dimanche 19 septembre 2021

INDEX NIETZSCHE (10/16) : LE PETIT NOMBRE, LE TROUPEAU, LES RATÉS

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Flock of sheep


Fragments posthumes 1870-1873,

U I 2b, fin 1870 - avril 1871 : 7[123] : " Seule une toute petite troupe d’élus peut être initiée jusqu’aux degrés supérieurs ; la grande masse restera éternellement arrêtée sur le parvis. " [Cf Gustave Flaubert, Bouvard et Pécuchet, VIII : « Si l’individu ne peut rien savoir, pourquoi tous les individus en sauraient-ils davantage ? Une erreur, fût-elle vieille de cent mille ans, par cela même qu’elle est vieille, ne constitue pas la vérité ! La foule invariablement suit la routine. C’est, au contraire, le petit nombre qui mène le progrès. »]
7[183] : " Est-ce que ce qui est utile à ceux de la multitude [die Vielen] est une fin ? Ou bien ceux de la multitude ne sont-ils qu’un moyen ? "

U I 5a, hiver 1870-1871 - automne 1872 : [58] : " La masse ne produit pas l’individu, au contraire elle lui oppose une résistance. "
[83] :

U I 4a, 1871 : [70] : l’enseignement classique n’est de toute façon fécond que pour le petit nombre.

U II 2, été-automne 1873 : 29[40] : " Les masses ne sont à considérer que 1) comme des copies brouillées des grands hommes, tirées sur du mauvais papier et avec des plaques usées, 2) comme des obstacles à l’action des grands, 3) comme des instruments des grands. Pour le reste, que le diable les emporte. " [Die Massen sind nur zu betrachten einmal 1) als verschwimmende Copien der grossen Männer, auf schlechtem Papier und mit abgenutzten Platten 2) als Widerstand gegen die Grossen 3) als Werkzeug der Grossen. Im Übrigen hole sie der Teufel.]


Considérations inactuelles II, (1874)

De l’utilité et des inconvénients de l’histoire pour la vie,
§ 1 : « Observe le troupeau qui paît sous tes yeux : il ne sait ce qu’est hier ni aujourd’hui, il gambade, broute, se repose, digère, gambade à nouveau, et ainsi du matin au soir et jour après jour, étroitement attaché par son plaisir et son déplaisir au piquet de l’instant, et ne connaissant pour cette raison ni mélancolie ni dégoût. C’est là un spectacle éprouvant pour l’homme, qui regarde, lui, l’animal du haut de son humanité, mais envie néanmoins son bonheur  – car il ne désire rien d’autre que cela : vivre comme un animal, sans dégoût ni souffrance, mais il le désire en vain car il ne le désire pas comme l’animal. » [Betrachte die Heerde, die an dir vorüberweidet: sie weiss nicht was Gestern, was Heute ist, springt umher, frisst, ruht, verdaut, springt wieder, und so vom Morgen bis zur Nacht und von Tage zu Tage, kurz angebunden mit ihrer Lust und Unlust, nämlich an den Pflock des Augenblickes und deshalb weder schwermüthig noch überdrüssig. Dies zu sehen geht dem Menschen hart ein, weil er seines Menschenthums sich vor dem Thiere brüstet und doch nach seinem Glücke eifersüchtig hinblickt — denn das will er allein, gleich dem Thiere weder überdrüssig noch unter Schmerzen leben, und will es doch vergebens, weil er es nicht will wie das Thier.] »


Opinions et sentences mêlées, 1879,
§ 295 : " Affirmer est plus sûr que démontrer. Une affirmation agit avec plus de force qu’un argument, du moins sur la majorité des gens ; car l’argument éveille la méfiance. C’est pourquoi les tribuns populaires cherchent à consolider les arguments de leur parti au moyen d’affirmations. "


Fragments posthumes, 1879-1881,

N IV 1, juillet 1879 :
41[43] : " La communitude s'installe d'abord dans la communauté. " [Die Gemeinheit entsteht erst in der Gemeinschaft.]

NV 3, été 1880 :
4[78] : « Pour la morale, l’humanité inférieure de la foule possède une valeur qu’elle paye sans hésiter au prix de l’humanité supérieure des individus isolés » [Für die Moral besitzt die geringere Menschlichkeit einer Masse einen Werth, den sie mit der höheren Menschlichkeit Einzelner zu bezahlen kein Bedenken trägt: ebenso in Betreff der Gesundheit, des Glücks]

N V 4, automne 1880 :
6[163] : « Si l’on souhaite des hommes ordinaires et égaux, c’est parce que les faibles redoutent l’individu fort et préfèrent un affaiblissement général à un développement dirigé vers l’individuel. Je vois dans la morale actuelle un artifice flatteur pour dissimuler l’affaiblissement général : tout comme le christianisme voulait affaiblir et ramener à l’égalité les hommes forts et intelligents. »

M III 1, printemps-automne 1881 :
[57] : la masse MÉPRISE  tout ce qui est ordinaire, léger, petit.


Gai Savoir, 1882,
III,
§ 174 : il est indifférent qu’une seule opinion soit imposée au troupeau ou que cinq opinions lui soient permises – quiconque s’écarte des cinq opinions fondamentales aura toujours contre lui le troupeau tout entier.

Fragments posthumes 1882-1883,

N V 9c. N VI 1b. N V 8, novembre 1882 — février 1883, 4[38] : " Voulez-vous avoir une vie facile ? Alors restez toujours avec le troupeau et perdez-vous dans le troupeau. " [Willst du das Leben leicht haben, so bleibe immer bei der Heerde. Vergiß dich über der Heerde! Liebe den Hirten und ehre das Gebiß seines Hundes!]


Fragments posthumes 1884-1886,

W I 1, printemps 1884 : [440] : Le spectacle des masses et de ceux qui s’adressent aux masses [der Lehrer der Massen] rend sombre !
[484] : le jugement de valeur selon les critères de la foule tient encore trop de place même chez le sage !

W I 2, été-automne 1884 : 26[155] : on ne devient pas un conducteur, si l’on n’a pas d’abord été une bonne foi exclu du troupeau.
26[185] : Un individu discrédité et mis au ban par le troupeau est du même coup dispensé d’observer l’esprit de mensonge, qui fait partie des premiers devoirs de la conscience du troupeau.

Z II 5a, été-automne 1884 : 27[17] : J’enseigne : le troupeau essaye de maintenir un type et se garde des deux côtés, aussi bien contre les spécimens de dégénérescence (criminels, etc.) que contre ceux qui s’élèvent au dessus du niveau fixé. La tendance du troupeau est dirigée vers le repos et la conservation, il n’y a rien de créateur en elle.

N VII 1, avril-juin 1885 : [77] : Grande louange pour le christianisme : il est la véritable religion du troupeau.

W I 3a, mai-juillet 1885 : 35[34] : Aucune de toutes ces bêtes de troupeau, lourdaudes, aux consciences inquiètes — car c'est ce qu'elles sont toutes, les unes comme les autres — ne veut se rendre compte qu'il y a une hiérarchie des hommes, et que par conséquent une morale unique pour tous constitue un préjudice pour l'homme le plus haut, que ce qui est juste pour l'un peut ne l'être nullement pour l'autre. [Niemand von allen diesen schwerfälligen, im Gewissen beunruhigten Heerden-Thieren — denn das sind sie allesammt — will etwas davon wissen, daß es eine Rangordnung der Menschen giebt, folglich Eine Moral für Alle eine Beeinträchtigung der höchsten Menschen ist, daß, was dem Einen billig ist, durchaus noch nicht dem Anderen es sein kann.]
Le bonheur du plus grand nombre est un idéal à vomir pour quiconque a la distinction de ne pas faire partie du grand nombre. [vielmehr das „Glück der Meisten“ für Jeden ein Ideal zum Erbrechen ist, die Auszeichnung hat, nicht zu den Meisten zu gehören.]
W I 8, automne 1885 - automne 1886 : 2[168] : le combat de la multitude contre la minorité, du banal contre l’exceptionnel, des faibles contre les forts.
[179] : avec sa morale, le christianisme, en tant qu’idéal plébéien, aboutit à nuire aux types les plus forts, les plus noblement conformés, les plus virils, et favorise l’espèce des hommes du troupeau : il constitue une préparation à la manière de penser démocratique.


