujet de l'abbé et poète François de Boisrobert, membre [fauteuil VI] de la toute récente Académie Française [fondée par Richelieu en 1634].

En février 1727, l'avocat parisien Mathieu Marais reprenait les vers sur D'Assoucy en évoquant un groupe d'amis, dont Damien Mitton et le chevalier de Méré ; selon Marais, c'était « comme une académie » et il ajoutait :
« C'est dommage que :
Tous ces beaux esprits
Soient sujets à telle infamie. »

ACHRIEN

Substantif et adjectif forgés plus ou moins au hasard par l'écrivain Renaud Camus, insatisfait des termes existants, à une époque où gay n'était pas encore répandu :

" Achrien et achrienne désigneront [...] les individus sexuellement attirés par leur propre sexe, et tout ce qui se rapporte à eux." (Travers, Paris : Hachette, 1978)

Ce terme qui semble d'origine grecque (ch suivi d'une consonne correspondant à khi) fut repris dans des dénominations de groupes masculins : Groupe Achrien des Grandes Écoles à Paris, et Les nouveaux achriens à Bordeaux. (Voir Guide Gai Pied Hebdo 83-84, pages 24 et 209)

Renaud Camus pensa avoir trouvé un terme qui ne soit ni insultant, ni ridicule, ni étymologiquement inexact (puisque totalement dépourvu d'étymologie ...).

ACTIF/AGENT

Agent et patient sont des décalques du latin que l’on rencontre d’abord dans un traité de théologie morale :

« Tels sodomites sont comparés aux parricides et meurtriers. Secondement ils sont infâmes selon les lois. Troisièmement ils doivent être punis de mort et brûlés. La loi de Moïse [Lévitique] commande que tant l'agent que le patient soient mis à mort. »
Jean Benedicti, La Somme des péchés..., Paris : Arnold Sittart, 1587, livre II, chapitre viii.

Le polémiste protestant Agrippa d’Aubigné les connaissait :
« Il [le roi de France Henri III] changea sa fantaisie d’agent en celle de patient. »
Confession de Sancy, I, 7.

« Bougre agent, bougre patient au temps passé, me feras-tu dire que ton frère te vendit à l’abbé de Tyron ? »
Ibid., II, 1.

Sur M. de Nogent
« Que j’aime ce page
Fait au badinage.
Bon Dieu, qu’il est intelligent !
Tantôt il est agent
Dans son personnage,
Tantôt patient
Propre à tout usage.
Il est de Nogent. »
Recueil Maurepas, mss BnF 12639 , tome 24, page 196, année 1669.

« En un marché passaient avec maints sbires
Deux Florentins que pour crime on brûla :
Crime galant, tel que l’aurez pu lire
Du beau Catulle et de Caligula.
- Peuple assemblé ! disait l’un, me voilà !
Je suis l’agent ; que tu ne t’y méprennes.
- Hé ! dit le prêtre ; ami, laissons cela ;
- Ne songez plus aux vanités humaines. »
          Jean-Baptiste Rousseau,  (1671-1741), BnF, Arsenal, mss 2947.

« Je ne te parle point du goût de ces monstres qui n’en ont que pour le plaisir antiphysique, soit comme agents, soit comme patients. »
Marquis d’Argens [??], Thérèse philosophe, 2e partie, vers 1748.

« Il faut que le crime de la sodomie ne fût pas autrefois si ridicule qu'il l'est. L'ordonnance d'un grand-duc de Florence : [...] il établit les peines qui sont (je crois) : 25 écus d’amende pour l’agent ; moins, pour le patient. On ne ferait plus une loi pareille. »
Baron de Montesquieu, Mes Pensées, VIII, xxiii.

"Je me souviens d'avoir entendu dire à Fréron, au café de Viseux, rue Mazarine, en présence de quatre ou cinq personnes, après un dîner où il avait beaucoup bu, qu'étant jésuite il avait été l'agent et le patient."
Voltaire, Anecdotes sur Fréron, 1761.

"Aujourd'hui la peine de ce crime [de sodomie] est de condamner à être brûlés vifs tous ceux qui sont coupables de ce crime, tam agentem quam patientem [agents comme patients]."
Daniel Jousse, Traité de la Justice criminelle en France, tome 4, 1771.

" L'un me disait : ne savez pas l'histoire,
Vous y verrez des héros pleins de gloire,
Tantôt actifs et tantôt patients,
A leurs amis souples et complaisants,
Tel pour Socrate était Alcibiade,
Qui, par ma foi, n'était un Grec maussade. "
Frédéric II, roi de Prusse, "Le Palladion", chant IV, in Œuvres posthumes, tome 12, 1789.

« Idolâtre de la sodomie active et passive, mais plus encore de cette dernière, il [l’Évêque] passait sa vie à se faire enculer, et ce plaisir qui n’exige jamais une grande consommation de force s’arrangeait au mieux avec la petitesse de ses moyens. »
Marquis de Sade, Les Cent vingt journées de Sodome, Introduction. Paris, Gallimard, 1990, édition Michel Delon.

« Ce singulier Dolmancé […] sodomite par principe, […] les délices de Sodome lui sont aussi chers comme agent que comme patient. »
Sade, La Philosophie dans le boudoir (1795), I, Paris, Gallimard, 1998, édition Michel Delon.

Dans la 2e édition (non datée, postérieure à 1870) de son Dictionnaire érotiqueAlfred Delvau (1825-1867) écrivait :

« AGENT. Celui qui agit : le doigt, le vit ou le fouteur. Ce mot s’emploie aussi pour les sodomites ; le nom d’agent appartient à celui qui encule par opposition au mot patient, donné à celui qui se fait enculer. » (définition reprise dans Le Petit citateur)

Le Dr Lacassagne, médecin-légiste lyonnais, nota l'ancienneté de cette distinction des rôles sexuels :

" Comme dans toutes les associations à deux, l'un a le commandement, la direction ; l'autre la subordination, l'obéissance, l'exécution ; l'un est actif, l'autre passif. Les Anciens avaient déjà signalé parmi les pédérastes le cynoedus et le pathicus, l'incube et le succube. "

Cette opposition de rôles reflète-t-elle des différences sociales ? C'est la thèse que l'on trouve en 1883 dans un rapport au Conseil Municipal de Paris puis dans une étude sociologique :

« Quand un couple est pris, généralement le drôle qui se vend -- d'après M. Lerouge [chef du service parisien des mœurs de 1870 à 1881], des garçons coiffeurs, de jeunes domestiques sans place, des petits apprentis et autres de même acabit — garçon de peu, sujet passif, est retenu et paye pour son complice, sujet actif, personnage de rang honorable. Le scandale qui rejaillit, malgré tout, sur une classe, sur une corporation, doit être à tout prix évité. Les prêtres, les missionnaires, les anciens officiers d'Afrique, certains viveurs plus ou moins en vue des cercles et des boulevards, ont rarement maille à partir avec les tribunaux. »
Rapports et documents, n° 26, 1883 ; rapport de Louis Fiaux (1847-1936), au nom d'une commission spéciale de police des mœurs, consulté à la bibliothèque de l'Hôtel de ville de Paris.

" Les pédérastes se recrutent presque généralement dans les deux classes les plus opposées de la société : celle dite du monde, qui fournit la partie active, et la dernière, composée des individus formant la partie féminine [...] La classe bourgeoise est, en général, exempte de cette infection morale. "
Pierre Delcourt, Le Vice à Paris, 1888.

Ces rôles étaient reconnus par le milieu homosexuel :

"Chez les pédérastes, le mouchoir joue le rôle principal. C'est leur signe caractéristique, et tout de suite ils se reconnaissent ; sur le devant des effets il indique les actifs ; et lorsqu'il ressort des poches placées derrière le vêtement, il désigne les passifs."
Gustave Macé, Mes Lundis en prison, 1889.

Comme termes associés, on rencontre chez d’Aubigné les verbes agir et pâtir :

« Ce prince [Henri III] s’était prostitué à l’amour contre nature, même avait tourné ses voluptés à pâtir au lieu d’agir. »
Histoire universelle, tome X, année 1585.

ACTION INFÂME

Dans un rapport de police :

« Il [Anselme] m'a demandé si je m'étais manuélisé avec lui [un autre particulier], et s'il m'avait piquoté, en voulant me faire entendre s'il avait fait l'action infâme avec moi [...] Il m'a dit qu'il y avait quinze jours qu'il était allé boire avec un mousquetaire, qu'il l'avait manuélisé, que ce mousquetaire avait un gros membre qui était bon pour commettre l'action infâme parce qu'il était pointu par le bout. »
Archives de la Bastille, 10258, 20 juin 1738.

ADELPHISME

"Le mot Adelphisme serait plus juste et moins médical d'aspect qu'Uranisme, malgré son exacte étymologie sidérale."
Alfred Jarry, Les Jours et les nuits, II, 1, 1897.

À DEUX MAINS

« Bonzy vous êtes à deux mains
Pour le mâle et pour la femelle. »
Maurepas, 1672, tome XXIV, p. 336.

« Chantons tous en ce jour
La gloire de du Bourg ;
Il a baisé ma mère et ma femme,
Je l'ai baisé aussi cet infâme (+);
Mais le plus grand de ses exploits,
C'est qu'il m'a baisé moi.
+ On peut voir par ce vers et par le dernier que le comte du Bourg était à deux mains. »
Maurepas, 1684, tome V, p. 369.

Le sens est donc tantôt celui de la bisexualité ordinaire, tantôt celui d'une "bisexualité" interne à l'homosexualité masculine.

ADONIS

Nom d’origine mythologique.



« "Jasmin", dit-il à son jeune Adonis, "nous sommes trahis, mon cher … une fille, une profane a vu nos mystères ; approche-toi, sortons cette coquine de là et sachons ce qu’elle y peut faire". »
Marquis de Sade, Les Infortunes de la vertu, Paris : Gallimard, 1995 [1787], édition Michel Delon.

La liste est longue des personnages réels ou de fiction dont le nom est devenu, de façon fugace ou plus durablement, synonyme d’homosexuel : Adelsward, Adonis, Adrien, Alcibiade, Alexandre, Alexis, Antinoüs, Bagoas, Boisrobert, Charlus, Chausson, Corydon, Cupidon, Émile, Éphestion, Ganymède, Germiny, Giton, Jésus, Jupiter, Ligurinus, Nicomède, Sardanapale, Socrate, Vautrin, Villette ; certains font plus loin l’objet d’un article.

AFFECTION HOMOGÈNE

Georges Hérelle, brouillon de lettre à Félix Bourget, 17 mars 1873, dans
Michael Rosenfeld et Clive Thomson éds., Correspondance croisée 1869-1873,
Paris : Classiques Garnier, 2024.
44. Dialogues de Platon.


AFFECTION MASCULINE

"L'autre ne se polluant aucunement de l'affection masculine, était éperdument transporté en l'amour des femmes, ces deux affections ainsi répugnantes [contradictoires] entre elles me donnèrent plus de plaisir à voir le combat, que malaisément j'en pourrais rapporter."
Lucien, "Les Amours", in Œuvres.

AFFECTION UNISEXUELLE

« Nos mœurs tournent à la pédérastie, terme ordinaire, fatal, du développement érotique dans une nation. Quand la femme, prise d’abord pour organe de luxure, est devenue, par le raffinement de la volupté, un objet d’art, de l’art luxurieux, l’érotisme ne s’en tient pas là, il va jusqu’à l’affection unisexuelle. C’est logique. »
Proudhon, Carnet n° 8, 1850-51.

AFFICHE

ARTP, III, 787

AFFOLÉE DE BAZAR

"Affolée de bazar : folle à bijoux et collifichets jouant la reine du shopping."
J.-L. Delpal, Paris bleu tendre, 1972.

AGENT cf ACTIF

AGYNE

L'auteur anonyme des Codiciles de Louis XIII (1643) affirme que Constance, reine de France au Xème siècle, "abhorrait les agynes et les anandres, comme personnes bien aises à vivre sur le glissant du péché, disposées à tomber dans l'abîme".

Anandre, femme sans homme, a donné au XVIIIe siècle anandrine

AIMER À L’ENDROIT

« Favorable au préservatif pour lutter contre l'épidémie du sida, l'abbé Pierre [Henri Grouès] était ainsi très ouvert sur le mariage et l'adoption par les couples homosexuels. Longtemps, son secrétaire fut d'ailleurs Jacques Perotti, curé et militant homosexuel qui fonda l'association des cathos gays David et Jonathan. L'abbé Pierre n'était pas de ceux qui pensent qu'on ne doit aimer qu'à l'endroit. Sur sa tombe, il souhaitait qu'on inscrive juste : "II a essayé d'aimer". »
Isabelle Monnin, « Les confessions scandaleuses », Le Nouvel Observateur, 25 janvier 2007.

AIMER LE GOUDRON

Selon Alfred Delvau, « aimer à enculer, soit les femmes, soit les hommes, – ce qui embrène la queue. »
(Dictionnaire érotique moderne..., 1864).

AIMER SON SEXE

Ninon de Lenclos (Tallemant des Réaux, I, 413)

À LA MODE

" Pour ramener les jeunes hommes du vice à la mode. "
Mot de Mme Cornuel, rapporté par Madame, lettre du 1er février 1693 à Sophie de Hanovre.

" Il n'est pas du tout à la mode, c'est un vrai damoiseau. "
Madame [princesse Palatine, belle-sœur de Louis XIV], lettre du 13 décembre 1718, parlant de son fils le Régent.

« Ce vice, qui s’appelait autrefois le beau vice, parce qu’il n’était affecté qu’aux grands seigneurs, aux gens d’esprit ou aux Adonis, est devenu si à la mode qu’il n’est pas aujourd’hui d’ordre de l’État depuis les ducs jusqu’aux laquais et au peuple qui n’en soit infecté. Le commissaire Foucault, mort depuis peu, était chargé de cette partie et montrait à ses amis un gros livre où étaient inscrits tous les noms de pédérastes notés à la police ; il prétendait qu’il y en avait à Paris presque autant que de filles, c’est-à-dire environ 40 000. »
Mouffle d'Angerville, Mémoires secrets, tome 23, 13 octobre 1783.

À LA TURQUESQUE

« Quel beau ménage ils faisaient à la turquesque. Aussi les petits enfants criaient tout haut que Quelus et Maugiron étaient bardaches […] peu après faisant un nouveau ménage. »
Anonyme, La Vie et faits notables de Henri de Valois, 1589.

ALCIBIADISER

Alfred Delvau (1825-1867) :
« ALCIBIADISER. Agir en pédéraste passif, se laisser enculer — comme Alcibiade par Socrate. »
« PRENDRE UN HOMME AU SAUTE-DESSUS. Arrêter un pédéraste, quand on est pédéraste soi-même, et de plus chanteur, au moment où il se déboutonne et s'apprête à socratiser, ou à alcibiadiser, selon qu'il est actif ou passif. »
Dictionnaire érotique moderne par un professeur de langue verte, Freetown : Bibliomaniac Society, 1864.

« ALCIBIADISER. Agir en pédéraste passif, se laisser enculer — comme Alcibiade par Socrate. »
Dictionnaire érotique moderne, Neuchâtel : Imprimerie de la société des bibliophiles cosmopolites, 1874.

Gustave Macé (ancien chef du service de la Sûreté) : « Les juges doivent me frapper pour les délits d’outrage public à la pudeur; mais je leur interdis d’accoler à mon nom des épithètes injurieuses en me reprochant de socratiser ou d’alcibiadiser mes semblables. La pédérastie est aussi vieille que le monde ; on la trouve au début des sociétés comme au déclin de la nôtre. »
Mes Lundis en prison, IV Mazas, Paris : G. Charpentier, 1889.

ALEXANDRE

Alfred Delvau donnait dans son Dictionnaire de la langue verte (1866) cette définition de corvette : « l’Éphestion des Alexandre populaciers  dans l’argot des voleurs. »

ALEXIS

L'aimé de Corydon dans la poésie latine de Virgile.

« L’humble berger Corydon aimait fort
Un Alexis, bel enfant, le confort,
De son seigneur, son soulas, sa plaisance ;
Sans nul espoir d’en avoir jouissance.
[…]
Tu trouveras des partis plus de six,
Si point ne veut de toi cet Alexis. »
La Seconde églogue de Virgile, 1543 [20 septembre], traduction Loïs Grandin [BnF Yc.5490]

« Quand les Anglais s’en vont par six
C’est parce que trois Alexis
Veulent au moins trois Corydons
Pour les travaux de Kioupidon ! »
Raoul Ponchon [1848-1937], "La pudico-perfide Albion", gazette rimée, Le Courrier Français, 12 juillet 1891.

« Même si j'appartenais à une autre religion, je savourais tout ce que le catholicisme donne de raffinement à l'amour grec. Pour quelques drames, qui auraient été provoqués ailleurs par d'autres motifs, quelle pépinière d'Alexis et de Corydons est un collège religieux ! »
Roger Peyrefitte, Notre amour, I, 4.

La liste est longue des personnages réels ou de fiction dont le nom est devenu, de façon fugace ou plus durablement, synonyme d’homme homosexuel : Adelsward, Adonis, Adrien, Alcibiade, Alexandre, Alexis, Antinoüs, Bagoas, Boisrobert, Charlus, Chausson, Corydon, Cupidon, Émile, Éphestion, Ganymède, Germiny, Giton, Jésus, Jupiter, Ligurinus, Nicomède, Sardanapale, Socrate, Vautrin, Villette ; certains font plus loin l’objet d’un article. Dans le domaine hétéro, il n’y a guère que Jules et Jean-foutre.


ALTERSEXUALITÉ

« Par le mot « altersexuel », alternant avec « gai », je désignerai l'ensemble des « personnes dont la sexualité est autre qu'exclusivement hétérosexuelle », comme il sera expliqué. Les néologismes « altersexualité » et « altersexophobie » économiseront de longues périphrases. La nuance sera à peu près la même que celle qu'établissait dans les années 60 l'association Arcadie entre « homophile » et « homosexuel », ou celle qu'on pourrait rétablir entre « pédophile » et « pédosexuel » si l'on se souciait de propriété langagière pour ces êtres que la morale commune à tout humain vraiment humain ne peut que reléguer dans l'enfer de la vilenie. L'altersexualité est aussi bien une autre façon d'envisager la sexualité, qu'une sexualité résolument respectueuse d'autrui. Pour faire pendant, j'utiliserai le concept d'orthosexualité, décliné en orthosexie, orthosexuel, orthosexisme, orthosexocrate et orthosexocratie, dont les nuances apparaîtront en contexte sans qu'il soit besoin de téléprompteur ou d'obscurs éclaircissements. »« Altersexualité et orthosexie », 10 juillet 2004, © Lionel LABOSSE.

« Et puis, même si cela se fait fort lentement, le mot « altersexualité » se répand. Il a fait une apparition fort modeste dans Libé, dans Il manifesto, dans Marianne ; un article lui est consacré sur le Wiktionnaire. Voici le nombre de mentions de ces mots au 1er avril 2008 sur Google : altersexualité : 2700 ; altersexuel : 854 ; orthosexuel : 45… Au 1er avril 2009 : altersexualité : 4940 ; altersexuel : 2230 ; orthosexuel : 404… »
« Deuxième anniversaire d’altersexualite.com », mercredi 1er avril 2009, par Lionel Labosse

AMATEUR

Du latin amator, spécialement dans l'expression pueri amator, amateur ou amoureux de garçons. On trouve le mot dans un des écrits anonymes de la période révolutionnaire :

" Voici le fait [de la destruction de Sodome] tel qu'il est consigné dans les fastes de la fouterie en cul. Le grand prêtre, l'un des plus fins bougres que la Terre ait produit, voulut célébrer des lupercales, et ordonna à son cuisinier, grand amateur, de préparer un dîner somptueux, auquel il avait invité tous ses mignons. "
Les Petits bougres au Manège [1790].

" Le quartier général de ces messieurs à culotte se tient place du Carrousel, entre les deux guichets du côté de la rivière, de huit à neuf heures du soir. Les beaux, les patients, sont en ligne, dans l'attitude d'un homme qui satisfait un besoin. Les amateurs inspectent. Enveloppé dans mon manteau, j'ai parcouru cette ligne de chiens et de cochons! C'est là le dernier degré de la dépravation humaine. J'y suis allé trois fois, par la pluie, par le froid et par la neige, et j'y ai reconnu le contre-amiral ..... donnant des soins à un laquais en livrée et en cocarde noire ; le magistrat ...... qui est jésuite et célibataire ; les notaires D .... et S ...., le petit agent de change L ....., le duc de ...., le marquis C ... L ....., deux abbés, l'ancien tribun G ...., deux préfets en fonctions ; le député P ...., jésuite et grand hurleur, et le comte B ...., pair de France, tous hommes à sacrilège. "
Vincent Fournier-Verneuil, Paris, Tableau moral et philosophique, Paris : 1826, chapitre " Le beau monde ".

Francisque Michel donna de l’expression en être cette pudique définition :

« S’adonner au vice contre nature, être des amateurs que la pudeur défend de spécifier. » (1856).

"Ceux qui ne recherchent qu'une satisfaction personnelle pour leur passion antiphysique, et qui payent les services qu'on leur rend, forment la première catégorie [de pédérastes]. Ce sont, à proprement parler, les vrais pédérastes ; on les désignent ordinairement sous le nom d'amateurs. On leur donne aussi le nom de rivettes."
François Carlier, Prostitution antiphysique, 1887.

" En langage technique, ces individus, véritables coureurs de petits garçons, se désignent sous le nom d'amateurs ou de rivettes. "
Dr J. Chevalier, "De l’inversion sexuelle …", Archives d’Anthropologie Criminelle, n° 27, 15 mai 1890.

« La pédérastie, par goût, compte peu de partisans, en prison du moins. Sitôt qu’ils apprennent, par la renommée, la venue d’un volaillon, les véritables amateurs épient toutes les occasions d’offrir leurs services au gamin. »
Ch. Perrier, Les Criminels, tome 2, 1905.