Par-delà Bien et mal (1886),

II " L'esprit libre ", § 29 : Être indépendant est l’affaire d’un très petit nombre ; c’est un privilège des forts.
§ 44 : Ce qu'ils aimeraient réaliser de toutes leurs forces c'est le bonheur du troupeau pour tout le monde, le bonheur du troupeau paissant sa verte prairie, dans la sécurité, le bien-être, l'universel allègement de l'existence.

§ 62 :

V " Contribution à l'histoire naturelle de la morale ", § 201 : Tant que l'utilitarisme qui réside dans les jugements moraux ne visera que ce qui est utile au troupeau, tant qu'il n'aura en vue que la conservation de la communauté et que l'on taxera d'immoralité uniquement ce qui paraîtra la mettre en danger, on ne pourra encore parler d'une " morale de l'amour du prochain ". [...] L' " amour du prochain " est toujours chose secondaire, en partie conventionnelle, arbitraire et illusoire en comparaison de la peur du prochain.
§ 202 :La morale est aujourd’hui en Europe la morale du troupeau.
§ 203 : déchéance et rapetissement de l’homme transformé en bête de troupeau

§ 257 :

IX " Qu’est-ce qui est aristocratique ? ", § 260 : Il y a morale des maîtres et morale des esclaves.[Cf M III 4b, printemps-été 1883 : [22]]
Par-delà Bien et Mal, IX " Qu’est-ce qui est aristocratique ? ", § 263 : « On atteint beaucoup quand on a réussi à inculquer à la grande masse (les esprits creux et les étourdis de toutes sortes), qu'ils n'ont pas le droit de toucher à tout, qu'il y a des expériences sacrées devant lesquelles ils ont à retirer leurs chaussures et à surveiller leurs mains sales, — c'est là à peu près leur plus haut degré d'humanité. Inversement, il n'est peut-être rien de plus répugnant, chez les prétendus cultivés, les croyants aux " idées modernes ", que le manque de pudeur, l'insolente familiarité avec lesquels ils touchent, lèchent et palpent tout ; et il est possible qu'on trouve aujourd'hui dans le peuple, dans le bas peuple et notamment chez les paysans, relativement plus de distinction dans le goût et de tact dans le respect, qu'au sein de ce demi-monde de l'esprit lisant les journaux, les Cultivés. »
Belle rencontre avec Dostoïevski :


§ 268 : Les hommes ordinaires, les hommes qui se ressemblent entre eux ont été et sont toujours avantagés ; l’élite, les plus raffinés, les plus singuliers, les plus difficiles à comprendre demeurent souvent seuls, succombent aux accidents du fait de leur isolement et se perpétuent rarement.
§ 284 : le commerce des hommes, — en « société » — est inévitablement malpropre. Peu importe où, quand, comment, toute communauté rend — « commun ».


Fragments posthumes 1886-1887,


N VII 3, été 1886 - automne 1887 : [108] : Erreur fondamentale : prendre le troupeau pour but et non les individus isolés ! Le troupeau est un moyen, rien de plus ! Mais aujourd’hui, on tente de concevoir le troupeau comme un individu et de lui attribuer un rang supérieur à celui de l’individu.
On tente de caractériser ce qui rend moutonnier, les sentiments de sympathie, comme le côté le plus précieux de notre nature !

Mp XVII 3b, fin 1886 – printemps 1887 : [6] : Ma philosophie vise à la hiérarchie : non à une morale individualiste. Le sens du troupeau doit régner dans le troupeau – mais ne pas déborder au delà. […] si l’on ressent ses actions altruistes et désintéressées comme un danger et une erreur pour soi-même, on ne fait pas partie du troupeau.
[9] : Le phénomène fondamental : d’innombrables individus SACRIFIÉS au profit d’un petit nombre, en tant qu’ils le rendent possible.


La Généalogie de la morale (1887),

III "Que signifient les idéaux ascétiques ?",
§ 18 : la formation des troupeaux est un progrès essentiel et une victoire dans la lutte contre la dépression. [die Heerdenbildung ist im Kampf mit der Depression ein wesentlicher Schritt und Sieg [...] Partout où il y a troupeau, c’est l’instinct de faiblesse qui a voulu le troupeau et la sagesse du prêtre qui l’a organisé. Par nécessité naturelle les forts ont tendance à se séparer autant que les faibles ont tendance à s’unir ;si les uns s'associent ce n'est qu'en vue d'une action agressive commune, d'une satisfaction commune de leur volonté de puissance, et non sans avoir à surmonter individuellement de grandes répugnances ; les faibles au contraire, en s'associant, prennent plaisir précisément à cette association. [wo es Heerden giebt, ist es der Schwäche-Instinkt, der die Heerde gewollt hat, und die Priester-Klugheit, die sie organisirt hat. Denn man übersehe dies nicht: die Starken streben ebenso naturnothwendig aus einander, als die Schwachen zu einander; wenn erstere sich verbinden, so geschieht es nur in der Aussicht auf eine aggressive Gesammt-Aktion und Gesammt-Befriedigung ihres Willens zur Macht, mit vielem Widerstande des Einzel-Gewissens; letztere dagegen ordnen sich zusammen, mit Lust gerade an dieser Zusammenordnung]


Fragments posthumes 1887-1888,

Mp XVII 3c, été 1887 : [4] : haine des médiocres envers les exceptions, du troupeau envers les indépendants.

W II 2, automne 1887 : concept de la dégénérescence dans les deux cas : lorsque le troupeau se rapproche des qualités de l’être solitaire et celles-là des qualités du troupeau, – bref, lorsqu’elles se rapprochent.

W II 3, novembre 1887 - mars 1888 :
[127] : raison de la séparation aristocratique par rapport à la masse
[140] : contre les idéaux du troupeau, je défend l’aristocratisme
[341] : dans un troupeau l’égalité peut régner

W II 5, printemps 1888 : 14[123] : Les plus forts et les plus heureux sont faibles quand ils ont contre eux les instincts organisés du troupeau, la lâcheté des faibles, le surnombre [...] Aussi curieux que cela paraisse : il faut toujours armer les forts contre les faibles ; les chanceux contre les malchanceux ; les sains contre les dépravés et les congénitalement tarés. [die Stärksten und Glücklichsten sind schwach, wenn sie organisirte Heerdeninstinkte, wenn sie die Furchtsamkeit der Schwachen, der Überzahl gegen sich haben. [...] So seltsam es klingt: man hat die Starken immer zu bewaffnen gegen die Schwachen; die Glücklichen gegen die Mißglückten; die Gesunden gegen die Verkommenden und Erblich-Belasteten.] 

W II 6a, printemps 1888 : 15[79] : Les valeurs des faibles ont le dessus parce que les forts les ont reprises, pour gouverner grâce à elles … [NB NB. Die Werthe der Schwachen sind obenan, weil die Starken sie übernommen haben, um damit zu leiten…]

Ecce Homo, Pourquoi je suis si avisé,
§ 10 : « Je n’ai jamais souffert que de la "multitude" [Vielsamkeit] »

LES RATÉS (Miβrathenen)


Fragments posthumes, 1881-1884,

M III 5, automne 1881 : [16] : le malade et le criminel ne doivent pas être reconnus aptes à se reproduire.