Cette désignation que Carlier disait ordinaire a presque complétement disparu par la suite, et Remy de Gourmont a pu titrer une de ses chroniques dans le Mercure de France " Dialogue des amateurs " sans craindre d'ambigüité.

« Tantôt l’un des malfaiteurs se postera dans une vespasienne notoirement fréquentée par les homosexuels, servant d’ "appât" et au besoin provoquant la future victime. Si celle-ci, pensant avoir affaire à un "amateur", tente un geste qu’elle juge amical, le pseudo-éphèbe, appelant au secours, provoque l’intervention de ses complices qui se tenaient à proximité. Ceux-ci, sous prétexte de "porter secours", rossent l’inverti et lui dérobent son portefeuille. »
Max Fernet, « L’homosexualité et son influence sur la délinquance », Revue internationale de police criminelle, n° 124, janvier 1959.

AMBIDEXTRE

« Partisan du con et du cul, docteur in utroque, avec les deux sexes. » (Le Petit citateur, 1881)

AMBIGU

« De toutes nos relations, il n’en est pas de plus fausse que celle de l’amour ; on y a introduit une dissimulation si générale que nous ne pouvons plus lire les modernes du bon vieux temps ni les ouvrages anciens qui traitent de l’amour franchement, comme ceux de Plutarque, Virgile et autres […] À cette époque on admettait l’ambigu, l’amour unisexuel. Si les grands hommes de la Grèce revivaient aujourd’hui, ils seraient tous brûlés vifs. Solon, Lycurge, Agésilas, Épaminondas, Sappho, Jules César et Sévère seraient tous conduits à l’échafaud pour pédérastie ou saphisme. Ces même anciens méprisaient le trafic et le mensonge qui sont aujourd’hui en honneur, la banqueroute et l’agiotage qui sont devenus des usages aussi innocents qu’autrefois l’amour ambigu. »
Charles Fourier, Œuvres complètes, tome XI, volume 4, pages 219-220.

AMI

" Avoir un ami ", c'est aujourd’hui avoir une relation suivie, que l’on soit pacsé, marié ou non.

" Qui aura quelque maîtresse, ou quelque ami, les pourront entretenir aux Églises [...] s'ils les trouvent favorables à leurs désirs, pourront user de l'occasion, sans aucun scrupule ou révérence du lieu. "
Artus Thomas, L'Ile des hermaphrodites, 1605.

" Ces sortes d'amitiés sont cause qu'on viole beaucoup de règlements, et que l'on ne fait pas souvent ce que l'on doit, pour suivre les inclinaisons de son ami." 
Tronson, supérieur général de Saint-Sulpice, Examen des amitiés particulières, 1690.

AMI DU DERRIÈRE, AMI DU DEVANT

Ami du devant
Ce joyeux vivant
Harcèle et poursuit
Le jour et la nuit
Les amis du derrière. »
Albert Glatigny, La Sultane Rozréa, 1871, « Lamentation des filles ».

AMITIÉ À LA GRECQUE

« Liaison que les contemporains qualifièrent pudiquement d'amitié à la grecque. »
Jean Tulard, sur Joseph Fiévée et Théodore Leclerc. [cf ménage masculin].

AMITIÉ CHARNELLE

« M DESM. Dans la confusion primitive, tout sentiment n'avait peut-être qu'une base charnelle. [...] Il me semble, si je m'occupais de ces questions, que les Allemands ont fort embrouillées, que je distinguerais assez franchement l'homosexualisme de l'amitié charnelle. Des deux sentiments, le premier est un choix exclusif nécessité par des tendances physiques ; le second est une simple confusion de sentiments ; il n'est pas absolu, il est passager. L'un est un sentiment spécifique ; le second est un sentiment individualiste. L'homosexuel tend vers tous les êtres de son sexe ; l'être soumis à une amitié charnelle tend vers son ami, et vers son ami seul. Une passion hétérosexuelle peut très bien le remettre, à une occasion prochaine, dans la voie que nous appelons normale. »
Remy de Gourmont (1858-1915), " Dialogue des amateurs LII Variétés ", Mercure de France, 1er janvier 1908.

AMITIÉ(S) PARTICULIÈRE(S)

Une première version de cette entrée parut dans l’Intermédiaire des Chercheurs et Curieux, avril 1987, colonne 358.

L'expression provient de la théologie morale chrétienne.

«  ... si nous n'avons point eu de ces amitiés particulières que les saints ont toujours regardées comme la ruine des communautés. »
Tronson, supérieur général de Saint-Sulpice, Examen des amitiés particulières, 1690.

« Rois ne doivent avoir d'amitié particulière. »
Jean Racine (1639-1699), note en marge de la Vie d'Agésilas de Plutarque.

« Sur les amitiés particulières : combien elles sont à craindre dans les communauté. […]
Une seule amitié particulière est capable de troubler l’union générale. Une personne aimée par une autre excite souvent la jalousie et la critique de toute une communauté. […] Au lieu de se crucifier avec lui [Jésus-Christ], on ne cherche qu’à s’amollir, qu’à s’enivrer d’une amitié folle : on perd le recueillement ; on ne goûte plus l’oraison. »
Fénelon, Instructions sur la morale et la perfection chrétienne, chapitre XLI.

"L'athenofera, ou les amitiés particulières entre les jeunes gens, qui se trouvent établies à peu près de la même manière d'un bout de l'Amérique à l'autre, sont un des points les plus intéressants de leurs moeurs, parce qu'elles renferment un article des plus curieux de l'Antiquité, et qu'elles servent à nous expliquer ce qui était sur cela en usage particulièrement dans la république des Crétois et dans celle des Spartiates. [...] Ces liaisons d'amitié, parmi les Sauvages de l'Amérique septentrionale, ne laissent aucun soupçon de vice apparent, quoiqu'il puisse y avoir beaucoup de vice réel."
Lafitau, missionnaire puis évêque de Sisteron [Alpes-de-Haute-Provence], Mœurs des sauvages américains, chapitre VI, 1724.

J. Avrillon, Traité des amitiés particulières, dans Traités de l'amour de Dieu, 1740. L'auteur y décèle un aveuglement du quatrième degré, déplore le grand nombre de péchés qu'elles font commettre, et les abîmes où elles précipitent, avec autant de disgrâce qu'une vraie passion entre des personnes d'un sexe différent.

" lien sentimental et physique entre deux personnes de même sexe. "
Dictionnaire de l’Académie française, 9e édition,.

" Une des choses les plus recommandées au séminaire était d'éviter les amitiés particulières. "
Ernest Renan, Souvenirs d'enfance et de jeunesse, VI, iv, 1883.

Guy de Maupassant (sous le pseudonyme de Maufrigneuse) : « L'auteur, sans y prendre garde, dans l'honnêteté de sa conscience, a dépeint l'amour naissant d'un homme pour une femme vêtue en homme et qu'il croit être un homme. De là un trouble étrange, une confusion pénible, puissante comme art, gênante aussi.
En suivant le développement de cette passion légitime on côtoie, semble-t-il, le lac gomorrhéen des passions honteuses.
Je sais que toutes les intentions définitives sont honnêtes ; cela n'empêche que l'amitié particulière de cet homme pour un enfant, bien qu'elle ne puisse blesser la morale tant les moyens sont ménagés, peut du moins éveiller dans l'âme du lecteur des suppositions alarmantes.
J'ai d'ailleurs cette conviction, sans doute fausse, que les livres les plus dangereux pour les âmes et les plus immoraux en somme, sont les livres dits les plus moraux, les plus poétiques, les plus exaltants et les plus décevants, les livres où triomphe éternellement l'amour. » (Gil Blas, 1er mai 1883, page 1, sur le roman de Victor Cherbuliez " Le Comte Kostia ").

« La plaie des collèges de Jésuites, ce sont les amitiés particulières, du moins en Belgique. »
Alfred Harou, « Coutumes scolaires », Revue du traditionnisme français et étranger, oct.-nov. 1909.

Roger Peyrefitte (1907-2000) : son roman Les Amitiés particulières, 1943. Le film adaptant le roman provoqua, dès son tournage en 1964, un scandale dans le monde des lettres ; voir ma page de QUERELLE DE L'ART ET DE LA MORALE.

Le sens précis s’est perdu dans cette « pensée » de Pierre Dac :

« Un homme qui perd les pédales est un homme qui perd ses moyens et non un pédéraste qui perd les amitiés particulières dont il jouissait. »
Les Pensées, Paris : Éditions de Saint-Germain des Prés, 1972.

AMOUR ANTIPHYSIQUE

« Un vieux paillard, qu’à Rome on accusait
De pratiquer l’amour antiphysique,
Vit à Paris un prêtre qu’on cuisait,
Pour même cas, dans la place publique.
- Hélas, dit-il, le pauve catholique !
Que n’est-il né Romain ou Ferrarais !
Pour un écu, le pape apostolique
L’aurait absous au moins quatre ou cinq fois. »
Jean-Baptiste Rousseau (1671-1741), Épigrammes, V, mss 2947, Bibliothèque de l’Arsenal (Paris).

« Pour l’amour anti-physique
Desfontaines flagellé
A, dit-on, fort mal parlé
Du système newtonique.
Il a pris tout à rebours
La vérité la plus pure ;
Et ses erreurs sont toujours
Des péchés contre nature. »
Voltaire, lettre à Thieriot, 5 juin 1738.

Marcel Proust : « Un amour dit antiphysique »
Sodome et Gomorrhe II, chapitre II, 1922.

AMOUR D’HOMME À HOMME, AMOUR DE L'HOMME POUR L'HOMME

« Amour socratique : pour dire l’amour d’homme à homme »
P.J. Le Roux, Dictionnaire comique, satirique, critique, burlesque, libre et proverbial, Amserdam, 1718.

"Cet amour de l'homme pour l'homme prit dès lors le nom de sodomisme."
Anonyme, L'Amour, 1868.

AMOUR DES CHARLUS

« Les jeunes gens qui, par intérêt, condescendent à l’amour des Charlus leur affirment que les femmes ne leur inspirent que du dégoût. »
Marcel Proust, À la Recherche du temps perdu, La Prisonnière, 2e partie.

AMOUR DES FEMMES/AIMER LES FEMMES

"L'autre ne se polluant aucunement de l'affection masculine, était éperdument transporté en l'amour des femmes, ces deux affections ainsi répugnantes [contradictoires] entre elles me donnèrent plus de plaisir à voir le combat, que malaisément j'en pourrais rapporter."
Lucien, "Les Amours", in Œuvres, Abel L’Angelier, 1582 ; traduction de Filbert Bretin..

Dans un ouvrage collectif des modérés, on lit à propos du roi de France Henri IV :

"Ce que les prédicateurs et pédicateurs lui reprochent de l'amour des femmes : je m'assure que la plupart de la compagnie, et principalement monsieur le lieutenant, ne saurait lui faire ce reproche sans rougir."
La Satire Ménippée, 1594 ; édition Lemerre, 1877, tome I, p. 194.

" Ce jeune monsieur n'aimait pas les femmes : M. [César] de Vendôme a toujours depuis été accusé du ragoût d'Italie. On en a fait une chanson autrefois :
                        Monsieur de Vendôme
                        Va prendre Sodome. "
Tallemant des Réaux, Historiettes, "Mademoiselle Paulet", Gallimard, coll. Pléiade, tome I, page 474.

« Plusieurs préfèrent l'amour des garçons à celui des femmes. »
Abbé de Marolles, traduction d'Athénée, Les Quinze livres [Les Sages attablés], 1680, XIII, 601.

L’écrivain et linguiste Gilles Ménage discuta le sens de l’expression italienne mestier divino :

« Ce qui néanmoins en bonne grammaire doit s’entendre de l’amour des femmes et non pas de celui des garçons. »
Anti-Baillet, 1688, chapitre 119.

« Ceux qui étaient tout hommes recherchent les garçons ; ceux qui étaient hommes et femmes aiment les femmes et celles qui étaient toutes femmes n’aiment que les femmes. – Apologie de l’amour des garçons. »
Jean Racine, notes du Banquet de Platon.

"Il [Salomon] s'abandonne à l'amour des femmes ; son esprit baisse, son cœur s'affaiblit, et sa piété dégénère en idolâtrie."
Bossuet, Discours sur l'histoire universelle, Sixième époque.

À la fin du XVIIe siècle, l’opposition entre amour ou goût des femmes et amour des garçons était assez répandue.

"Il [Louis XIV] était, comme on dit ici, franc du collier [en français dans le texte]. Il n'a jamais eu la moindre pente au vice d'aimer les garçons. S'il avait suivi son inclination, il aurait fait punir sévèrement ce vice, mais Louvois, dont les amis s'y livraient pour la plupart, disait au Roi, pour les sauver, que cela valait mieux pour le service de Sa Majesté que s'ils étaient galants et aimaient les femmes ; car, lorsqu’il fallait aller à la guerre et entrer en campagne, on ne pouvait les détacher de leurs maîtresses ; qu’ils retournaient avant la fin de la campagne, et que, lorsqu’on en venait à la bataille, il ne se trouvait pas d’officiers ; il en citait beaucoup d’exemples : tandis qu’ayant d’autres inclinations, ils étaient bien aises de quitter les dames, et d’entrer avec leurs amants en campagne, et que dans ce cas ils n’étaient point aussi pressés de retourner chez eux. Par ce discours il avait engagé le roi à être indulgent ; ce qui n’avait pas déplu à son confesseur. En effet, si l’on avait voulu punir ce vice, il aurait fallu commencer par le Collège des jésuites. "
Lettre de Madame, princesse Palatine, à Caroline de Galles, 7 août 1717.

Un avocat parisien notait en août 1722 cette remarque d’une dame de la Cour :

« La duchesse de La Ferté a dit qu’on remarquait dans l’histoire que la galanterie des rois roulait, l’un après l’autre, sur les hommes et sur les femmes, qu’Henri II et Charles IX aimaient les femmes, et Henri III les mignons ; Henri IV aimait les femmes. Louis XIII les hommes, Louis XIV les femmes et qu’à présent le tour des mignons était revenu. »
Mathieu Marais, Journal et Mémoires, août 1722.

Des rapports de police attestent que l’expression aimer les femmes était connue par les homosexuels des milieux populaires :

« Monnet a continué la conversation et la promenade et lui a tenu des discours infâmes en lui disant qu'il ne fallait point aimer les femmes, que quoiqu'il en ait pris une, il la haïssait avec horreur, qu'il lui conseillait d'être de son goût, que les hommes valaient beaucoup mieux. A ce moment, il a voulu lui mettre la main dans la culotte et lui a proposé d'aller vers l'Orangerie où ils se le mettraient réciproquement. »
1er mai 1725, Archives de la Bastille 10895.

« Le sieur de Ste Colombe était assis à quelques distance de moi et se branlait le vit dans son chapeau, en me regardant ; voyant qu'il continuait environ l'espace d'un quart d'heure, cela m'a donné occasion de lui parler, et dans la conversation il m'a dit que l'homme et la femme qui étaient à deux pas de nous attendaient la nuit pour se foutre, que pour lui il n'aimait point les femmes, qu'il n'avait jamais aimé d'autre sexe que le sien (a), après quoi il m'a dit qu'il bandait bien […] il connaissait le père Denise ; ayant entendu dire que ce religieux était un des plus fameux bougres de Paris, il prit prétexte, pour en faire la connaissance, d'aller lui parler au sujet des cas de conscience ; ils étaient tombés sur le détail des passions, que l'avare aimait l'argent, l'ivrogne la boisson, que pour lui, il n'était pas susceptible de ces passions-là, que la sienne était d'aimer son sexe ; aussitôt qu'il eut lâché cette parole, le père Denise lui prit le vit et le lui branla, et il branla celui du père ; il a dit au père Denise qu'il n'avait jamais aimé les femmes, que s'il en avait fréquentées ce n'était que parce qu'il ne pouvait s'en dispenser, soit par rapport à son négoce, ou aux compagnies où il s'était trouvé. »
31 mai 1725, Archives de la Bastille 10256.
a. L’expression aimer son sexe était, selon Tallemant des Réaux, utilisée par Ninon de Lenclos.

Marcel Proust décrivit ainsi les vrais homosexuels :

« Ils ne participent pas à l’amour des femmes, ne l’ont pratiqué que comme habitude et pour se réserver la possibilité du mariage. »
À la recherche du temps perdu, « Sodome et Gomorrhe », I.

et quelques autres :

« S’ils aiment tant la femme, pourquoi, et surtout dans ce monde ouvrier où c’est mal vu, où ils se cachent par amour-propre, ont-ils besoin de ce qu’ils appellent un môme ?
À la recherche du temps perdu, « La Prisonnière »

AMOUR DES GARCONS / AIMER LES GARCONS / AMOUR ENTRE GARÇONS

"Il [Gnathon] était de nature vicieux aimant les garçons."
Jacques Amyot (1513-1593), traduction de Longus, Daphnis et Chloe, 1559.

« L'un d'eux se plaisait outre mesure en l'amour des garçons : estimant la Vénus féminine comme quelque enfer et abîme. [...] Callicrate l'Athénien [...]  n'aimant les luttes toutefois pour autre chose (comme il me semble) que pour l'amour des garçons, dont il était éperdument épris  [...] Et ne pense pas que si les fréquentations féminines sont plus antiques que les amours des garçons, que pour cela celles-ci en soient moindres. »
Filbert Bretin, traduction de Lucien, Œuvres, Paris : L'Angelier, 1582, 1583 [Amours].

« Platon dit qu’ès contrées de la Grèce où à quelque condition estimée utile l’amour des garçons était licite […]
Montaigne, Essais, III, v, 884 ; raturé et remplacé par « toute espèce d’amour ».

« Madame de Sourdis fait des chastes leçons
Son fils le Cardinal n'aime plus les garçons. »
Anonyme, Les Contre-vérités de la Cour, 1620 [BnF Ye. 19007].

« Apollon avec ses chansons
Débaucha le jeune Hyacinthe,
Et Corydon foutait Aminthe.
César n'aimait que les garçons ;
On a foutu Mr le Grand (*),
L'on fout le comte de Tonnerre.
Et ce savant roi d'Angleterre
Foutait-il pas le Bouquinquan [Buckingham] ? »
* [Note en marge] " De Bellegarde avec Henri III ".
Mélanges en vers et en prose, aux environs de 1620, BnF, mss français 15220, folios 50-51.

« Dialogue de l'amour des garçons. »
D'Ablancourt (1606-1664), académicien (1637) et traducteur, Lucien, 1654.

Dans ses Historiettes, Tallemant des Réaux dit de Nicolas Vauquelin, sieur des Yveteaux et précepteur du Dauphin : « On l’accusait aussi d’aimer les garçons. »

Jean Racine nota en marge de son exemplaire du Banquet de Platon : « Apologie de l’amour des garçons ».

« Plusieurs préfèrent l'amour des garçons à celui des femmes. »
Abbé de Marolles, traduction d'Athénée, Les Quinze livres [Les Sages attablés], 1680.

L’écrivain et linguiste Gilles Ménage discuta le sens de l’expression italienne mestier divino :

« Ce qui néanmoins en bonne grammaire doit s’entendre de l’amour des femmes et non pas de celui des garçons. »
Anti-Baillet, 1688, chapitre 119.

« Non-conformité : Quelques-uns appellent en badinant l’amour des garçons le péché de non-conformité. Mr Ménage s’est servi de cette expression pour parler plus honnêtement de cette débauche. »
Dictionnaire Universel des pères jésuites de Trévoux (1704).

" Il [Louis XIV] était, comme on dit ici, franc du collier [en français dans le texte]. Il n'a jamais eu la moindre pente au vice d'aimer les garçons. S'il avait suivi son inclination, il aurait fait punir sévèrement ce vice, mais Louvois, dont les amis s'y livraient pour la plupart, disait au Roi, pour les sauver, que cela valait mieux pour le service de Sa Majesté que s'ils étaient galants et aimaient les femmes ; car, lorsqu’il fallait aller à la guerre et entrer en campagne, on ne pouvait les détacher de leurs maîtresses ; qu’ils retournaient avant la fin de la campagne, et que, lorsqu’on en venait à la bataille, il ne se trouvait pas d’officiers ; il en citait beaucoup d’exemples : tandis qu’ayant d’autres inclinations, ils étaient bien aises de quitter les dames, et d’entrer avec leurs amants en campagne, et que dans ce cas ils n’étaient point aussi pressés de retourner chez eux. Par ce discours il avait engagé le roi à être indulgent ; ce qui n’avait pas déplu à son confesseur. En effet, si l’on avait voulu punir ce vice, il aurait fallu commencer par le Collège des jésuites. "
Lettre de Madame, princesse Palatine, à Caroline de Galles, 7 août 1717.

Dans ses Journal et Mémoires, le marquis René-Louis d’Argenson annonçait en 1723 que le duc de Brancas était « dérangé surtout par l’amour des garçons […] pratiquant son péché en payant. »
Édition E.J.B. Rathery, Paris : J. Renouard, 1859.

Le même nous apprend que le maréchal d'Uxelles " aimait les beaux garçons " (1730, page 75)

« L'adultère et l'amour des garçons seront permis chez beaucoup de nations : mais vous n'en trouverez aucune dans laquelle il soit permis de manquer à sa parole ; parce que la société peut bien subsister entre des adultères et des garçons qui s'aiment, mais non pas entre des gens qui se feraient une gloire de se tromper les uns les autres. »
Voltaire (1694-1778), Traité de Métaphysique, chapitre IX, 1735.

« Les Anciens n’étaient pas aussi choqué que nous de ce cynisme bizarre, sur lequel l’imagination la plus déréglée ose à peine s’arrêter. Héraclides dit expressément que l’amour des garçons n’avait rien de honteux chez les Crétois. »
Jacques André Naigeon, article "Académiciens", section « Philosophie ancienne et moderne », Encyclopédie méthodique, Panckoucke, 1791.

« [lord Alfred Douglas :] J’espère que vous êtes comme moi : j’ai horreur des femmes. Je n’aime que les garçons. »
Propos rapportés par André Gide, Si le grain ne meurt, 2e partie, Paris : Gallimard, 1926.