W I 1, printemps 1884 : 25[243] : Que les premiers et plus réussis exemplaires ne soient pas désavantagés par égard pour les ratés (c’est-à-dire la masse).
Destruction [Vernichtung] des ratés - pour cela il faut s'émanciper de la morale qui a eu cours jusqu'ici. [Erster Grundsatz: keine Rücksicht auf die Zahl: die Masse, die Elenden und Unglücklichen gehen mich wenig an — sondern die ersten und gelungensten Exemplare, und daß sie nicht aus Rücksicht für die Mißrathenen (d.h. die Masse) zu kurz kommen.
Vernichtung der Mißrathenen — dazu muß man sich von der bisherigen Moral emancipiren.]

25[335] : – atteindre cette monstrueuse énergie de la grandeur, pour pouvoir, par l'éducation et d'autre part l'anéantissement [Vernichtung] de millions de ratés [eugénisme ?], former l'homme futur, et ne pas mourir de la douleur que l'on crée, et qui n'a jamais eu d'équivalent ! – [— jene ungeheure Energie der Größe zu gewinnen, um, durch Züchtung und anderseits durch Vernichtung von Millionen Mißrathener, den zukünftigen Menschen zu gestalten und nicht zu Grunde zu gehen an dem Leid, das manschafft, und dessen Gleichen noch nie da war! —]

[Passage remarqué et commenté par l’historien allemand Ernst Nolte (1923-2016) : référence malheureusement perdue]


– cette disposition des ratés à se sacrifier : c’est le sens des Ordres qui font vœu de chasteté. [— Gesinnung der Mißrathenen, sich zu opfern: das der Sinn der Orden, welche sich Keuschheit geloben.]

25[343] : La grande majorité des êtres humains sont sans droit à l'existence, mais un malheur pour les êtres supérieurs : je n'accorde pas encore le droit aux ratés. Il y a aussi des peuples ratés. [Die allermeisten Menschen sind ohne Recht zum Dasein, sondern ein Unglück für die höheren: ich gebe den Mißrathenen noch nicht das Recht. Es giebt auch mißrathene Völker.]

25[345] : Causes du pessimisme

[...] les compatissants et les âmes sensibles : absence de la dureté – le ménagement des ratés

25[382] : Le raté se conserve beaucoup plus longtemps et détériore la race : c'est pourquoi l'homme par comparaison avec les animaux est l'animal le plus malade. [So erhält sich das Mißrathene viel länger und verschlechtert die Rasse: weshalb der Mensch, im Vergleich zu den Thieren, das krankhafteste Thier ist.]

25[383] : Je ne permets qu'aux hommes pleinement réussis de philosopher sur la vie. Mais il y a des hommes et des peuples ratés : il faut leur clouer le bec. Il faut en finir avec le Christianisme – c'est le plus grand blasphème qu'il y ait jamais eu sur la Terre et dans la vie – il faut clouer le bec à ces hommes et à ces peuples ratés. [Ich erlaube nur den Menschen, die wohlgerathen sind, über das Leben zu philosophiren. Aber es giebt mißrathene Menschen und Völker: denen muß man das Maul stopfen. Man muß ein Ende machen mit dem Christenthum — es ist die größte Lästerung auf Erde und Erdenleben, die es bisher gegeben hat — man muß mißrathenen Menschen und Völkern das Maul stopfen.]

25[385] : La condamnation du corps est typique du mélange raté, et de même la condamnation de la vie : signe auquel on reconnait les vaincus.

25[413] : Les consolations qui renvoient à l’au-delà ont l’intérêt de maintenir en vie beaucoup de ceux qui ont de la peine à vivre : de propager les ratés : ce qui (comme pour les mélanges de races) peut être en soi plein d’intérêt, dans la perspective où une race finit par devenir pure.

Il est dans le caractère de la vie que la majorité des exemplaires deviennent des ratés.

25[438] : Quel sens peut bien avoir ce que des religions entières répètent : « tout est mauvais, faux et méchant ! » Cette condamnation de l’ensemble du processus ne peut être qu’un jugement de ratés !

Les ratés, dira-t-on, pourraient être ceux qui souffrent le plus, les plus sensibles ? Les satisfaits pourraient ne pas valoir grand-chose ?

25[485] : " Pour faire la différence entre le réussi et le raté, le corps est le meilleur conseiller, du moins c’est lui qu’on peut étudier le mieux. "



Par-delà Bien et mal (1886),

III "Le phénomène religieux,
§ 62 : " On trouve dans l’espèce humaine, comme dans toutes les autres espèces animales, un excédent d’individus ratés, malades, dégénérés, infirmes, d’êtres voués à la souffrance ; chez les hommes aussi les réussites constituent toujours l’exception, et, compte tenu du fait que l’homme est l’animal dont le caractère n’est pas encore fixé, l’exception rarissime. "


Fragments posthumes 1886-1888,
N VII 3, été 1886 - automne 1887 : [71] : 10 : la morale protégeait du nihilisme les ratés en conférant à chacun une valeur infinie, une valeur métaphysique
12 : le nihilisme comme symptôme de ce que les ratés n’ont plus de consolation
14 : Que signifie aujourd’hui « raté » ? C’est avant tout physiologique : [ce n’est] plus politique.

W II 6a, printemps 1888 : 15[110] : " L’espèce a besoin de la disparition des ratés, des faibles, des dégénérés : mais vers eux précisément s’est tourné le christianisme. " [Die Gattung braucht den Untergang der Mißrathenen, Schwachen, Degenerirten: aber gerade an sie wendete sich das Christenthum,]


L’Antéchrist, 1888,


§ 2 : Périssent les faibles et les ratés ! Premier principe de notre philanthropie. Et il faut même les y aider. [les première et troisième phrases sont commentées par Alexandre Lacroix dans le N° 1 de philosophie MAGAZINE]

[Die Schwachen und Missrathnen sollen zu Grunde gehn: erster Satz unsrer Menschenliebe. Und man soll ihnen noch dazu helfen.]

" Qu’est-ce qui est plus nuisible qu’aucun vice ? La compassion active pour tous les ratés et les faibles – le christianisme …" [Was ist schädlicher als irgend ein Laster? — Das Mitleiden der That mit allen Missrathnen und Schwachen — das Christenthum…]


Ecce homo, 1908 [1888],
" L'origine de la tragédie ",  § 4 : " Ce nouveau parti de la vie qui prendra en main la plus haute de toutes les tâches, l'éducation supérieure de l'humanité, y compris l'extinction sans ménagements de tout ce qui est dégénéré et parasitaire, rendra à nouveau possible sur Terre ce trop-plein de vie dont, à son tour, le dionysisme doit nécessairement sortir. " [Jene neue Partei des Lebens, welche die grösste aller Aufgaben, die Höherzüchtung der Menschheit in die Hände nimmt, eingerechnet die schonungslose Vernichtung alles Entartenden und Parasitischen, wird jenes Zuviel von Leben auf Erden wieder möglich machen, aus dem auch der dionysische Zustand wieder erwachsen muss.]


INDEX NIETZSCHE (4/15) : LES SOCIALISTES

N.B. SUR MES INDEXATIONS DE NIETZSCHE

Les notes et les indications entre [ ] sont de MOI. La traduction est le plus souvent revue vers une plus grande littéralité à partir de celle des éditions Gallimard (Paris), Œuvres philosophiques complètes. Traducteurs : Anne-Sophie Astrup, Henri-Alexis Baatsch, Jean-Louis Backès, Pascal David, Maurice de Gandillac, Jean Gratien, Michel Haar, Cornélius Heim, Jean-Claude Hémery, Julien Hervier, Isabelle Hildenbrand, Pierre Klossowski, Philippe Lacoue-Labarthe, Jean Launay, Marc B. de Launay, Jean-Luc Nancy, Robert Rovini, Pierre Rusch.


Tous les textes allemands sont accessibles sur Nietzsche Source
 
INDEX NIETZSCHE (11/16) : LA SEXUALITÉ

dimanche 5 septembre 2021

L'AMOUR GREC CHEZ LES SÉNÈQUE

Retour : Ces petits Grecs...

 

Lucius Annaeus Seneca, Epistolae morales ad Lucilium,
BnF/Gallica, manuscrit latin 8658 A.


SÉNÈQUE LE PÈRE [dit aussi LE RHÉTEUR] (vers -60/39), écrivain latin d'origine espagnole (de l'actuelle Cordoue), père de Sénèque le Jeune et grand-père de Lucain,

Controverses et Déclamations, Loeb Classical Library (LCL) ; traduction Henri Bornecque, Garnier, 1932. Texte latin sur Perseus :
I Préface, 8 : " La passion malsaine de chanter et de danser remplit l'âme de nos efféminés ; s'onduler les cheveux, rendre sa voix assez ténue pour égaler la caresse des voix féminines, rivaliser avec les femmes pour la mollesse des attitudes, s'étudier à des recherches très obscènes, voilà l'idéal de nos adolescents ; amollis et énervés dès leur naissance, ils le restent volontiers, toujours prêts à attaquer la pudeur des autres et ne s'occupant pas de la leur. " [cantandi saltandique obscena studia effeminatos tenent, et capillum frangere et ad muliebres blanditias extenuare uocem, mollitia corporis certare cum feminis et immundissimis se expolire munditiis nostrorum adolescentium specimen est. Cité par Michel Foucault].
VII, iv, 7-8 : Calvus : il [Pompée] gratte sa tête avec un doigt ; que cherche-t-il ? un mec [dicit de Pompeio :
digito caput uno
Scalpit. quid credas hunc sibi uelle ?
virum].

Controverses choisies [Excerpta Controversiae], IV, 10 : Hatérius : l'impudicité est un crime pour l'homme libre, une nécessité pour l'esclave et un devoir pour l'affranchi [Memini illum cum libertinum reum defenderet, cui obiciebatur quod patroni concubinus fuisset, dixisse: inpudicitia in ingenuo crimen est, in seruo necessitas, in liberto officium];


SÉNÈQUE LE JEUNE (-4/65), homme d'État, précepteur de Néron et philosophe stoïcien, fils du précédent,

Dialogues, CUF (Budé), LCL. Texte latin sur Perseus :
Des bienfaits, II, 21, 1 : un homme impur dont le corps est prostitué et la bouche infâme [Illud magis venire in aliquam disputationem potest, quid faciendum sit captivo, cui redemptionis pretium homo prostituti corporis et infamis ore promittit.].
De la brièveté de la vie, XII, 2 : tu l'appelles oisif celui qui dans la palestre (les vices dont nous souffrons ne sont même pas romains !) s'assied pour regarder les rixes de garçons [Illum tu otiosum vocas qui Corinthia, paucorum furore pretiosa, anxia suptilitate concinnat et maiorem dierum partem in aeruginosis lamellis consumit? Qui in ceromate (nam, pro facinus ! ne Romanis quidem vitiis laboramus) spectator puerorum rixantium sedet ?].
Consolation à Marcia, traduction sur Remacle.org :
XVII, 4 : le tyran Denys recrutera mâles et femelles pour assouvir son désir ; ce sera peu que de prendre part à deux accouplements en même temps. [Probablement une extrapolation].

De la providence, traduction J. Baillard, Paris : Hachette; 1861 :
V, 3 : Eh bien quoi ? Il est donc injuste que des braves prennent les armes, veillent la nuit dans les camps, et couverts de blessures et d’appareils se tiennent debout sur la tranchée, tandis que, dans la ville, des eunuques, des débauchés de profession vivent en pleine sécurité ? [" At iniquum est virum bonum debilitari aut configi aut alligari, malos integris corporibus solutos ac delicatos incedere." Quid porro ? Non est iniquum fortes viros arma sumere et in castris pernoctare et pro vallo obligatis stare vulneribus, interim in urbe securos esse percisos et professos impudicitiam ? Quid porro ? Non est iniquum no- bilissimas virgines ad sacra facienda noctibus excitari, altissimo somno inquinatas frui ?].

Lettres à Lucilius [Ad Lucilium Epistulae Moralescorrespondance parfois crue fictive], CUF, LCL ; traduction d'extraits par Pierre Miscevic/Pocket/1990, avec dossier. Texte latin sur Perseus :
XXXV, 1 : celui qui aime n'est pas toujours un ami ;
XLVII, 7 : un autre esclave, qui sert le vin, doit se parer comme une femme [...] glabre, il se rase ou s'épile [...] dans la chambre, c'est un jules, dans la salle à manger, c'est un garçon [Alius vini minister in muliebrem modum ornatus cum aetate luctatur ; non potest effugere pueritiam, retrahitur, iamque militari habitu glaber retritis pilis aut penitus evulsis tota nocte pervigilat, quam inter ebrietatem domini ac libidinem dividit et in cubiculo vir, in convivio puer est.] ;
XLIX, 12 : double pudicité, celle qui est abstinence du corps d'un autre, et celle qui ménage le sien [cité par C. A. Williams] ;
LII, 12 : l'impudique est dénoncé par sa démarche, un mouvement de la main, parfois une simple répartie, le fait de ramener un doigt à sa tête, une façon de couler le regard ;
LXVI, 53 : me faire masser par des esclaves prêts à se prostituer [exolètes], me faire pétrir les doigts par un homme travesti en courtisane [muliercula] ;
XCV, 24 : bataillons de garçons [puerorum] qui au bout du festin passent dans la chambre ; troupes d'exolètes à la peau douce ;
XCVII, 2 : stupre exigé des adolescents nobles [allusion au procès de Clodius en -61 ; cf Cicéron] ; XCIX, 13 : impudicités mutuelles de certains hommes ;
CI, 15 : des hommes livrent volontairement leurs fils [liberos] au stupre ;
CXIV, 3 : si un homme est efféminé, on peut reconnaître sa mollesse à sa démarche [Si ille effeminatus est, in ipso incessu adparere mollitiam];
CXIV, 4 : on sait comment Mécène marchait, combien il était délicat [Quomodo Maecenas vixerit notius est, quam ut narrari nunc debeat, quomodo ambulaverit, quam delicatus fuerit, quam cupierit videri, quam vitia sua latere noluerit.] ;
CXIV, 6 : " Lui qui, au plus fort du fracas des guerres civiles, quand la ville inquiète était en armes, s'avançait en public escorté de deux eunuques, qui étaient encore plus virils que lui. Lui qui épousa mille femmes, bien qu'il n'en posséda qu'une (1). [Hunc esse, cui tunc maxime civilibus bellis strepentibus et sollicita urbe et armata comitatus hic fuerit in publico spadones duo, magis tamen viri quam ipse ? Hunc esse, qui uxorem milliens duxi, cum unam habuerit ?
1. Note de Pierre Miscevic : " Térentia avec qui il entretenait des relations orageuses. Mais Mécène semble avoir été davantage porté sur les garçons. "]

CXXIII, 10 : pas de petit amant [puer] pour exciter la jalousie de ta maîtresse [amica] (2) ;
15-16 : Selon les Stoïciens : " seul le sage sait être un amateur ; cherchons jusqu'à quel âge les jeunes [juvenes] doivent être aimés " [cité par Montaigne, Essais, II, xii] ; ceci est une concession aux mœurs de la Grèce. [Hoc enim iactant: solum sapientem et doctum esse amatorem. " Solus sapit ad hanc artem; aeque conbibendi et convivendi sapiens est peritissimus. Quaeramus, ad quam usque aetatem iuvenes amandi sint." Haec Graecae consuetudini data sint,]
2. Note de Pierre Miscevic : " On voit que l'homosexualité est chose courante et évidente à l'époque de Sénèque et particulièrement dans le milieu qui fut le sien. On pense aussi bien sûr aux héros du roman de Pétrone ".