« Au plus loin que je remonte et même à l'âge où l'esprit n'influence pas encore les sens, je trouve des traces de mon amour des garçons. »
[Jean Cocteau], Le Livre blanc, 1928.

Julien Green : « Il [Cocteau] me prête le manuscrit des Enfants terribles que La Revue de Paris vient de refuser parce qu'il s'agit dans ce roman d'amour entre garçons. »
Journal intégral, 19 avril 1929, Paris : Robert Laffont, 2019.
« Plus tard, en Grèce, Byron se serait adonné avec zèle à l'amour des jeunes garçons, explorant avec sa pine tous les jeunes culs de Missolonghi »
Journal ..., 1er mai 1929.

« J’ai tenté pour ma part de faire le départ entre pédérastes selon l’acception grecque du mot : amour des garçons ; et les invertis, mais on n’a consenti à y voir qu’une discrimination assez vaine, et forcé m’a été de me replier. »
André Gide, Ainsi soit-il, 1951.

« Il n'est pas sûr que cette obstination ingénue à réclamer pour l'amour des garçons la licence de s'épanouir librement et radieusement soit du goût de tous ceux qui ont choisi la pédérastie précisément par besoin de ménager autour de leur vie sexuelle une zone d'ombre, de remords et d'angoisse. Autant Corydon milite pour une certaine forme d'homosexualité, autant il en exclut une autre. »
Dominique Fernandez, article "Gide", Encyclopaedia Universalis.

AMOUR DES HOMMES/AIMER LES HOMMES

" L'amour des hommes [...] est en lui-même un sentiment pur, noble, divin. C'est l'amour des âmes. C'est un présent de Vénus Uranie. "
Dupin, La Prusse galante ou Voyage d'un jeune homme à Berlin, 1800.

« Embrassée sur l’épaule par [Jean] Lorrain, Lorrain accusé d'aimer les hommes, elle [la femme de Forain] lui jetait : " C’est un alibi que vous cherchez ? " »
Edmond de Goncourt, Journal. Mémoires de la vie littéraire de 1851 à 1896, Paris : Fasquelle/Flammarion, 1956, 21 avril 1894.

AMOUR DES MÂLES / AIMER LES MÂLES

« [...] tourmente et tempête de l'amour des mâles [...] cet amour des mâles ne se porte pas ni ne se contient pas modestement envers l'autre [...] Et si comme dit Protogenes cet amour des mâles ne tend point à copulation charnelle, comment donc est-il amour, si Vénus n'y est point? »
Jacques Amyot, traduction de Plutarque, De l'amour, 2ème édition, 1572..

« On voit aussi certains animaux s'adonner à l'amour des mâles de leur sexe. »

« Thamyris [...] qui commença le premier à aimer les mâles. »
Apollodore, Bibliothèque, traduction 1605.

« Lui-même [Socrate] qui se plaisait à l'amour des mâles ; il assura qu'il en usait ainsi, pour être honteux au point de se cacher derrière les autres. »
Cyrano de Bergerac, Entretiens pointus.

« Ni Socrate ni Platon ne désapprouvaient l'amour des mâles [...] M. de Pauw ne veut pas admettre les exercices dans les gymnases comme l'une des causes de l'amour des mâles, mais Plutarque et Cicéron l'y assignent sans hésiter {...] le défenseur de l'amour des mâles, M. Jacobs. »
Petrus van Limburg-Brouwer, Histoire de la civilisation morale et religieuse des Grecs, Groningue : 1838 ; tome IV, 2ème partie, chapitre "Amour des mâles", pp. 224-275.

AMOUR ENTRE HOMMES

« Ils écrivent des livres sur les amours de Socrate, et sur celles d'Alexandre le Grand ... Ils ont relevé, sur les vieilles pierres, tous les noms de tous les mignons de tous les pharaons de toutes les dynasties ... Pédérastes avec emphase, sodomites avec érudition ! ... Et au lieu de faire l'amour entre hommes, par vice, tout simplement, ils sont homosexuels, avec pédanterie. »
Octave Mirbeau, La 628-E8, 1907.

« La pratique de l’amour entre hommes est attestée [chez les Assyriens], sans doute depuis les débuts du IIIe millénaire [avant notre ère], pour le moins, d’abord par quelques représentations figurées. »
Jean-Baptiste Bottéro (1914-2007) et Herbert Paul Petschow (1909-1991), « Homosexualität », Realexicon der Assyriologie und Vorerasiatischen Archäologie, tome IV, n° 6-7, 1975.

« L’homosexualité n’est d’aucun âge, d’aucune "classe" sociale, d’aucun métier, d’aucune nationalité ni d’aucune "race", d’aucun sexe, d’aucune ville ou province ni d’aucune croyance ou opinion philosophique, politique ou religieuse. L’amour entre hommes est ainsi universel et atemporel, tout autant qu’il sert – à travers les temps et les sociétés – à discréditer ses ennemis et à exprimer des idées "simplistes" sous forme de préjugés. »
Homosexualité et prostitution masculines à Paris 1870-1918, Paris : L’Harmattan, 2005.


Michael Rosenfeld : « À cette époque, alors qu'il est encore tabou (1) de parler de l'homosexualité masculine, dont l'expression est seulement réservée au discours médical, deux romanciers (2) vont pourtant peindre l'amour entre hommes dans un roman sans se heurter à la censure. »
" Écrire et escamoter l'amour entre hommes sous le Second Empire : Monsieur Auguste et Le Comte Kostia ", dans " Écrire les homosexualités au XIXe siècle ", Littératures, n° 81, 2019.
1On voit dans ma Chronolexicographie que ce " tabou " est mythique.
2. Joseph Méry, Monsieur Auguste, Paris : A. Bourdillat, 1859, 1867.
Victor Cherbuliez, Le Comte Kostia, Paris : Librairie Hachette, 1863.

AMOUR GREC, AMOUR DES GRECS

Dans Journal d’un poète, Alfred de Vigny constate :

« Toute religion est un Code pénal et criminel réservé pour les méfaits que les lois du monde visible et humain ne peuvent atteindre, par exemple le suicide, l’inceste secret, l’amour saphique, etc. L’amour grec. » [mai 1852].

Victor Cousin : « L’auteur d’Esther [Jean Racine en 1689], dans la partie du Banquet [de Platon] qu’il a traduite, affaiblit l’expression de l’amour grec et substitue au langage naïf de l’original la phraséologie équivoque de la galanterie moderne. »
Notes sur le Banquet, Paris : Plon, 1840.

En dressant sa liste des « déviations maladives de l’appétit vénérien » (1849), le Dr Claude Michéa commençait par l’amour grec, subdivisé en philopédie et tribadisme ; le Dr Tardieu a étudié longuement « ce vice, que l’Antiquité semblait s’être approprié sous le nom d’amour grec ». C’est sous le même titre que Proudhon a placé une note d’Amour et mariage (1858) soulignant la distinction qu’il faisait entre l’amour unisexuel et les pratiques de la sodomie.

Des éditeurs de Racine ont répondu à Victor Cousin dans les mêmes termes :

« L’espression de l’amour grec est certainement affaiblie à dessein et adroitement voilée par notre poète, comme l’heureuse différence de nos mœurs lui a paru l’exiger. »
Œuvres de Racine, Notice des Traductions.

On rencontre encore amour grec dans un article de Lord Alfred Douglas sur le procès d’Oscar Wilde :

« Mes poèmes ont été représentés comme un livre traitant de l’amour grec.
Or ceci est complètement inexact, – le sujet de mes vers est simplement : la poésie.
Un ou deux de mes poèmes concernent, il est vrai, l’amour grec : mais il ne m’est pas possible de m’imaginer que je doive me justifier d’avoir touché à un sujet qui inspira des poètes comme Sophocle, Théocrite, Michel-Ange et [Christopher] Marlowe, pour nommer au hasard. »
« Une introduction à mes poèmes, avec quelques considérations sur l’affaire Oscar Wilde », Revue blanche, 15 juin 1896, p. 486.

Dans une note à la première préface de Corydon, André Gide adopta cette expression pour évoquer les limites des points de vue d’Ulrichs et d’Hirschfeld :

« Cette théorie du "troisième sexe" ne saurait aucunement expliquer ce que l’on a coutume d’appeler "l’amour grec" : la pédérastie – qui ne comporte efféminement aucun, de part ni d’autre. »
Collection Folio, 2001 [1924], page 8.

“L’auteur des Caves – cela fut dit souvent – aime décevoir. Nous attendons de lui un mémoire à consulter sur cette obscure et inquiétante Allemagne, où toutes sortes de ferments s’agitent [Putsch raté d’Hitler en 1923]. Il nous donne un livre sur l’amour grec. »
André Germain, « Incidences, Corydon, par André Gide », La Revue Européenne, août 1924.


AMOUR MASCULIN

"De combien de mots masculins
A-t-on fait des mots féminins
[...]
Sans que l'abbé de Boisrobert
Ce premier chansonnier de France,
Favori de son éminence [le cardinal de Richelieu],
Cet admirable patelin,
Aimant le genre masculin,
S'opposât de tout son courage
À cet efféminé langage."
Gilles Ménage (1613-1693), Requête des dictionnaires, 1649.

"D'un bougre qui faisait le mot d'amour masculin
Colin fait, jusqu'à ce jour
Masculin le mot amour,
Et c'est à tort qu'on le blâme.
Pour n'avoir deux goûts divers,
Il veut qu'il soit dans ses vers
Comme il est dedans son âme. »
Recueil [Valentin] Conrart [1603-1675], tome 18, page 239 ; bibliothèque de l’Arsenal, Paris, mss 4123.


"On a fait remonter à Orphée et aux Thraces l'amour masculin."
J.J. Virey, De la Femme sous ses rapports physiologique, moral et littéraire, 1825, p. 344.

Dans l'index du Nouveau siècle de Louis XIV (1793), Sautreau de Marsy signalait que le duc de Vendôme était "taxé d'amour masculin" ; l'expression a donc été utilisée pour parler de cette constante anthropologique qu’est l’homosexualité masculine à des époques très éloignées les unes des autres ; elle traduit le latin Venus mascula.

En 1850, Proudhon nota dans ses Carnets :

« Changarnier, Lamoricière, ont rapporté d’Afrique le goût des amours masculines. »

« AMOURS MASCULINS s. m. pl. Amour de l’homme — pour les hommes. Loi presque naturelle : « Aimez-vous les uns les autres », dit l’Évangile.
Les Anciens avaient plus de bon sens que nous ; non seulement ils toléraient, dans la société, les amours masculins, mais ils ne les excluaient même pas du culte religieux. (Diable au corps). » (Le Petit citateur, 1881)

"De ces relations naissent quelquefois des attachements réels et profonds, d'abord platoniques, mais au bout desquels le vice trouve facilement son profit ; aux yeux des Chinois, c'est un fait secondaire, et dans les romans, souvent très littéraires, consacrés aux amours masculines, on retrouve toutes les péripéties, tous les transports de l'amour véritable ; si l'union physique termine la scène, ce n'est plus pour eux qu'un simple accident."
M. Morache, article "Chine", Dictionnaire Encyclopédique des Sciences Médicales, 1ère série, tome 16, 1884. 