Questions naturelles, CUF, LCL :
I, xvi, 1 : obscénité d'Hostius Quadra ; 2 : ses désirs allaient aux hommes comme aux femmes ; il avait des miroirs grossissants pour agrandir les membres des hommes auxquels il se livrait, et voir tous les mouvements du complice qui était derrière lui ; il jouissait de la grandeur trompeuse du membre lui-même [cité par Montaigne, Essais, II, xii] ; 3 : Hostius courait les bains publics pour choisir des hommes ; il était spectateur de ses infamies [flagitiorum, nefanda] ; 4 : comme il ne pouvait apercevoir toutes choses quand il avait la tête dans les parties secrètes de ses compagnons de débauche, c'est par réflexion qu'il s'en offrait le spectacle ; 5 : il pouvait voir les hommes auxquels il se livrait de toutes manières ; parfois il était partagé entre un mâle et une femme ; 7 : marem exerceo " j'exerce sur un mâle ".
VII, xxxi : " Ce qui nous reste d'extérieur mâle, nous l'effaçons sous le luisant de nos corps épilés. Nous avons vaincu les femmes en toilette; les couleurs que portent les courtisanes, que les dames romaines ont dû s'interdire, nous, Romains, nous les avons prises. On va d'une molle et languissante allure, d'un pas indécis : ce n'est plus en homme que l'on marche, c'est en femmelette. Des bagues ornent nos doigts; chaque phalange a sa pierre précieuse. Tous les jours nous imaginons de nouveaux moyens de dégrader notre sexe ou de le travestir, ne pouvant le dépouiller : l'un livre au fer ce qui le fait, homme ; la plus vile bande du cirque devient le refuge de cet autre, loué pour mourir, armé pour l'infamie. Même ruiné, il pourra fournir à sa frénésie : il a bien choisi. " (traduction J Baillard, 1861).



mercredi 2 juin 2021

L’HOMOPHOBIE, par Daniel Borrillo (2000-2001)


Critique du "Que sais-je ?" consacré à l’homophobie par les Presses Universitaires de France : Daniel BORRILLO, L’Homophobie, Paris : PUF, 2000 (2e édition mise à jour novembre 2001), collection Que sais-je ?, n° 3563.


Le terme homophobie, je l’ai introduit dans la langue française de France en avril 1977, à partir de l’américain homophobia, terme encore absent de l’édition 1989 de l’Oxford English Dictionary. Voir Claude Courouve, Les Homosexuels et les autres, Paris : Athanor, 1977, page 40 : " Le lien entre homophobie et misogynie apparaît clairement dans certaines bandes de jeunes où le terme "pédé" ne désigne pas seulement l’homosexuel, mais aussi celui qui aime une femme et s’attache à elle. L’amour est alors perçu comme dévirilisant. " J’ai appris depuis que homophobia avait été transposé en français canadien en 1975.

   Ce mot a atteint en 2014 la sur-notoriété et a envahi le vocabulaire politique. L’homophobologue Daniel Ángel Borrillo, (né en 1961 à Buenos Aires) le définit ainsi
 « hostilité (psychologique ou sociale) à l’égard des personnes désirant leur propre sexe » (page 26, 2e édition).
Le point fort de cet opuscule est le survol, assez précis cependant, de textes réprimant ou stigmatisant ce comportement minoritaire, depuis les textes « sacrés » des Hébreux jusqu’aux lois pénales en vigueur dans d'assez nombreux pays du Tiers-Monde. La répression des comportements des hommes homosexuels par les nazis (dite fort abusivement " holocauste gay ") et par l’Église catholique sont assez bien documentées. Pour une vue plus complète relativement à l’Europe, on pourra consulter, de Flora Leroy-Forgeot, Histoire juridique de l’homosexualité en Europe, Paris : PUF, 1997, collection " Médecine et sociétés " (sic). Pour la France, mon Vocabulaire de l’homosexualité masculine, Paris : Payot, 1985, collection Langages et sociétés ; la notion (faible) d’homophobie y était évoquée à l’article "Préjugé". Nouvelle édition électronique sous le titre Dictionnaire français de l'homosexualité masculine.


A /  Quelques oublis importants sont cependant à déplorer, dont les injonctions d’hétérosexualité conjugale dans les Évangiles : Évangile selon Matthieu, XIX, 4-6 : « mâle et femelle faits par Dieu ; l'homme s'attachera à sa femme ; ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare pas. » C'est repris dans l'Évangile selon Marc, X, 7-9 ; la remarque de l’existence de ces injonctions, faite à feu Mgr Jacques Gaillot lors d’une conférence-débat à l’ENS-Ulm, l’avait laissé sans voix. Oublié aussi le déplorable mais très influent article " Sodomie " dans l’Encyclopédie (1765 ; reproduit avec annotations dans mon Dictionnaire), et la longue période "homophobe" des mouvements socialiste et communiste (de Paul Fafargue et Henri Barbusse à Pierre Juquin).


B /   L’auteur s’enlise dans la distinction des homophobies clinique, anthropologique, libérale, bureaucratique-stalinienne, irrationnelle, cognitive, etc., donnant par cette accumulation l’impression (évidemment fausse) que pas une voix ne se serait élevée, dans la philosophie, l’histoire ou la littérature occidentale, pour approcher objectivement la question. La répression en Russie avant 1917 n’était pas aussi forte que la note 1 de la page 73 le laisse supposer ; l’article 516 du Code pénal de 1903 ne prévoyait qu’une peine d’emprisonnement de trois mois au moins pour "pédérastie" avec un partenaire de plus de 16 ans. Donc une répression bien moindre qu’après 1934. On trouvera dans ce Que sais-je ?, pages 75-76, un extrait de ma traduction, à partir de l’original russe, de l’entrée " Homosexualisme " de la Grande Encyclopédie Soviétique, 2e édition, 1952.

   Sigmund Freud et Jacques Lacan sont bien trop rapidement disqualifiés ; pour Freud, la catégorie des homos était distincte de celle des pervers ; il considérait l’homosexualité et l’hétérosexualité comme étant chacune une limitation de la bisexualité ; il employa le terme non péjoratif de "variante" pour caractériser l’homosexualité. Les références aux œuvres de Freud, note 2 de la page 62 de la 1ère édition, sont donc très incomplètes. Borrillo aurait pu citer au moins ces lignes :
« Il faut suspecter que l'élément essentiellement refoulé est toujours ce qui est féminin. Ceci est confirmé par le fait que les femmes aussi bien que les hommes admettent plus facilement des expériences avec des femmes qu'avec des hommes. Ce que les hommes refoulent essentiellement est l'élément pédérastique. »
Manuscrit M, 25 mai 1897. 
« La constitution des gens frappés d'inversion – les homosexuels – est, en vérité, souvent caractérisée par le fait que leur pulsion sexuelle possède une grande aptitude à la sublimation culturelle. »
La Morale sexuelle civilisée et la nervosité moderne, 1908. 
« La psychanalyse considère qu'un choix d'objet indépendamment de son sexe, également libre d'aller sur des objets mâles et femelles, comme on le trouve dans l'enfance, dans les états primitifs de la société, et dans les premières périodes de l'histoire, est la base originelle à partir de laquelle le type normal comme le type inverti se développent par une restriction de l'un ou de l'autre côté. » 
Trois Essais sur la théorie de la sexualité, note ajoutée en 1915 au premier essai.
« Il paraît certain que l'amour homosexuel s'accommode plus facilement de liens collectifs, même là où il apparaît comme une tendance sexuelle non inhibée : fait remarquable, dont l'éclaircissement nous entraînerait loin. »
Psychologie des foules et analyse du moi, XII, 1921.
   Bref, Borrillo ne nous présente qu'une indigente rhétorique de victime ... Il aurait été plus intéressant de distinguer l’homophobie positive, qui s’exprime, et le préjugé négatif, qui passe sous silence, par indifférence ou volonté de censure, l’existence de l’homosexualité (" homophobie " par omission) ; préjugé négatif fort apparent, par exemple, dans le Magazine de la santé de France 5, et précisément dans ses rubriques sexo.