AMOUR PHILOSOPHIQUE

Selon la traduction du dialogue grec de Lucien Amours, en 1582, l’Athénien proclame que « le seul amour masculin est comme quelque ordonnance d’un esprit philosophique ». Par ailleurs le calviniste Théodore Agrippa d’Aubigné (1552-1630) avait attribué au roi de France Henri III ces paroles : « Je vois que vous n’êtes pas ignorant de l’amour philosophique et sacré » (Confession de Sacy, I, 7).

« À Rome, les femmes ne montent pas sur le théâtre ; ce sont des castrati habillés en femmes. Cela fait un très mauvais effet pour les mœurs : car rien (que je sache) n’inspire plus l’amour philosophique aux Romains. »
Montesquieu, Voyage de Gratz à La Haye, I, vii.

AMOUR QUI N'OSE PAS DIRE SON NOM

« I am the Love that dare not speak its name »
Lord Alfred Douglas (1870-1945), Two Loves.

AMOURS DANS LE RANG

"... les amours dans le rang
Ne sont que Ris et Jeux ou besoins érotiques."
Paul Verlaine, "Parallèlement", La Cravache parisienne, 2 février 1889. Poème repris dans Parallèlement.

AMOUR SOCRATIQUE

« Il est certain, autant que la science de l’Antiquité peut l’être, que l’amour socratique n’était point un amour infâme. »
Voltaire, « Amour nommé socratique », Dictionnaire philosophique, 1764.


« Amour socratique : Quelques uns désignent par là l'amour antiphysique. Socrate aimait la beauté dans les femmes et dans les hommes. C'était peut-être un goût innocent et honnête. »
Trévoux, 1771.

« Amour socratique : Se dit quelquefois, par l'effet d'une vieille calomnie contre Socrate, d'un vice honteux, le péché contre nature. »
Emile Littré, Dictionnaire de la langue française, 1863-1872.

« AMOUR SOCRATIQUE. La pédérastie, que Socrate pratiquait si volontiers à l’endroit – je veux dire à l’envers d’Alcibiade. » Alfred Delvau, Dictionnaire érotique moderne, 1864.

« Je ne puis plus croire [après la lecture de Tardieu] que tant de grands hommes, de si beaux génies, aient traîné leurs âmes dans cet égout. Il y a là-dessous une abominable équivoque qu’il appartient à l’érudition de signaler, contre laquelle vous avez eu raison de protester, mais sur laquelle il ne serait pas bon que les moralistes insistassent trop cependant, de crainte de l’imitation et de ses suites. L’amour socratique est mort ; ne le réveillons pas. »
Un ami de Proudhon, note à Amour et mariage, 1868.

« AMOUR SOCRATIQUE. Désir d’enculer.
Passion qu’avait le sage Socrate et dont il a laissé le nom au sujet. » (Le Petit citateur, 1881)


Antisémitisme socialiste : « La Juiverie, toujours si pudibonde et si indignée quand il s'agit des mœurs des "païens", et du soi-disant amour socratique, la Juiverie devrait bien rentrer en elle-même et se souvenir que le vice en question est essentiellement sémitique d'origine aussi bien que de nom : Sodome ! On peut penser ce que l'on veut de Jupiter et de Ganymède ; mais le comble du genre, - et qui ne sera jamais surpassé, - se trouve assurément dans le cas mémorable des habitants de cette ville fameuse, qui voulaient à toute force coucher avec les anges envoyés chez Loth. »
Albert Regnard, militant socialiste, (1836-1903), " Aryens et Sémites — Le Bilan du Judaïsme et du Christianisme — V Le Dieu d'Israël ", Revue socialiste, n° 44, août 1888 (Tome VIII). Repris dans Aryens et sémites. Le Bilan du Judaïsme et du Christianisme, Paris : E. Dentu, 1890.


AMOUR SODOMISTE, AMOUR DES SODOMISTES

" L'amour sodomiste et l'amour saphique sont aussi effrontés que la prostitution et font des progrès déplorables. "
Commissaire Dupin (Paris), rapport, printemps 1799.

AMOUR TURC

« Quand on parle d’amour grec (dans le sens de sodomie) on devrait dire amour turc. L’amour thébain ou spartiate était plustôt celui d’August von Platen, « poitrine contre poitrine, hanches contre hanches ».
Marc-André Raffalovich, Uranisme et unisexualité : étude sur différentes manifestations de l'instinct sexuel, Lyon : A. Storck ; Paris : Masson, 1896.

AMY

Certains, tel Jacques Girard, écrivent ami avec un y, pour faire encore plus grec …

ANDRIN

" Les Andrins, en très petit nombre, étaient ceux qui, ne faisant cas d'aucun charme féminin, ne fêtaient que des Ganymèdes. "
Andréa de Nerciat, Les Aphrodites, N° 2, premier fragment " L'Œil du maître ", 1793. Andréa de Nerciat est un précurseur de Fourier.

" L'horrible goût des Andrins " :
Les Aphrodites, N° V, quatrième fragment.


Alfred Delvau : « ANDRINS. Culistes, hommes qui ne font aucun cas des charmes féminins et ne fêtent que des Ganymèdes. » Dictionnaire érotique.

ANDROGAME, ANDROGAMIE

Mari d’un homme, mariage d’un homme avec un autre homme.

« Néron l’androgame »
Agrippa D’Aubigné, Tragiques (1616), II " Princes ", 827. Il s'agit de François d'O, surintendant des finances.

Jean-Pierre-Louis marquis de Luchet, La Reine de Benni, Nouvelle historique, Amsterdam : Grangé, 1766 :
« De l'avis du Conseil il fut statué, qu'on aurait un mari depuis dix-huit ans jusqu'à vingt-cinq, qu'alors l'androgamie serait permise, et qu'on pourrait avoir trois maris depuis vingt-cinq jusqu'à trente ; huit depuis trante jusqu'à quarante, et douze depuis quarante jusqu'à cinquante-deux. » Le sens est ici celui de polygamie féminine.

« Et il y avait, ainsi accommodés en façon de bibliothèque, le caveau de Bordeaux, celui des Bourgognes [...], un autre pour les vins de Champagne, un quatrième des vins étrangers et de ceux de liqueur les plus rares, avec un dernier, réservé à la bière que buvait Charles d'Este, et qu'on brassait exprès pour lui à Pilsen, en Bohême. Otto et son androgame Saint-Amour, trouvèrent là d'étranges plaisirs, se gorgeant, cassant les goulots, entonnant à même ; alors, des chansons, des hurlements, des crapauds crevés avec de la poudre, des baptêmes de chiens que l'on faisait ensuite s'accoupler, les ordures les plus énormes. »
Élémir Bourges, Le Crépuscule des dieux, 1884.


2019

2010.


ANDROPHILE, ANDROPHILIE

Ces termes désignent un type d’homosexuels considérés suivant l’âge idéal ou habituel des partenaires : cette distinction avait été ébauchée par la princesse Palatine, observatrice attentive des mœurs de la Cour de Louis XIV :

« Ils haïssent les femmes comme la mort et ne peuvent les aimer comme être humain. D’autres aiment les hommes et les femmes, mylord Raby est de ceux-là ; d’autres n’aiment que les enfants de 10, 11 ans, d’autres les jeunes gars de 17 à 25 ans, et ils sont la majorité ; d’autres sont débauchés au point de n’aimer ni les hommes ni les femmes et de se divertir seuls ; de ceux-là le nombre n’est pas aussi grand que des autres. » Lettre de décembre 1705, Briefe 1676-1706, Stuttgart : Menzel, 1867.

Le sexologue et militant Magnus Hirschfeld avait proposé une typologie détaillée :

" Selon la nature de leur désir sexuel, nous avons classé les homosexuels en trois groupes : les éphébophiles, attirés par les adolescents de quinze à vingt-deux ans ; les androphiles, qui s'intéressent aux hommes de vingt à cinquante ans (a) ; les gérontophiles, qui aiment les hommes mûrs et les vieillards. Par la suite ce classement a été modifié parce que les éphébophiles et les androphiles constituent les groupes principaux, tandis que les gérontophiles et les pédophiles (ceux qui aiment les hommes mûrs et ceux qui cherchent les enfants non pubères) forment deux groupes supplémentaires. "
Magnus Hirschfeld (1868-1935), Anomalies et perversions sexuelles, 1957.
a. Cette définition d’androphile fut reprise par Cécile Beurdeley dans le glossaire mis en appendice à Beau petit ami.

Le romancier Alain Rox écrivit dans Tu seras seul « l’androphilie n’existait pas en effet qu’à Berlin » et indiqua en note :

« "Androphilie" qui par son étymologie exprime clairement le goût pour l’homme pourra selon moi se substituer utilement à "homosexualité" ou à "inversion sexuelle", toutes les fois qu’on voudra indiquer la tendance d’un homme vers son propre sexe. » Bon roman en trois parties, « Refoulements, Révélations, Philippe », publié en 1936 par Flammarion.

Le remplacement d’homosexuel par androphile fut aussi proposé par un collaborateur de la revue mensuelle Arcadie :

« Le meilleur vocable, à mon sens, est "androphile" […] Je préfère unisexuel à monosexuel, car celui-ci est formé d’une racine grecque et d’une racine latine, ce qui est peu logique. Mais unisexuel signifie surtout " qui n’a qu’un sexe ". » Marc Daniel [Michel Duchein], Arcadie, janvier 1955, page 65.


Ces termes peuvent être rapprochés d’androgame (« Néron l’androgame » écrivait Agrippa d’Aubigné) et de philandrique (Restif de La Bretonne, dans Monsieur Nicolas, décrivait le vice philandrique régnant dans l’école janséniste de Bicêtre). Comme homosexuel et uraniste, ils émanent du milieu homosexuel, et comme eux furent repris dans la littérature médicale. Ils semblent n’être plus utilisés actuellement, et le TLF ne les signale pas.

ANOMALIE

« Dans le conflit originel qui opposait son anomalie sexuelle à la morale commune, il [André Gide] a pris le parti de celle-là contre celle-ci, il a rongé peu à peu, comme un acide, les principes rigoureux qui l’entravaient ; à travers mille rechutes il a marché vers sa morale, il a fait de son mieux pour inventer une nouvelle table de la loi. »
Jean-Paul Sartre, Baudelaire, Paris : Gallimard, 1963.

« Selon l’ordre moral objectif, les relations homosexuelles sont des actes dépourvus de leur règle essentielle et indispensable. Elles sont condamnées dans la Sainte Écriture comme de graves dépravations et présentées même comme la triste conséquence d’un refus de Dieu. Ce jugement de l'Écriture [Romains, I, 24-27] ne permet pas de conclure que tous ceux qui souffrent de cette anomalie en sont personnellement responsables, mais il atteste que les actes d'homosexualité sont intrinsèquement désordonnés et qu'ils ne peuvent en aucun cas recevoir quelque approbation. »
Congrégation pour la doctrine de la foi, Déclaration " Persona humana ", § 8, à Rome le 29 décembre 1975.

ANTICONISTE

Comme coniste, ce mot faisait partie du vocabulaire de la Cour des Rois de France.

« On suit de bien près la piste
De tous les anticonistes ;
Les dames, dans leur chagrin,
Travaillent, soir et matin,
Pour en composer la liste. »
Chansonnier Maurepas, 1682, BnF, mss. fr. 12640, tome 25, p. 251.

ANTI-GAY

" Deuxième meilleure vente de l'année 2000 avec son dernier album, The Marshall Mathers LP, Eminem, un Blanc de vingt-huit ans qui rappe et rime avec brio, a déclenché et savamment entretenu une controverse virulente autour de sa musique, plus précisément de ses paroles, souvent des injures violentes, anti-gays, misogynes ."
Le Monde, 6 février 2001.

ANTI-LGBT+

Ministère de l'Intérieur, 16 mai 2022 : " Par rapport à 2020, le nombre de crimes et délits « anti-LGBT+ » enregistrés est en hausse de 28 %, et celui des contraventions de 16 % (respectivement, +12 % et +32 % par rapport à 2019, année précédant la crise sanitaire).
Le dépôt de plainte est une démarche très peu effectuée par les victimes : environ 20 % des victimes de menaces ou violences « anti-LGBT+ » et seulement 5 % des victimes d’injures « anti-LGBT+ » déclarent avoir porté plainte en moyenne sur la période 2012-2018, selon I'enquête Cadre de vie et sécurité. "

ANTI-HOMOPHOBE

" Gaytudiant, l' association des gays, des lesbiennes et de tous les anti-homophobes de l' Université de Toulon et du Var. "
e-mail, 15 janvier 2001.

« De nouvelles affiches antihomophobes sur les murs de Varsovie. »
http://www.tetu.com , info du 9 mars 2007.

ANTIHOMOSEXUALITÉ, ANTIHOMOSEXUEL

« Je ne vois pas en quoi un homme d’honneur pourrait être carencé pour avoir refusé de se battre avec un individu déchu moralement de toute honorabilité. Agréez, cher confrère, mes sentiments les meilleurs et les plus antihomosexuels qui existent. »
Georges Turpin, critique d'art, réponse à l’enquête de La Plume, n° 387, 15 mai 1912.

« Il faut qu’il y en ait, et il y en a, des juifs adipeux au nez crochu ou des folles tordues qui ressemblent à Daniel Ivernel dans L’Escalier, pour que les racistes, antisémites ou antihomosexuels, puissent nourrir leur phobie. »
Pierre Démeron, Lettre ouverte aux hétérosexuels, Paris : Albin Michel, 1969.

" [Jacques] Duclos partageait à mots couverts les préjugés antihomosexuels et d'ultra-discrète discrimination qui n'étaient pas inconnus au sein d'une minuscule petite-bourgeoisie française, dont il avait épousé puis transcendé la culture. "
Emmanuel Le Roy Ladurie, Paris-Montpellier. P.C.-P.S.U. 1945-1963, Paris : Gallimard, 1982.

« L’un des personnages [du film de Marcel Carné Les Enfants du paradis], Lacenaire, est – personne ne le dit jamais – un débauché et un proxénète qui utilise de jeunes garçons pour attirer des hommes plus âgés et ensuite les faire chanter ; il y a une scène qui fait référence à cela. Il fallait bien toute la naïveté et l’antihomosexualité des surréalistes pour que cela soit passé sous silence. »
Michel Foucault, « Espace, savoir et pouvoir », Skyline, mars 1982 [traduit de l’anglais par F. Durand-Bogaert]

« La grande peste noire de 1348-1350, qui emportera plus d’un tiers de la population européenne, ranimera la vieille hostilité anti-homosexuel [sic]. »
Daniel Borrillo, L’Homophobie, Paris : PUF, 2001, chapitre II, page 47.

« Les députés ougandais ont repoussé sine die vendredi l'examen d'un projet loi anti-homosexualité prévoyant la peine de mort dans certains cas, et qui avait suscité les protestations internationales, dont celles des Etats-Unis jugeant le texte "odieux". » (RNW.nl, 14 mai 2011).

ANTI-LGBTI

" Mme Fabienne Colboc, [député LREM de la 4e circo d'Indre-et-Loire,] rapporteure pour avis de la commission des affaires culturelles et de l’éducation. Les propos racistes, xénophobes, antisémites, anti-LGBTI – lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexes –, liés au handicap, et autres messages haineux prolifèrent dans l’espace numérique. Selon une étude conduite en 2019 par la société de modération Netino, la proportion de propos agressifs ou haineux tenus sur les réseaux a augmenté de quatre points depuis 2018, atteignant 14,3 % du total des commentaires. Cela témoigne d’une progression inquiétante, dont le législateur doit prendre la juste mesure. " (Assemblé nationale, 1ère séance du 3 juillet 2019).

ANTINOÜS
Vincent Fournier-Verneuil, Paris Tableau moral et philosophique, 1826,
chapitre " Le beau monde ".


ANTIPHYSICIEN, ANTIPHYSIQUE (adj. et subs.) , ANTIPHYSITIQUE

Avec plus de deux siècles d’emplois, c’est un des termes les plus importants de notre inventaire. Ce décalque du grec signifie littéralement contre nature. On trouve chez Rabelais une évocation de la lutte entre Physis et Antiphysis (Quart Livre, chapitre 32) sans allusion aux amours de même sexe. Le sens qui nous intéresse serait apparu sous la plume de Voltaire jeune :

« Hélas ! Amour, que tu fus consterné
Lorsque tu vis ce temple profané,
Et ton rival, de son culte hérétique
Établissant l’usage antiphysique,
Accompagné de ses mignons fleuris,
Fouler aux pieds les myrtes de Cypris ! »
La Courcillonnade, 1714.

Mais cette épigramme de Jean-Baptiste Rousseau est peut-être antérieure :

« Un vieux paillard, qu’à Rome on accusait
De pratiquer l’amour antiphysique,
Vit à Paris un prêtre qu’on cuisait,
Pour même cas, dans la place publique.
- Hélas, dit-il, le pauvre catholique !
Que n’est-il né Romain ou Ferrarais !
Pour un écu, le pape apostolique
L’aurait absous au moins quatre ou cinq fois. »
Jean-Baptiste Rousseau (1671-1741), Épigrammes, V, mss 2947, Bibliothèque de l’Arsenal (Paris).




Recueil de pièces choisies..., 1735, page 128.



« Je ne suis ni surpris ni fâché que l’abbé Desfontaines essaie de donner des ridicules à l’attraction. Un homme aussi entiché du péché antiphysique et qui est par ailleurs aussi peu physicien, doit toujours pécher contre nature. »
Voltaire, lettre à Maupertuis, 22 mai 1738.

On retrouve l’association avec amour dans une lettre de Voltaire :

« Pour l’amour anti-physique
Desfontaines flagellé
A, dit-on, fort mal parlé
Du système newtonique.
Il a pris tout à rebours
La vérité la plus pure ;
Et ses erreurs sont toujours
Des péchés contre nature. »
Voltaire, lettre à Thieriot, 5 juin 1738.

« [À Florence] l’amour antiphysique n’est pas toléré. »
Le président Charlesde Brosses, lettre à M. de Blancey, 3 octobre 1739.

« Il avait des yeux qui nous enculaient de cent pas, et dont le regard farouche ne s’attendrissait qu’à la vue d’un joli garçon, alors le bougre entrait en rut, il hennissait, sa passion pour le cas antiphysique était si bien établie qu’il était redoutable aux Savoyards mêmes. »
[Gervaise de Latouche], Histoire de Dom B[ougre] portier des Chartreux, 1741, réédité en 1976.

Fougeret de Montbron, parodiant la Henriade de Voltaire, composa ces vers sur Henri III :

« Sauf son respect le Nicodème
Roupillait sous son diadème,
Tandis que régnaient en son nom
Quatre précurseurs de Chausson (*);
Car il était, dit la Chronique,
Sujet au vice antiphysique. »
Henriade travestie, Berlin, 1745.
*. Un nommé Chausson fut exécuté avec son "complice" Fabry en 1661 ; ils étaient accusés de proxénétisme de jeunes garçons et de blasphème.

« Je ne te parles point du goût de ces monstres qui n’en ont que pour le plaisir antiphysique, soit comme agents, soit comme patients. L’Italie en produit moins aujourd’hui que la France. Ne savons-nous pas qu’un seigneur aimable, riche, entiché de cette frénésie, ne put venir à bout de consommer son mariage avec une épouse charmante, la première nuit de ses noces, que par le moyen de son valet de chambre, à qui son maître ordonna, dans le fort de l’acte, de lui faire la même introduction par derrière que celle qu’il faisait à sa femme par devant !
Je remarque cependant que messieurs les antiphysiques se moquent de nos injures et défendent vivement leur goût, en soutenant que leurs antagonistes ne se conduisent que par les mêmes principes qu’eux.
Nous cherchons tous le plaisir, disent ces hérétiques, par la voie où nous croyons le trouver. C’est le goût qui guide nos adversaires, ainsi que nous. Or, vous conviendrez que nous ne sommes pas les maîtres d’avoir tel ou tel goût. Mais, dit-on, lorsque les goûts sont criminels, lorsqu’ils outragent la nature, il faut les rejeter. Point du tout ; en matière de plaisirs, pourquoi ne pas suivre son goût ? Il n’y en a point de coupables. D’ailleurs, il est faux que l’antiphysique soit contre nature, puisque c’est cette même nature qui nous donne le penchant pour ce plaisir. Mais, dit-on encore, on ne peut procréer son semblable, continuent-ils. Quel pitoyable raisonnement ! Où sont les hommes de l’un et de l’autre goût qui prennent le plaisir de la chair dans la vue de faire des enfants ? »
Thérèse philosophe (1748), Histoire de la Bois-Laurier.

En 1771 le mot entre dans la nouvelle édition du Dictionnaire Universel de Trévoux :

« Antiphysique : ce qui est contre nature. Amour antiphysique. Voyez les épigrammes de [Jean-Baptiste] Rousseau. »
« Ganymède : en style d’amour antiphysique. Homme qui sert aux plaisirs d’un autre. C’est son ganymède. »

« Goût antiphysique des Américains.»
Diderot, 1772. Michel Delon publia un excellent article intitulé « Du goût antiphysique des Américains » dans les Annales de Bretagne et des pays de l'Ouest, tome 84, n° 3, juin 1977. »


« L’Anti-Physique, que ses détracteurs ont appelé dérisoirement bougrerie, que l’ignorance des siècles avait fait envisager jusqu’à nos jours comme un jeu illicite de la lubricité, et que les jurisconsultes nomment bestialité, sera donc, à l’avenir, une science connue et enseignée dans toutes les classes de la société. […] Instruisons toute la Terre que les grands hommes ont, pour la plupart, été des Antiphysiciens, et que cet ordre fameux et illustre peut aller de pair, par le nombre et la qualité, avec ceux de Malte et du Saint-Esprit. »
Anonyme, Les Enfants de Sodome à l’Assemblée Nationale, 1790.

« Le caractère de Jérôme était d’ailleurs […] tout aussi partisan qu’eux [ses confrères] de l’antiphysique ; il aimait, ainsi qu’eux, à se faire foutre et à sodomiser des garçons, lorsque, préparé par leur bouche, il avait retrouvé, dans ce restaurant, les secours nécessaires à l’entreprise. »
Marquis de Sade, La Nouvelle Justine, 1794, chapitre VIII ; Paris, Gallimard, 1995, collection Bibliothèque de la Pléiade, édition Michel Delon.