C /   L’autonomie de l’hétérosexualité vis-à-vis de la procréation, déjà affirmée par les humanistes, les libertins, les philosophes (notamment le marquis de Sade et Frédéric Nietzsche, après les Grecs), puis par la psychanalyse, n’est presque pas évoquée ; c’est pourtant un argument plus qu’intéressant : l’avortement et la contraception s’écartent bien davantage de la nature que la masturbation ou l’homosexualité. Le concept de liberté est écarté d’un revers de plume sous prétexte qu’au contraire des droits .., il n’aurait pas de contrepartie (page 72 de la 2e édition, à laquelle se réfèrent les indications ultérieures) ; il est inattendu qu’un enseignant en droit exhibe ainsi son oubli de la notion de responsabilité, et de l’article 1382 du Code civil ! Mais on a vu depuis que Daniel Borrillo méconnaissait aussi l’article 75 du même Code, puisqu’il prétendit que ce Code civil était muet sur l’aspect hétérosexuel du mariage ...


D /   Les causes de l’homophobie sont décelées, chez les individus, dans une peur de leur propre homosexualité ("explication" tautologique, qui n’explique donc rien), et pour notre malheureuse société dite " homophobe ", dans son organisation selon deux sexes qui n’auraient que peu de choses à voir avec la nature ; Daniel Borrillo voit dans cette organisation, prétendant suivre les traces du philosophe Michel Foucault, " une entreprise politique d’assujétissement des individus " ... (page 90). Ce "différentialisme sexuel" priverait les homos du " droit au mariage " ; Borrillo critique ce sous-mariage que serait le PACS au nom du principe constitutionnel d’égalité des sexes imposé comme absolu et radical. Le " droit au mariage " n’existe, selon l’article 12 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (Conseil de l’Europe, 1950), que pour " l’homme et la femme ". En revanche, la Charte des Droits fondamentaux de l’Union Européenne (2000) laissait entrebâillée la porte du mariage homosexuel : « Le droit de se marier et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent l’exercice » (article 9).


E / On objectera facilement que la distinction des deux sexes étant constitutive tout autant de l’hétérosexualité que de l’homosexualité, distinction qui, dans le Code pénal (article 225-1), devient bien rapidement une discrimination et un délit (articles 225-1-1 et suivants), cette dernière n’annule donc pas cette différence. Jean-Louis Bory disait rechercher le " corps frère ", et Michel Foucault savait protester « une femme, en plus ! » quand le sexe dit faible l’importunait. On apprend encore, page 106, que " l’homosexualité n’existe pas ". Si l’on supprimait la mention du sexe sur les cartes d’identité et autres papiers officiels, comme l’avait imaginé humoristiquement le regretté Philippe Muray dans ses  Exorcismes spirituels III (Paris : Les Belles Lettres, 2002), et comme Daniel Borrillo en a renouvelé, après la plateforme de 2004, la revendication (en mars puis le novembre 2012 devant la commission des Lois de l'Assemblée), ainsi donc que les appellations Monsieur, Madame, maman, papa (dira-t-on alors camarade ?) cela suffirait-il pour faire admettre à tous ... ce qui n’existe pas ? L’obsession de l’égalité selon le juriste Borrillo conduit à de bien curieuses impasses.

  La suppression de toute mention relative au sexe sur les papiers d’identité et documents administratifs se trouve en effet être la neuvième et dernière revendication de la Plateforme pour l’égalité des droits (§ XI / C de ma page Légitimations... ) avancée par Act-Up et quelques autres associations en mars 2004.


Daniel Borrillo retrancha de sa 1ère édition (2000) les notes suivantes :

" Bien que plus difficile à concevoir dans l’état actuel des choses, l’inverse est aussi vrai : l’adhésion à une identité homosexuelle peut devenir aussi limitative et aliénante que l’identité hétérosexuelle. La revendication d’une identité homosexuelle me semble accepter la logique du stéréotype des dominants tel que nous l’avons décrit dans le texte. La critique du mouvement Queer semble en ce sens très intéressante, car elle nous met en garde contre l’enfermement et la logique d’exclusion des politiques identitaires. " (page 99 de la 1ère édition).


" À la différence du mariage, le PACS n’accorde pas de droits tels que l’adoption plénière, l’accès aux techniques de procréation médicalement assistée, la pension veuvage, la pension de réversion, le droit à la nationalité française pour le partenaire étranger ainsi que l’obtention immédiate d’une carte de résident. Le droit au nom et à la représentation judiciaire ou extrajudiciaire entre partenaires, la reconnaissance internationale de la qualité de conjoints, le regroupement familial et la libre circulation des couples sont des facultés absentes dans le PACS. Les droits de succession ab intestat en cas de décès, l’autorité parentale partagée, la protection contre l’éloignement du territoire pour le partenaire étranger, la possibilité de donations entre partenaires sans délai de carence, la possibilité de bénéficier de dons d’organes sur une personne vivante ou encore l’allocation prêt logement, pour n’en citer que quelques exemples, demeurent des prérogatives exclusivement réservées aux couples mariés. " (page 117 de la 1ère édition).

* * * * *

  Cet opuscule est révélateur des progrès du courant dit " radicalisme démocratique ", alias " correction politique " ; page 32, la différence classique, bien connue en droit international, entre nationaux et étrangers est dite " sorte d’euphémisme du racisme ". La période des argumenteurs cultivés, Paul Verlaine, Georges Hérelle, André Gide, Marcel Jouhandeau, Roger Peyrefitte, Daniel Guérin, Jean-Louis Bory, Dominique Fernandez, et alii, semble terminée, ils doivent laisser la place aux vigilants , qui sauront, eux, mettre au pas les mal-pensants, non par le débat rationnel, mais par la " pédagogie " et l’invocation d’une " lepénisation " des esprits (Robert Badinter, Sénat, séance du 4 février 1997).

  Jadis, on avertissait : « la gauche s’arrête où l’anti-communisme commence ». Aujourd’hui, cette même famille d’esprit tente d'intimider plus brutalement : « l’extrême droite commence là où la pensée unique s’arrête ».


   Voilà un Que sais-je ? qui fait date, et certes un virage à 180 degrés par rapport à la désolante approche psychopathologique  appuyée sur des références anglo-saxonnes  du numéro 1976 de la collection (Dr Jacques Corraze, L’Homosexualité, 1982, édition mise à jour en 2000). La pathologisation est en effet complètement retournée ; ce ne sont plus les homos qui sont malades, ce sont les autres, quand ils sont intolérants, sarcastiques, voire simplement caustiques ou railleurs. Ce qu'Éric Fassin appellera en 2003 L'inversion de la question homosexuelle. Daniel Borrillo disait souhaiter " une loi protégeant les homosexuels " (page 119), c’est-à-dire réprimant non seulement les agressions et discriminations, mais aussi les propos homophobes ou qualifiés tels ; cette loi fut obtenue en décembre 2004, c'est la loi Halde. Les problématiques de la liberté d’expression et de la liberté de la recherche scientifique ne sont évidemment pas abordées, alors qu'en 1982, Robert Badinter pouvait encore affirmer : « Chacun de nous est libre de critiquer ou d'approuver l'homosexualité, chacun est libre de choisir ou de ne pas choisir tel ou tel comportement sexuel. » (Sénat, séance du 5 mai 1982, Journal Officiel [Débats Sénat], page 1634).


* La bibliographie (pages 123-126) est, comme celle de Jacques Corraze, en grande partie constituée de références anglo-saxonnes.

Voir aussi ma page Légitimations et dépénalisations

mercredi 21 avril 2021

L'AMOUR GREC DANS LE LIVRE III DES ESSAIS DE MONTAIGNE

Deux passages relèvent de l'ethnographie, les 24 autres concernent tous l'Antiquité gréco-latine. Le chapitre V a fait l'objet d'une édition séparée, commentée et annotée par Jean Terrel aux Classiques Garnier en 2019.



1* iii " De Trois Commerces ", 827 (868) : (Beauté masculine) quoi qu'elle désire des traits un peu autres, n'est en son point que confuse avec la leur [celle des femmes] puérile et imberbe. On dit que chez le grand Seigneur ceux qui le servent sous titre de beauté, qui sont en nombre infini, ont leur congé, au plus loin, à vingt-deux ans. [Cf Guillaume Postel, Histoire des Turcs, II].

2* v " Sur des Vers de Virgile ", 841 (883) : " Me vais amusant en la recordation des jeunesses passées,
animus quod perdidit optat,
Atque in praeterita se totus imagine versat. "
 [esprit obsédé du regret de l'illusion perdue ; voir le contexte de cette citation de Pétrone, Satiricon, 128 : J'allai au lit sans Giton [...] Je redoutais de perdre le souffle au contact de mon frater]

3* v, 845 (886) : Ayant pour suspecte toute mine rébarbative
[...]
Et habet tristis quoque turba cynaedos (Cf Martial, Épigrammes, VII, lviii, 9)

4* v, 846 (888) : " Rude choix, comme on fit Origène: ou qu'il idolâtrât, ou qu'il se souffrit jouir charnellement à un grand vilain Éthiopien qu'on lui présenta " [d'après Nicéphore Calliste, Histoire ecclésiastique, livre V, 32, traduction de 1578]

5* v, 853 (895) : la beauté, l'opportunité, la destinée ; citation de Juvénal, IX, 32-34 : fatum est in partibus illis
Quas sinus abscondit: nam, si tibi sidera cessent,
Nil faciet longi mensura incognita nervi,
[À Névolus qui vend ses charmes à l'un et l'autre sexe : " il y a un destin même pour les organes qu'on cache ; si on n'a pas le Ciel avec soi, une longue mesure ne sert à rien "]

6* v, 855 (898) : Vigueur du mari répandue ailleurs [avec de jeunes blondins : cf Martial XII, xcvii, 6-9].

7* v, 856 (898) : " Polémon [d'Athènes] allait semant en champ stérile le fruit dû au champ génital "
Note sur l'exemplaire de Bordeaux (postérieure à 1588)

 [DL, IV, §§ 17 et 21Pour Polémon ; sur l'expression " semer en champ stérile " voir mon Dictionnaire..., sv].

8* v, 857-858 (900) : De quoi traitait Théophraste en ceux [les livres] qu'il intitula, l'un l'Amoureux, l'autre de l'Amour ? [DL, V, § 43 ; DL rapporte au § 39 (selon Aristippe, Sur la sensibilité des Anciens, IV) que Théophraste fut amoureux du fils d'Aristote NicomaqueDe quoi Aristippe au sien des anciennes délices ? [DL, II, § 84] Que veulent prétendre les descriptions si étendues et vives en Platon, des amours plus hardies du temps de Platon  [...] Clinias ou l'amoureux forcé de Héraclide Ponticus [DL, V, § 87 : " L'Érotique et (et ?) Clinias] [...] On tenait aux églises des garces, et des
garçons à jouir [EB88 pour et des garçons].

9* v, 860 (903) : Attirer les hommes à elles et les retirer des mâles à quoi cette nation est du tout abandonnée [Gasparo Balbi, Viaggio..., 1590]
 
10* v, 864 (906-907) : Braves hommes furent cocus, et le surent sans en exciter tumulte. Il n'y eut, en ce temps là, qu'un sot de Lepidus qui en mourut d'angoisse.
Ah'tum te miserum malique fati,
Quem attractis pedibus, patente porta,
Percurrent mugilésque raphanique. [CatullePoésies, XV, 17-19 : chaste adolescent que rien n'a défloré ; préserve la pudeur de mon puer (Juventius), toi et ton pénis fatal aux bons et mauvais garçons ; qu'on te punisse comme on fait des adultères]

11* v, 868-869 (911) : Phédon le philosophe prostitua sa beauté [DL, II, § 105]

12* v, 877 (920) : Appétit de génération par l’entremise de la beauté (Platon, Banquet, 206d-e)

13* v, 878 (921-922) : Ils disent que Zénon [de Cittum] n'eut affaire à femme qu'une fois en sa vie: et que ce fut par civilité, pour ne sembler dédaigner trop obstinément le sexe (DL, VII, § 13

14* v, 881 (925) : Culilingis [déformation facétieuse de Martial, VII, xcv, 14cunnilinguis] [...] grâce des baisers, lesquels Socrate dit être si puissants et dangereux à voler nos cœurs [Xénophon, Mémorables, I, iii, 8-15]

15* v, 884 (928) : Platon montre qu'en toute espèce d'amour, la facilité et promptitude est interdite aux tenants. Ratures successives sur EB88 : " Platon dit qu'en contrées de la Grèce où à quelque condition estimée utile l'amour des garçons était licite et où les poursuites, les flatteries les veillées, les services et les passions étaient vus en public d'un bon œil et favorable si la hâte de complaire et de se rendre était ce néanmoins très réprouvée aux tenants et condamnée; "

16* v, 892 (935-936) : sage Anacréon [...]  Socrate et son objet amoureux [cf Xénophon, Banquet, IV, 27-28]

17* v, 894 (938) : ce philosophe ancien [Bion de Borysthène] et son tendron [DL, IV, § 47]

18* v, 895-896 (938-939) : Xénophon emploie pour objection et accusation, à l'encontre de Ménon, qu'en son amour il embesogna des objets passant fleur [XénophonAnabase, II, vi, 28,] [...] Appétit fantastique de l'empereur Galba [Cf Suétone, Galba, XXII] Emonez, jeune gars de Chio, pensant par des beaux atours acquérir la beauté que nature lui ôtait, se présenta au philosophe Arcésilas, et lui demanda si un sage se pourrait voir amoureux: Oui da, répondit l'autre, pourvu que ce ne soit pas d'une beauté parée et sophistiquée comme la tienne [DL, IV, § 34] [...]

(Ambiguïté sexuelle de l’adolescent) [HoraceOdes, II, v, 21-24] :
Exemplaire de Bordeaux, folio 400 verso


Exemplaire de Bordeaux, folio 400 verso ;
même faute dans l'édition de 1595, page 76.
Le sophiste Bion [de Borysthène ; pertinente correction de Dion, signalée dès l'édition Tardieu-Denesle des Essais (Paris, 1828, tome cinquième), selon la source Plutarque : " σοφιστὴς Βίων "] appelait les poils follets de l’adolescence Aristogitons et Harmodiens [PlutarqueDialogue sur l'amour, 770bc] [...] Que ne prend-il envie à quelqu'une de cette noble harde Socratique du corps à l'esprit, achetant au pris de ses cuisses une intelligence et génération philosophique et spirituelle, le plus haut pris où elle les puisse monter ? Platon ordonne en ses lois [République, V, 468b-c] que celui qui aura fait quelque signalé et utile exploit en la guerre ne puisse être refusé durant l'expédition d'icelle, sans respect de sa laideur ou de son âge, du baiser ou autre faveur amoureuse de qui il la veuille.