Au XIXe siècle, antiphysique subit la régression d’emploi commune à de nombreux termes d’Ancien Régime, et on ne le trouvait plus guère que dans les souvenirs des policiers. Cependant,
Complément du Dictionnaire de l'Académie française, 1842.


" Aux premières paroles qu'il prononça, je reconnus que j'avais affaire à un antiphysitique. "
François Carlier, Les Deux prostitutions 1860-70, 1887.

Dr Léon Fiaux : « Nous tenons d'un des doyens des commissaires de police de Paris une série de notes qui ont trait également à la pratique de la pédérastie, dans le clergé parisien, pendant les dernières années de l'empire et depuis 1870.
En 186., notamment, il n'y avait guère de mois où l'un des grands vicaires de l'archevêché, M. X... ne fût arrêté par les agents de la police des mœurs pour actes antiphysiques plus ou moins publics. »
La Police des mœurs en France..., Paris : E. Dentu, 1888.

« L'auteur assigne nécessairement aux anormaux, aux antiphysiques ou homosexuels, la place qui leur convient, en les considérant comme des dévoyés de l'amour, des maniaques inoffensifs dont on peut sans inconvénient tolérer les pratiques entre eux. Au reste, il semble bien que les perversions du sens génésique découlent des entraves apportées aux relations normales, ou encore d'une hérédité morbide qui doit prendre fin à brève échéance si on laisse libres les individus. Éros ou la liberté sexuelle [par Jules Hoche, chez Albin Michel] est un ouvrage qui saura plaire aux amateurs de beau style et d'idées positives. »
Le Malthusien, n° 20, juillet 1910, page 160.

« Je gage qu’avant vingt ans, les mots : contre nature, antiphysique, etc., ne pourrons plus se faire prendre au sérieux. »
André Gide, Corydon. Quatre dialogues socratiques, Premier dialogue, iii. La version incomplète de Corydon écrite en 1910, C. R. D. N., portait : « avant dix ans » ; la modification est un indice du pessimisme de Gide quant à une libéralisation rapide des mœurs après la guerre de 1914-1918.

ANTISALAÏSTE

" Salaïste, antisalaïste sont presque les seules choses à savoir d'un imbécile. "
Marcel Proust, Correspondance, 1902.

ANTISODOMIE

« [Aux XIIIe et XIVe siècles] le discours antisodomie se durcit. Ce péché, estime-t-on, appelle la vengeance du ciel. Le laïc qui s’y adonne doit être excommunié et le clerc réduit à l’état laïc (Concile de Latran III, 1179). L’homosexualité est d’autant plus vivement dénoncée qu’elle est très répandue chez les musulmans, que l’on accuse de sodomiser leurs prisonniers chrétiens et dont on estime qu’ils menacent l’Europe. On associe aussi hérésie et homosexualité, la tolérance du catharisme envers cette dernière étant d’ailleurs avérée. »
Hervé Martin (né en 1940), Mentalités médiévales XIe-XVe siècle, chapitre XIII, Paris : PUF, 1996.

APÔTRE DE L'ANUS

Dictionnaire érotique moderne par un professeur de langue verte,
Freetown : Bibliomaniac Society, 1864.

À REBOURS, AU REBOURS

"C'est sodomie quand deux d'un même sexe se mêlent ensemble, encore que ce fussent femmes, ou quand l'homme se mêle avec la femme à rebours."
E. Sa, Aphorismes des confesseurs, Luxure, 1601.

" Je n'ai eu pour régent que des écoliers écossais, et vous des docteurs jésuites [...] Vous m'avisez du mal que donnent les garces : priez Dieu que les chirurgiens ne découvrent jamais la cause qui vous fit éviter celui-là pour vous en donner un pire. On dit que vous êtes un étrange mâle : je l'entends au rebours, et je ne m'étonne pas si vous êtes si médisant contre les dames. "
Lettre de Théophile de Viau à Guez de Balzac, 1626, in F. Lachèvre, Le Procès de Théophile de Viau, Bibliothèque des Curieux, 1909.

" Vous avez fait à rebours le gaillard péché de luxure. "
Cyrano de Bergerac (1619-1655), Les Mazarinades, Le Ministre d'Etat.

« Le bon jésuite Bouhours
A dit-on pris tout au rebours
Infidèles aux novices,
Eh bien,
Il a fait à Clarice
Vous m’entendez bien. »
Maurepas, BnF, mss fr 12622, tome 7, p. 205, année 1691

« Pour l’amour anti-physique
Desfontaines flagellé
A, dit-on, fort mal parlé
Du système newtonique.
Il a pris tout à rebours
La vérité la plus pure ;
Et ses erreurs sont toujours
Des péchés contre nature. »
Voltaire, lettre à Thieriot, 5 juin 1738.

L'idée en latin :
Cf Montaigne, dénaturées et prépostères amours, I, xxii, 117. Voir aussi inverti.

ARRACHEURS DE PALISSADES

« Quand le Roi [Louis XV] a demandé pourquoi tous ces exils contre ces jeunes seigneurs, on lui a dit qu’ils avaient arraché des palissades dans le jardin, et à présent on ne donne d’autre nom à ces non-conformistes qu’arracheurs de palissades »
Mathieu Marais, Journal, août 1722.

ASSUMER, S’ASSUMER

« Ce n'est pas parce qu'on découvre ou qu'on décide d'assumer son homosexualité qu'on cesse d'être père ou mère. Et ce n'est pas pour autant que les enfants cessent d'avoir besoin de leur père ou de leur mère. D'autre part, les célibataires ont le droit d'adopter des enfants et, fort heureusement, normalement on ne leur demande pas de comptes sur leur sexualité au moment où ils formulent la demande. »
François Bayrou, Libération, 25 mars 2002.

« Si des associations telles qu’Ursus Sud existent et trouvent une « clientèle » sur le leitmotiv de « vivre ses différences en milieu gay traditionnel », c’est que le malaise existe bel et bien et qu’il faut le combattre. Combattre, toujours combattre, navrant ! Assumer son homosexualité ne suffit donc plus, il faut assumer son homosexualité parmi les homosexuels ! »

ATTRACTION DES SEXES SEMBLABLES

« La vie sexuelle est soumise à une loi analogue à celle de l’électricité et du magnétisme ; en effet, les sexes de nom contraire s’attirent tandis que les sexes de même nom se repoussent. Tel est l’état normal ; mais existe-t-il des faits, nécessairement pathologiques, où l’on constate que les sexes de même nom s’attirent en même temps que ceux du nom contraire se repoussent ? Westphal en a publié deux (Archiv für Psychiatrie, 1870 [sic, pour 1869]), sous le titre : "Die conträre Sexualempfindung", que nous traduirons provisoirement par "l’attraction des sexes semblables". »
Dr A. Ritti, "De l'attraction des sexes semblables", Gazette hebdomadaire de Médecine et de Chirurgie, n° 1, 4 janvier 1878.

Expression recensée en 1893 par le Dr Chevalier.

AU POIL ET À LA PLUME, AU POIL COMME À LA PLUME

« Bougre au poil, et bougre à la plume,
Bougre en grand et petit volume »
Scarron, La Mazarinade, 1651 ; réédité en 1867 sous le titre La Pure vérité cachée.

Le duc de Saint-Simon disait du Grand Prieur, frère du duc de Vendôme, qu'il était " au poil et à la plume ".
Mémoires, tome 13, p. 298.

« On vit le marquis de Villette faire de la parente de Voltaire, de cette moderne Vénus, un jeune et joli Ganymède ; méthode qu’il avait étudiée par goût, sous le chantre immortel de La Henriade [Voltaire] qui, dans sa jeunesse, au poil comme à la plume, s’amusait à ces jeux innocents, et fonda à Ferney une nouvelle Gomorrhe. »
Anonyme, Les Enfants de Sodome à l’Assemblée Nationale, 1790.

AUTO-REVERSE

Indifféremment actif ou passif.


AUTRE, AUTRE AMOUR, AUTRE CONJONCTION, AUTRE RACE


« […] Je rencontrai au retour de Saint Pierre un homme qui m’avisa plaisamment de deux choses […] que ce même jour la station était à Saint Jean Porta Latina, en laquelle église certains Portugais, quelques années y a [en 1578], étaient entrés en une étrange confrérie. Ils s’épousaient mâle à mâle à la messe, avec mêmes cérémonies que nous faisons nos mariages, faisant leurs pâques ensemble, lisaient ce même évangile des noces, et puis couchaient et habitaient ensemble. Les esprits romains disaient que, parce qu’en l’autre conjonction, de mâle et femelle, cette seule circonstance la rend légitime, que ce soit en mariage, il avait semblé à ces fines gens que cette autre action deviendrait parfaitement juste, qui l’aurait autorisée de cérémonies et mystères de l’Église. Il fut brûlé huit ou neuf [onze en fait] Portugais de cette belle secte (1). »
MontaigneJournal de Voyage en Italie, 18 mars 1581.
1. Plusieurs Portugais et Espagnols à Rome, à l'église, en été 1578 ; Antonio Tiepolo, il 2 agosto 1578 : "Sono stati presi undeci fera Portughesi e Spagnuoli, i quali adunatisi in une chiesa, ch'e vicina san Giovanni Laterano, facevano alcune lor cerimonie, e con horrenda sceleraggine bruttando il sacrosante nome di matrimonio, se maritavano l'un con l'altro, congiongendosi insieme, come morito con moglio. Vintisette si trovano, et piu, insieme il piu delle volte, ma questa volta non ne hanno potuto coglier piu che questi undeci, i quali anderamo al fuoco, e come meritano." Cf F. Mutinelli, Storia arcana e aneddotica d'Italia, Vol. I, "Roma e Milano", Parte seconda, vii, Venise : P. Naratovich, 1856.

Jacques Fersen : « Je voudrais, n’ayant d’ailleurs comme titre suffisant que l’orgueil de nos idées et une ardeur indicible à les savoir moins méconnues, fonder à Paris, en février prochain, une revue d’art, de philosophie, de littérature, dans laquelle petit à petit pour ne pas faire d’avance un scandale, on réhabilite l’autre Amour. »
Lettre à Georges Eekhoud, fin 1907, citée par Mirande Lucien.
 
« Va-t-il [Gérard] me forcer de penser que les homosexuels ont plus d’imagination que les … autres ? Non ; mais ils sont invités à l’exercer bien davantage. »
André Gide, Journal, fin octobre 1931.

"Un pédé, en pays étranger, inconnu, a besoin d'un homme ; en quelques minutes, il le trouve, et l'affaire est faite. Pour les autres, c'est bien moins facile."
Paul Morand, Journal inutile, 23 décembre 1974, Paris : Gallimard, 2001, collection " Les Cahiers de la nrf ".

« Les Homosexuels et les autres. »
Claude Courouve, Les Homosexuels et les autres, Paris : Athanor, 1977.

Marcel Proust évoqua à plusieurs reprises l’autre race dans La Recherche.


Lettre B

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