19* vii " De l'incommodité de la grandeur ", 919-920 (965) : la paillardise s'en est vue en crédit, et toute dissolution ; comme aussi la déloyauté, les blasphèmes, la cruauté ; comme l'hérésie; comme la superstition, l'irreligion, la mollesse; et pis, si pis il y a.

20* ix " De la Vanité ", 989 (1035) : En toutes les chambrées de la philosophie ancienne ceci se trouvera, qu'un même ouvrier y publie des règles de tempérance et publie ensemble des écrits d'amour et débauche. Et Xénophon, au giron de Clinias, écrivit contre la volupté Aristippique [DL, II, § 49]

21* ix, 990 (1036) : Antisthène permet au sage d'aimer, et faire à sa mode [DL, VI, § 11 : ἐρασθήσεσθαι]. [...] Il n’est si homme de bien [...] qu'il serait très grand dommage et très injuste de punir et de perdre.
Olle, quid ad te
De cute quid faciat ille, vel illa sua ?
[Martial, VII, x, 2 : " qu'importe l'usage que chacun fait de sa peau " ; allusion probable à Anthony Bacon et/ou à Marc-Antoine Muret]

22* x " De Ménager sa Volonté ", 1015 (1061) : Zénon [de Citium] amoureux de Chrémonides [DL, VII, § 17]

23* xii " De la Physionomie ", 1057 (1104) : Socrate, " si amoureux et si affolé de la beauté. Nature lui fit injustice. ".

24* xii, 1058 (1105) : Socrate appelait la beauté une courte tyrannie [DL, V, § 19] [...] Aristote dit aux beaux [DL, V, § 20appartenir le droit de commander, et quand il en est de qui la beauté approche celle des images des Dieux, que la vénération leur est pareillement due. À celui qui lui demandait pourquoi plus longtemps et plus souvent on hantait les beaux : Cette demande, dit-il, n'appartient à être faite que par un aveugle [DL, V, § 20. La plupart et les plus grands philosophes payèrent leur instruction [escholage] et acquirent la sagesse par l'entremise et faveur de leur beauté.

25* xiii " De l'Expérience ", 1087 (1134-1135) : Ce fut long temps avant l'âge de choix et de connaissance. Il ne me souvient point de moi de si loin. Inde tragus... [cf Martial, XI, xxii, 7-8]. William J Beck : « De toutes les citations de Martial, celle-ci semble la plus personnelle pour Montaigne. » (Article cité, page 47). Michel Magnien note que Montaigne associe l'évocation de sa sexualité à des épigrammes qui mettent en scène des homosexuels ; cf " Montaigne à l'école de Martial ? ", Montaigne Studies, XVII, 1-2, (Montaigne et les Anciens), 2005, page 109.]

26* xiii, 1113 (1164) : Socrate, notre précepteur, prise, comme il doit, la volupté corporelle : mais il préfère celle de l'esprit [...] Pour lui la tempérance est modératrice, non adversaire des voluptés. Nature est un doux guide.

* * * * *

 « Un jour qu’on lui demandait si la pédérastie n’était pas un crime : " À Dieu ne plaise", répondit-elle, " que je condamne ce que Socrate a pratiqué. " À son sens, la pédérastie est louable ; mais cela est assez gaillard pour une pucelle. »
Tallemant des Réaux, Historiettes, « Mademoiselle de Gournay ». [Marie Le Jars, dite de Gournay, 1565-1645, était une grande amie de Michel de Montaigne, et s’en disait la " fille d’alliance "].

Edward Carpenter :
« Parmi les prosateurs de cette période [la Renaissance], il ne fut pas oublier Montaigne, qui traite le sujet d'une façon enthousiaste et non équivoque  (Voir Montaigne, par [William Carew] Hazlitt, ch. XXVII.) »
" L'Amour homogénique et sa place dans une société libre ", La Société nouvelle - Revue internationale - Sociologie, Arts, Sciences, Lettres, septembre, octobre 1896, tome 2, pages 297-308 et 433-447).

* * * * *

Voir le chapitre 4 " Montaigne's Itchy Ears " dans Gary FergusonQueer (Re)Readings in the French Renaissance: Homosexuality, Gender, Culture, Farnham (UK) : Ashgate, 2008, Routledge 2016, pages 191-243 (extraits sur Google)


Dans le Journal d'Italie :
Vitry-le-François : « Depuis peu de jours il avait été pendu à un lieu nommé Montirandet, voisin de là, pour telle occasion : Sept ou huit filles d’autour de Chaumont en Bassigni complotèrent, il y a quelques années, de se vêtir en mâles, et continuer ainsi leur vie par le monde. Entre les autres, l’une vint en ce lieu de Vitry sous le nom de Mary, gagnant sa vie à être tisserand ; jeune homme bien conditionné et qui se rendait à un chacun ami. Il fiança audit Vitry une femme, qui est encore vivante ; mais pour quelque désaccord qui survint entre eux, leur marché ne passa plus outre. Depuis étant allé audit Montirandet gagnant toujours sa vie audit métier, il devint amoureux d’une femme laquelle il avait épousée, et vécut quatre ou cinq mois avec elle avec son contentement, à ce qu’on dit ; mais ayant été reconnu par quelque un dudit Chaumont, et la chose mise en avant à la justice, elle avait été condamnée à être pendue : ce quelle disait aimer mieux souffrir que de se remettre en état de fille, et fut pendue pour des inventions illicites à suppléer au défaut de son sexe. »

« […] Je rencontrai au retour de Saint Pierre un homme qui m’avisa plaisamment de deux choses […] que ce même jour la station était à Saint Jean Porta Latina, en laquelle église certains Portugais, quelques années y a [en 1578], étaient entrés en une étrange confrérie. Ils s’épousaient mâle à mâle à la messe, avec mêmes cérémonies que nous faisons nos mariages, faisant leurs pâques ensemble, lisaient ce même évangile des noces, et puis couchaient et habitaient ensemble. Les esprits romains disaient que, parce qu’en l’autre conjonction, de mâle et femelle, cette seule circonstance la rend légitime, que ce soit en mariage, il avait semblé à ces fines gens que cette autre action deviendrait parfaitement juste, qui l’aurait autorisée de cérémonies et mystères de l’Église. Il fut brûlé huit ou neuf Portugais de cette belle secte. »
18 mars 1581.

On pourra comparer le récit de Montaigne avec celui dû à Antonio Tiepolo, le 2 août 1578 :
" Sono stati presi undeci fera Portughesi e Spagnuoli, i quali adunatisi in une chiesa, ch'e vicina san Giovanni Laterano, facevano alcune lor cerimonie, e con horrenda sceleraggine bruttando il sacrosante nome di matrimonio, se maritavano l'un con l'altro, congiongendosi insieme, come morito con moglio. Vintisette si trovano, et piu, insieme il piu delle volte, ma questa volta non ne hanno potuto coglier piu che questi undeci, i quali anderamo al fuoco, e come meritano. " Cf F. Mutinelli, Storia arcana e aneddotica d'Italia, Venise : P. Naratovich, 1856.

Sur ce genre de mariages, on pourra se reporter à : Gary FergusonSame-Sex Marriage in Renaissance Rome: Sexuality, Identity, and Community in Early Modern Europe, Ithaca (NY) : Cornell University Press, 2016.